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L’école est-elle une entreprise publique ?
Le 26 janvier 2015, le Pacte pour un enseignement d’excellence a été lancé par la ministre Joëlle Milquet. Il veut être un processus de refonte qui s’étalera sur dix ans. Il prend pour cible les grands problèmes de notre enseignement : insuffisante maitrise des savoirs et des compétences de base par un grand nombre d’élèves, taux de […]
Le 26 janvier 2015, le Pacte pour un enseignement d’excellence a été lancé par la ministre Joëlle Milquet. Il veut être un processus de refonte qui s’étalera sur dix ans. Il prend pour cible les grands problèmes de notre enseignement : insuffisante maitrise des savoirs et des compétences de base par un grand nombre d’élèves, taux de décrochage scolaire et de redoublement élevés, inégalité de l’enseignement, mécanismes de relégation, inadéquation de l’enseignement qualifiant avec les besoins du monde du travail et vétusté du matériel, profession enseignante dévalorisée, taux d’échec en première année de l’enseignement supérieur élevé, ce qui questionne la transition du secondaire au supérieur. Le pacte veut également s’atteler à deux autres chantiers : la transition numérique et une allocation optimale des ressources.
Quatre thématiques le structurent. Tout d’abord les élèves dont il s’agit d’améliorer les parcours et les performances scolaires. Ensuite, les acteurs de l’enseignement. Le pacte vise l’amélioration de la formation et l’accompagnement des enseignants et des chefs d’établissement, ainsi qu’un accroissement de leur autonomie et de leur responsabilisation. Les parents sont invités à s’impliquer davantage dans l’école en les sensibilisant et en les responsabilisant. Les centres psycho-médicaux-sociaux voient leurs missions renforcées et clarifiées, notamment en matière d’orientation et de lutte contre l’échec. Enfin, l’objectif annoncé est de « décloisonner » l’enseignement en établissant des coopérations plus étroites avec le milieu associatif dédié au soutien scolaire et familial.
La troisième thématique concerne les savoirs et les compétences à enseigner au XXIe siècle en intégrant les technologies de l’information et de la communication, en renforçant les savoirs et les compétences de base ainsi que l’apprentissage des langues, en rapprochant l’enseignement qualifiant du monde du travail, en introduisant un cours de citoyenneté. La quatrième thématique est relative à la gouvernance. La ministre souhaite le renforcement, d’une part, du « pilotage pédagogique de l’enseignement par l’administration et les établissements1 », d’autre part, de l’«efficacité de la gestion et de l’organisation de l’enseignement et du management des établissements2 ».
Voilà donc brièvement résumé le Pacte d’excellence. Le projet est ambitieux et les chantiers nombreux.
Application de techniques managériales pour organiser notre enseignement
La Pacte d’excellence s’inscrit dans la continuité d’une histoire de notre enseignement où l’on peut observer un processus de centralisation progressive au profit de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Cette centralisation démarre avec le décret Missions de 1997 qui fixe les grands objectifs que doit poursuivre notre enseignement, tous réseaux confondus. Elle se poursuit avec la mise en place d’une Commission de pilotage du système éducatif en 2002, et par l’instauration d’épreuves externes certificatives.
Le Pacte d’excellence est le successeur du Contrat pour l’école de la ministre Arena, adopté en 2005, qui fixait six grands objectifs à atteindre pour l’horizon 2013 : « augmenter le niveau d’éducation de la population scolaire », « améliorer les performances de chaque enfant », « augmenter le nombre d’élèves “à l’heure”», « favoriser la mixité sociale dans chaque établissement scolaire », « mettre sur un pied d’égalité les différentes filières d’enseignement » et « lutter contre tous les mécanismes de relégation ».
Le Pacte d’excellence s’inscrit dans cette même logique de centralisation en définissant des objectifs de performance communs à l’ensemble des établissements scolaires. Mais cette centralisation s’accompagne cette fois d’une forme particulière de décentralisation en accordant une plus grande autonomie aux établissements dans la mise en œuvre des objectifs. Le Pacte d’excellence radicalise par ailleurs une manière d’organiser notre enseignement, que le Contrat pour l’école avait entamée : l’application de principes issus du New Public Management (NPM). Celui-ci peut être vu comme une doctrine qui consiste à importer les techniques de gestion du secteur privé en les adaptant au secteur public.
Le NPM est une invention britannique du début des années 1980 qui s’est progressivement diffusée par l’intermédiaire de l’OCDE. Il se caractérise généralement par les éléments suivants : définition d’objectifs mesurables, recherche de l’efficacité à un moindre cout, sous-traitance de certains services auprès d’agences autonomes, pilotage à distance à l’aide d’indicateurs, plus grande autonomie et responsabilisation des entités administratives, évaluation des décisions, des performances, de la qualité des services, reddition des comptes (accountability), transparence, diffusion de « bonnes pratiques ». Pour Yvon Pesqueux, cinq axes structurent les dispositifs du NPM en vue d’améliorer les performances des services publics : la planification stratégique, le management participatif, le management de la qualité, l’introduction des technologies de l’information et de la communication, le contrôle de gestion3.
Le Contrat pour l’école a inauguré un gouvernement par objectifs chiffrés à l’aide de tout un appareillage statistique d’indicateurs permettant d’évaluer la performance, et donc la qualité, du système scolaire. Le Pacte d’excellence s’inscrit dans la continuité de cette logique tout en la renforçant. La Déclaration de politique communautaire 2014 (DPC) indique ainsi qu’il faut « identifier les moyens d’atteindre les objectifs d’amélioration des performances de notre système éducatif et de réduction des inégalités qui influencent la réussite, le gouvernement proposera un “Pacte pour un enseignement d’excellence” qui portera sur les dix prochaines années4 ». Le pacte peut ainsi être interprété comme une planification stratégique de notre enseignement. Il plébiscite également un management participatif. La DPC affirme ainsi que le Pacte d’excellence « sera précédé par une large consultation et une réflexion participative organisées dès le début de la législature. Chacun, qu’il soit enseignant, responsable d’établissement, élève, étudiant, parent, acteur syndical ou partenaire associatif, responsable économique, mandataire politique, doit être partie prenante des évolutions de notre système éducatif5. » Tous ces acteurs sont autant de « parties prenantes » qui sont invitées à s’investir dans le management du système scolaire. Leur avis est sollicité grâce aux technologies de l’information et de la communication : un site internet est dédié au Pacte d’excellence où régulièrement des questionnaires en ligne peuvent être remplis par n’importe quel citoyen. Le pacte insiste par ailleurs sur la « transition numérique » que les écoles doivent intégrer. Le contrôle de gestion concerne l’optimisation de l’allocation des ressources. Enfin, le cœur du pacte est l’introduction d’une « culture de la qualité et de l’évaluation », par le renforcement de l’autonomie et la responsabilisation des écoles, c’est-à-dire des acteurs de l’enseignement. Le but visé est d’évaluer les performances des établissements dans leur capacité à faire réussir leurs élèves, d’identifier les meilleurs et d’assurer la diffusion des « bonnes pratiques pédagogiques » afin que les moins bons s’en inspirent et rehaussent leur niveau.
Quelle place pour la citoyenneté ?
Le pacte souhaite que les directeurs soient formés au management et qu’ils exercent un « leadeurship pédagogique ». Ils deviennent ainsi des gestionnaires chargés d’atteindre les objectifs fixés par le gouvernement et de rendre des comptes à leurs investisseurs, en l’occurrence la population.
L’évaluation de la qualité se situe au cœur du pacte. Jusqu’à présent, le service d’inspection avait pour mission principale d’évaluer le respect des programmes par les enseignants. Les enseignants seront-ils désormais évalués sur la base de leurs performances en termes de réussite de leurs élèves aux épreuves externes, avec tout le risque de bachotage que cela comporte ? Cela impliquera-t-il la création d’une agence pour l’évaluation de la qualité de l’enseignement obligatoire, telle qu’elle existe déjà pour l’enseignement supérieur6 ?
Au moment où les pouvoirs publics réfléchissent à un cours de citoyenneté comme alternative éventuelle aux cours de religion et de morale, il peut être bon de s’interroger également sur les transformations qui s’opèrent depuis plusieurs années dans l’organisation de notre système scolaire. Premièrement, si l’existence des réseaux reste protégée par l’article 24 de la Constitution, la centralisation au bénéfice de la Fédération Wallonie-Bruxelles et l’autonomie que le pacte souhaite accorder aux établissements interrogent la pertinence de leur maintien.
Deuxièmement, le NPM ne consiste pas uniquement en l’application de techniques en vue d’atteindre une plus grande efficacité et efficience des services publics. Il s’agit d’une doctrine qui n’a rien de neutre et dont l’un des effets est de transformer le rôle de l’État, en l’occurrence la Fédération Wallonie-Bruxelles. Un État évaluateur7, voire un État stratège8, se met en place. Si le rôle de l’État change, la figure du citoyen change également. Il devient un « client », un consommateur des services publics dont il faut satisfaire les besoins. Les enseignants, en tant que « prestataires de services », seront-ils en partie évalués sur la base du degré de satisfaction des élèves et de leurs parents ? Prendra-t-on en compte l’avis de ces derniers pour l’avancement de carrière des enseignants ?
Enfin, on peut encore soulever l’influence croissante des organisations internationales sur nos politiques éducatives, et plus particulièrement l’OCDE qui organise tous les trois ans le test Pisa. Le Contrat pour l’école a été impulsé notamment à la suite de la médiatisation des mauvais résultats de l’enseignement obligatoire belge francophone en termes d’équité aux tests Pisa de 2000 et 20039. L’épreuve externe certificative octroyant le CEB évalue les compétences de nos élèves en français, en mathématiques, en sciences, en histoire et en géographie, de la même manière que Pisa évalue les jeunes de quinze ans en littératie, en numératie et en sciences. Le pacte se réfère dix-huit fois à l’OCDE et à Pisa. Dès lors, une interrogation subsiste : l’OCDE qui est, faut-il le rappeler, une organisation pour la coopération et le développement économique, a‑t-elle pour vocation de dicter l’organisation de notre école ?
- Pacte pour un enseignement d’excellence, p. 41.
- Ibid
- Pesqueux Y., s.d., « Le nouveau management public ».
- DPC, 2014, p. 3.
- Ibid., p. 7.
- Si le lecteur souhaite s’informer sur l’évaluation de la qualité de l’enseignement supérieur, voir les ouvrages suivants : Charlier J.-É., Croché S., Leclercq B., 2012, Contrôler la qualité de l’enseignement supérieur, Academia et Fallon C., Leclercq B., 2014, Leurres de la qualité dans l’enseignement supérieur ?, Academia.
- Neave G., 1988, « On the cultivation of quality, efficiency and enterprise : an overview of recent trends in higher education in western Europe, 1986 – 1988 », European Journal of Education, vol. 23, n° 2, p. 7 – 23.
- Pesqueux Y., s.d., « Le nouveau management public ».
- De Commer B., 2005, « De Pisa 2000 au Contrat pour l’école », Courrier hebdomadaire du Crisp, n° 1878 – 1879, p. 1 – 67.