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L’Europe et les enseignements libyens
À la lumière de l’intervention en Libye et alors que l’intervention de l’Otan menée sous l’égide de l’ONU vient de se terminer, nombre de commentateurs semblent (re)découvrir la faiblesse stratégique de l’Union européenne. Cela soulève deux interrogations. La première, souvent esquivée, est relative à la politique étrangère de l’Union européenne et de ses États membres au […]
À la lumière de l’intervention en Libye et alors que l’intervention de l’Otan menée sous l’égide de l’ONU vient de se terminer, nombre de commentateurs semblent (re)découvrir la faiblesse stratégique de l’Union européenne. Cela soulève deux interrogations.
La première, souvent esquivée, est relative à la politique étrangère de l’Union européenne et de ses États membres au cours de ces dernières décennies. La seconde concerne la nécessité pour l’Union de disposer — ou non — d’institutions et d’instruments pour décider et mettre en œuvre des opérations de maintien ou de rétablissement de la paix.
Les révolutions dans le monde arabe de ces derniers mois l’ont démontré avec une extrême clarté : les politiques de l’UE et de ses États membres ont été, pour l’essentiel, des politiques de soutien appuyé, voire inconditionnel à la plupart des régimes autoritaires en place dans le monde arabe (et pas seulement). Et ce, durant des décennies. Certains États membres de l’Union européenne se sont même arrogé, au nom d’intérêts particuliers, de raisons historiques et/ou de proximité géographique, une espèce de droit de fin de non-recevoir vis-à-vis de toute critique émanant d’un autre État membre ou du Parlement européen. À l’opposé, donc, d’une politique étrangère de l’UE qui se serait efforcée de stimuler, d’encourager, d’accompagner, de soutenir des processus, même lents et graduels, de réformes, en vue de l’élargissement du périmètre de l’État de droit et de la démocratie dans ces pays : c’est là, incontestablement, la première et la principale raison qui explique la faiblesse stratégique de l’Union. Et ce n’est pas l’instauration d’un service diplomatique commun qui pourra, à elle seule, y remédier ! Pas plus, d’ailleurs, que l’intervention en Libye : aussi nécessaire que cette dernière ait pu apparaitre, elle n’est qu’un remède de cheval tardif et couteux en vies, et une justification commode aux vieilles pratiques du cavalier seul.
La seconde raison de la faiblesse stratégique de l’Union réside dans l’inadéquation, quand ce n’est la carence, des moyens militaires de ses États membres pour mettre en œuvre des politiques de maintien et de rétablissement de la paix, avec les conséquences que cela comporte en termes de capacité de dissuasion de l’Europe. Sans les capacités des États-Unis, la plupart des opérations de rétablissement de la paix de ces dernières années n’auraient tout simplement pas été possibles.
C’est particulièrement flagrant en Libye où, en dépit de leur « récit officiel », les deux États membres de l’Union — pourtant les plus en pointe du point de vue militaire —, le Royaume-Uni et la France, n’ont pu intervenir qu’à la suite de l’adoption d’une résolution 1973 d’inspiration essentiellement américaine et que grâce aux missiles américains nécessaires à la destruction de la défense antiaérienne libyenne.
Le cas libyen ne fait donc pas exception. Il ne fait que confirmer qu’aucune des pourtant nombreuses initiatives européennes (intergouvernementales) en matière de défense et de sécurité — y compris le projet mort-né d’une force de 60000 hommes lancé à Helsinki en 1999 — n’a le moins du monde remis en cause le postulat selon lequel une politique de défense et de sécurité européenne unique demeurait une chimère depuis la tentative avortée de la ced en 1954.
Mais il est également vrai qu’on ne peut demander à la coopération intergouvernementale que ce qu’elle peut donner, à savoir très peu. À fortiori dans une matière qui touche au cœur des prérogatives régaliennes des États membres. Il faudrait, finalement, pouvoir en convenir.
Que pourrait donc faire l’Europe ?
Si, par contre, on considère la construction européenne comme une combinaison entre des politiques fédératives et coopératives, entre des États qui participent et d’autres qui ne participent pas à certaines politiques, il est possible de concevoir une mise en commun par les États membres qui le souhaitent1 d’une partie seulement de leur politique de sécurité. Ainsi pourrait-on imaginer un scénario où les États membres qui décideraient de participer à cette nouvelle politique transfèreraient à l’Union une partie de leur ligne budgétaire « défense », correspondant à 0,5% de leur revenu national brut2, et garderaient la pleine maitrise, dans le cadre ou non d’une alliance internationale, du reste de celle-ci.
Sur la base de ce budget, la Commission européenne organiserait des forces armées en mesure de mener à bien, seules ou en collaboration avec des forces nationales de pays de l’Union ou de pays tiers, des opérations de maintien et de rétablissement de la paix (missions dites de « Petersberg »), de lutte contre la piraterie3, d’évacuation de ressortissants européens en cas de crise grave, et une plateforme de coordination et de logistique pour les grandes interventions humanitaires d’urgence.
Un important effet collatéral d’une telle initiative serait de majorer d’un seul coup le budget de l’Union de près 70 milliards d’euros4, sans couts additionnels pour les États membres, c’est-à-dire une augmentation de quelque 50% par rapport au budget actuel de l’UE, rendant celle-ci, par la même occasion, d’autant plus forte pour agir sur les marchés internationaux en cas de crise financière5.
Mais évitons toute équivoque : il ne s’agirait pas de l’assemblage de différents segments d’armées nationales dans un « contenant » européen, mais bel et bien de la création ex nihilo d’une armée « communautaire », dont le personnel — officiers, sous-officiers, soldats et civils — dépendrait directement de la Commission européenne. Et c’est le président de celle-ci qui soumettrait à l’approbation du Parlement et du Conseil des ministres des Affaires étrangères6 les décisions de recourir aux forces armées européennes pour telle ou telle mission.
Une autre précision s’impose. Ces forces armées européennes seraient dotées d’un statut particulier au sein de l’Otan. Comme réserves stratégiques, elles seraient pleinement compatibles avec les autres forces de l’Otan. Mais leur statut aurait ceci de particulier qu’elles seraient en « temps normal » à la pleine disposition de l’UE. Ce n’est qu’en cas de guerre ou de menace de guerre contre un pays de l’Otan qu’elles passeraient sous le commandement direct de l’état-major de l’Alliance atlantique.
Le passage par un système de prises de décision et par des forces armées de l’Union permettrait de créer un processus d’élaboration des politiques réellement européen et, par la même occasion, de mettre un terme à des comportements et à des approches qui minent insidieusement le climat de confiance pourtant indispensable entre les différents États membres d’une part, entre ceux-ci et les institutions de l’Union d’autre part.
La technique des coups de force, de l’utilisation de l’Union européenne comme levier au service d’ambitions nationales, doit être reléguée au passé, sous peine de mettre en danger l’ensemble de l’édifice européen. Cela passe en premier lieu par l’adoption d’une véritable politique extérieure européenne, mais aussi, nous l’avons vu, par la création d’un outil d’intervention militaire et civil proprement européen et, enfin, par une réforme des institutions qui redonnerait au Conseil des ministres des Affaires étrangères un rôle central dans le débat, ouvert et public, de la situation internationale, dans la proposition de solution et dans l’approbation ou non des opérations de maintien ou de rétablissement de la paix décidées par le président de la Commission.
C’est à cette condition que l’Union européenne pourra, de façon crédible, contribuer à empêcher de nouveaux Srebrenica, de nouveaux Rwanda…
- Ce type de coopération renforcée nécessiterait probablement une modification du premier paragraphe de l’article 329 ainsi que la suppression du deuxième paragraphe de l’article 329 et du troisième de l’article 333 à moins d’être organisée, sur le modèle Schengen, hors du cadre des traités.
- Les 25% constituent une moyenne. En raison des écarts importants qui existent entre les budgets « défense » des États membres, les pourcentages des budgets de défense affectés au niveau européen pourraient varier fortement : quelque 15% pour le Royaume-Uni et la France, mais 30% pour l’Allemagne ou la Belgique.
- Alain Faujas rappelle dans Le Monde du 19 aout 2011 que les seuls pirates qui opèrent au large de la Corne de l’Afrique détiennent quelque 600 marins et plus de 50 navires et qu’ils occasionnent d’ores et déjà des surcouts de l’ordre de 5 milliards d’euros par an aux armateurs.
- Hypothèse qui se base sur une participation de l’ensemble des États membres actuels. Base de calcul : données 2008 (Sipri, Eda).
- Pour affronter efficacement les crises économiques et financières, de nombreux analystes estiment que le budget de l’Union devrait passer de l’actuel 1,1% à 10 ou 15% du RNB de l’ensemble des pays membres.
- Tous les représentants des pays membres de l’UE participent aux débats, mais seuls ceux qui participent à la coopération renforcée peuvent voter.