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L’alternance au pouvoir (et sa limitation) en question en Afrique… et ailleurs

Numéro 3 - 2016 par Jean-Claude Willame

mai 2016

En Afrique cen­trale, mais aus­si ailleurs, on parle beau­coup de l’alternance dans l’occupation de la fonc­tion pré­si­den­tielle comme condi­tion majeure si pas cen­trale de la démo­cra­ti­sa­tion du conti­nent. Au Rwan­da, au Congo-Braz­­za­­ville, en RDC comme au Burun­di, ce prin­cipe, ins­crit au cœur des Consti­tu­tions, est désor­mais remis en cause par des chefs d’État et leur […]

En Afrique cen­trale, mais aus­si ailleurs, on parle beau­coup de l’alternance dans l’occupation de la fonc­tion pré­si­den­tielle comme condi­tion majeure si pas cen­trale de la démo­cra­ti­sa­tion du continent.

Au Rwan­da, au Congo-Braz­za­ville, en RDC comme au Burun­di, ce prin­cipe, ins­crit au cœur des Consti­tu­tions, est désor­mais remis en cause par des chefs d’État et leur entou­rage qui invoquent le plus sou­vent le pri­mat de la « sou­ve­rai­ne­té inter­na­tio­nale » pour résis­ter à ce qui est consi­dé­ré comme un oukase inacceptable.

Le cas de l’Afrique centrale

Le contexte de cette remise en ques­tion et la manière dont elle a été opé­rée méritent tou­te­fois d’être expli­ci­tés. Ain­si, au Rwan­da, le régime et son chef, qui n’a pas été tou­jours un pré­sident de la Répu­blique élu, tiennent les rênes du pou­voir depuis plus de vingt ans. Ils ont su très habi­le­ment uti­li­ser le géno­cide de 1994 pour faire taire toute voix dis­cor­dante, notam­ment sur un fait eth­nique hutu-tut­si sys­té­ma­ti­que­ment nié, tout en recons­trui­sant un pays selon les normes for­melles appré­ciées par la « com­mu­nau­té inter­na­tio­nale ». Absence de cor­rup­tion ouverte, règne de la loi et l’ordre, cham­pion toute caté­go­rie de la pari­té homme-femme, édi­fi­ca­tion d’une capi­tale modèle, réseau rou­tier impec­cable, tapis rouge dérou­lé devant les inves­tis­seurs, le Rwan­da, qui entend deve­nir le Sin­ga­pour d’Afrique, est clas­sé dans les pre­miers rangs du clas­se­ment « Doing Busi­ness » de la Banque mondiale.

Dans le même temps, ce régime auto­ri­taire fait clai­re­ment savoir qu’il n’a aucune leçon, ni aucune « direc­tive » à rece­voir de la part d’un Occi­dent dont il se com­plait à rap­pe­ler sou­vent l’empreinte « colo­nia­liste ». Juri­di­que­ment et for­mel­le­ment, il n’y a effec­ti­ve­ment rien à redire à un réfé­ren­dum tenu en décembre 2015 qui, voté à près de 99%, auto­rise Paul Kagame à pro­lon­ger son man­dat de sept ans en 2017, puis de deux man­dats de cinq ans par la suite. L’intéressé rejoin­dra ain­si la nomen­cla­ture des poten­tats qui, de Robert Mugabe au Zim­babwe à Yowe­ri Muse­ve­ni en Ougan­da, auront eu les plus longues car­rières pré­si­den­tielles en Afrique. Les États-Unis, son allié tra­di­tion­nel, ont été bien seuls à le mettre en garde contre ces chefs d’État qui jugent qu’ils sont « indis­pen­sables » à la tête de leur pays.

Autre pays, autre contexte. Au Burun­di, on a pu pen­ser que la classe diri­geante avait réus­si à sur­mon­ter ses six crises inter­eth­niques dont l’une, en 1972, avait déra­pé en un véri­table géno­cide de Hutu. Sous la hou­lette de Nel­son Man­de­la, l’accord d’Arusha contre­si­gné par toutes les par­ties en conflit en aout 2000 — mais pas Pierre Nku­run­zi­za qui n’en était pas — a mis une fin que l’on esti­mait défi­ni­tive à la der­nière guerre civile com­men­cée en 1993 en impo­sant un sys­tème de quo­tas eth­niques com­plexes : 60% de Hutu et 40% de Tut­si dans l’administration publique ; 50%-50% dans la force de sécu­ri­té ; 67%-33% de Hutu-Tut­si dans l’administration com­mu­nale ; 50%-50% au Sénat ; trois Twa à l’Assemblée natio­nale et au Sénat et au moins 30% de femmes dans les dif­fé­rentes ins­ti­tu­tions publiques et administratives.

Mais l’accord d’Arusha avait aus­si enté­ri­né une alter­nance au pou­voir en pré­voyant comme au Rwan­da et en RDC l’élection au suf­frage uni­ver­sel d’un pré­sident de la Répu­blique pour un man­dat de cinq ans renou­ve­lable une fois. À titre excep­tion­nel tou­te­fois, le pre­mier chef d’État de la période post-tran­si­tion, Pierre Nku­run­zi­za, chef mili­taire du mou­ve­ment rebelle hutu FDD, « était élu par l’Assemblée natio­nale et le Sénat réunis en congrès à la majo­ri­té des deux tiers des membres du Par­le­ment ». C’est bien de cette excep­tion dont vou­lut se pré­va­loir le pré­sident Nku­run­zi­za, réélu une seconde fois en 2010, déjà dans un contexte de ten­sions, de boy­cotts et d’arrestations d’opposants, pour repo­ser sa can­di­da­ture en 2015 après avoir raté (en mars 2014) à une voix près une modi­fi­ca­tion de la Consti­tu­tion qui lui per­mette de se repré­sen­ter. En mai 2015, la Cour consti­tu­tion­nelle vint à son secours en argüant pré­ci­sé­ment de l’«exception » que consti­tuait l’élection de 2005 : selon son inter­pré­ta­tion, le man­dat obte­nu (en 2005) était « un man­dat spé­cial », déro­ga­toire aux dis­po­si­tions de l’article de la Consti­tu­tion qui limi­tait le nombre des man­dats pré­si­den­tiels. Pierre Nku­run­zi­za se lan­ça donc à nou­veau dans la course pré­si­den­tielle et, en juillet 2015, obtint dès le pre­mier tour près de 70% des suf­frages avec une par­ti­ci­pa­tion au scru­tin qua­li­fiée de « moyenne » par les observateurs.

Le règne de Pierre Nku­run­zi­za ne peut se pré­va­loir de résul­tats « à la rwan­daise ». Popu­laire sur les col­lines et extra­ver­ti à l’inverse d’un Paul Kagame, il passe beau­coup de temps à jouer au foot­ball et à orga­ni­ser des groupes de prières, lui qui est per­sua­dé d’avoir été mis par Dieu à la tête de l’État, mais aus­si à assoir son auto­ri­té par le biais d’une milice dont beau­coup de membres sont issus de son ancien maquis de chef de guerre, les fameux Imbo­ne­ra­kure. Dans plu­sieurs quar­tiers de la capi­tale et aux alen­tours, les choses se passent autre­ment, sur­tout depuis une ten­ta­tive de putsch mili­taire avor­tée à Bujum­bu­ra en mai 2015. Ici, jets de gre­nade, dis­pa­ri­tions, décou­vertes de fosses com­munes et assas­si­nats ciblés sont mon­naie cou­rante sans que l’on sache qui en sont les auteurs. Ici aus­si, la diplo­ma­tie onu­sienne et afri­caine s’est enrayée : le déploie­ment d’une force d’interposition a été caté­go­ri­que­ment refu­sé par le pou­voir, tan­dis que le « dia­logue inclu­sif » exi­gé par ces diplo­ma­ties reste pra­ti­que­ment lettre morte. Résul­tat (pro­vi­soire): plu­sieurs cen­taines de morts et 250.000 réfu­giés dans les pays voisins.

En RDC, on se trouve en pré­sence d’un autre cas de figure. La Consti­tu­tion de 2006 est beau­coup plus contrai­gnante : le nombre et la durée des man­dats du pré­sident de la Répu­blique, fixée à cinq ans, ne peuvent faire l’objet d’aucune révi­sion consti­tu­tion­nelle que ce soit par réfé­ren­dum ou autre­ment. C’est clair et net : Joseph Kabi­la doit donc quit­ter sa fonc­tion en décembre 2016. Et pour­tant, ce pré­sident, qui, dépour­vu du cha­risme de ses pré­dé­ces­seurs, ne peut lui non plus se pré­va­loir d’un bilan très satis­fai­sant, se tait dans toutes les langues à ce sujet. C’est que la tenue à l’échéance fixée d’élections cor­rectes au suf­frage uni­ver­sel, qu’elles soient pré­si­den­tielles, légis­la­tives, pro­vin­ciales ou autres, est dif­fi­ci­le­ment cré­dible comme l’a d’ailleurs recon­nu offi­ciel­le­ment la Com­mis­sion élec­to­rale. Depuis les scru­tins de 2011, qui avaient été lar­ge­ment bâclés, rien n’a été fait pour révi­ser et tenir à jour un fichier élec­to­ral accep­table dans un pays-conti­nent où la débrouille est éri­gée en sys­tème, mais où, très para­doxa­le­ment, l’on tient à être léga­liste à tout prix.

Alors, le pré­sident et son entou­rage ont ima­gi­né la tenue d’un « dia­logue natio­nal », dont la date n’est tou­jours pas fixée à huit mois des élec­tions légis­la­tives et pré­si­den­tielles, pour débattre du pro­ces­sus élec­to­ral et de la manière de sur­mon­ter des impos­si­bi­li­tés. Ici aus­si, la diplo­ma­tie inter­na­tio­nale se retrouve prise à contre­pied : on sou­tient d’une part l’organisation d’un dia­logue qui pour­rait remettre en cause la date des élec­tions et d’autre part le res­pect d’une Consti­tu­tion et donc des échéances qu’elle a fixées pour le départ de Joseph Kabila.

La Répu­blique du Congo voi­sine pour­rait don­ner des idées à ce der­nier et à ses sou­tiens. Ici, on y a été plus car­ré­ment : l’interdiction d’exercer plus de deux man­dats et la limite d’âge ins­crites dans la Consti­tu­tion de 2002 que le pré­sident Sas­sou-Ngues­so avait rédi­gée avec ses col­la­bo­ra­teurs ont été allè­gre­ment jetées au panier par ce même pré­sident à l’issue d’un réfé­ren­dum tenu en octobre 2015 au pré­texte que l’on pas­se­rait d’un régime pré­si­den­tiel à un régime semi-par­le­men­taire. Reve­nu au pou­voir par les armes en 1997 à l’issue d’une vio­lente guerre civile, ce der­nier, qui avait diri­gé le Congo de 1979 à 1992, cumule plus de trente-et-un ans à la tête d’un pays mar­qué par de nom­breux scan­dales liés au pétrole. Il n’y aura aucune mis­sion d’observation élec­to­rale digne de ce nom pour enté­ri­ner sa récente vic­toire récentes élec­tions présidentielles.

Une question impertinente

Dans ces quatre cas, l’alternance au pou­voir comme enjeu de démo­cra­tie soit n’est plus de mise, soit pour­rait ne plus l’être à terme. Mais au fond, est-ce vrai­ment pro­blé­ma­tique ? Répondre à cette ques­tion qui paraît imper­ti­nente à pre­mière vue revient à reprendre posi­tion sur les condi­tion­na­li­tés qui sous-tendent le concept et le bon fonc­tion­ne­ment de la démo­cra­tie. Car il ne faut pas confondre la forme et le fond. Même si au moins une tren­taine de pays membres du Conseil de l’Europe ain­si que des pays qui n’en font pas par­tie connaissent des sys­tèmes de res­tric­tions tem­po­relles en matière de réélec­tion, la durée du main­tien au pou­voir n’est pas en soi le pro­blème : c’est bien en défi­ni­tive la manière dont il est exer­cé qui importe, d’autant plus que cer­tains pays qui appliquent ces res­tric­tions sont poin­tés comme pro­blé­ma­tiques en termes de démocratie.

Dans les pays d’Afrique cen­trale cités dans cette contri­bu­tion, la « com­mu­nau­té inter­na­tio­nale », qui se veut por­teuse de la démo­cra­ti­sa­tion du conti­nent, s’est par­fois lais­sée obsé­der par les pres­crits consti­tu­tion­nels en matière de durée des man­dats en ne se cen­trant que pour mémoire sur les dérives de long terme propres à ces régimes. Cor­rup­tion for­te­ment res­sen­tie des ser­vices publics au Burun­di et en RDC, har­cè­le­ments et inti­mi­da­tions fré­quentes à l’encontre d’opposants ou de mou­ve­ments citoyens dans les trois cas, impu­ni­té géné­ra­li­sée des acteurs armés en matière de viols et d’exactions en RDC et au Burun­di, presse et ONG indé­pen­dantes muse­lées au Burun­di et au Rwan­da, absence de toute ouver­ture poli­tique à tra­vers un mono­par­tisme de fait au Rwan­da, la liste est longue de ces man­que­ments de la part d’oligarchies poli­tiques dont la tête n’est pas seule en cause. Et il n’y a aucune rai­son de pen­ser qu’à prio­ri le chan­ge­ment au som­met de l’État entrai­ne­rait des chan­ge­ments sub­stan­tiels de comportement.

Il est vrai que l’Afrique sub­sa­ha­rienne n’est plus véri­ta­ble­ment à l’agenda inter­na­tio­nal, sauf lorsqu’il s’agit du « ter­ro­risme musul­man » de l’AQMI en Afrique occi­den­tale ou des she­babs en Soma­lie. Elle a été depuis cinq ans sup­plan­tée par l’effondrement catas­tro­phique d’une large par­tie du Moyen-Orient où ce sont le ter­ro­risme d’État (Syrie) et celui de bandes armées (État isla­mique) qui y sont ins­crits et de manière sans doute durable. Ici, la pro­blé­ma­tique de l’alternance ou pas au pou­voir se conjugue dans une autre dimen­sion : celle de bombes lar­guées par un État sur sa popu­la­tion et celle d’un « cali­fat » se livrant sur son ter­ri­toire et ailleurs à des déca­pi­ta­tions indis­cri­mi­nées com­mises au nom de croyances dévoyées. Ici aus­si, des ins­ti­tu­tions inter­na­tio­nales para­ly­sées ne sont capables que d’exprimer des condam­na­tions assor­ties de menaces qui n’ont pas d’effet. Le Conseil de sécu­ri­té des Nations unies est pris en tenaille entre des puis­sances rivales qui rejouent à la guerre froide, tan­dis que l’Europe, cette fois mena­cée à l’intérieur et inca­pable de gérer digne­ment le flux de migrants qui sont à sa porte, se déclare en état de guerre ou d’urgence pen­dant que d’innombrables bavar­dages sur l’islamophobie (et l’antisionisme) se déchainent sur la toile.

Le primat de la limitation du pouvoir : oui, mais comment ?

Dans une mon­dia­li­sa­tion en trompe‑l’œil, il y a incon­tes­ta­ble­ment quelque chose qui ne tourne plus rond dans le sys­tème de média­tion inter­na­tio­nale alors que l’on a cru un moment à la mon­tée en phase du soft power et du consen­sus uni­ver­sel sur la démo­cra­tie célé­brée naguère par l’auteur de la Fin de l’histoire, Fran­cis Fukuyama.

On ne se conten­te­ra pas du confor­misme péremp­toire qui, chez les vieux mar­xistes d’ici comme chez les por­te­voix des auto­crates de là-bas, consiste à mon­trer du doigt l’«impérialisme occi­den­tal » ain­si que les colo­nia­lismes et mises sous tutelle dont l’Histoire a accou­ché en Afrique comme ailleurs. En fait, c’est bien la ques­tion du pou­voir et de ses limi­ta­tions — et donc pas seule­ment de son alter­nance — qui doit inter­pe­ler, ain­si qu’Alain Tou­raine le sou­li­gnait déjà il y a plus de vingt ans. « Aucun prin­cipe, écri­vait-il alors, n’a d’importance plus cen­trale dans l’idée démo­cra­tique que celui de la limi­ta­tion de l’État1 ».

Cette limi­ta­tion ne s’applique pas aux seuls Kabi­la, Nku­run­zi­za, Kagame et autre Sas­sou-Ngues­so ain­si qu’à leur entou­rage qui évo­luent dans un cli­mat d’hubris fina­le­ment rava­geur. Elle parle ou devrait par­ler aus­si à nos gou­ver­nants qui, à force de se com­plaire dans le bain de la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive, ont remi­sé au pla­card sa dimen­sion déli­bé­ra­tive et par­ti­ci­pa­tive. Avec pour résul­tats, un manque de cou­rage de poli­tiques qui, par com­mu­ni­cants inter­po­sés, surfent tan­tôt sur les peurs, tan­tôt sur des com­mu­nau­ta­rismes dégui­sés, tan­tôt sur l’exaltation de la nation. Et avec comme consé­quences, la mon­tée des extrêmes, des « tirs sur tout ce qui bouge », de l’«anti-systémisme » ou pire de l’indifférence et de la tech­no­cra­ti­sa­tion des comportements.

Par rap­port à ces dérives, on ne le sou­li­gne­ra jamais assez : il faut réen­chan­ter le poli­tique à tra­vers des média­tions qui ne soient plus domi­nées par des appa­reils sociaux et poli­tiques figés dans les dogmes de la repré­sen­ta­tion ou de « droits acquis » et qui, dans nos socié­tés post­in­dus­trielles sans plus de crois­sance signi­fi­ca­tive, se posi­tionnent par rap­port à un pas­sé qui n’existe plus (Alain Tou­raine). « La colère, la décep­tion, la haine même sont par­tout répan­dues, écri­vait il y a peu le même Alain Tou­raine, et la rup­ture la plus pro­fonde est celle qui sépare la popu­la­tion du monde poli­tique et de l’État. Ce que nous vivons à un niveau extrême est une crise de citoyen­ne­té, ce qui est plus pro­fond qu’une crise poli­tique. Nous souf­frons de n’avoir à choi­sir qu’entre une absence de pro­jets et des formes dif­fé­rentes d’échecs2. »

Des ini­tia­tives citoyennes éma­nant le plus sou­vent de la socié­té civile répondent oppor­tu­né­ment et un peu par­tout à cette colère. Dans une Europe qui se vide de sa sub­stance, elles se sont expri­mées, non plus par l’intermédiaire de « nou­veaux par­tis » qui, en Grèce et en Espagne, se divisent sur des ques­tions de pou­voir, mais au tra­vers de mul­tiples pla­te­formes apo­li­tiques d’aide aux réfu­giés qui se sont mul­ti­pliées en Bel­gique, en France, en Alle­magne et ailleurs, alors que les gou­ver­nants se débar­ras­saient du pro­blème en don­nant leur aval à un mar­chan­dage qui démontre le déli­te­ment du Conseil euro­péen. On men­tion­ne­ra aus­si les expé­riences de démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive qui ont mon­tré, à tra­vers l’exemple de l’Irlande3, que la démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive n’était pas une uto­pie ou, dans le domaine socioé­co­no­mique, celui de l’allocation uni­ver­selle expé­ri­men­tée aus­si bien aux États-Unis, au Cana­da et en Suisse qu’en Fin­lande, en Inde ou en Iran et qui tente de sor­tir de cer­taines rigi­di­tés de la sacro-sainte sécu­ri­té sociale.

En Afrique, des expé­ri­men­ta­tions nou­velles en matière de démo­cra­tie ne sont pas non plus absentes. Elles sont por­tées par les artistes et les intel­lec­tuels du « Balai citoyen » au Bur­ki­na-Faso, de « Filim­bi » (sif­flet en swa­hi­li) en RDC, de la « Lucha » au Kivu, de « Y en a marre » au Séné­gal et d’autres col­lec­tifs qui se struc­turent au Gabon, au Came­roun, en Gui­née-Équa­to­riale ou au Zim­babwe. Récla­mant une démo­cra­tie qui ne soit pas en trompe‑l’œil, ils repré­sentent une nou­velle vague de jeunes mili­tants qui entre­tiennent des rela­tions étroites à tra­vers l’explosion des échanges numé­riques qui ont chan­gé le monde en pro­fon­deur, ain­si qu’à tra­vers les tech­niques de mobi­li­sa­tion, de sen­si­bi­li­sa­tion élec­to­rale et autres méthodes d’action non violente.

Et si on com­men­çait par cet angle d’attaque au réen­chan­te­ment en écou­tant ici ces mou­ve­ments au lieu de les igno­rer de manière arro­gante, voire de les empri­son­ner là-bas au nom d’une « atteinte à la sureté natio­nale » ou d’«insultes à des chefs d’États » par ailleurs mal en point. Ce ne sera pas évident car, ici autant que là-bas, il fau­dra affron­ter un clien­té­lisme sys­té­mique qui entraine la socié­té poli­tique vers le bas en ce qu’elle empêche le sujet d’être acteur de son his­toire pour reprendre à nou­veau un pro­pos d’Alain Touraine.

  1. Tou­raine A., Qu’est-ce que la démo­cra­tie ?, Fayard, 1994, p. 57.
  2. Cité dans La Tri­bune, 23 sep­tembre 2014.
  3. « Dans ce pays, mis à genoux par la crise de ses banques, des mou­ve­ments sociaux mas­sifs ont contraint le gou­ver­ne­ment à démis­sion­ner. Deux assem­blées citoyennes tirées au sort ont été orga­ni­sées, la pre­mière à l’initiative du mou­ve­ment social, la seconde sous l’impulsion du nou­veau gou­ver­ne­ment, pour repen­ser les bases sur les­quelles le pays pou­vait se refon­der et pro­po­ser les axes de réforme de la Consti­tu­tion. » Voir La Libre Bel­gique, 24 jan­vier 2013.

Jean-Claude Willame


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