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L’épuisement des ressources minérales et la notion de matériaux critiques

Numéro 4 – 2018 par José Halloy

juillet 2018

Les res­sources minières consti­tuent un stock fini que l’humanité épuise de plus en plus vite. Les modèles montrent que pour un cer­tain nombre d’entre elles, les pics de pro­duc­tion pour­raient être fran­chis au cours de ce siècle. La sobrié­té pour­rait donc être l’enjeu de socié­té de notre époque…

Dossier

L’industrie minière pro­duit en grande quan­ti­té des dizaines d’éléments chi­miques dont les plus connus sont les métaux clas­siques tels que le fer, l’or, l’argent, le plomb, le cuivre, l’étain, l’aluminium, le nickel, etc. Les courbes de quan­ti­tés extraites chaque année depuis le début du XXe siècle montrent que cette extrac­tion ne cesse de croitre, sou­vent de manière expo­nen­tielle. Pra­ti­que­ment pour tous les élé­ments chi­miques, dont nous dis­po­sons des don­nées, le maxi­mum d’extraction se pro­duit aujourd’hui. Nous n’avons jamais autant extrait de res­sources minières de toute l’histoire de l’humanité. Ce que montre l’histoire du XXe et du XXIe siècles c’est que non seule­ment cette crois­sance s’accélère mais aus­si que le nombre d’éléments chi­miques extraits s’accroit. De nos jours, l’essentiel du tableau pério­dique des élé­ments chi­miques est mis au tra­vail dans les sciences des maté­riaux. Ce fait est par­fois qua­li­fié d’extractivisme, c’est-à-dire le pro­ces­sus qui consiste à extraire des res­sources natu­relles de la Terre pour les vendre sur le mar­ché mon­dial. Ce modèle éco­no­mique est deve­nu popu­laire dans de nom­breux pays d’Amérique latine, mais il prend de plus en plus d’importance dans d’autres régions (voir article sur le lithium ici).

Les miné­raux dont sont extraits les élé­ments chi­miques résultent de l’histoire géo­lo­gique de la Terre. Comme toute his­toire elle est contin­gente et dépend du che­min sui­vi aupa­ra­vant. Il est peu pro­bable que cela se repro­duise de la même manière dans le futur. Mais si cer­tains pro­ces­sus géo­lo­giques pou­vaient pro­duire des strates géo­lo­giques sem­blables, ils se dérou­le­raient sur des mil­lions d’années c’est-à-dire sur des échelles de temps géo­lo­giques bien plus longues que l’échelle de temps des civi­li­sa­tions humaines. Les res­sources minières peuvent donc être consi­dé­rées comme un stock fini dans lequel l’humanité puise de plus en plus intensément.

Épuisement des ressources

L’épuisement de ces res­sources est donc une qua­si-cer­ti­tude si l’on ne trouve pas des pro­cé­dés extrê­me­ment effi­caces de recy­clage. Pour la plu­part des élé­ments chi­miques, les pro­cé­dés de recy­clage ne sont pas connus. Pour les métaux clas­siques, comme le fer ou le nickel, le taux de recy­clage actuel est de l’ordre de 50 %. Ce qui implique que 50 % sont per­dus à chaque cycle de vie des pro­duits. L’épuisement n’est donc que retar­dé, mais gagner du temps est déjà impor­tant. La ques­tion essen­tielle qui demeure est donc celle de l’échelle de temps de l’épuisement. S’il se pro­duit au cours du XXIe siècle ou au cours du troi­sième mil­lé­naire la ques­tion n’a pas la même impor­tance en termes scien­ti­fiques, tech­no­lo­giques, éco­no­miques et socié­taux. Or il semble que le pro­blème de l’épuisement risque de prendre de l’importance et de deve­nir cri­tique au cours de ce siècle.

Le pre­mier à s’être posé la ques­tion en terme moderne est Marion King Hub­bert (1903 – 1989), un géo­logue et géo­phy­si­cien amé­ri­cain. Il tra­vaillait au labo­ra­toire de recherche de Shell à Hous­ton, au Texas, terre de pétrole. Il a appor­té plu­sieurs contri­bu­tions impor­tantes à la géo­lo­gie, à la géo­phy­sique et à la géo­lo­gie pétro­lière, notam­ment la courbe de Hub­bert et la théo­rie du pic de Hub­bert, un concept à la base de la notion de « pic pétro­lier », avec d’importantes rami­fi­ca­tions éco­no­miques. Le modèle du pic de Hub­bert dit que pour une zone géo­gra­phique don­née, d’une région pro­duc­trice de pétrole à la pla­nète dans son ensemble, le taux de pro­duc­tion pétro­lière tend à suivre une courbe en forme de cloche. Après une phase de crois­sance, simi­laire à une crois­sance expo­nen­tielle, la pro­duc­tion annuelle ralen­tit pour atteindre un maxi­mum puis décroit de manière symé­trique à la mon­tée. Il existe donc un maxi­mum de pro­duc­tion annuelle qui se pro­duit une année spé­ci­fique, l’année du pic de pro­duc­tion. Ensuite, après ce pic, la pro­duc­tion ne peut que décroitre. Le modèle de Hub­bert avance l’hypothèse que la pro­duc­tion cumu­lée de pétrole au cours du temps suit une courbe logis­tique, une courbe en forme de S, proche d’une fonc­tion seuil qui, donc, sature pour atteindre un pla­teau qui ensuite reste constant au cours du temps.

Cette courbe logis­tique fut pro­po­sée par le belge Pierre Fran­çois Verhul­st (1804 – 1849), élève d’Adolphe Qué­te­let (1796 – 1874). La ques­tion que se posent Verhul­st et Qué­te­let est de trou­ver une réponse mathé­ma­tique (un modèle) au pro­blème de Tho­mas Mal­thus (1766 – 1834). Dans son célèbre livre, An Essay on the Prin­ciple of Popu­la­tion, publié ano­ny­me­ment en 1798 pour la pre­mière ver­sion, Mal­thus pré­di­sait qu’une aug­men­ta­tion de la pro­duc­tion ali­men­taire d’une nation amé­lio­rait le bie­nêtre de la popu­la­tion, mais que cette amé­lio­ra­tion n’était que tem­po­raire car elle condui­sait à une crois­sance démo­gra­phique qui, à son tour, réta­blis­sait le niveau de pro­duc­tion d’origine par habi­tant. En d’autres termes, l’humanité avait une pro­pen­sion à uti­li­ser l’abondance pour la crois­sance démo­gra­phique plu­tôt que pour main­te­nir un niveau de vie éle­vé, une vision connue sous le nom de « piège mal­thu­sien ». Les popu­la­tions humaines avaient ten­dance à croitre jusqu’à ce que la classe infé­rieure subisse des dif­fi­cul­tés et soit plus vul­né­rable à la famine et à la mala­die et souffre d’une « catas­trophe mal­thu­sienne ». Ce livre met en exergue jusqu’à aujourd’hui une ques­tion pro­fonde et com­pli­quée sur le des­tin de l’humanité avec toutes les consé­quences poli­tiques néfastes et mor­ti­fères qui lui sont associées.

Il sort du cadre de ce texte de pré­sen­ter ce débat scien­ti­fique qui dure depuis deux-cent-vingt ans. Mais sou­li­gnons tou­te­fois que c’est dans ce contexte que Verhul­st pro­po­sa donc son modèle, dont la solu­tion est la courbe qu’il bap­tise de « logis­tique ». Cette courbe pré­sente un pla­teau, c’est-à-dire que la crois­sance de la popu­la­tion humaine cesse pour se sta­bi­li­ser à un maxi­mum qui reste constant au cours du temps. À l’époque, il n’y avait pas suf­fi­sam­ment de don­nées démo­gra­phiques pour vali­der le modèle de Verhul­st. Cepen­dant, l’idée qu’une dyna­mique interne à une popu­la­tion, qui n’est donc pas due à une inter­ven­tion exté­rieure au sys­tème, puisse sta­bi­li­ser la crois­sance mar­qua les esprits et reste un clas­sique valable encore aujourd’hui. Le modèle de Verhul­st fut vali­dé expé­ri­men­ta­le­ment pour la crois­sance des micro-orga­nismes au début du XXe siècle par le bio­lo­giste russe Geor­gii Frant­se­vich Gause (1910 – 1986) et par le bio­chi­miste fran­çais, prix Nobel de méde­cine, Jacques Monod (1910 – 1976). Ce modèle, simple, est ensei­gné comme une pierre angu­laire de la dyna­mique des populations.

Dans le cadre de la pro­duc­tion de pétrole, Hub­bert constate que l’extraction cumu­lée de pétrole ne peut pas dépas­ser une cer­taine valeur, qui cor­res­pond à la quan­ti­té totale de pétrole exis­tant. Cette quan­ti­té maxi­male est donc la valeur du pla­teau final de la courbe logis­tique. Ensuite, Hub­bert reprend les hypo­thèses de Verhul­st pour la dyna­mique de la quan­ti­té cumu­lée de pétrole au cours du temps : après une crois­sance expo­nen­tielle les fac­teurs limi­tants entrent en jeu, la crois­sance se ralen­tit et se sta­bi­lise à la valeur maxi­male. La pro­duc­tion annuelle de pétrole cor­res­pond mathé­ma­ti­que­ment à la déri­vée par rap­port au temps de la quan­ti­té cumu­lée de pétrole donc de la courbe logis­tique. Cette déri­vée est une courbe en forme de cloche, symé­trique par rap­port à son maxi­mum. Après cette pro­duc­tion annuelle maxi­male, la pro­duc­tion ne peut que décroitre. Il est admis que lorsque ce maxi­mum est dépas­sé, les contraintes maté­rielles font que les sys­tèmes socioé­co­no­miques entrent dans des zones de tur­bu­lence dues à des pénu­ries de plus en plus pro­blé­ma­tiques pou­vant mener à des rup­tures ou à des effon­dre­ments sociétaux.

Échelles de temps

Ce modèle n’est pas à prendre comme pou­vant for­mu­ler des pré­dic­tions pré­cises mais est utile pour esti­mer des échelles de temps dans un but de pros­pec­tive. Le modèle dépend de quan­ti­tés qu’il est sou­vent dif­fi­cile d’estimer et qui pré­sentent des incer­ti­tudes. Il a été géné­ra­li­sé pour les res­sources miné­rales autres que le pétrole, et on se réfère régu­liè­re­ment non seule­ment au « pic de pétrole » mais aus­si au « pic de tout ». C’est-à-dire qu’un grand nombre de res­sources miné­rales qui sont exploi­tées en masse comme le pétrole, sui­vront des courbes sem­blables. Déter­mi­ner les échelles de temps est essen­tiel en termes de pros­pec­tive. L’inquiétude vient du fait que les esti­ma­tions actuelles pointent vers des pics de pro­duc­tion qui pour­raient avoir lieu au cours du XXIe siècle déjà.

Du point de vue socioé­co­no­mique, cela signi­fie que les zones de fortes tur­bu­lences, voire d’effondrement pour­raient avoir lieu au cours de la seconde moi­tié de ce siècle. Du point de vue scien­ti­fique et tech­no­lo­gique, cela veut dire que les défis qui nous attendent sont immenses et urgents. Il faut anti­ci­per l’arrivée des pics de pro­duc­tion en trou­vant des maté­riaux de sub­sti­tu­tion ou des inno­va­tions tech­no­lo­giques pour main­te­nir, une par­tie au moins, des ser­vices offerts par les tech­no­lo­gies et les maté­riaux actuels. Cette réflexion est à repla­cer dans le cadre du chan­ge­ment cli­ma­tique et de la néces­saire tran­si­tion éner­gé­tique. Toutes ces consi­dé­ra­tions font que la lit­té­ra­ture scien­ti­fique consi­dé­rant un effon­dre­ment pos­sible des socié­tés occi­den­tales croît également.

Nous reste-t-il de l’espoir pour trou­ver des échelles de temps plus longues en tenant compte des incer­ti­tudes sur les don­nées et sur la vali­di­té du modèle et du rai­son­ne­ment ? Est-il pos­sible de faire des sub­sti­tu­tions de maté­riaux pour rem­pla­cer ceux qui vien­draient à man­quer ? Telles sont les ques­tions majeures actuelles en termes de pros­pec­tive socioé­co­no­mique, tech­no­lo­gique et scien­ti­fique. Ce débat s’intensifie au gré des prises de conscience scien­ti­fiques et politiques.

Matériaux critiques

Ces ques­tions sont refor­mu­lées sous la notion de maté­riaux cri­tiques. Au cours de la der­nière décen­nie, des contraintes spo­ra­diques sur la dis­po­ni­bi­li­té de métaux et de métal­loïdes essen­tiels aux tech­no­lo­gies modernes ont pous­sé à des ten­ta­tives de mettre fin à la « cri­ti­ci­té » rela­tive de divers maté­riaux pour gui­der les usages des scien­ti­fiques des maté­riaux et des concep­teurs de pro­duits. La « cri­ti­ci­té » est défi­nie comme les dés­équi­libres entre l’offre et la demande, réelles ou anti­ci­pées, de métaux et métal­loïdes. Consé­quence du fait que les tech­no­lo­gies modernes dépendent de l’approvisionnement de pra­ti­que­ment tout le tableau pério­dique des éléments.

Mal­gré l’intuition selon laquelle il devrait être simple de dési­gner un élé­ment comme cri­tique et un autre comme non cri­tique, la déter­mi­na­tion de la « cri­ti­ci­té » s’avère dif­fi­cile. En effet, elle dépend non seule­ment de l’abondance géo­lo­gique, mais aus­si d’une foule d’autres fac­teurs comme le poten­tiel de sub­sti­tu­tion, le degré de concen­tra­tion géo­po­li­tique des gise­ments de mine­rais, l’état de la tech­no­lo­gie minière, la légis­la­tion, les ini­tia­tives géo­po­li­tiques, l’instabilité gou­ver­ne­men­tale et les poli­tiques économiques.

Sou­vent la « cri­ti­ci­té » est esti­mée selon trois axes : le risque d’approvisionnement, les impli­ca­tions envi­ron­ne­men­tales et la vul­né­ra­bi­li­té à la res­tric­tion de l’approvisionnement. Jusqu’à la seconde moi­tié du XXe siècle, un nombre rela­ti­ve­ment limi­té des élé­ments chi­miques était uti­li­sé de manière signi­fi­ca­tive dans les tech­no­lo­gies et les limites de ces res­sources n’étaient pas consi­dé­rées comme des sujets de dis­cus­sion per­ti­nents. La situa­tion a com­men­cé à chan­ger avec la publi­ca­tion aux États-Unis du Rap­port Paley en 1952, qui sug­gé­rait que des limi­ta­tions de res­sources étaient en fait pos­sibles. Dix ans plus tard, une guerre civile en Répu­blique démo­cra­tique du Congo a entrai­né une dimi­nu­tion impor­tante, quoique tem­po­raire, de l’offre de cobalt, ce qui indi­qua que les pré­oc­cu­pa­tions du rap­port Paley pour­raient bien être fon­dées. La guerre au Congo et l’approvisionnement en cobalt demeurent des pro­blèmes aujourd’hui encore. Plus récem­ment, une dimi­nu­tion des expor­ta­tions de terres rares par la Chine a entrai­né diverses per­tur­ba­tions tech­no­lo­giques en par­ti­cu­lier au Japon. De nos jours, pra­ti­que­ment tous les pays occi­den­taux impor­tants, pro­duisent des rap­ports sur la « cri­ti­ci­té » des maté­riaux : par exemple la France, Le Royaume Uni, l’Allemagne, l’Union euro­péenne, les États-Unis, ont pro­duit et mettent à jour ce type de rap­port. Les auto­ri­tés en sont informées.

Quelques données

Nous avons uti­li­sé la méthode de Hub­bert pour esti­mer les pics des pro­duc­tions des élé­ments chi­miques pour les­quels nous dis­po­sons de suf­fi­sam­ment de don­nées géo­lo­giques et minières. Les résul­tats sont résu­més dans la table suivante.

Élé­ment chimique Pic (année) Croute + Océans (année)
Acier 2070 ± 37 2541
Alu­mi­nium 2070 ± 18 2456
Anti­moine 2022 ± 10 2239
Argent 2021 ± 11 2204
Arse­nic 2062 ± 48 3429
Bore 2052 ± 33 2264
Cad­mium 2002 ± 3 2305
Chrome 2117 ± 26 2369
Cobalt 2061 ± 19 2377
Cuivre 2048 ± 4 2389
Étain 2024 ± 5 2434
Gal­lium 2040 ± 29 2249
Ger­ma­nium 2113 ± 17 2464
Indium 2043 ± 26 2283
Lithium 2083 ± 31 2316
Man­ga­nèse 2083 ± 16 2385
Molyb­dène 2044 ± 13 2345
Nickel 2032 ± 9 2338
Nio­bium 2033 ± 22 2288
Or 2020 ± 7 2301
Phos­phate 2101 ± 6 2237
Pla­tine 2069 ± 42 2549
Plomb 2092 ± 8 2438
Sele­nium 2017 ± 8 2368
Tan­tale 2039 ± 24 2423
Terres rares 2108 ± 40
Tel­lu­rium 2054 ± 30 2399
Vana­dium 2113 ± 30 2629
Zinc 2057 ± 7 2473
Zir­co­nium 2024 ± 16 2384

Sur les 29 (30 avec le fer dans l’acier) élé­ments chi­miques consi­dé­rés, tous pré­sentent des dates de pics de pro­duc­tion au cours du XXIe siècle. Cette approche à la Hub­bert néces­site de connaitre les don­nées d’extraction annuelles à par­tir des­quelles il est pos­sible de recons­truire la pro­duc­tion cumu­lée au cours du temps. Ces don­nées sont col­lec­tées par des ins­ti­tu­tions publiques comme le « Uni­ted States Geo­lo­gi­cal Sur­vey, USGS » amé­ri­cain ou le « Bureau de recherches géo­lo­giques et minières, BRGM » fran­çais. Ce sont deux orga­nismes publics de réfé­rence dans le domaine des sciences de la Terre pour la ges­tion des res­sources et des risques du sol et du sous-sol. Comme toutes les sta­tis­tiques d’État, elles en pré­sentent à la fois les mêmes qua­li­tés et les mêmes défauts. Étant don­né le rôle stra­té­gique crois­sant de cer­taines res­sources, cer­taines infor­ma­tions ne sont plus publiées par l’USGS, par exemple la pro­duc­tion de lithium par les États-Unis. De plus, il faut dis­po­ser d’une esti­ma­tion de la quan­ti­té totale de mine­rais dis­po­nibles, donc de la quan­ti­té géo­lo­gique totale dis­po­nible de l’élément chi­mique consi­dé­ré. Ces esti­ma­tions com­binent les don­nées de l’activité minière ain­si que les esti­ma­tions géo­lo­giques. Une fois ces don­nées déter­mi­nées, le reste est un pro­cé­dé clas­sique d’ajustement de courbe et d’extrapolation.

Il existe donc de nom­breuses incer­ti­tudes asso­ciées à ces don­nées. L’estimation des quan­ti­tés annuelles d’extraction dépend de la volon­té des États de mesu­rer l’activité minière. Pour des rai­sons éco­no­miques et poli­tiques cette volon­té peut prendre des dimen­sions variables selon les États. L’estimation des réserves, c’est-à-dire de la quan­ti­té totale dis­po­nible géo­lo­gi­que­ment pré­sente éga­le­ment d’importantes dif­fi­cul­tés. Tout d’abord la notion de « réserve » recouvre dif­fé­rentes défi­ni­tions : les réserves sont les res­sources exploi­tables au « prix actuel» ; les réserves base sont les res­sources démon­trées, mais non encore « exploi­tables éco­no­mi­que­ment» ; les réserves déduites repré­sentent le poten­tiel géo­lo­gique iden­ti­fié, mais non encore explo­ré dont les quan­ti­tés sont esti­mées à par­tir de pro­jec­tions géologiques.

Comme on le voit le concept de « réserve » inclut des consi­dé­ra­tions éco­no­miques et pas seule­ment géo­lo­giques. Si la géo­lo­gie est une science, pour l’économie cela reste à démon­trer. Ces incer­ti­tudes font que ce type d’approche doit être consi­dé­ré comme plus qua­li­ta­tif que quan­ti­ta­tif. Mais pour autant, il ne fau­drait pas conclure que les incer­ti­tudes rendent les pré­dic­tions de ce type de modèles inutiles voire com­plè­te­ment fausses. Il est pos­sible de prendre en compte une par­tie de ces incer­ti­tudes et donc d’ajuster les échelles de temps d’épuisement. Il est aus­si pos­sible de prendre en consi­dé­ra­tion les réserves ultimes des élé­ments et de consi­dé­rer, selon les don­nées géo­lo­giques actuelles, les quan­ti­tés totales dis­po­nibles dans toute la croute ter­restre et tous les océans, indé­pen­dam­ment d’arguments éco­no­miques, miné­ra­lo­giques ou de simple fai­sa­bi­li­té tech­nique d’extraction. Pour un phy­si­cien, cela revient à consi­dé­rer les « condi­tions aux limites » : com­bien de temps nous reste-t-il si nous pas­sons toute la croute ter­restre au tamis et tous les océans au tra­vers d’un filtre pour en extraire tous les élé­ments chi­miques dis­po­nibles ? Pas un mil­lé­naire… (voir le tableau).

Dès lors, tout semble indi­quer que les contraintes d’approvisionnement auront lieu sur une échelle de temps de l’ordre du siècle et pas du mil­lé­naire. Cela pro­vient d’une hypo­thèse essen­tielle, cru­ciale, dans le modèle de Verhul­st-Hub­bert : la crois­sance est expo­nen­tielle au début. L’extrapolation d’une courbe expo­nen­tielle mène évi­dem­ment très vite à des quan­ti­tés colos­sales. C’est d’ailleurs l’argument de Mal­thus ou encore du rap­port de Mea­dows et al. sur les limites à la crois­sance (Limits to Growth, 1972, 2012). Or pour le moment, nous obser­vons cette crois­sance d’extraction expo­nen­tielle depuis la seconde moi­tié du XXe siècle.

Sobriété volontaire

Ce fac­teur de crois­sance expo­nen­tielle est vital : nous devrions ralen­tir cette fré­né­sie d’extraction pour éloi­gner les dates d’épuisement et gagner du temps pour pré­pa­rer une tran­si­tion éner­gé­tique, cli­ma­tique et tech­no­lo­gique dans des condi­tions plus favo­rables à l’humanité. La ques­tion de la sobrié­té est donc la ques­tion vitale de notre XXIe siècle : nous devons construire des socié­tés sobres et faire des choix drastiques.

Sinon, les pénu­ries et les « catas­trophes Mal­thu­siennes » auront beau­coup de chance de se pro­duire, le pire est donc pro­bable. De plus, les modèles de type Hub­bert négligent, en grande par­tie, les effets éco­no­miques. Ces effets éco­no­miques ont une impor­tance cru­ciale car cette acti­vi­té fré­né­tique de fabri­ca­tion de maté­riaux est due à l’accumulation des richesses. Mais du côté des sciences éco­no­miques il n’est pas clair que des modèles puissent être créés pour pen­ser ce type d’échelle de temps.

Quand on constate les maigres résul­tats des dis­cus­sions, au niveau mon­dial, sur la réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre, un cer­tain pes­si­misme s’installe au regard des enjeux sur les res­sources miné­rales. En tant que scien­ti­fique, pen­ser des alter­na­tives tech­no­lo­giques devient cepen­dant cru­cial, voire vital.

José Halloy


Auteur

professeur des universités en physique, université Paris Diderot