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L’acte de tuer, « docu-fiction » d’un massacre oublié

Numéro 1 janvier 2014 par Roland Baumann

janvier 2014

Mon­tré le prin­temps der­nier sur nos écrans et édi­té récem­ment en DVD avec le sou­tien d’Amnesty Inter­na­tio­nal et de la Ligue des droits de l’homme, L’acte de tuer (The Act of Killing) de Joshua Oppen­hei­mer est une oeuvre sur­pre­nante sur la mémoire des mas­sacres de 1965 – 1966 en Indo­né­sie. Un trou­blant « docu-fic­­tion » dont les pro­ta­go­nistes recons­ti­tuent les […]

Mon­tré le prin­temps der­nier sur nos écrans et édi­té récem­ment en DVD avec le sou­tien d’Amnesty Inter­na­tio­nal et de la Ligue des droits de l’homme, L’acte de tuer (The Act of Killing) de Joshua Oppen­hei­mer1 est une oeuvre sur­pre­nante sur la mémoire des mas­sacres de 1965 – 1966 en Indo­né­sie. Un trou­blant « docu-fic­tion » dont les pro­ta­go­nistes recons­ti­tuent les scènes de meurtres de masse aux­quels ils par­ti­ci­pèrent dans ce loin­tain pas­sé, « rejouant » devant la camé­ra les rituels de tor­ture et de mise à mort qu’ils fai­saient alors subir aux « com­mu­nistes » à Medan, grande ville du Nord de Suma­tra. Le très influent par­ti com­mu­niste indo­né­sien (PKI) était un des piliers du régime du pré­sident Sukar­no, père de l’indépendance et cham­pion des pays non ali­gnés. Une soi-disant ten­ta­tive de putsch mili­taire com­mu­niste le 30 sep­tembre 1965, fut sui­vie d’une cam­pagne de ter­reur « anti-PKI » dans tout l’archipel indo­né­sien. En quelques mois, de cinq-cent-mille à un mil­lion de membres ou « sym­pa­thi­sants » du PKI et de Sino- Indo­né­siens furent vic­times de meurtres de masse orches­trés par l’armée et les auto­ri­tés de l’État sous la direc­tion du géné­ral Suhar­to, qui, écar­tant vite Sukar­no du pou­voir, s’installa à la tête d’une dic­ta­ture mili­taire, ins­tau­rant un « Ordre nou­veau », favo­rable à l’Occident et au capi­ta­lisme international.

Véri­tables pro­ta­go­nistes du film d’Oppenheimer, Anwar et Her­man, sidé­rant duo de « gang­sters à la retraite », tueurs « ciné­philes » et incon­di­tion­nels d’Hollywood, évoquent com­ment ils s’inspiraient de leurs stars, Elvis, Mar­lon Bran­do ou Charl­ton Hes­ton lorsqu’ils « jouaient » leurs rôles de bour­reaux durant « l’extermination des com­mu­nistes ». Fiers de leurs crimes, com­mis à l’instigation de l’État, ils jouissent encore aujourd’hui de l’estime et du res­pect des auto­ri­tés et de la socié­té locale, et repro­duisent pour la camé­ra leurs gestes de tueurs avec autant de pré­ci­sion que de « pas­sion » ! Aujourd’hui, à Medan comme sur les plan­ta­tions de Suma­tra, les familles et proches des « com­mu­nistes » dis­pa­rus en 1965 – 1966 sont tou­jours dis­cri­mi­nés et ter­ro­ri­sés au quo­ti­dien. Domi­nant la vie sociale de la nation émer­gente, les bour­reaux et leurs enfants sont des « patriotes » hono­rés et par­mi les prin­ci­paux béné­fi­ciaires des bien­faits du « miracle éco­no­mique » indonésien.

  1. ZED dis­tri­bu­tion, www.theactofkilling.fr.

Roland Baumann


Auteur

Roland Baumann est historien d’art et ethnologue, professeur à l’Institut de radioélectricité et de cinématographie (Inraci), assistant à l’Université libre de Bruxelles (ULB).