Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

L’approvisionnement en minerais des Européens, à n’importe quel prix ?

Numéro 11 Novembre 2013 par Frédéric Triest

novembre 2013

La contex­tua­li­sa­tion d’un docu­ment majeur de la Com­mis­sion euro­péenne débouche sur l’examen de la diplo­ma­tie des res­sources natu­relles. « Si tu veux la paix, pré­pare la guerre. » Cette recom­man­da­tion bien connue de Clau­se­witz est d’application dans le domaine des matières pre­mières… au nom du déve­lop­pe­ment et sous la ban­nière des droits de l’homme. Cette mise en pra­tique prête à réflexion.

Dossier

En 2007, l’Allemagne fai­sait sur­sau­ter la Com­mis­sion euro­péenne (CE) et ses par­te­naires euro­péens en adop­tant de sa propre ini­tia­tive une stra­té­gie poli­tique spé­ci­fique dédiée à s’assurer un appro­vi­sion­ne­ment en mine­rais en dehors de l’Europe1. Cette ini­tia­tive a eu pour effet de sor­tir ses par­te­naires euro­péens de leur tor­peur et de por­ter l’attention du monde poli­tique sur l’enjeu stra­té­gique des res­sources minières. Rien d’étonnant à ce que ce soit l’Allemagne qui jette le pavé dans la mare : pre­mière puis­sance éco­no­mique et indus­trielle euro­péenne, elle est fort logi­que­ment la pre­mière consom­ma­trice de mine­rais d’Europe. Elle occupe la troi­sième place mon­diale des consom­ma­teurs de cuivre et la qua­trième des consom­ma­teurs d’aluminium, de nickel, de plomb et de zinc, der­rière les États-Unis, la Chine et le Japon. En 2005, les mine­rais repré­sen­taient 12,3 % de ses impor­ta­tions, soit 77 mil­liards d’euros2. D’où une stra­té­gie d’approvisionnement récla­mée à grands cris par l’industrie alle­mande. Notons qu’au milieu des années 2000, les États-Unis et le Japon avaient éga­le­ment cha­cun adop­té des stra­té­gies sur les mine­rais et que les Alle­mands ont renou­ve­lé leur stra­té­gie en 2010.

Dépen­dance à l’importation de l’Europe 2006
triest.jpg
source : BGS

Un réveil douloureux pour l’Europe

Il faut attendre 2008 pour que la CE réagisse en publiant son Ini­tia­tive matières pre­mières3 (IMP). Comme dans la stra­té­gie alle­mande, il s’agit ici de répondre aux risques liés à l’approvisionnement en « mine­rais cri­tiques » pour l’industrie euro­péenne. À son lan­ce­ment, elle est pré­sen­tée comme inté­grée à la Stra­té­gie de Lis­bonne dédiée à la crois­sance et à l’emploi en Europe. En effet, la Com­mis­sion esti­mait en 2008 que près de 30 mil­lions d’emplois, dans des sec­teurs comme la construc­tion, l’automobile, l’aérospatiale et l’industrie chi­mique, dépen­daient des impor­ta­tions en mine­rais. En 2012, ces der­nières repré­sen­taient 10 % des impor­ta­tions de l’UE, soit 142 mil­liards d’euros (Ger­ber, 2012, p. 2).

Le prin­ci­pal pro­blème auquel les Alle­mands et l’UE tentent de répondre est celui de la dépen­dance euro­péenne, par­fois extrême, vis-à-vis des sources exté­rieures d’approvisionnement. Si elle existe depuis long­temps, les enjeux l’entourant se sont com­plexi­fiés, et le réveil tar­dif des Euro­péens en la matière n’en est que plus douloureux.

Compétition multipolaire pour l’accès aux ressources

Comme Fré­dé­ric Tho­mas le décrit dans ce dos­sier, l’attention accrue por­tée au niveau inter­na­tio­nal sur la ques­tion minière s’explique prin­ci­pa­le­ment par le poids gran­dis­sant des pays émer­gents sur l’approvisionnement en res­sources natu­relles et les rap­ports de forces mul­ti­po­laires qui en découlent. Nous assis­tons aujourd’hui à un retour des enjeux géos­tra­té­giques autour des res­sources minières : « Au cœur des pré­oc­cu­pa­tions stra­té­giques jusqu’à la fin de la guerre froide, [la situa­tion des métaux] sem­blait être, pen­dant la décen­nie 1990 et le début des années 2000, en large par­tie igno­rée des débats géo­po­li­tiques. La mon­tée en puis­sance des pays émer­gents, et notam­ment la Chine, a cepen­dant mis fin à cette période d’oubli » (Jégou­rel, 2011, p. 61).

Si les États-Unis res­tent la super­puis­sance poli­ti­co-mili­taire mon­diale, « les sources de la richesse sont beau­coup plus dis­per­sées aujourd’hui qu’elles ne l’étaient il y a trente ans » (Laï­di, 2003, p. 298). Pour construire cette puis­sance, les grandes éco­no­mies ont besoin d’assurer leur accès à des res­sources natu­relles (pétrole, gaz, mine­rais) limi­tées et inéga­le­ment répar­ties dans le monde. Depuis une dizaine d’années, le Bré­sil, l’Inde et la Chine ont les moyens de déployer leur coopé­ra­tion poli­tique et éco­no­mique en fonc­tion de l’accès aux res­sources, notam­ment en Afrique (Triest et al., 2009). De la sorte, ils concur­rencent, pour la pre­mière fois depuis les indé­pen­dances, les anciennes puis­sances colo­niales dans ce qu’elles consi­dé­raient jusque-là comme leur chasse gardée.

Dis­tri­bu­tion mon­diale des réserves majeures en cuivre, PGM, REE, mine­rai de fer, bauxite et chrome
monde-aplat.jpg

source : BGR data­base, USGS
La concen­tra­tion de la plu­part des réserves miné­rales dans un nombre limi­té de pays ne fait que ren­for­cer le carac­tère stra­té­gique des métaux sur la scène inter­na­tio­nale. Pre­nons par exemple les cas du cuivre, du pla­tine (PGM), des terres rares4 (REE), des métaux fer­reux, de la bauxite et du chrome.

S’annonce éga­le­ment une pénu­rie pour bon nombre de métaux aujourd’hui deve­nus indis­pen­sables, en rai­son de pro­prié­tés métal­lur­giques néces­saires au déve­lop­pe­ment des tech­no­lo­gies indus­trielles et vertes. En effet, « de nou­velles oppor­tu­ni­tés de pro­duc­tion et de consom­ma­tion mul­ti­plient et diver­si­fient les besoins » (Alex et Matel­ly, 2011, p. 54). En 2012, le maga­zine de vul­ga­ri­sa­tion scien­ti­fique Sciences&Vie fai­sait état de vingt-six métaux qui, à des degrés divers, sont en voie de pénu­rie. Par­mi eux, les plus connus sont l’or, l’argent, le cuivre, le zinc, l’antimoine, le tungs­tène, le phos­phore, l’uranium, le pla­tine et le col­tan5.

L’IMP : les recettes ultralibérales… encore et toujours !

Le contexte glo­bal décrit au point pré­cé­dent nous per­met de mieux décryp­ter les objec­tifs pour­sui­vis par la CE dans le cadre de l’IMP. Lan­cée en 2008, elle a d’ailleurs été actua­li­sée en 2010 pour ten­ter d’y inté­grer (sans grand suc­cès) les enjeux liés à la spé­cu­la­tion finan­cière6.

Tout d’abord, l’UE entend cibler des mine­rais jugés « cri­tiques » pour l’industrie euro­péenne. Ils sont défi­nis comme des « matières pre­mières essen­tielles » qui sont expo­sées à un risque accru de pénu­rie d’approvisionnement et qui exercent un impact plus impor­tant sur l’économie que la plu­part des autres matières pre­mières. Pour entrer dans la caté­go­rie des mine­rais « cri­tiques », trois cri­tères doivent être ren­con­trés : la concen­tra­tion d’une part impor­tante de la pro­duc­tion mon­diale dans une poi­gnée de pays, un faible taux de « sub­sti­tua­bi­li­té » (ils ne peuvent être rem­pla­cés par d’autres) et enfin, un taux de recy­clage bas au sein de l’UE. Sur la base de ces cri­tères, la CE a publié en 2010 une liste de qua­torze mine­rais (voir tableau7) « cri­tiques » sur les­quels elle se focalise.

L’IMP s’articule autour des trois volets sui­vants : déve­lop­per la pro­duc­tion interne (pro­duc­tion minière et recy­clage) ; réduire la consom­ma­tion et assu­rer la sécu­ri­té et la sta­bi­li­té des prix de l’approvisionnement de l’UE pro­ve­nant des pays tiers. Nous nous inté­res­sons ici au troi­sième volet qui consiste à « lan­cer une diplo­ma­tie com­mu­nau­taire des matières pre­mières stra­té­giques auprès des prin­ci­paux pays indus­tria­li­sés et déten­teurs de res­source ». Cette « diplo­ma­tie des res­sources » consiste en une stra­té­gie com­mer­ciale de libé­ra­li­sa­tion agres­sive vis-à-vis des pays pro­duc­teurs des minerais.

Il s’agit d’abord de pré­voir des dis­po­si­tions rela­tives à l’accès aux matières pre­mières et à leur ges­tion durable dans l’ensemble des accords com­mer­ciaux et des dia­logues règle­men­taires bila­té­raux (trai­tés bila­té­raux d’investissement) et mul­ti­la­té­raux, selon le cas.

Ensuite, iden­ti­fier et contes­ter les mesures de « dis­tor­sion des échanges » prises par des pays tiers, en uti­li­sant l’ensemble des ins­tru­ments et méca­nismes dis­po­nibles, y com­pris les négo­cia­tions au sein de l’OMC, les méca­nismes de règle­ment des dif­fé­rends et les par­te­na­riats pour l’accès au mar­ché, en accor­dant la prio­ri­té aux mesures qui nuisent le plus à l’UE sur les mar­chés internationaux.

Enfin, favo­ri­ser l’accès durable aux matières pre­mières dans le domaine de la poli­tique de déve­lop­pe­ment en ayant recours à l’aide bud­gé­taire, aux stra­té­gies de coopé­ra­tion et à d’autres instruments.

Autre­ment dit, l’UE entend s’attaquer à toute mesure pro­tec­tion­niste des pays pro­duc­teurs de « mine­rais stra­té­giques » défa­vo­rable à l’industrie euro­péenne (taxes, quo­tas, sub­sides, fixa­tion des prix et régu­la­tion des inves­tis­se­ments). Le sec­teur pri­vé a applau­di des deux mains l’IMP. Busi­ness Europe, la puis­sante coa­li­tion des fédé­ra­tions d’entrepreneurs et patrons euro­péens, a même encou­ra­gé l’UE à uti­li­ser sa poli­tique de coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment pour lier des « rela­tions pri­vi­lé­giées » avec les pays tiers qui faci­litent l’accès de l’UE à leurs res­sources8 !

Vue sous cet angle, la « diplo­ma­tie des res­sources » de l’UE n’est-elle pas sim­ple­ment une forme renou­ve­lée de colo­ni­sa­tion éco­no­mique ? Elle menace en tout cas la sou­ve­rai­ne­té des États pro­duc­teurs sur leurs res­sources. Elle res­treint l’espace poli­tique à leur dis­po­si­tion pour déci­der de quelle manière les exploi­ter et en tirer béné­fice. Toute ten­ta­tive de ces États visant à pro­té­ger leurs res­sources de l’avidité des entre­prises étran­gères, en pri­vi­lé­giant d’autres modèles que le libre accès aux sec­teurs pri­vés et l’exportation à vil prix pour l’étranger, pour­ra ain­si être com­bat­tue par l’UE sous pré­texte d’être une « dis­tor­sion du mar­ché » com­mer­cia­le­ment « inéquitable ».

Une « diplomatie des ressources » qui contamine d’autres politiques

L’UE dis­pose de plu­sieurs outils pour mettre en œuvre sa « diplo­ma­tie des res­sources ». Déjà évo­qués plus haut, les méca­nismes de l’OMC et les accords com­mer­ciaux (bila­té­raux et régio­naux) sont déjà connus du grand public. Un autre ins­tru­ment, com­plé­men­taire aux accords com­mer­ciaux, mais moins connu, mérite d’être plus ample­ment pré­sen­té : les accords bila­té­raux d’investissement (ABI). Il s’agit de trai­tés entre deux pays qui pro­tègent les inté­rêts des inves­tis­se­ments pri­vés de tout trai­te­ment inéqui­table, dis­cri­mi­na­toire et toute expro­pria­tion de la part des États signataires.

Volon­tai­re­ment floue, cette pro­tec­tion ren­voie à toutes les atteintes poten­tielles des États contre les pro­fits atten­dus par l’investisseur. Ces ABI sont des « cami­soles de force » (Cer­mak, 2011) pour les États pro­duc­teurs car ils octroient aux inves­tis­seurs pri­vés le droit de les faire condam­ner par des cours d’arbitrages inter­na­tio­nales, au fonc­tion­ne­ment opaque et favo­rable aux inté­rêts pri­vés, à payer des mil­lions de dol­lars en dom­mages et en inté­rêts9. À l’heure actuelle, 1 200 accords bila­té­raux ont déjà été signés par les États membres. Depuis l’entrée en vigueur du trai­té de Lis­bonne en 2009, la com­pé­tence de conclure des ABI relève de l’UE et non plus des États membres. Tou­te­fois, la CE accorde actuel­le­ment une re-délé­ga­tion par­tielle de ce man­dat aux États membres durant une période de tran­si­tion qui devrait encore durer quelques années.

Les objec­tifs de l’IMP conta­minent d’autres pro­ces­sus poli­tiques euro­péens. En 2012, la CE a modi­fié en pro­fon­deur son sché­ma de pré­fé­rences tari­faires géné­ra­li­sées (SPG), en pro­fi­tant pour pla­cer des métaux dans la « liste des pro­duits inclus dans le régime géné­ral » du SPG10. Dans l’article 19 du nou­veau Règle­ment, rela­tif aux rai­sons jus­ti­fiant le retrait tem­po­raire des béné­fices accor­dés par le SPG, on trouve les « pra­tiques com­mer­ciales déloyales graves et sys­té­ma­tiques, ayant notam­ment des réper­cus­sions sur l’approvisionnement en matières pre­mières, qui ont des effets néga­tifs sur l’industrie de l’Union et aux­quelles le pays béné­fi­ciaire n’a pas remédié ».

Plus récem­ment encore, la CE a insé­ré la ques­tion de l’approvisionnement en mine­rais dans sa pro­po­si­tion de révi­sion des méca­nismes de défense com­mer­ciale (lutte contre le dum­ping et autres sub­ven­tions aux expor­ta­tions) de l’UE11. « Les pays tiers inter­fèrent de plus en plus avec le com­merce de matières pre­mières en vue de gar­der ces der­nières sur leur mar­ché inté­rieur au pro­fit de leurs propres uti­li­sa­teurs en aval, par exemple en ins­tau­rant des taxes à l’exportation ou en uti­li­sant des sys­tèmes de double prix. En consé­quence, les couts des matières pre­mières ne découlent pas du jeu nor­mal du mar­ché reflé­tant l’offre et la demande pour une matière pre­mière don­née. Ces inter­fé­rences génèrent des dis­tor­sions sup­plé­men­taires des échanges. De ce fait, les pro­duc­teurs de l’Union sont non seule­ment lésés par le dum­ping, mais pâtissent éga­le­ment, par rap­port aux pro­duc­teurs en aval des pays tiers qui usent de telles pra­tiques, de dis­tor­sions sup­plé­men­taires des échanges. »

Concen­tra­tion de la pro­duc­tion des matières pre­mières essen­tielles, et taux de recy­clage et de substitution
Matières pre­mières Pro­duc­teurs principaux Sources prin­ci­pales d’importation Inté­rieur de l’UE (2007, ou 2006) Taux dépen­dance importation Sub­sti­tu­tion Taux de recyclage
Anti­moine Chine 91 %
Boli­vie 2 %
Rus­sie 2 %
Afrique du Sud 2 %
Boli­vie 77 %
Chine 15 %
Pérou 6 %
100% 0,64 11%
Béryl­lium USA 85 %
Chine 14 %
Mozam­bique 1 %
USA, Cana­da, Chine, Brésil 100%
Cobalt DRC 41 %
Cana­da 11 %
Zam­bie 9 %
RD Congo 71 %
Rus­sie 19 %
Tan­za­nie 5 %
100% 0,9 16%
Fluo­rite Chine 59 %
Mexique 18 %
Mon­go­lie 6 %
Chine 27 %
Afrique du Sud 25 %
Mexique 24 %
69% 0,9 0%
Gal­lium NA USA, Rus­sie 0,74 0%
Ger­ma­nium Chine 72 %
Rus­sie 4 %
USA 3 %
Chine 72 %
USA 19 %
Hong Kong 7 %
100% 0,8 0%
Gra­phite Chine 72 %
Inde 13 %
Bré­sil 7 %
Chine 75 %
Bré­sil 8 %
Mada­gas­car 3 %
Cana­da 3 %
95% 0,5 0%
NA
Indium Chine 58 %
Japon 11 %
Corée 9 %
Cana­da 9 %
Chine 81 %
Hong Kong 4 %
USA 4 %
Sin­ga­poure 4 %
100% 0,9 0,30%
Magne­sium Chine 56 %
Tur­quie 12 %
Rus­sie 7 %
Chine 82 %
Israël 9 %
Nor­way 3 %
Rus­sie 3 %
100% 0,82 14%
Nio­bium Bré­sil 92 %
Cana­da 7 %
Bré­sil 84 %
Cana­da 16 %
100% 0,7 11%
Métaux du groupe du platine Afrique du Sud 79 %
Rus­sie 11 %
Zim­babwé 3 %
Afrique du Sud 60 %
Rus­sie 32 %
Nor­vège 4 %
100% 0,75 35%
Terres rares Chine 97 %
Indie 2 %
Bré­sil 1 %
Chine 90 %
Rus­sie 9 %
Kaza­khs­tan 1 %
100% 0,87 1%
Tan­tale Aus­tra­lie 48 %
Bré­sil 16 %
Rwan­da 9 %
DRC 9 %
Chine 46 %
Japon 40 %
Kaza­khs­tan 14 %
100% 0,4 4%
Tungs­tène Chine 78 % (6,1)
Rus­sie 5 % (6,5)
Cana­da 4 %
Rus­sie 76 %
Boli­vie 7 %
Rwan­da 13 %
73% 0,77 37%

Source : Groupe de tra­vail Ad-hoc sur la défi­ni­tion des matières pre­mières cri­tiques (Groupe Raw Mate­rials Sup­ply), tableau com­pi­lé sur la base du rap­port Cri­ti­cal raw mate­rials for the EU, juin 2010.

Le développement et les droits humains à la trappe

Certes, l’IMP dit vou­loir « favo­ri­ser l’accès durable aux matières pre­mières dans le domaine de la poli­tique de déve­lop­pe­ment en ayant recours à l’aide bud­gé­taire, aux stra­té­gies de coopé­ra­tion et à d’autres ins­tru­ments ». Dans les faits, l’Europe met net­te­ment la prio­ri­té sur la sécu­ri­sa­tion de son appro­vi­sion­ne­ment en mine­rais et ne se pré­oc­cupe pas, ou si peu, des nom­breux impacts néga­tifs de leur exploi­ta­tion pour les popu­la­tions du Sud. C’est en tout cas le triste constat que nous pou­vons tirer des contacts avec la CE pris, de 2010 à 2012, par la Com­mis­sion Jus­tice et Paix et ses par­te­naires du Réseau belge res­sources natu­relles. Lorsque nous avons inter­pe­lé la CE afin de rendre l’IMP cohé­rente avec le droit des pays du Sud à choi­sir leur modèle de déve­lop­pe­ment et le res­pect des droits humains, on nous a répon­du en sub­stance : busi­ness first, pour le reste repas­sez plus tard.

Comme c’est notam­ment le cas pour la RDC, l’or et l’étain, le col­tan et le tungs­tène jouent un rôle pré­pon­dé­rant dans la dyna­mique de plu­sieurs conflits armés dans le monde. Or, ces deux der­niers font par­tie des qua­torze métaux « cri­tiques » ciblés par l’IMP. Inter­pe­lée depuis plu­sieurs années par les ONG sur le dos­sier des « mine­rais des conflits », la CE s’est enga­gée à pro­po­ser d’ici décembre 2013 une « ini­tia­tive » afin de rendre les chaines d’approvisionnement de ces mine­rais vers l’Europe plus trans­pa­rentes. Mais, au stade actuel, rien n’indique que la CE impose enfin des obli­ga­tions léga­le­ment contrai­gnantes aux entre­prises afin de leur faire rendre compte de leurs sources d’approvisionnement.

Outre la ques­tion des conflits armés, l’exploitation minière est à l’origine d’une intense conflic­tua­li­té sociale par­tout dans le monde, en rai­son notam­ment de l’impact néga­tif de l’activité minière sur l’environnement et l’activité agri­cole des com­mu­nau­tés locales (accès à la terre, pol­lu­tion des eaux, etc.). Plu­sieurs experts inter­na­tio­naux ont sans conteste démon­tré que l’aggravation alar­mante des vio­la­tions des droits humains dans cer­tains pays est direc­te­ment liée à la pré­sence de l’industrie minière (Rug­gie, 2006 ; Sta­ven­ha­gen, 2003). Au Pérou, où 20 % du ter­ri­toire est sous conces­sion minière, le sec­teur extrac­tif est res­pon­sable de deux tiers des deux-cent-vingt-trois conflits sociaux réper­to­riés fin 2011 (Defen­soría del pue­blo, 2011). Aux Phi­lip­pines, la pro­tes­ta­tion sociale contre l’expansion de l’industrie minière n’a fait que croitre ces der­nières années (Triest, 2011).

L’Europe se targue de pla­cer les droits de l’homme en tant que « valeurs essen­tielles » de sa construc­tion. L’entrée en vigueur du trai­té de Lis­bonne en 2009 a ren­du la Charte des droits fon­da­men­taux juri­di­que­ment contrai­gnante pour les États membres. Néan­moins, une fois les fron­tières de l’UE fran­chies, la pro­tec­tion et le res­pect de ces droits deviennent avant tout rhé­to­riques. La faute en revient en pre­mier lieu au manque de volon­té (de cou­rage ?) de nos déci­deurs poli­tiques qui, hélas sans sur­prise, font pas­ser les inté­rêts des entre­prises avant le bien-être et les droits des popu­la­tions du Sud.

Le Réseau belge res­sources natu­relles (RBRN-BNNR) est né en 2008, à l’initiative d’associations de l’ensemble du pays actives dans le champ de la coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment et des rela­tions inter­na­tio­nales. Il se veut un lieu d’échange, de concer­ta­tion et de coor­di­na­tion des asso­cia­tions belges qui tra­vaillent à l’amélioration de la ges­tion des res­sources natu­relles dans le Sud.

Ce réseau compte actuel­le­ment dix-sept membres12, cha­cun actif sur le thème des res­sources natu­relles en lien avec les ques­tions de paix, de déve­lop­pe­ment durable et de pré­ser­va­tion de l’environnement. Depuis sa créa­tion, il s’est enga­gé dans l’organisation d’activités de dia­logues avec les déci­deurs poli­tiques (belges et euro­péens) et de sen­si­bi­li­sa­tion vers le grand public.

Pour de plus amples infor­ma­tions : http://bnnr-rbrn.be/.

  1. Ele­ments of a Raw Mate­rial Stra­te­gy of the Ger­man Govern­ment, 2007.
  2. Bun­des­ver­band der Deut­schen Indus­trie (2007), Rohs­toff­si­che­rheit. Anfor­de­run­gen an Indus­trie un Poli­tik, Ber­lin, 16 mars, p. 6.
  3. Com­mis­sion euro­péenne (2010), Ini­tia­tive « matières pre­mières » — répondre à nos besoins fon­da­men­taux pour assu­rer la crois­sance et créer des emplois en Europe, COM(2008) 699 final/2, 6 mai, Bruxelles.
  4. La Chine contrôle 95 % de la pro­duc­tion mon­diale de ce groupe de dix-sept métaux de plus en plus uti­li­sés dans l’industrie inno­vante et les tech­no­lo­gies vertes (éoliennes, bat­te­ries, les pan­neaux solaires, lasers, IPhones, écrans tac­tiles). Il n’existe actuel­le­ment aucun pro­cé­dé de recy­clage ou de sub­sti­tu­tion com­mer­cia­le­ment viable pour ce type de métaux.
  5. Les autres métaux moins connus sont le béryl­lium, le dys­pro­sium, l’europium, le gal­lium, le ger­ma­nium, l’hélium 3, l’hydrogène 3, l’indium, le néo­dyme, le nio­bium, le rhé­nium, le rho­dium, le tech­né­tium 99, le ter­bium et, pour le groupe des terres rares, l’yttrium et le scan­dium. Voir Sciences&Vie, mai  2012, p. 52 – 71.
  6. Com­mis­sion euro­péenne (2011), Rele­ver les défis posés par les mar­chés de pro­duits de base et les matières pre­mières, Com(2011) 25, 2 février, Bruxelles.
  7. Le tableau a été réa­li­sé à par­tir d’une com­pi­la­tion de Com­mis­sion euro­péenne (2011), Rele­ver les défis posés par les mar­chés de pro­duits de base et les matières pre­mières, Com(2011) 25, 2 février, Bruxelles. La CE se basait sur un rap­port du Groupe de tra­vail sur la défi­ni­tion des matières pre­mières cri­tiques, « Cri­ti­cal raw mate­rials for the EU », juin 2010.
  8. Adrian van den Hoven (2010), Advan­cing the EU’s Raw Mate­rials Poli­cy, Busi­ness Europe, audience au Par­le­ment euro­péen, 18 novembre.
  9. Depuis 1990, on dénombre plus de trois-cents cas de pour­suites d’États par des entre­prises, sou­vent sui­vis de condam­na­tions finan­cières outran­cières. Ain­si les condam­na­tions à l’encontre de l’Argentine atteignent un total de 912 mil­lions de dol­lars. Pour un seul cas per­du devant une cour d’arbitrage, l’Équateur s’est vu som­mé de payer 698,6 mil­lions de dol­lars, la Slo­va­quie 1 mil­liard de dol­lars. Aujourd’hui, le mon­tant récla­mé à un État pour un seul cas peut s’élever à 19 mil­liards de dollars.
  10. Com­mis­sion euro­péenne (2012), Règle­ment (UE) N° 978/2012 du Par­le­ment euro­péen et du Conseil 25 octobre 2012 appli­quant un sché­ma de pré­fé­rences tari­faires géné­ra­li­sées et abro­geant le règle­ment (CE) N° 732/2008 du Conseil, Bruxelles, annexe V, p. 41, 44 et 51 – 54.
  11. Com­mis­sion euro­péenne (2013), Pro­po­si­tion de règle­ment du Par­le­ment euro­péen et du Conseil modi­fiant le règle­ment (CE) n° 1225/2009 du Conseil rela­tif à la défense contre les impor­ta­tions qui font l’objet d’un dum­ping de la part de pays non membres de la Com­mu­nau­té euro­péenne et le règle­ment (CE) n° 597/2009 du Conseil rela­tif à la défense contre les impor­ta­tions qui font l’objet de sub­ven­tions de la part de pays non membres de la Com­mu­nau­té euro­péenne, COM(2013) 192 final, Bruxelles, p. 6.
  12. 11.11.11, AEFJN, Afede, Broe­der­lijk Delen, CADTM, Cata­pa, Cetri, CNCD-11.11.11, CNAPD, Com­mis­sion Jus­tice et Paix, Green­peace, Gre­sea, Grip, Groupe One, IPIS, JESC, Soli­da­ri­té mondiale.

Frédéric Triest


Auteur