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L’été 2003

Numéro 9 Septembre 2003 - Social par La Revue nouvelle

septembre 2003

« Les auto­ri­tés modernes sou­tiennent, pla­ni­fient et com­mu­niquent plu­tôt qu’elles dirigent. La rela­tion auto­­ri­­tés-citoyens est de plus en plus une rela­tion d’in­te­rac­tion et de moins en moins une rela­tion de tutelle et d’ordre. L’ac­tion gou­ver­ne­men­tale ne repose plus uni­que­ment sur la loi ou le bud­get. Elle se fonde aujourd’­hui plu­tôt sur une capa­ci­té à détec­ter les problèmes […]

« Les auto­ri­tés modernes sou­tiennent, pla­ni­fient et com­mu­niquent plu­tôt qu’elles dirigent. La rela­tion auto­ri­tés-citoyens est de plus en plus une rela­tion d’in­te­rac­tion et de moins en moins une rela­tion de tutelle et d’ordre. L’ac­tion gou­ver­ne­men­tale ne repose plus uni­que­ment sur la loi ou le bud­get. Elle se fonde aujourd’­hui plu­tôt sur une capa­ci­té à détec­ter les pro­blèmes concrets et à déga­ger des solu­tions adé­quates avec tous les ins­tru­ments disponibles. »

Heu­reu­se­ment pour le gou­ver­ne­ment Raf­fa­rin, ces quelques lignes sont extraites du pré­am­bule de la décla­ra­tion gou­ver­ne­men­tale de Verhof­stadt II et pas d’un dis­cours pro­non­cé à l’As­sem­blée natio­nale de la Répu­blique fran­çaise ! Mais même en Bel­gique, elles résonnent étran­ge­ment à la fin d’un été cani­cu­laire qui a plon­gé des mil­liers d’hec­tares de forêts arden­naises (et autres) dans un automne pré­coce. Nous pou­vons nous ras­su­rer en nous répé­tant qu’au moins dans notre royaume, les per­sonnes âgées n’ont pas péri soli­tai­re­ment par mil­liers des défi­ciences d’un sys­tème de san­té inadap­té. Il reste que le volon­ta­risme pro­cla­mé par le gou­ver­ne­ment socia­liste-libé­ral, rap­por­té au carac­tère dra­ma­tique des évè­ne­ments météo­ro­lo­giques de l’é­té, a quelque chose de pathé­tique… Certes, les scep­tiques juge­ront qu’« il est facile de moquer l’in­ca­pa­ci­té de nos démo­cra­ties à modi­fier la météo ». Mais ce serait feindre de n’a­voir jamais enten­du par­ler du réchauf­fe­ment cli­ma­tique ou du pro­to­cole de Kyo­to… Les titu­laires des por­te­feuilles de la San­té publique et de l’En­vi­ron­ne­ment peuvent en tout cas rendre grâce à la rela­tive effi­ca­ci­té de nos ser­vices de soins. Ils n’au­ront pas été contraints d’in­ter­rompre leurs vacances pour trans­for­mer la décla­ra­tion posi­tive et volon­ta­riste de Verhof­stadt II en com­mu­ni­ca­tion de crise ou d’a­près-crise, comme y ont été for­cés leurs col­lègues fran­çais. Même si l’on attend tou­jours le décompte pré­cis des vic­times belges de l’o­zone, la capa­ci­té de l’al­liance vio­lette à anti­ci­per des « pro­blèmes concrets » n’a donc pas encore été vrai­ment sou­mise à rude épreuve.

L’en­tame de la légis­la­ture augure en tout cas bien mal de sa capa­ci­té à appor­ter des solu­tions effi­caces aux pro­blèmes aus­si « concrets » que ceux du vieillis­se­ment de la popu­la­tion ou du réchauf­fe­ment cli­ma­tique. Une hausse des accises sur le car­bu­rant des­ti­née à finan­cer la réforme fis­cale a été habi­le­ment habillée en « fis­ca­li­té éco­lo­gique ». Mais les voies alter­na­tives au trans­port rou­tier res­tent vic­times d’un cruel sous-finan­ce­ment et l’on attend tou­jours le lan­ce­ment d’un vrai finan­ce­ment alter­na­tif de la sécu­ri­té sociale.

Pour­tant, ces pro­blèmes risquent de prendre de l’am­pleur dans les années qui viennent. Il fau­dra alors déployer bien plus que des pro­cla­ma­tions appuyées sur la Bel­gique « créa­tive et soli­daire » pour faire face aux évè­ne­ments. L’in­tel­li­gence des « spin doc­tors », ces com­mu­ni­ca­teurs « tis­seurs de récits » employés par les gou­ver­ne­ments, ne suf­fi­ra plus. Noël Slan­gen, le conseiller en com­mu­ni­ca­tion du Pre­mier, a affir­mé récem­ment que « sur le plan de la com­mu­ni­ca­tion une rup­ture avec le pas­sé est tou­jours inté­res­sante ». Mais quelle est la réelle ori­gi­na­li­té de la syn­thèse vio­lette qu’on nous pro­pose ? Le gou­rou de Verhof­stadt, qui semble être en panne d’i­ma­gi­na­tion, a en tout cas déci­dé de ne plus pour­suivre ses col­la­bo­ra­tions poli­tiques au-delà des régio­nales. J’ai fait le tour des par­tis, je me ver­rais bien tra­vailler encore pour Aga­lev, mais je ne veux pas, à cause de leur pro­ces­sus interne de déci­sion, a‑t-il expli­qué en sub­stance à la presse flamande.

Ce retrait annon­cé semble faire écho à la briè­ve­té de l’é­tat de grâce qui a sui­vi les élec­tions et la for­ma­tion de la majo­ri­té. Rapi­de­ment, c’est une sorte de rési­gna­tion qui a pré­va­lu devant le carac­tère en appa­rence iné­luc­table de l’al­liance entre les familles socia­liste et libé­rale. On a même res­sor­ti une vieille expres­sion pour dési­gner ce syn­drome. Les édi­to­ria­listes fla­mands parlent d’un phé­no­mène Tina, abré­via­tion de l’ex­pres­sion « There is no alter­na­tive ». Pas d’al­ter­na­tive au violet ?

Mais, un peu plus de quatre mois après les élec­tions fédé­rales, on ne par­vient pas encore à se défaire de l’im­pres­sion que les élec­teurs belges, en confiant la majo­ri­té de leurs suf­frages à l’at­te­lage vio­let, se sont rési­gnés à don­ner leur béné­dic­tion à un mariage de rai­son, à défaut d’un mariage d’a­mour. À l’al­liance entre deux pro­messes de rela­tives cer­ti­tudes à court terme : le main­tien des réduc­tions d’im­pôts et la sau­ve­garde, tou­jours pro­vi­soire, de notre sécu­ri­té sociale. Une rési­gna­tion du même ordre semble d’ailleurs pré­va­loir dans la popu­la­tion par rap­port à l’ob­jec­tif prin­ci­pal affi­ché par l’é­quipe de Guy Verhof­stadt. Comme l’in­di­quait un son­dage réa­li­sé pour le compte de la R.T.B.F. et du jour­nal Le Soir, la pré­oc­cu­pa­tion prin­ci­pale des Belges demeure l’emploi. Mais dans le même temps, leur scep­ti­cisme est grand quant à la pos­si­bi­li­té d’ar­ri­ver à la créa­tion de deux-cent-mille emplois d’i­ci à la fin de la légis­la­ture, ce qui est l’ob­jec­tif affi­ché du Pre­mier ministre. Aux inter­ro­ga­tions légi­times qui peuvent être for­mu­lées à cet égard, Guy Verhof­stadt répond, comme à son habi­tude, par un opti­misme de bon aloi qui lui vaut encore des éloges de la part du monde éco­no­mique et social. Mais ses pro­fes­sions de foi ren­forcent fina­le­ment l’im­pres­sion que le rôle du poli­tique se limite à don­ner le change face aux incer­ti­tudes de la conjonc­ture éco­no­mique inter­na­tio­nale, en se bor­nant à créer le « cli­mat de confiance » pro­pice aux inves­tis­se­ments et à la consom­ma­tion des ménages.

Car on ne dis­tingue actuel­le­ment pas très bien les res­sorts sur les­quels la majo­ri­té fédé­rale pour­ra rebon­dir pour rele­ver le défi com­plexe auquel sont confron­tées actuel­le­ment toutes les démo­cra­ties euro­péennes. Sau­ra-t-elle par exemple conci­lier le main­tien de la crois­sance éco­no­mique et le déve­lop­pe­ment de l’emploi avec le res­pect des limites bud­gé­taires et la prise rapide des mesures néces­saires à la lutte contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique ? À cet égard, il faut craindre que la pers­pec­tive des élec­tions régio­nales de 2004 et la « cam­pagne per­ma­nente » dans laquelle le monde poli­tique belge est enga­gé ne forment pas le contexte idéal pour la prise de mesures inno­vantes et courageuses.

Il serait cepen­dant mal­ve­nu de décrier une évo­lu­tion ins­ti­tu­tion­nelle qui, à défaut d’être por­tée par un large consen­sus, est le pro­duit d’une déci­sion démo­cra­tique : la Bel­gique est de plus en plus ouver­te­ment confé­dé­rale. Avant, cela se susur­rait dans les cénacles. Désor­mais, cela éclate au grand jour. La légis­la­ture qui s’ouvre est ain­si la pre­mière à débu­ter par une négo­cia­tion « d’é­gal à égal » entre les niveaux fédé­ral et régio­naux. Pas sur des dos­siers « secon­daires ». Non, sur rien moins que le finan­ce­ment de matières aus­si cru­ciales que l’en­sei­gne­ment, les infra­struc­tures fer­ro­viaires, la répar­ti­tion des efforts dans la lutte contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique… Cette nou­velle muta­tion de la démo­cra­tie à la belge recèle encore un fameux lot d’in­cer­ti­tudes que ren­force le main­tien de majo­ri­tés arc-en-ciel dans les gou­ver­ne­ments régio­naux. La pré­sence des verts y consti­tue une sorte de rémi­nis­cence plus ou moins accep­tée de feu l’arc-en-ciel fédé­ral. Elle peut prendre valeur d’é­ta­lon par rap­port à la « syn­thèse idéale » du libé­ra­lisme et du socia­lisme que consti­tue­rait l’at­te­lage vio­let au fédé­ral. Mais si le vio­let échoue, l’arc-en-ciel peut-il encore incar­ner l’al­ter­na­tive ? Ou faut-il appe­ler de ses vœux la consti­tu­tion d’une alliance « à gauche » entre les socia­listes, les éco­lo­gistes et les chrétiens ?

Ces ques­tions-là taraudent sans doute les états-majors des par­tis. Mais il est peu pro­bable qu’elles hantent les nuits des citoyens. Ceux-ci ont vrai­sem­bla­ble­ment beau­coup de mal à se retrou­ver dans l’in­tri­ca­tion du Mec­ca­no poli­ti­co-ins­ti­tu­tion­nel et du jeu des alliances, éven­tuel­le­ment asy­mé­triques. Cette com­plexi­té n’est certes pas vrai­ment neuve. De toute éter­ni­té, comme Xavier Mabille nous l’a ensei­gné, le sys­tème poli­tique belge a été carac­té­ri­sé par l’en­che­vê­tre­ment des cli­vages sociaux, com­mu­nau­taires et reli­gieux. Aujourd’­hui, ces cli­vages sont en pleine recom­po­si­tion. Et il ne suf­fi­ra pas de van­ter son sens des res­pon­sa­bi­li­tés ou de pro­cla­mer son atta­che­ment éter­nel à « la gauche grande et belle » pour don­ner le jour à des poli­tiques alter­na­tives cen­sées récon­ci­lier le citoyen belge avec sa démocratie.

Si l’on veut vrai­ment arri­ver à déve­lop­per « une rela­tion d’in­te­rac­tion entre les auto­ri­tés et le citoyen », comme se le pro­pose le gou­ver­ne­ment Verhof­stadt II, les ficelles de la com­mu­ni­ca­tion poli­tique moderne ne don­ne­ront plus long­temps le change. Pas plus que le recours aux tro­pismes désuets du « ras­sem­ble­ment des pro­gres­sistes ». Avant d’en­vi­sa­ger de son­ner l’heure des ren­dez-vous his­to­riques, il fau­dra pour­suivre le tra­vail, par­fois fas­ti­dieux, d’un éta­le­ment des cli­vages et, notam­ment, faire entendre dans notre débat poli­tique la voix de tous ceux qui demain et après-demain risquent de faire les frais de nos absences de choix politiques.

La Revue nouvelle


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