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L’enfer, c’est les hôtes

Numéro 4 – 2018 par Christophe Mincke

juillet 2018

Les ques­tions migra­toires, depuis des décen­nies, empoi­sonnent notre poli­tique. Il faut recon­naitre que la situa­tion ne s’améliore pas tant cer­tains riva­lisent d’inventivité pour faire des migra­tions la cause de tous les maux : emploi, loge­ment, insé­cu­ri­té, trou de la sécu­ri­té sociale, etc. Nous en sommes à un point où l’altérité guide cha­cun des regards. La radi­ca­li­sa­tion n’est […]

Billet d’humeur

Les ques­tions migra­toires, depuis des décen­nies, empoi­sonnent notre poli­tique. Il faut recon­naitre que la situa­tion ne s’améliore pas tant cer­tains riva­lisent d’inventivité pour faire des migra­tions la cause de tous les maux : emploi, loge­ment, insé­cu­ri­té, trou de la sécu­ri­té sociale, etc.

Nous en sommes à un point où l’altérité guide cha­cun des regards. La radi­ca­li­sa­tion n’est que musul­mane, même si l’extrême droite montre de plus en plus ouver­te­ment les dents. D’ailleurs, le ter­ro­risme lui-même n’est qu’islamiste, tan­dis que les gens « bien de chez nous » peuvent, tout au plus, par­fois, perdre l’équilibre… Vous convien­drez bien qu’il est plus grave d’être ter­ro­riste que dés­équi­li­bré, n’est-ce pas ? De même, ce sont les étran­gers qui har­cèlent et violent les femmes… Certes, il arrive que les femmes haussent le ton et dénoncent des faits com­mis par des hommes de toutes ori­gines, mais c’est alors le signe qu’elles versent dans une hys­té­rie fémi­na­zie fort inquiétante.

Tout à notre panique, nous nous voyons cou­ler sous le poids de quelques cen­taines de trans­mi­grants au parc Maxi­mi­lien, de quelques mil­liers de can­di­dats réfu­giés, de quelques familles regrou­pées sous nos cieux.

Bref, aujourd’hui, à tout pro­pos, l’enfer, c’est les hôtes… ou plu­tôt ceux que nous refu­sons d’accueillir.

Mais n’est-ce pas là illu­sion d’optique ? L’enfer, c’est les hôtes, ne devrions-nous pas l’admettre, mais en ren­ver­ser la pers­pec­tive ? Nous nous pré­ten­dons les hôtes de ces arri­vants plus récents, n’est-ce pas la source des problèmes ?

Nous ima­gi­nant pro­prié­taires de notre pays, nous lais­sant aller à de ban­cales méta­phores domes­tiques1 (« quand tu invites quelqu’un chez toi, tu t’attends à ce qu’il res­pecte les usages en cours chez toi, non ? »), nous nous consi­dé­rons comme les hôtes de nos sem­blables. Arri­vés hier ou il y a cent ans, nous nous sen­tons les légi­times pro­prié­taires, gar­diens des clés, déten­teurs du code du sys­tème d’alarme.

Nous qui sommes nés, ou arri­vés, dans un pays en paix où règne une enviable abon­dance, voi­là que notre titre de pro­prié­té nous per­met de toi­ser le nou­vel arri­vant. Ne chas­sons-nous pas le SDF du pas de notre porte ? Ne pou­vons-nous, en toute bonne conscience, reje­ter à la mer, ren­voyer à son oppres­seur, rac­com­pa­gner à la misère, ces vanu­pieds hagards qui pré­tendent plan­ter leur tente dans notre jardin ?

Croyant que nos rues sont comme nos salons, nos parcs comme nos jar­dins, nos struc­tures d’aides comme notre fri­go, nous pen­sons pou­voir en inter­dire l’accès, nous croyons qu’on nous demande d’être hôtes… et nous le refusons.

Non, nous ne pen­sons pas tous cela. Des gens ouvrent leur porte, pré­parent des repas, mani­festent, serrent des mains, prennent dans leurs bras, regardent, parlent, écoutent. Des gens pleurent ou ravalent leurs larmes, convoient ou ren­seignent, nour­rissent ou hébergent, militent ou manifestent.

Ces gens qui ouvrent leur porte savent aus­si qu’on habite son pays, mais qu’on n’en est pas pro­prié­taire… et qu’on n’a pas le choix de l’hospitalité face à la détresse humaine. Car le droit d’asile n’est pas la conces­sion d’une hos­pi­ta­li­té. Il est la consé­quence d’une com­mune huma­ni­té, l’humanité de ceux qui fuient devant les démons qui ont pris pos­ses­sion de leurs lieux de vie, l’humanité de ceux qui les voient arri­ver et qui, néces­sai­re­ment, sont dans leur camp.

Comme ceux qui nous arrivent ont tour­né le dos à l’enfer de la guerre, de la misère et de l’oppression, il nous faut tour­ner le dos à notre propre enfer. Nous n’avons pas le choix.

Et l’enfer, c’est les hôtes.

  1. Mincke Chr., « La méta­phore domes­tique », La Revue nou­velle, n° 6, 2015, p. 2‑4.

Christophe Mincke


Auteur

Christophe Mincke est codirecteur de La Revue nouvelle, directeur du département de criminologie de l’Institut national de criminalistique et de criminologie et professeur à l’Université Saint-Louis à Bruxelles. Il a étudié le droit et la sociologie et s’est intéressé, à titre scientifique, au ministère public, à la médiation pénale et, aujourd’hui, à la mobilité et à ses rapports avec la prison. Au travers de ses travaux récents, il interroge notre rapport collectif au changement et la frénésie de notre époque.