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L’école est-elle une entreprise publique ?

Numéro 5 - 2015 - Contrat pour l'école enseignement par Miguel Souto Lopez

juillet 2015

Le 26 jan­vier 2015, le Pacte pour un ensei­gne­ment d’excellence a été lan­cé par la ministre Joëlle Mil­quet. Il veut être un pro­ces­sus de refonte qui s’étalera sur dix ans. Il prend pour cible les grands pro­blèmes de notre ensei­gne­ment : insuf­fi­sante mai­trise des savoirs et des com­pé­tences de base par un grand nombre d’élèves, taux de […]

Le Mois

Le 26 jan­vier 2015, le Pacte pour un ensei­gne­ment d’excellence a été lan­cé par la ministre Joëlle Mil­quet. Il veut être un pro­ces­sus de refonte qui s’étalera sur dix ans. Il prend pour cible les grands pro­blèmes de notre ensei­gne­ment : insuf­fi­sante mai­trise des savoirs et des com­pé­tences de base par un grand nombre d’élèves, taux de décro­chage sco­laire et de redou­ble­ment éle­vés, inéga­li­té de l’enseignement, méca­nismes de relé­ga­tion, inadé­qua­tion de l’enseignement qua­li­fiant avec les besoins du monde du tra­vail et vétus­té du maté­riel, pro­fes­sion ensei­gnante déva­lo­ri­sée, taux d’échec en pre­mière année de l’enseignement supé­rieur éle­vé, ce qui ques­tionne la tran­si­tion du secon­daire au supé­rieur. Le pacte veut éga­le­ment s’atteler à deux autres chan­tiers : la tran­si­tion numé­rique et une allo­ca­tion opti­male des ressources.

Quatre thé­ma­tiques le struc­turent. Tout d’abord les élèves dont il s’agit d’améliorer les par­cours et les per­for­mances sco­laires. Ensuite, les acteurs de l’enseignement. Le pacte vise l’amélioration de la for­ma­tion et l’accompagnement des ensei­gnants et des chefs d’établissement, ain­si qu’un accrois­se­ment de leur auto­no­mie et de leur res­pon­sa­bi­li­sa­tion. Les parents sont invi­tés à s’impliquer davan­tage dans l’école en les sen­si­bi­li­sant et en les res­pon­sa­bi­li­sant. Les centres psy­cho-médi­caux-sociaux voient leurs mis­sions ren­for­cées et cla­ri­fiées, notam­ment en matière d’orientation et de lutte contre l’échec. Enfin, l’objectif annon­cé est de « décloi­son­ner » l’enseignement en éta­blis­sant des coopé­ra­tions plus étroites avec le milieu asso­cia­tif dédié au sou­tien sco­laire et familial.

La troi­sième thé­ma­tique concerne les savoirs et les com­pé­tences à ensei­gner au XXIe siècle en inté­grant les tech­no­lo­gies de l’information et de la com­mu­ni­ca­tion, en ren­for­çant les savoirs et les com­pé­tences de base ain­si que l’apprentissage des langues, en rap­pro­chant l’enseignement qua­li­fiant du monde du tra­vail, en intro­dui­sant un cours de citoyen­ne­té. La qua­trième thé­ma­tique est rela­tive à la gou­ver­nance. La ministre sou­haite le ren­for­ce­ment, d’une part, du « pilo­tage péda­go­gique de l’enseignement par l’administration et les éta­blis­se­ments1 », d’autre part, de l’«efficacité de la ges­tion et de l’organisation de l’enseignement et du mana­ge­ment des éta­blis­se­ments2 ».

Voi­là donc briè­ve­ment résu­mé le Pacte d’excellence. Le pro­jet est ambi­tieux et les chan­tiers nombreux.

Application de techniques managériales pour organiser notre enseignement

La Pacte d’excellence s’inscrit dans la conti­nui­té d’une his­toire de notre ensei­gne­ment où l’on peut obser­ver un pro­ces­sus de cen­tra­li­sa­tion pro­gres­sive au pro­fit de la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles. Cette cen­tra­li­sa­tion démarre avec le décret Mis­sions de 1997 qui fixe les grands objec­tifs que doit pour­suivre notre ensei­gne­ment, tous réseaux confon­dus. Elle se pour­suit avec la mise en place d’une Com­mis­sion de pilo­tage du sys­tème édu­ca­tif en 2002, et par l’instauration d’épreuves externes certificatives.

Le Pacte d’excellence est le suc­ces­seur du Contrat pour l’école de la ministre Are­na, adop­té en 2005, qui fixait six grands objec­tifs à atteindre pour l’horizon 2013 : « aug­men­ter le niveau d’éducation de la popu­la­tion sco­laire », « amé­lio­rer les per­for­mances de chaque enfant », « aug­men­ter le nombre d’élèves “à l’heure”», « favo­ri­ser la mixi­té sociale dans chaque éta­blis­se­ment sco­laire », « mettre sur un pied d’égalité les dif­fé­rentes filières d’enseignement » et « lut­ter contre tous les méca­nismes de relégation ».

Le Pacte d’excellence s’inscrit dans cette même logique de cen­tra­li­sa­tion en défi­nis­sant des objec­tifs de per­for­mance com­muns à l’ensemble des éta­blis­se­ments sco­laires. Mais cette cen­tra­li­sa­tion s’accompagne cette fois d’une forme par­ti­cu­lière de décen­tra­li­sa­tion en accor­dant une plus grande auto­no­mie aux éta­blis­se­ments dans la mise en œuvre des objec­tifs. Le Pacte d’excellence radi­ca­lise par ailleurs une manière d’organiser notre ensei­gne­ment, que le Contrat pour l’école avait enta­mée : l’application de prin­cipes issus du New Public Mana­ge­ment (NPM). Celui-ci peut être vu comme une doc­trine qui consiste à impor­ter les tech­niques de ges­tion du sec­teur pri­vé en les adap­tant au sec­teur public.

Le NPM est une inven­tion bri­tan­nique du début des années 1980 qui s’est pro­gres­si­ve­ment dif­fu­sée par l’intermédiaire de l’OCDE. Il se carac­té­rise géné­ra­le­ment par les élé­ments sui­vants : défi­ni­tion d’objectifs mesu­rables, recherche de l’efficacité à un moindre cout, sous-trai­tance de cer­tains ser­vices auprès d’agences auto­nomes, pilo­tage à dis­tance à l’aide d’indicateurs, plus grande auto­no­mie et res­pon­sa­bi­li­sa­tion des enti­tés admi­nis­tra­tives, éva­lua­tion des déci­sions, des per­for­mances, de la qua­li­té des ser­vices, red­di­tion des comptes (accoun­ta­bi­li­ty), trans­pa­rence, dif­fu­sion de « bonnes pra­tiques ». Pour Yvon Pes­queux, cinq axes struc­turent les dis­po­si­tifs du NPM en vue d’améliorer les per­for­mances des ser­vices publics : la pla­ni­fi­ca­tion stra­té­gique, le mana­ge­ment par­ti­ci­pa­tif, le mana­ge­ment de la qua­li­té, l’introduction des tech­no­lo­gies de l’information et de la com­mu­ni­ca­tion, le contrôle de ges­tion3.

Le Contrat pour l’école a inau­gu­ré un gou­ver­ne­ment par objec­tifs chif­frés à l’aide de tout un appa­reillage sta­tis­tique d’indicateurs per­met­tant d’évaluer la per­for­mance, et donc la qua­li­té, du sys­tème sco­laire. Le Pacte d’excellence s’inscrit dans la conti­nui­té de cette logique tout en la ren­for­çant. La Décla­ra­tion de poli­tique com­mu­nau­taire 2014 (DPC) indique ain­si qu’il faut « iden­ti­fier les moyens d’atteindre les objec­tifs d’amélioration des per­for­mances de notre sys­tème édu­ca­tif et de réduc­tion des inéga­li­tés qui influencent la réus­site, le gou­ver­ne­ment pro­po­se­ra un “Pacte pour un ensei­gne­ment d’excellence” qui por­te­ra sur les dix pro­chaines années4 ». Le pacte peut ain­si être inter­pré­té comme une pla­ni­fi­ca­tion stra­té­gique de notre ensei­gne­ment. Il plé­bis­cite éga­le­ment un mana­ge­ment par­ti­ci­pa­tif. La DPC affirme ain­si que le Pacte d’excellence « sera pré­cé­dé par une large consul­ta­tion et une réflexion par­ti­ci­pa­tive orga­ni­sées dès le début de la légis­la­ture. Cha­cun, qu’il soit ensei­gnant, res­pon­sable d’établissement, élève, étu­diant, parent, acteur syn­di­cal ou par­te­naire asso­cia­tif, res­pon­sable éco­no­mique, man­da­taire poli­tique, doit être par­tie pre­nante des évo­lu­tions de notre sys­tème édu­ca­tif5. » Tous ces acteurs sont autant de « par­ties pre­nantes » qui sont invi­tées à s’investir dans le mana­ge­ment du sys­tème sco­laire. Leur avis est sol­li­ci­té grâce aux tech­no­lo­gies de l’information et de la com­mu­ni­ca­tion : un site inter­net est dédié au Pacte d’excellence où régu­liè­re­ment des ques­tion­naires en ligne peuvent être rem­plis par n’importe quel citoyen. Le pacte insiste par ailleurs sur la « tran­si­tion numé­rique » que les écoles doivent inté­grer. Le contrôle de ges­tion concerne l’optimisation de l’allocation des res­sources. Enfin, le cœur du pacte est l’introduction d’une « culture de la qua­li­té et de l’évaluation », par le ren­for­ce­ment de l’autonomie et la res­pon­sa­bi­li­sa­tion des écoles, c’est-à-dire des acteurs de l’enseignement. Le but visé est d’évaluer les per­for­mances des éta­blis­se­ments dans leur capa­ci­té à faire réus­sir leurs élèves, d’identifier les meilleurs et d’assurer la dif­fu­sion des « bonnes pra­tiques péda­go­giques » afin que les moins bons s’en ins­pirent et rehaussent leur niveau.

Quelle place pour la citoyenneté ?

Le pacte sou­haite que les direc­teurs soient for­més au mana­ge­ment et qu’ils exercent un « lea­deur­ship péda­go­gique ». Ils deviennent ain­si des ges­tion­naires char­gés d’atteindre les objec­tifs fixés par le gou­ver­ne­ment et de rendre des comptes à leurs inves­tis­seurs, en l’occurrence la population.

L’évaluation de la qua­li­té se situe au cœur du pacte. Jusqu’à pré­sent, le ser­vice d’inspection avait pour mis­sion prin­ci­pale d’évaluer le res­pect des pro­grammes par les ensei­gnants. Les ensei­gnants seront-ils désor­mais éva­lués sur la base de leurs per­for­mances en termes de réus­site de leurs élèves aux épreuves externes, avec tout le risque de bacho­tage que cela com­porte ? Cela impli­que­ra-t-il la créa­tion d’une agence pour l’évaluation de la qua­li­té de l’enseignement obli­ga­toire, telle qu’elle existe déjà pour l’enseignement supé­rieur6 ?

Au moment où les pou­voirs publics réflé­chissent à un cours de citoyen­ne­té comme alter­na­tive éven­tuelle aux cours de reli­gion et de morale, il peut être bon de s’interroger éga­le­ment sur les trans­for­ma­tions qui s’opèrent depuis plu­sieurs années dans l’organisation de notre sys­tème sco­laire. Pre­miè­re­ment, si l’existence des réseaux reste pro­té­gée par l’article 24 de la Consti­tu­tion, la cen­tra­li­sa­tion au béné­fice de la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles et l’autonomie que le pacte sou­haite accor­der aux éta­blis­se­ments inter­rogent la per­ti­nence de leur maintien.

Deuxiè­me­ment, le NPM ne consiste pas uni­que­ment en l’application de tech­niques en vue d’atteindre une plus grande effi­ca­ci­té et effi­cience des ser­vices publics. Il s’agit d’une doc­trine qui n’a rien de neutre et dont l’un des effets est de trans­for­mer le rôle de l’État, en l’occurrence la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles. Un État éva­lua­teur7, voire un État stra­tège8, se met en place. Si le rôle de l’État change, la figure du citoyen change éga­le­ment. Il devient un « client », un consom­ma­teur des ser­vices publics dont il faut satis­faire les besoins. Les ensei­gnants, en tant que « pres­ta­taires de ser­vices », seront-ils en par­tie éva­lués sur la base du degré de satis­fac­tion des élèves et de leurs parents ? Pren­dra-t-on en compte l’avis de ces der­niers pour l’avancement de car­rière des enseignants ?

Enfin, on peut encore sou­le­ver l’influence crois­sante des orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales sur nos poli­tiques édu­ca­tives, et plus par­ti­cu­liè­re­ment l’OCDE qui orga­nise tous les trois ans le test Pisa. Le Contrat pour l’école a été impul­sé notam­ment à la suite de la média­ti­sa­tion des mau­vais résul­tats de l’enseignement obli­ga­toire belge fran­co­phone en termes d’équité aux tests Pisa de 2000 et 20039. L’épreuve externe cer­ti­fi­ca­tive octroyant le CEB éva­lue les com­pé­tences de nos élèves en fran­çais, en mathé­ma­tiques, en sciences, en his­toire et en géo­gra­phie, de la même manière que Pisa éva­lue les jeunes de quinze ans en lit­té­ra­tie, en numé­ra­tie et en sciences. Le pacte se réfère dix-huit fois à l’OCDE et à Pisa. Dès lors, une inter­ro­ga­tion sub­siste : l’OCDE qui est, faut-il le rap­pe­ler, une orga­ni­sa­tion pour la coopé­ra­tion et le déve­lop­pe­ment éco­no­mique, a‑t-elle pour voca­tion de dic­ter l’organisation de notre école ?

  1. Pacte pour un ensei­gne­ment d’excellence, p. 41.
  2. Ibid
  3. Pes­queux Y., s.d., « Le nou­veau mana­ge­ment public ».
  4. DPC, 2014, p. 3.
  5. Ibid., p. 7.
  6. Si le lec­teur sou­haite s’informer sur l’évaluation de la qua­li­té de l’enseignement supé­rieur, voir les ouvrages sui­vants : Char­lier J.-É., Cro­ché S., Leclercq B., 2012, Contrô­ler la qua­li­té de l’enseignement supé­rieur, Aca­de­mia et Fal­lon C., Leclercq B., 2014, Leurres de la qua­li­té dans l’enseignement supé­rieur ?, Aca­de­mia.
  7. Neave G., 1988, « On the culti­va­tion of qua­li­ty, effi­cien­cy and enter­prise : an over­view of recent trends in higher edu­ca­tion in wes­tern Europe, 1986 – 1988 », Euro­pean Jour­nal of Edu­ca­tion, vol. 23, n° 2, p. 7 – 23.
  8. Pes­queux Y., s.d., « Le nou­veau mana­ge­ment public ».
  9. De Com­mer B., 2005, « De Pisa 2000 au Contrat pour l’école », Cour­rier heb­do­ma­daire du Crisp, n° 1878 – 1879, p. 1 – 67.

Miguel Souto Lopez


Auteur

professeur de sociologie à l’UCL et membre du Girsef, président de l’école d’agrégation de la faculté ESPO (AGES). Ses domaines de recherche s’inscrivent dans la sociologie de l’éducation, plus particulièrement aux politiques éducatives internationales et la façon dont elles sont mises en œuvre dans le système éducatif belge francophone.