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L’Argentine et les vautours

Numéro 12 Décembre 2013 par Xavier Dupret

décembre 2013

Un conflit judi­ciaire qui n’est pas encore ter­mi­né oppose l’Argentine et des fonds vau­tours qui ont rache­té une par­tie de sa dette. La jus­tice amé­ri­caine leur a don­né rai­son, obli­geant l’Argentine à rem­bour­ser sa dette, ce qui per­met aux fonds vau­tours de faire quelque 360 % de béné­fices. Le résul­tat poli­tique pour­rait être d’inciter l’Argentine à se rap­pro­cher des plus radi­caux (la Boli­vie, l’Équateur et le Vene­zue­la). Mais cette déci­sion amé­ri­caine pour­rait don­ner un signal aux inves­tis­seurs euro­péens de refu­ser tout allè­ge­ment de dette. C’est pour­tant ce qui s’est pas­sé début 2012, où des créan­ciers pri­vés ont effa­cé une par­tie de la dette grecque.

Dossier

[/« J’ai mon­tré sans cesse la tech­nique comme étant auto­nome, je n’ai jamais dit qu’elle ne pou­vait pas être maitrisée »
Jacques Ellul/]

En 2001, le gou­ver­ne­ment argen­tin fai­sait savoir à ses créan­ciers pri­vés qu’il lui était impos­sible d’honorer sa dette. À cet ins­tant pré­cis, la valeur des obli­ga­tions émises par le Tré­sor plon­geait sur les mar­chés finan­ciers. C’est ici que l’action des fonds vau­tours inter­vient. Ces der­niers sont spé­cia­li­sés dans le rachat d’obligations émises par un émet­teur (pri­vé ou public) en dif­fi­cul­té dans le but de réa­li­ser un béné­fice en refu­sant toute forme d’accord avec le débi­teur et en estant en jus­tice afin d’obtenir le rem­bour­se­ment des créances à leur valeur nomi­nale (gre­vée d’intérêts de retard).

Reve­nons tout d’abord sur les carac­té­ris­tiques du mar­ché des dettes publiques avant de carac­té­ri­ser le busi­ness model des fonds vau­tours. Lorsqu’un État s’endette, il émet des obli­ga­tions auprès des banques. Une obli­ga­tion consti­tue un titre de créance qui repré­sente une frac­tion de la dette (c’est sa valeur nomi­nale) et qui est ces­sible (il peut être reven­du). À ce titre, il fait l’objet d’une cota­tion sur les mar­chés. Or, la valeur d’échange sur les mar­chés d’une obli­ga­tion est cor­ré­lée à la cré­di­bi­li­té de l’émetteur. Ceci implique que si un État cesse de payer sa dette, les obli­ga­tions qu’il a émises ne valent plus rien car les rem­bour­se­ments n’étant plus garan­tis, plus per­sonne n’en veut sur les mar­chés. Cet état de choses pose­ra inévi­ta­ble­ment un pro­blème de liqui­di­té aux déten­teurs des obli­ga­tions de l’État failli. C’est ici qu’interviennent les fonds vau­tours qui rachètent à bas prix des obli­ga­tions fai­sant l’objet d’une décote impor­tante sur les mar­chés en rai­son du défaut de paie­ment de l’émetteur. La stra­té­gie des fonds vau­tours consis­te­ra, par la suite, à refu­ser les termes de la restruc­tu­ra­tion de la dette publique afin d’obtenir, via une série de recours en jus­tice, le rem­bour­se­ment de leur créance à sa valeur nomi­nale auquel vien­dront s’ajouter des inté­rêts de retard.

Restructurations

Sous la pré­si­dence de Nes­tor Kirch­ner en 2005, l’Argentine restruc­tu­rait sa dette en arra­chant un accord his­to­rique. Le stock de la dette argen­tine était restruc­tu­ré à hau­teur de 75 % de son volume. Ce qui repré­sen­tait la somme de 80 mil­liards de dol­lars, soit le plus grand défaut depuis 1983 comme l’établit le gra­phique suivant.

[**Défauts sur la dette sou­ve­raine depuis 1983. L’Argentine cham­pionne du monde en 2001*]
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source : Moody’s

Selon les termes de la restruc­tu­ra­tion, les créan­ciers de l’Argentine ont reçu des obli­ga­tions à matu­ri­té plus longue et d’une valeur nomi­nale allant de 25 à 35 % de celle des titres ori­gi­naux. Bref, le volume de la dette à rem­bour­ser fon­dait comme neige au soleil et de plus, l’État argen­tin obte­nait des délais de paie­ment plus impor­tants. En 2009, un second round de négo­cia­tions était enta­mé avec les créan­ciers res­tés, jusqu’alors, en dehors du pro­ces­sus de restruc­tu­ra­tion (dans le jar­gon de la finance, on parle de hold outs). Les condi­tions obte­nues en 2005 étaient glo­ba­le­ment main­te­nues au terme de cette confron­ta­tion. Au total, plus de 90 % des créan­ciers de l’Argentine ont accep­té les termes de la restruc­tu­ra­tion de la dette por­tés à bout de bras par l’administration Kirch­ner. Depuis, NML Capi­tal et Aure­lius Capi­tal Mana­ge­ment n’ont eu de cesse de vou­loir se pla­cer au-des­sus de la mêlée et de faire ava­li­ser cette pos­ture par le pou­voir judi­ciaire (notam­ment états-unien). Les démê­lés du gou­ver­ne­ment argen­tin avec la jus­tice amé­ri­caine pou­vaient alors com­men­cer. Une grande par­tie de la dette argen­tine ayant été libel­lée en dol­lars, ce sont, en effet, les tri­bu­naux amé­ri­cains qui ont été dési­gnés comme arbitres en cas de litiges lors de la pro­cé­dure d’émission des obli­ga­tions (en espa­gnol, bonos) par le Tré­sor argentin.

En 2012, Tho­mas Grie­sa, juge auprès de la Uni­ted States Court for the Sou­thern Dis­trict of New York, sta­tuait que « la Répu­blique argen­tine devait ver­ser aux [fonds vau­tours] requé­rants 1,33 mil­liard de dol­lars » (The Eco­no­mist, 2013), inté­rêts de retard com­pris. Depuis, un bras de fer a com­men­cé entre les fonds vau­tours et Bue­nos Aires. Dès l’annonce de la déci­sion du juge Grie­sa, les auto­ri­tés argen­tines fai­saient savoir qu’un dan­ge­reux pré­cé­dent venait d’être créé par la jus­tice amé­ri­caine puisqu’il per­met­tait à tous les autres créan­ciers de faire machine arrière et récla­mer que leur soient appli­quées les condi­tions avan­ta­geuses dont, d’après le juge Grie­sa, devaient béné­fi­cier les fonds vautours.

Appels

Le gou­ver­ne­ment argen­tin fai­sait immé­dia­te­ment savoir qu’il reje­tait les conclu­sions du juge Grie­sa tout en ras­su­rant les créan­ciers qui avaient adhé­ré aux termes de la restruc­tu­ra­tion. « Nous conti­nue­rons à payer comme nous l’avons fait jusqu’à pré­sent », décla­rait le ministre argen­tin de l’Économie Hernán Loren­zi­no à l’agence offi­cielle argen­tine Telam (30 mars 2013).

En consi­dé­rant que les fonds NML Capi­tal et Aure­lius Capi­tal Mana­ge­ment avaient été lésés par le défaut argen­tin, le juge Grie­sa fai­sait un puis­sant cro­che­pied à la réa­li­té. En effet, les deux fonds n’ont jamais été déten­teurs de bonos argen­tins avant le défaut de 2001. Dès lors, le gou­ver­ne­ment argen­tin esti­mait qu’ils n’avaient été en rien affec­tés par le défaut de 2001 et n’avaient, dès lors, d’autre choix que de se joindre aux condi­tions géné­rales du pro­ces­sus de restruc­tu­ra­tion de la dette publique de 2005 – 2009.

Par exemple, NML a acquis des bonos argen­tins affi­chant une valeur nomi­nale de 222 mil­lions de dol­lars pour un prix d’achat réel de 48 mil­lions (donc un quart de la valeur) en 2008, soit sept ans après la décla­ra­tion de défaut du gou­ver­ne­ment argen­tin et trois ans après la pre­mière opé­ra­tion de restruc­tu­ra­tion de la dette publique argen­tine. Ache­ter un bien (en l’occurrence, des bons du Tré­sor) pour une valeur de 48 et obte­nir, par déci­sion de jus­tice, un mon­tant de 222, cela repré­sente un taux de pro­fit de 362,5 %.

L’affaire était, somme toute, juteuse pour des ins­ti­tu­tions qui n’ont jamais vrai­ment par­ti­ci­pé au finan­ce­ment de la Répu­blique argen­tine. Or c’est sur la base de la valeur nomi­nale des obli­ga­tions que sont cal­cu­lés les inté­rêts de retard. Les cal­culs éta­blis par le minis­tère des Finances argen­tin sont élo­quents. La somme de 1,33 mil­liard de dol­lars à rem­bour­ser aux fonds vau­tours inclut une valeur nomi­nale de 720 mil­lions pour les bonos et plus de 600 mil­lions de dol­lars d’intérêts de retard à per­ce­voir (Pagina/12, 25 novembre 2012).

Une des dis­po­si­tions du « juge­ment Grie­sa » fai­sait, à l’époque, l’effet d’une bombe au sein des milieux finan­ciers. En effet, le juge Grie­sa avait inti­mé l’ordre à Bue­nos Aires de dépo­ser 1,33 mil­liard de dol­lars sur un compte blo­qué et lui inter­di­sait un rem­bour­se­ment quel­conque des autres créan­ciers tant que les fonds vau­tours n’avaient pas été dédom­ma­gés. Le spectre d’un défaut de l’Argentine refai­sait alors sur­face. Pour évi­ter ce scé­na­rio, le gou­ver­ne­ment argen­tin déci­dait d’interjeter appel contre la déci­sion du juge Grie­sa. Ce recours étant sus­pen­sif de la déci­sion du juge Grie­sa, les créan­ciers de l’Argentine pou­vaient souffler.

Dangers

Car l’Argentine a, certes, mani­fes­té sa déci­sion de ne pas payer 1,33 mil­liard de dol­lars aux fonds vau­tours, mais, en même temps, a tou­jours fait valoir qu’elle hono­re­rait ses dettes auprès des autres créan­ciers. Ce qui impli­quait que les fonds vau­tours se voient, en défi­ni­tive, attri­buer le même trai­te­ment que les créan­ciers ayant, aupa­ra­vant, accep­té les termes de la restruc­tu­ra­tion. Cette stra­té­gie, déter­mi­née en mars 2013, n’a pas été modi­fiée d’un iota par la déci­sion de la cour d’appel de New York.

Ce qui implique que l’Argentine ait, sur ces entre­faites, inter­je­té appel auprès de la Cour suprême des États-Unis. Par consé­quent, la déci­sion du juge Grie­sa confir­mée par la cour d’appel fut sus­pen­due. Jusqu’à pré­sent, le match de l’Argentine contre les fonds vau­tours n’est, en tout état de cause, pas ter­mi­né. D’ici à ce qu’une déci­sion inter­vienne, Bue­nos Aires pour­ra comp­ter sur d’intéressants sou­tiens. Cet été, la France avait annon­cé sou­te­nir l’Argentine et avait mani­fes­té son inten­tion d’intervenir auprès de la Cour suprême amé­ri­caine afin de l’informer « des impli­ca­tions poten­tielles de [la] déci­sion [du juge Grie­sa] sur le bon fonc­tion­ne­ment du sys­tème finan­cier inter­na­tio­nal » (Pagina/12, 23 juillet 2013).

Le gou­ver­ne­ment fran­çais ne fai­sait, en cela, que suivre la Cour de cas­sa­tion et aupa­ra­vant, les cours d’appel de Paris et de Ver­sailles qui avaient don­né rai­son à l’Argentine contre le fonds vau­tour NML. Ce der­nier récla­mait que des arrié­rés d’impôts dus par les filiales argen­tines des firmes Total, BNP Pari­bas et Air France au gou­ver­ne­ment argen­tin soient sai­sis à titre de pro­vi­sions sur les sommes dues (Bue­nos Aires Econó­mi­co, 5 avril 2013). On note­ra avec inté­rêt que cette vic­toire de l’Argentine dans son match contre les fonds vau­tours n’a guère été com­men­tée dans les médias occidentaux.

L’Argentine pour­rait éga­le­ment rece­voir le sou­tien de la Mai­son Blanche. Le minis­tère de la Jus­tice amé­ri­cain ana­ly­se­rait la pos­si­bi­li­té de pro­duire un docu­ment visant à pro­mou­voir et à « défendre le concept d’immunité sou­ve­raine qui per­met aux nations [ayant restruc­tu­ré leurs dettes] de béné­fi­cier d’une pro­tec­tion » contre les exi­gences des fonds vau­tours (Bue­nos Aires Econó­mi­co, 13 juillet 2013). Rien ne per­met­tait, à l’heure où ces lignes sont écrites (15 octobre 2013), de pré­sa­ger de l’attitude des États-Unis dans ce dos­sier. En effet, un groupe de par­le­men­taires du par­ti répu­bli­cain invi­tait l’administration Oba­ma à ne pas aider l’Argentine. Il va de soi que devant une juri­dic­tion aus­si poli­tique que la Cour suprême, le sou­tien de la Mai­son Blanche pèse­ra d’un poids certain.

Cet éven­tuel sou­tien, qui n’est tou­jours pas venu, témoi­gne­rait d’une juste et saine com­pré­hen­sion des enjeux liés aux restruc­tu­ra­tions de dettes. L’administration Oba­ma ne fai­sait, sur ce point, que suivre l’avis du Fonds moné­taire inter­na­tio­nal (FMI) qui, par l’entremise de Chris­tine Lagarde, s’inquiétait des consé­quences que ne man­que­rait pas d’avoir l’entêtement doc­tri­naire de la jus­tice amé­ri­caine sur la sta­bi­li­té finan­cière inter­na­tio­nale. En effet, la déci­sion du juge Grie­sa s’avère pro­blé­ma­tique dans la mesure où elle remet en cause la via­bi­li­té et la sta­bi­li­té de n’importe quel pro­ces­sus de restruc­tu­ra­tion de dette publique à l’avenir.

Épilogue (provisoire)

Le 7 octobre 2013, la Cour suprême des États-Unis refu­sait d’examiner un des nom­breux litiges rela­tifs à la dette publique argen­tine. Rien ne per­met, cepen­dant, de par­ler de défaite dans le chef de la Répu­blique argen­tine. En effet, cette déci­sion pré­serve pour l’heure la pro­cé­dure qui a abou­ti, en aout à New York, à la condam­na­tion en appel de l’Argentine à rem­bour­ser 1,33 mil­liard de dol­lars aux « fonds vau­tours ». En sep­tembre de cette année, soit un mois après le ver­dict de la cour d’appel de New York, le gou­ver­ne­ment argen­tin a, en effet, deman­dé à cette même cour de recon­si­dé­rer l’arrêt pro­non­cé au mois d’aout, en met­tant en avant « des erreurs légales graves ». Si Bue­nos Aires n’obtient pas gain de cause auprès de cette juri­dic­tion, il lui sera loi­sible de por­ter le litige devant la Cour suprême. En l’état actuel de la pro­cé­dure, la Cour suprême a refu­sé de reve­nir sur la déci­sion prise par la cour d’appel de New York obli­geant à accor­der un trai­te­ment dif­fé­ren­cié en faveur des fonds vau­tours. Le match auquel se livre le gou­ver­ne­ment argen­tin face aux vau­tours n’est donc pas ter­mi­né1. Tant et si bien que jusqu’à pré­sent, la déci­sion du juge Grie­sa fai­sant la part belle aux fonds vau­tours est suspendue.

L’indéniable tech­ni­ci­té du dos­sier ne doit évi­dem­ment pas en occul­ter la teneur plus spé­ci­fi­que­ment poli­tique. En effet, les suites que la jus­tice amé­ri­caine réser­ve­ra au dos­sier argen­tin sont de nature à ren­for­cer le poids des acteurs finan­ciers face aux États. Le pro­ces­sus de retour de l’État en Amé­rique latine ne pour­ra, si le point de vue des fonds vau­tours conti­nue à être vali­dé par la jus­tice des États-Unis, qu’en pâtir. En effet, l’Amérique latine est par­ti­cu­liè­re­ment cou­tu­mière des défauts de paie­ment, et ce, depuis le XIXe siècle et la vague des indé­pen­dances sur le conti­nent (Galas­so, 2003). Durant la crise mon­diale des années 1930, on signale une deuxième vague de défauts dans le chef des nations sud-amé­ri­caines. Après la Seconde Guerre mon­diale, le recours à l’emprunt sur les mar­chés inter­na­tio­naux des capi­taux dimi­nue. Mais ce der­nier reprend dans les années 1970 car à la suite du choc pétro­lier de 1973, les banques occi­den­tales recyclent les pétro­dol­lars en les prê­tant aux pays en déve­lop­pe­ment. Au terme d’un pro­ces­sus d’endettement, l’Amérique latine se signale par une suite de défauts de paie­ment fra­cas­sants. La crise mexi­caine de 1982 consti­tue le pre­mier cha­pitre d’une nou­velle série de défauts. Ce rapide sur­vol his­to­rique per­met d’illustrer l’importance pour les nations lati­no-amé­ri­caines du conflit entre les fonds vau­tours et l’Argentine.

Le sou­tien de la jus­tice amé­ri­caine aux fonds vau­tours pose plu­sieurs ques­tions. L’Argentine n’est, en effet, pas le seul pays de la région à avoir fait défaut sur sa dette au cours des der­nières années. C’est le cas du Pérou (2000), de l’Uruguay (2003) et de l’Équateur (1999 et 2008). En 2008, l’Équateur entrait en défaut de paie­ment pour la troi­sième fois en qua­torze ans. Fait nou­veau, Qui­to révi­sait ses rela­tions avec la finance non en rai­son d’un état de faillite, mais en ver­tu d’une déci­sion du pré­sident Rafael Cor­rea qui esti­mait que 40 % de la dette exté­rieure du pays était illé­gi­time. À l’occasion de cette opé­ra­tion d’annulation, le pré­sident Cor­rea n’a pas man­qué de signa­ler que son pays pour­rait faire l’objet d’actions en jus­tice de la part de fonds vau­tours (cité par Agen­cia EFE, 11 juin 2009).

Le cas du Pérou nous prouve que les fonds vau­tours ne lâchent pas faci­le­ment leur proie. En 1995, le fonds vau­tour Elliott Mana­ge­ment Cor­po­ra­tion ache­tait pour 11,4 mil­lions de dol­lars amé­ri­cains une par­tie de la dette du Pérou, ayant une valeur nomi­nale de 20,7 mil­lions de dol­lars amé­ri­cains, et refu­sait de par­ti­ci­per à la restruc­tu­ra­tion de la dette de ce pays. En 2000, Elliot obte­nait de la jus­tice amé­ri­caine une déci­sion contrai­gnant le Pérou à lui payer la somme, inté­rêts de retard inclus, de 55,6 mil­lions de dol­lars. D’après Nick Dear­den, direc­teur de la Jubi­lee Debt Cam­pai­gn, les gou­ver­ne­ments péru­vien et équa­to­rien ne sont pas à l’abri d’actions de la part des fonds vau­tours (Huf­fing­ton Post, 2 aout 2011).

En cas de restruc­tu­ra­tion de dette, il existe deux caté­go­ries de créan­ciers : les por­teurs des anciens titres sur les­quels il y a défaut de paie­ment et les por­teurs des nou­veaux titres reçus en échange des anciens. Les fonds vau­tours jouent tou­jours sur la clause dite « pari pas­su » qui a revê­tu une valeur juris­pru­den­tielle fon­da­men­tale à l’occasion du conflit entre Elliott Mana­ge­ment Cor­po­ra­tion et le Pérou. En ver­tu de celle-ci, les por­teurs des anciens et des nou­veaux titres béné­fi­cient de droits iden­tiques. On sui­vra la dénon­cia­tion des clauses « pari pas­su » par Joseph Sti­glitz. Selon ce der­nier, les contrats entre débi­teurs du Sud et créan­ciers du Nord « devraient com­por­ter une clause d’action col­lec­tive pour empê­cher [l’action des] fonds vau­tours. Quand une pro­por­tion suf­fi­sante de créan­ciers accepte une restruc­tu­ra­tion (dans le cas de l’Argentine, cette pro­por­tion était supé­rieure à 90 %), les autres doivent être contraints de faire de même » (Pro­ject Syn­di­cate, 4 sep­tembre 2013).

Quelles seraient les consé­quences d’un éven­tuel entê­te­ment de la jus­tice états-unienne ? Plus que vrai­sem­bla­ble­ment un éloi­gne­ment de l’Argentine d’avec les nations occi­den­tales, à com­men­cer par les États-Unis et le FMI. L’Argentine se rap­pro­che­rait alors des pays radi­caux (Boli­vie, Équa­teur, Vene­zue­la) du conti­nent. Sur le plan éco­no­mique, le pays serait à nou­veau en défaut de paie­ment. Mais la situa­tion ne serait pas aus­si catas­tro­phique qu’en 2001. La dette publique argen­tine est, en effet, pas­sée de 166,4 % en 2002 à 45 % du PIB en 2012. On voit, d’ailleurs, une baisse spec­ta­cu­laire de la dette exté­rieure qui est pas­sée de 95,3 % à 14 % du PIB sur cette période. En termes d’échéances, entre 2013 et 2015, l’État argen­tin devra rem­bour­ser 12 mil­liards de dol­lars de capi­tal et 6 mil­liards d’intérêts. Après une remon­tée des rem­bour­se­ments aux alen­tours de 12 mil­liards de dol­lars en capi­tal et 4 mil­liards d’intérêts en 2017, les échéances connai­tront un allè­ge­ment constant pour être infé­rieures à 2 mil­liards de dol­lars en capi­tal et 3 mil­liards d’intérêts entre 2019 et 2022. Le désen­det­te­ment de l’État argen­tin est très net. Et le ser­vice de la dette mesu­ré par rap­port aux expor­ta­tions est de l’ordre de 10 %. Le ser­vice de la dette est la somme qu’un emprun­teur consacre, chaque année, au rem­bour­se­ment de sa dette, capi­tal inclus. Or, les expor­ta­tions repré­sentent 22 % du PIB argen­tin. Autre­ment dit, le ser­vice de la dette de l’État argen­tin repré­sente, aujourd’hui, à peine plus de 2 % du PIB (Ofi­ci­na nacio­nal de cré­di­to publi­co, don­nées arrê­tées au 31 décembre 2012).

Pour ter­mi­ner, nous ferons éga­le­ment obser­ver que la bataille de l’Argentine face aux fonds vau­tours n’est pas dénuée d’intérêt pour l’Europe à l’heure où des restruc­tu­ra­tions de dettes sur la base du modèle argen­tin ne sont pas à exclure au sein de la fort vacillante zone euro (Finan­cial Times, 9 aout 2013). C’est sans doute pour cette rai­son que, fin juillet, la France était inter­ve­nue pour sou­te­nir l’Argentine et dépo­sait, auprès de la Cour suprême des États-Unis, un « ami­cus curiae » qui per­met à un acteur exté­rieur à un litige de prendre posi­tion pour l’une ou l’autre par­tie. Selon Paris, les déci­sions suc­ces­sives de la jus­tice amé­ri­caine en faveur des fonds vau­tours inci­te­raient for­te­ment les inves­tis­seurs à refu­ser tout allè­ge­ment de dette. Or, au prin­temps 2012, les créan­ciers pri­vés de la Grèce avaient consen­ti à effa­cer près de 100 mil­liards d’euros de dette de la Répu­blique hellénique.

15 octobre 2013

  1. Voir les édi­tions du 7 octobre 2013 du quo­ti­dien pro­gou­ver­ne­men­tal Pagina/12 (www.pagina12.com.ar) et du jour­nal d’opposition Cla­rin (www.clarin.com).

Xavier Dupret


Auteur

chercheur auprès de l’association culturelle Joseph Jacquemotte et doctorant en économie à l’université de Nancy (France)