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L’allègement fiscal moins efficace qu’une valorisation sociale
Il n’est pas faux d’affirmer qu’en allégeant les impôts on encourage la croissance de la consommation donc de l’activité économique, mais c’est moins automatique que ne l’affirme le gouvernement en défendant sa dernière réforme fiscale. Ainsi, plus les revenus sont élevés et moins l’allègement fiscal se retrouve dans une croissance de la consommation. Ce sont les placements financiers qui en profitent surtout. Par contre, lorsqu’on accroit d’autant les allocations sociales — notamment les revenus de remplacements — qui se retrouvent dans les ménages à revenus faibles, la quasi-totalité (de 80 % à 90 %) se retrouve dans la consommation. Si on veut relancer l’activité économique, c’est moins par l’allègement fiscal que par l’augmentation des allocations sociales qu’il faut utiliser les moyens dont dispose l’État.
Même pour un homme (ou une femme) politique conservateur, il est malaisé de présenter la réforme fiscale sans l’habiller d’arguments économiques. Alors qu’en pratique, il s’agit surtout de satisfaire une part plus ou moins importante d’électeurs qui estiment que leur charge fiscale est trop lourde — la plupart oubliant au passage les « effets de retour » dont ils peuvent bénéficier (les pouvoirs publics contrairement aux compagnies d’assurances, par exemple, n’aspirent pas à accroitre ou leurs profits ou leur patrimoine) — on avance, à l’appui des réformes fiscales, des arguments économiques et d’intérêt général. À entendre les gouvernants, notamment le ministre des Finances, l’allègement des impôts viserait surtout à soutenir la croissance de l’activité économique en stimulant la consommation. Ce faisant, on transforme une opération d’intérêts privés — et électoraux — en une sorte de mission d’intérêt général, tout le monde ayant évidemment intérêt à ce que l’activité économique reste en croissance.
On ne peut évidemment pas nier que plus le revenu disponible — donc net de charges diverses ; et par charges diverses, il faut entendre non seulement les impôts, les cotisations sociales diverses et les dépenses nécessaires ou obligatoires telles celles liées au logement, aux assurances, à la santé — est élevé, plus les ménages dépenseront. Mais c’est à la fois vrai et faux. Oui, il y a une relation entre le montant des revenus des ménages et le volume de leurs consommations ; non, cette relation n’est pas parallèle. C’est nettement vrai pour la grosse moitié des ménages belges, dont le niveau des revenus correspond pratiquement au volume de leurs consommations, mais ce l’est d’autant moins que les revenus ménagers sont élevés.
On a pu s’en rendre compte à l’occasion de l’analyse d’une des dernières enquêtes portant sur les revenus et les dépenses des ménages effectuées par l’Institut national de statistique aux fins de revoir la liste des produits déterminant le rythme d’évolution des prix.
La dernière enquête publiée portait sur les dépenses répertoriées par 2 724 ménages représentatifs de toutes les classes sociales, des niveaux de revenus, des statuts professionnels et de toutes les régions du pays. Il s’agissait des budgets ménagers des années 1995 – 19961. Cela commence à dater un peu mais, à l’analyse des mêmes enquêtes effectuées par le passé, les données qui nous intéressent par rapport à la question posée ici restent parfaitement fiables par rapport à notre question de base : comment réagissent les ménages lorsque leur pouvoir d’achat augmente ?
Pour les ménages dont le revenu est égal ou inférieur à la moyenne nationale, toute augmentation se retrouve d’abord dans une croissance de la consommation et dans la réduction de l’endettement. Pour les 30 % des ménages les moins bien lotis, il n’y a quasiment pas de place pour l’épargne, pour le placement d’un surplus.
L’épargne capitalisation
Il faut dépasser la barre des septante pour cent des ménages, classés par ordre d’importance de leurs revenus, pour que l’épargne-capitalisation2 dépasse les 100 000 francs. La part de ces placements se fait d’autant plus importante que les augmentations des revenus sont importantes. Dans le septième décile, la croissance des revenus, par rapport à ceux du sixième, est de 17 % mais le montant capitalisé va quasiment doubler : il augmente de 91 %! Le taux d’épargne de ces ménages monte à 16,5 %. Tout en haut de l’échelle des revenus, pour une croissance du disponible de 10 %, la part de la capitalisation est de 5,3 %.
Les taux d’épargne-capitalisation constatés dans cette enquête (qui excluait, dans les revenus dont les ménages disposent pour leurs dépenses, les revenus de leurs éventuels placements financiers : les ménages belges, quels qu’ils soient, répugnent à évoquer l’importance de leur patrimoine) passaient ainsi de 4,5 % dans le groupe du troisième décile, à 5,5 % dans le quatrième, 7,1 % dans le cinquième, 10,1 % dans le sixième, 16,5 % dans le septième, 16,7 % dans le huitième pour s’emballer à 22 % dans le neuvième et à 31,5 % dans le dixième, au sommet de la pyramide.
Cela veut dire, clairement, qu’en réduisant considérablement le prélèvement sur les revenus élevés, on relance beaucoup moins la consommation ménagère qu’en permettant un accroissement des revenus faibles et moyens dans lesquels les allocations sociales (notamment les allocations familiales et les revenus de remplacement venant des allocations de maladie, de chômage ainsi que les petites et moyennes pensions) occupent une place importante.
Dès lors, le rendement économique est d’autant plus vif qu’on privilégie les transferts sociaux. Toute augmentation des allocations sociales se retrouve à 80 – 90 % dans la consommation ; pour le plafonnement du prélèvement fiscal par exemple dont bénéficient essentiellement les revenus les plus élevés, le rendement est inférieur à 50 %, la part la plus importante du bénéfice fiscal ainsi obtenu se retrouvant dans les opérations financières. On en convient, celles-ci peuvent parfois se révéler assez désastreuses mais, à l’échelle des vingt dernières années, elles ont gonflé considérablement le patrimoine des ménages les mieux dotés et ce, malgré le désenchantement boursier de l’année 2002.
Dès lors, si l’on veut vraiment relancer la consommation des ménages, il s’agit moins d’alléger les impôts que de valoriser les allocations sociales. Mais, moins on paie d’impôts et de cotisations sociales et plus on est content tandis que plus on touche, plus on trouve « qu’on y a droit ». Un euro prélevé a toujours, psychologiquement parlant, plus de valeur que deux euros touchés. Voilà pourquoi un gouvernement dit du centre, ou plutôt orienté à droite, privilégiera toujours une réforme fiscale, fût-elle socialement moins inéquitable que par le passé, à une valorisation sociale même si, économiquement, c’est moins efficace.
- « Revenus disponibles et dépenses des ménages », Courrier hebdomadaire du Crisp, n° 1574 – 1575.
- Nous utilisons l’expression « épargne-capitalisation » parce que l’épargne constitue, d’un point de vue strictement économique, une consommation différée : on épargne en vue de s’acheter quelque chose. Or, nous constatons que le surplus non consommé n’est pas dépensé par la suite mais gonfle des placements, qui se retrouvent dans la bulle financière et non sur le marché des biens et services.