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L’allègement fiscal moins efficace qu’une valorisation sociale

Numéro 3 Mars 2003 par Jos Schoonbroodt

mars 2003

Il n’est pas faux d’af­fir­mer qu’en allé­geant les impôts on encou­rage la crois­sance de la consom­ma­tion donc de l’ac­ti­vi­té éco­no­mique, mais c’est moins auto­ma­tique que ne l’af­firme le gou­ver­ne­ment en défen­dant sa der­nière réforme fis­cale. Ain­si, plus les reve­nus sont éle­vés et moins l’al­lè­ge­ment fis­cal se retrouve dans une crois­sance de la consom­ma­tion. Ce sont les pla­ce­ments finan­ciers qui en pro­fitent sur­tout. Par contre, lors­qu’on accroit d’au­tant les allo­ca­tions sociales — notam­ment les reve­nus de rem­pla­ce­ments — qui se retrouvent dans les ménages à reve­nus faibles, la qua­si-tota­li­té (de 80 % à 90 %) se retrouve dans la consom­ma­tion. Si on veut relan­cer l’ac­ti­vi­té éco­no­mique, c’est moins par l’al­lè­ge­ment fis­cal que par l’aug­men­ta­tion des allo­ca­tions sociales qu’il faut uti­li­ser les moyens dont dis­pose l’État.

Même pour un homme (ou une femme) poli­tique conser­va­teur, il est mal­ai­sé de pré­sen­ter la réforme fis­cale sans l’ha­biller d’ar­gu­ments éco­no­miques. Alors qu’en pra­tique, il s’a­git sur­tout de satis­faire une part plus ou moins impor­tante d’é­lec­teurs qui estiment que leur charge fis­cale est trop lourde — la plu­part oubliant au pas­sage les « effets de retour » dont ils peuvent béné­fi­cier (les pou­voirs publics contrai­re­ment aux com­pa­gnies d’as­su­rances, par exemple, n’as­pirent pas à accroitre ou leurs pro­fits ou leur patri­moine) — on avance, à l’ap­pui des réformes fis­cales, des argu­ments éco­no­miques et d’in­té­rêt géné­ral. À entendre les gou­ver­nants, notam­ment le ministre des Finances, l’al­lè­ge­ment des impôts vise­rait sur­tout à sou­te­nir la crois­sance de l’ac­ti­vi­té éco­no­mique en sti­mu­lant la consom­ma­tion. Ce fai­sant, on trans­forme une opé­ra­tion d’in­té­rêts pri­vés — et élec­to­raux — en une sorte de mis­sion d’in­té­rêt géné­ral, tout le monde ayant évi­dem­ment inté­rêt à ce que l’ac­ti­vi­té éco­no­mique reste en croissance.

On ne peut évi­dem­ment pas nier que plus le reve­nu dis­po­nible — donc net de charges diverses ; et par charges diverses, il faut entendre non seule­ment les impôts, les coti­sa­tions sociales diverses et les dépenses néces­saires ou obli­ga­toires telles celles liées au loge­ment, aux assu­rances, à la san­té — est éle­vé, plus les ménages dépen­se­ront. Mais c’est à la fois vrai et faux. Oui, il y a une rela­tion entre le mon­tant des reve­nus des ménages et le volume de leurs consom­ma­tions ; non, cette rela­tion n’est pas paral­lèle. C’est net­te­ment vrai pour la grosse moi­tié des ménages belges, dont le niveau des reve­nus cor­res­pond pra­ti­que­ment au volume de leurs consom­ma­tions, mais ce l’est d’au­tant moins que les reve­nus ména­gers sont élevés.

On a pu s’en rendre compte à l’oc­ca­sion de l’a­na­lyse d’une des der­nières enquêtes por­tant sur les reve­nus et les dépenses des ménages effec­tuées par l’Ins­ti­tut natio­nal de sta­tis­tique aux fins de revoir la liste des pro­duits déter­mi­nant le rythme d’é­vo­lu­tion des prix.

La der­nière enquête publiée por­tait sur les dépenses réper­to­riées par 2 724 ménages repré­sen­ta­tifs de toutes les classes sociales, des niveaux de reve­nus, des sta­tuts pro­fes­sion­nels et de toutes les régions du pays. Il s’a­gis­sait des bud­gets ména­gers des années 1995 – 19961. Cela com­mence à dater un peu mais, à l’a­na­lyse des mêmes enquêtes effec­tuées par le pas­sé, les don­nées qui nous inté­ressent par rap­port à la ques­tion posée ici res­tent par­fai­te­ment fiables par rap­port à notre ques­tion de base : com­ment réagissent les ménages lorsque leur pou­voir d’a­chat augmente ?

Pour les ménages dont le reve­nu est égal ou infé­rieur à la moyenne natio­nale, toute aug­men­ta­tion se retrouve d’a­bord dans une crois­sance de la consom­ma­tion et dans la réduc­tion de l’en­det­te­ment. Pour les 30 % des ménages les moins bien lotis, il n’y a qua­si­ment pas de place pour l’é­pargne, pour le pla­ce­ment d’un surplus.

L’épargne capitalisation

Il faut dépas­ser la barre des sep­tante pour cent des ménages, clas­sés par ordre d’im­por­tance de leurs reve­nus, pour que l’é­pargne-capi­ta­li­sa­tion2 dépasse les 100 000 francs. La part de ces pla­ce­ments se fait d’au­tant plus impor­tante que les aug­men­ta­tions des reve­nus sont impor­tantes. Dans le sep­tième décile, la crois­sance des reve­nus, par rap­port à ceux du sixième, est de 17 % mais le mon­tant capi­ta­li­sé va qua­si­ment dou­bler : il aug­mente de 91 %! Le taux d’é­pargne de ces ménages monte à 16,5 %. Tout en haut de l’é­chelle des reve­nus, pour une crois­sance du dis­po­nible de 10 %, la part de la capi­ta­li­sa­tion est de 5,3 %.

Les taux d’é­pargne-capi­ta­li­sa­tion consta­tés dans cette enquête (qui excluait, dans les reve­nus dont les ménages dis­posent pour leurs dépenses, les reve­nus de leurs éven­tuels pla­ce­ments finan­ciers : les ménages belges, quels qu’ils soient, répugnent à évo­quer l’im­por­tance de leur patri­moine) pas­saient ain­si de 4,5 % dans le groupe du troi­sième décile, à 5,5 % dans le qua­trième, 7,1 % dans le cin­quième, 10,1 % dans le sixième, 16,5 % dans le sep­tième, 16,7 % dans le hui­tième pour s’emballer à 22 % dans le neu­vième et à 31,5 % dans le dixième, au som­met de la pyramide.

Cela veut dire, clai­re­ment, qu’en rédui­sant consi­dé­ra­ble­ment le pré­lè­ve­ment sur les reve­nus éle­vés, on relance beau­coup moins la consom­ma­tion ména­gère qu’en per­met­tant un accrois­se­ment des reve­nus faibles et moyens dans les­quels les allo­ca­tions sociales (notam­ment les allo­ca­tions fami­liales et les reve­nus de rem­pla­ce­ment venant des allo­ca­tions de mala­die, de chô­mage ain­si que les petites et moyennes pen­sions) occupent une place importante.

Dès lors, le ren­de­ment éco­no­mique est d’au­tant plus vif qu’on pri­vi­lé­gie les trans­ferts sociaux. Toute aug­men­ta­tion des allo­ca­tions sociales se retrouve à 80 – 90 % dans la consom­ma­tion ; pour le pla­fon­ne­ment du pré­lè­ve­ment fis­cal par exemple dont béné­fi­cient essen­tiel­le­ment les reve­nus les plus éle­vés, le ren­de­ment est infé­rieur à 50 %, la part la plus impor­tante du béné­fice fis­cal ain­si obte­nu se retrou­vant dans les opé­ra­tions finan­cières. On en convient, celles-ci peuvent par­fois se révé­ler assez désas­treuses mais, à l’é­chelle des vingt der­nières années, elles ont gon­flé consi­dé­ra­ble­ment le patri­moine des ménages les mieux dotés et ce, mal­gré le désen­chan­te­ment bour­sier de l’an­née 2002.

Dès lors, si l’on veut vrai­ment relan­cer la consom­ma­tion des ménages, il s’a­git moins d’al­lé­ger les impôts que de valo­ri­ser les allo­ca­tions sociales. Mais, moins on paie d’im­pôts et de coti­sa­tions sociales et plus on est content tan­dis que plus on touche, plus on trouve « qu’on y a droit ». Un euro pré­le­vé a tou­jours, psy­cho­lo­gi­que­ment par­lant, plus de valeur que deux euros tou­chés. Voi­là pour­quoi un gou­ver­ne­ment dit du centre, ou plu­tôt orien­té à droite, pri­vi­lé­gie­ra tou­jours une réforme fis­cale, fût-elle socia­le­ment moins inéqui­table que par le pas­sé, à une valo­ri­sa­tion sociale même si, éco­no­mi­que­ment, c’est moins efficace.

  1. « Reve­nus dis­po­nibles et dépenses des ménages », Cour­rier heb­do­ma­daire du Crisp, n° 1574 – 1575.
  2. Nous uti­li­sons l’ex­pres­sion « épargne-capi­ta­li­sa­tion » parce que l’é­pargne consti­tue, d’un point de vue stric­te­ment éco­no­mique, une consom­ma­tion dif­fé­rée : on épargne en vue de s’a­che­ter quelque chose. Or, nous consta­tons que le sur­plus non consom­mé n’est pas dépen­sé par la suite mais gonfle des pla­ce­ments, qui se retrouvent dans la bulle finan­cière et non sur le mar­ché des biens et services.

Jos Schoonbroodt


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