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L’été 2003
« Les autorités modernes soutiennent, planifient et communiquent plutôt qu’elles dirigent. La relation autorités-citoyens est de plus en plus une relation d’interaction et de moins en moins une relation de tutelle et d’ordre. L’action gouvernementale ne repose plus uniquement sur la loi ou le budget. Elle se fonde aujourd’hui plutôt sur une capacité à détecter les problèmes […]
« Les autorités modernes soutiennent, planifient et communiquent plutôt qu’elles dirigent. La relation autorités-citoyens est de plus en plus une relation d’interaction et de moins en moins une relation de tutelle et d’ordre. L’action gouvernementale ne repose plus uniquement sur la loi ou le budget. Elle se fonde aujourd’hui plutôt sur une capacité à détecter les problèmes concrets et à dégager des solutions adéquates avec tous les instruments disponibles. »
Heureusement pour le gouvernement Raffarin, ces quelques lignes sont extraites du préambule de la déclaration gouvernementale de Verhofstadt II et pas d’un discours prononcé à l’Assemblée nationale de la République française ! Mais même en Belgique, elles résonnent étrangement à la fin d’un été caniculaire qui a plongé des milliers d’hectares de forêts ardennaises (et autres) dans un automne précoce. Nous pouvons nous rassurer en nous répétant qu’au moins dans notre royaume, les personnes âgées n’ont pas péri solitairement par milliers des déficiences d’un système de santé inadapté. Il reste que le volontarisme proclamé par le gouvernement socialiste-libéral, rapporté au caractère dramatique des évènements météorologiques de l’été, a quelque chose de pathétique… Certes, les sceptiques jugeront qu’« il est facile de moquer l’incapacité de nos démocraties à modifier la météo ». Mais ce serait feindre de n’avoir jamais entendu parler du réchauffement climatique ou du protocole de Kyoto… Les titulaires des portefeuilles de la Santé publique et de l’Environnement peuvent en tout cas rendre grâce à la relative efficacité de nos services de soins. Ils n’auront pas été contraints d’interrompre leurs vacances pour transformer la déclaration positive et volontariste de Verhofstadt II en communication de crise ou d’après-crise, comme y ont été forcés leurs collègues français. Même si l’on attend toujours le décompte précis des victimes belges de l’ozone, la capacité de l’alliance violette à anticiper des « problèmes concrets » n’a donc pas encore été vraiment soumise à rude épreuve.
L’entame de la législature augure en tout cas bien mal de sa capacité à apporter des solutions efficaces aux problèmes aussi « concrets » que ceux du vieillissement de la population ou du réchauffement climatique. Une hausse des accises sur le carburant destinée à financer la réforme fiscale a été habilement habillée en « fiscalité écologique ». Mais les voies alternatives au transport routier restent victimes d’un cruel sous-financement et l’on attend toujours le lancement d’un vrai financement alternatif de la sécurité sociale.
Pourtant, ces problèmes risquent de prendre de l’ampleur dans les années qui viennent. Il faudra alors déployer bien plus que des proclamations appuyées sur la Belgique « créative et solidaire » pour faire face aux évènements. L’intelligence des « spin doctors », ces communicateurs « tisseurs de récits » employés par les gouvernements, ne suffira plus. Noël Slangen, le conseiller en communication du Premier, a affirmé récemment que « sur le plan de la communication une rupture avec le passé est toujours intéressante ». Mais quelle est la réelle originalité de la synthèse violette qu’on nous propose ? Le gourou de Verhofstadt, qui semble être en panne d’imagination, a en tout cas décidé de ne plus poursuivre ses collaborations politiques au-delà des régionales. J’ai fait le tour des partis, je me verrais bien travailler encore pour Agalev, mais je ne veux pas, à cause de leur processus interne de décision, a‑t-il expliqué en substance à la presse flamande.
Ce retrait annoncé semble faire écho à la brièveté de l’état de grâce qui a suivi les élections et la formation de la majorité. Rapidement, c’est une sorte de résignation qui a prévalu devant le caractère en apparence inéluctable de l’alliance entre les familles socialiste et libérale. On a même ressorti une vieille expression pour désigner ce syndrome. Les éditorialistes flamands parlent d’un phénomène Tina, abréviation de l’expression « There is no alternative ». Pas d’alternative au violet ?
Mais, un peu plus de quatre mois après les élections fédérales, on ne parvient pas encore à se défaire de l’impression que les électeurs belges, en confiant la majorité de leurs suffrages à l’attelage violet, se sont résignés à donner leur bénédiction à un mariage de raison, à défaut d’un mariage d’amour. À l’alliance entre deux promesses de relatives certitudes à court terme : le maintien des réductions d’impôts et la sauvegarde, toujours provisoire, de notre sécurité sociale. Une résignation du même ordre semble d’ailleurs prévaloir dans la population par rapport à l’objectif principal affiché par l’équipe de Guy Verhofstadt. Comme l’indiquait un sondage réalisé pour le compte de la R.T.B.F. et du journal Le Soir, la préoccupation principale des Belges demeure l’emploi. Mais dans le même temps, leur scepticisme est grand quant à la possibilité d’arriver à la création de deux-cent-mille emplois d’ici à la fin de la législature, ce qui est l’objectif affiché du Premier ministre. Aux interrogations légitimes qui peuvent être formulées à cet égard, Guy Verhofstadt répond, comme à son habitude, par un optimisme de bon aloi qui lui vaut encore des éloges de la part du monde économique et social. Mais ses professions de foi renforcent finalement l’impression que le rôle du politique se limite à donner le change face aux incertitudes de la conjoncture économique internationale, en se bornant à créer le « climat de confiance » propice aux investissements et à la consommation des ménages.
Car on ne distingue actuellement pas très bien les ressorts sur lesquels la majorité fédérale pourra rebondir pour relever le défi complexe auquel sont confrontées actuellement toutes les démocraties européennes. Saura-t-elle par exemple concilier le maintien de la croissance économique et le développement de l’emploi avec le respect des limites budgétaires et la prise rapide des mesures nécessaires à la lutte contre le réchauffement climatique ? À cet égard, il faut craindre que la perspective des élections régionales de 2004 et la « campagne permanente » dans laquelle le monde politique belge est engagé ne forment pas le contexte idéal pour la prise de mesures innovantes et courageuses.
Il serait cependant malvenu de décrier une évolution institutionnelle qui, à défaut d’être portée par un large consensus, est le produit d’une décision démocratique : la Belgique est de plus en plus ouvertement confédérale. Avant, cela se susurrait dans les cénacles. Désormais, cela éclate au grand jour. La législature qui s’ouvre est ainsi la première à débuter par une négociation « d’égal à égal » entre les niveaux fédéral et régionaux. Pas sur des dossiers « secondaires ». Non, sur rien moins que le financement de matières aussi cruciales que l’enseignement, les infrastructures ferroviaires, la répartition des efforts dans la lutte contre le réchauffement climatique… Cette nouvelle mutation de la démocratie à la belge recèle encore un fameux lot d’incertitudes que renforce le maintien de majorités arc-en-ciel dans les gouvernements régionaux. La présence des verts y constitue une sorte de réminiscence plus ou moins acceptée de feu l’arc-en-ciel fédéral. Elle peut prendre valeur d’étalon par rapport à la « synthèse idéale » du libéralisme et du socialisme que constituerait l’attelage violet au fédéral. Mais si le violet échoue, l’arc-en-ciel peut-il encore incarner l’alternative ? Ou faut-il appeler de ses vœux la constitution d’une alliance « à gauche » entre les socialistes, les écologistes et les chrétiens ?
Ces questions-là taraudent sans doute les états-majors des partis. Mais il est peu probable qu’elles hantent les nuits des citoyens. Ceux-ci ont vraisemblablement beaucoup de mal à se retrouver dans l’intrication du Meccano politico-institutionnel et du jeu des alliances, éventuellement asymétriques. Cette complexité n’est certes pas vraiment neuve. De toute éternité, comme Xavier Mabille nous l’a enseigné, le système politique belge a été caractérisé par l’enchevêtrement des clivages sociaux, communautaires et religieux. Aujourd’hui, ces clivages sont en pleine recomposition. Et il ne suffira pas de vanter son sens des responsabilités ou de proclamer son attachement éternel à « la gauche grande et belle » pour donner le jour à des politiques alternatives censées réconcilier le citoyen belge avec sa démocratie.
Si l’on veut vraiment arriver à développer « une relation d’interaction entre les autorités et le citoyen », comme se le propose le gouvernement Verhofstadt II, les ficelles de la communication politique moderne ne donneront plus longtemps le change. Pas plus que le recours aux tropismes désuets du « rassemblement des progressistes ». Avant d’envisager de sonner l’heure des rendez-vous historiques, il faudra poursuivre le travail, parfois fastidieux, d’un étalement des clivages et, notamment, faire entendre dans notre débat politique la voix de tous ceux qui demain et après-demain risquent de faire les frais de nos absences de choix politiques.