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L’accord de Paris, multilatéralisme mou
La vingt-et-unième conférence de l’ONU sur le changement climatique a débouché sur un accord largement insuffisant face à la nécessité de ramener les émissions de gaz à effet de serre à zéro pourcent. Rio, en 1992, faisait preuve d’un souffle vigoureux, mais péchait par manque d’opérationalisation. Kyoto (1997) assignait des objectifs quantifés, mais à un nombre limité d’États qui jouissent d’une grande marge de manoeuvre. Les réunions qui suivent se traduiront par des marchandanges qui affaiblissent les objectifs. À Paris, l’impossibilité politique d’universaliser un système de contraintes conduit à une dynamique semblable à celle qui prévaut en matière de protection internationale des droits de l’homme et privilégie l’incitation à la contrainte et à la sanction. Cette politique « idéalisée » risque de n’être pas à la hauteur de l’enjeu dont tous les scientifiques reconnaissent l’urgence.
« Lorsque les historiens se pencheront sur cette journée, ils diront que la coopération mondiale pour assurer un avenir à l’abri des changements climatiques a pris une nouvelle tournure dramatique ici, à Paris. Aujourd’hui, nous pouvons regarder nos enfants et petits-enfants dans les yeux, et enfin leur dire que nous sommes unis pour leur léguer un monde plus habitable pour eux et pour les générations futures. »
Ban Ki-Moon, secrétaire général des Nations unies
Non sans lyrisme, bien des voix ont célébré le caractère « historique » de l’accord conclu à Paris. Gageons que ces voix ont surtout cherché à saluer la maestria de la diplomatie française et à se réjouir du fait que le système multilatéral des Nations unies soit toujours capable de décision. Pour le reste, les premières analyses indiquent que le caractère historique de l’accord ne réside en tous les cas pas dans son impact sur le climat puisque les efforts annoncés sont notoirement insuffisants. Peut-être la singularité historique de cet accord tient-elle en fait à la manière dont il organise la lutte internationale contre le réchauffement de la planète ? Ses principales caractéristiques tranchent en effet en bien des points avec le multilatéralisme idéal-typique du sommet de la terre de Rio en 1992, de même qu’elles le distinguent assez nettement de l’architecture du protocole de Kyoto. L’accord de Paris incarne un multilatéralisme, certes universel dans sa portée, mais atone dans son contenu. Il établit un cycle où des contributions nationales seront examinées périodiquement, mais il n’offre aucune certitude que les émissions des États maintiendront le réchauffement en deçà du seuil de dangerosité ultime tel qu’identifié par les scientifiques.
L’esprit de Rio : entre ambition et pragmatisme
Lorsque l’Assemblée générale des Nations unies a, en décembre 1989, adopté sa résolution « Protection du climat mondial pour les générations présentes et futures », elle a défini la finalité des négociations en insistant sur la nécessité d’«élaborer au plus vite une convention-cadre sur le climat, assortie de protocoles comportant des engagements concrets ». Il ne devait donc pas s’agir d’adopter un texte à portée déclaratoire, mais bien d’un instrument assorti d’obligations effectives. Signalons d’ailleurs que le texte invitait les gouvernements et les organisations internationales à créer des mécanismes de financement nouveaux pour doter les pays en développement de « ressources financières nouvelles et additionnelles ». Le texte « décide » également que l’«accès assuré des pays en développement aux techniques écologiquement rationnelles » et ses rapports avec les droits de propriété intellectuelle, devraient être étudiés dans le cadre de la préparation du texte de la convention-cadre. On voit sourdre de ce texte emblématique, une vision large sinon holistique de la question climat — qui est d’emblée formulée dans ses liens avec les inégalités internationales, mais on perçoit également un souci évident de concrétude face à l’urgence climatique.
Nourrie de ce souffle onusien particulièrement vigoureux en ces temps où le monde bipolaire était à l’agonie, la convention-cadre des Nations unies (CCNUCC) adoptée en 1992 a jeté les bases institutionnelles et normatives de la lutte internationale contre les changements climatiques. Elle a en effet créé la « Conférence des parties » qui se réunit annuellement pour mettre en œuvre les dispositions de la Convention. Elle a d’autre part énoncé l’objectif ultime de la Convention : « stabiliser les concentrations atmosphériques de gaz à effet de serre à un niveau compatible avec l’absence de perturbation anthropique dangereuse du système climatique ». Elle a également défini les principes recteurs et les engagements génériques qui doivent guider l’action des États contre le réchauffement. Parmi ceux-ci, le « principe des responsabilités communes mais différenciées » a justifié une architecture des engagements binaire. Les pays développés doivent d’une part adopter des mesures domestiques pour réduire leurs émissions et renforcer leurs puits de carbone. Ils doivent d’autre part fournir aux pays en développement des ressources financières « nouvelles et additionnelles » qui devraient être « prévisibles et adéquates ». Comme son nom l’indique, la CCNUCC a donc créé la matrice de la lutte internationale contre les changements climatiques, mais elle ne l’a pas véritablement opérationnalisée.
Portées sur les fonts baptismaux par l’ambition de doter l’humanité d’instruments efficaces de protection de l’environnement, les négociations de Rio se sont heurtées aux tensions entre développement économique et contraintes environnementales d’une part et à la difficulté de concilier souveraineté nationale et responsabilités partagées des gouvernements d’autre part. Fruit d’une négociation intergouvernementale réunissant près de cent-quatre-vingts pays, le texte finalement adopté reflète de fragiles équilibres et n’a pas véritablement matérialisé le besoin de concrétude exprimé par l’Assemblée générale.
Kyoto : une ambition limitée pour un nombre limité de pays
Pour passer à l’opérationnel, il a fallu doter le cadre de Rio d’un instrument juridique additionnel : le protocole de Kyoto de 1997. Kyoto est un protocole à la convention-cadre. Il traduit les dispositions générales de la CCNUCC en instruments opérationnels. Ainsi, le cœur de ce texte — l’article 3 — assigne-t-il aux pays développés (listés dans l’annexe 1 de la CCNUCC) de limiter leurs émissions à une quantité qui leur est attribuée pour la période 2008 – 2012 « en vue de réduire le total de leurs émissions […] d’au moins 5% par rapport au niveau de 1990 ». L’annexe B du protocole ventile cet objectif collectif en une série d’objectifs quantifiés que les pays développés parties au traité doivent respecter pour la première période d’engagement1.
La vérification des objectifs quantifiés repose sur un système précis de comptabilisation et, en cas de défaut, elle peut aboutir à la mise en marche d’un mécanisme de mise en conformité. La première caractéristique du protocole de Kyoto est donc de créer des objectifs quantifiés de réduction (ou de limitation) des émissions de gaz à effet de serre qui sont impératifs pour un groupe de pays durant une période de temps déterminée. En d’autres termes, avec Kyoto on sait qui va émettre quelle quantité de gaz dans un intervalle de cinq ans.
Si le protocole de Kyoto assigne à un nombre limité d’États des objectifs quantifiés à atteindre dans un calendrier précis, il leur laisse une grande latitude quant aux moyens à utiliser pour les atteindre. Les pays concernés peuvent naturellement mettre en place les mesures domestiques de leur choix, mais ils peuvent également échanger leurs quotas d’émissions entre eux, ou mettre en œuvre des projets conjoints. Le protocole a par ailleurs créé le « mécanisme pour un développement propre » qui permet aux pays développés d’utiliser des certificats de réduction d’émission générés par des projets de réduction d’émission de gaz à effet de serre sur le territoire des pays en développement. La très grande latitude laissée aux États quant aux moyens à utiliser a très tôt nourri le scepticisme de bien des observateurs quant à l’intégrité environnementale du traité, ou du moins de certaines de ses dispositions. Ainsi, les mécanismes de flexibilité ont notamment ouvert la porte à des projets au bénéfice pour le climat pour le moins incertain, permettant ainsi aux pays industrialisés parties de s’acquitter à bon compte de leurs obligations.
D’autres faiblesses intrinsèques ont été introduites dans le texte lors des négociations de 2001 qui ont précédé l’adoption des « accords de Marrakech » lesquels précisaient les modalités de mise en œuvre du protocole de Kyoto. Ces négociations d’apparence technique ont en réalité donné lieu à des marchandages peu honorables qui ont contribué à affaiblir considérablement le traité. La Russie, rendue arithmétiquement indispensable à l’entrée en vigueur du traité à la suite de la décision des États-Unis de ne pas le ratifier, a ainsi obtenu une quantité de quotas d’émission sans commune mesure avec ses émissions réelles. De la même manière, en matière de valorisation des activités forestières, elle a arraché des concessions aussi substantielles que douteuses. Le protocole de Kyoto a ainsi créé une situation de rente pour un certain nombre de pays (principalement Russie et Ukraine) dont les droits à émettre surpassaient très largement leurs émissions réelles (c’est le fameux « air chaud »). On peut ajouter à ce tableau peu glorieux des faiblesses et échappatoires un certain nombre de dérogations, des définitions imprécises qui réduisent significativement la portée réelle de l’objectif énoncé à l’article 3 du protocole.
Dix ans après son entrée en vigueur en 2005, ces lacunes intrinsèques apparaissent néanmoins subsidiaires au regard de la principale faiblesse du système Kyoto qui réside dans son manque d’universalité. D’une part, il demeure construit sur une catégorisation géopolitique qui ne correspond plus à la réalité économique contemporaine puisque seuls les pays considérés comme développés en 1992 (à savoir les pays de l’annexe 1) se voient assignés des objectifs de limitation de leurs émissions. Emblématique de cette marginalité du système Kyoto, aucune obligation de limitation de ses émissions n’échoit à la Chine, pourtant principal émetteur de CO2 en valeur absolue depuis dix ans. D’autre part, la non-ratification du texte par les États-Unis ainsi que le retrait du Canada, ou le refus du Japon et de la Russie d’accepter de nouveaux engagements au titre de la seconde période d’engagement, ont également porté atteinte à la crédibilité du système Kyoto. L’absence des principaux pays émetteurs du système d’obligations créé par l’article 3 du protocole de Kyoto rend celui-ci inefficace pour l’environnement et injuste économiquement. L’efficacité d’un traité international de lutte contre les changements climatiques dont les obligations ne couvrent qu’une quinzaine de pourcents des émissions mondiales de gaz à effet de serre est comparable à celle d’un traité de paix qui ne serait signé que par des belligérants secondaires.
Si les faiblesses et limites du protocole de Kyoto sont indéniables, il représente néanmoins la concrétisation imparfaite de l’ambition de doter la lutte internationale contre les changements climatiques d’un traité avec des dents : des objectifs quantifiés calculés sur une base commune, un calendrier précis, des modalités de comptabilisation standardisées et un mécanisme de mise en conformité. La grande réticence des États-Unis à se lier à des traités internationaux contraignants, de même que le refus des pays émergents d’accepter d’intégrer le même régime d’obligations que celui des pays développés, expliquent en grande partie pourquoi le modèle Kyoto n’a pas servi de matrice aux négociations qui ont préparé le texte de l’accord de Paris. Face à l’impossibilité politique, devenue patente à Copenhague en 2009, d’universaliser un système de contraintes comparable à celui du modèle Kyoto, les négociations ont progressivement ébauché un système universalisable, quitte à négliger la densité normative que semble pourtant exiger l’urgence climatique.
Paris : ambition collective et contributions volontaires
L’accord de Paris fait 11 pages et comporte 29 articles. En son article 2, il évoque le renforcement de la mise en œuvre de la convention-cadre et plus généralement celui de la réponse globale à la menace que constitue le changement climatique. Cet article énonce surtout explicitement que l’objectif collectif doit être de maintenir « l’élévation des températures moyennes globales bien en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux de l’ère préindustrielle et de poursuivre les efforts pour limiter l’augmentation de température à 1,5 °C ». À cet objectif de limitation à long terme de l’élévation des températures, l’article 4 ajoute celui « d’atteindre un pic des émissions globales de gaz à effet de serre le plus rapidement possible » et de « réaliser l’équilibre entre les émissions anthropiques et leur absorption au cours de la seconde moitié de ce siècle » (Nous traduisons). Si l’accord de Paris comporte un élément historique et novateur, sans doute réside-t-il dans ces phrases des articles 2 et 4. En effet, aucun traité international n’avait jusque-là signifié aussi clairement que l’humanité devait avoir l’économie zéro émissions de CO2 comme horizon immédiat (la seconde moitié de ce siècle).
Le cœur opérationnel de l’accord réside ici aussi dans l’article 3. Là où le protocole de Kyoto fixait des quotas nationaux d’émission pour une période d’engagement pour chacun des pays de l’annexe 1 de la convention-cadre, l’accord de Paris dispose qu’afin d’atteindre l’objectif collectif énoncé à l’article 2, toutes les parties entreprendront et communiqueront leurs efforts via des « contributions déterminées au niveau national » — NDCs dans le jargon. Chaque État devra communiquer une NDC tous les cinq ans et chaque NDC devra représenter un « progrès » par rapport à la contribution précédente. Deux changements sont à souligner par rapport au système Kyoto. Le premier réside dans l’échelle du dispositif qui n’est plus limité à une catégorie de pays, mais semble désormais potentiellement universel puisque 160 contributions représentant 188 pays ont été enregistrées par le secrétariat de la CCNUCC.
Le second changement à souligner est le passage d’un « engagement » précisément quantifié et assorti d’une année de référence commune, à une « contribution » dont les modalités d’énonciation sont laissées à la discrétion des Parties. L’examen des principales contributions révèle une très grande hétérogénéité dans la présentation des objectifs. Par exemple, l’Union européenne s’est principalement engagée à réduire ses émissions d’au moins 40% d’ici à 2030 par rapport à leur niveau de 1990 alors que les États-Unis viseront à réduire leurs émissions de 26 à 28% d’ici à 2025 par rapport aux niveaux de 2005. La Chine s’est, quant à elle, principalement engagée à atteindre le pic de ses émissions aux alentours de 2030 et à réduire ses émissions de CO2 par unité de PIB de 60 à 65% par rapport à leurs niveaux de 2005. Années de références différentes, échéances différentes, objectifs absolus et objectifs relatifs, objectifs par rapport à des émissions historiques et objectifs calculés sur la base de projections, la grande variété des formules présentées dans les contributions de Paris tranche avec les objectifs propres à Kyoto où, pour l’essentiel, les objectifs des pays, bien que de niveaux différents, sont de formats identiques : une quantité d’émission précisément quantifiée qui représente le pourcentage des émissions enregistrées lors d’une année de référence.
La principale inquiétude que l’on peut formuler quant à un tel système de contributions volontaires réside dans la difficulté de faire coïncider l’objectif collectif avec l’effet agrégé de contributions individuelles. Les négociateurs sont d’ailleurs parfaitement conscients du problème puisque la décision qui accompagne l’accord stipule clairement que la somme des contributions nationales remises aux Nations unies avant la COP21 indique des niveaux d’émission pour 2025 et 2030 qui sont incompatibles avec les scénarios d’émission qui donnent une chance statistiquement raisonnable de maintenir le réchauffement en deçà de 2 °C par rapport à la période préindustrielle. Le consortium de recherche « Climate Action Tracker » a calculé que, si tous les États concrétisaient intégralement les intentions présentées dans leurs NDCs, le monde serait sur la voie d’un réchauffement de l’ordre de 2,7 °C alors que les politiques existantes nous mèneraient quant à elles vers un réchauffement de 3,6 °C d’ici à 2100. Il faut garder à l’esprit que ces calculs très théoriques se basent sur des intentions qui doivent le plus souvent encore être traduites en politiques concrètes, et que ces politiques devront encore sortir leurs effets, lesquels sont par définition grevés d’incertitudes. Bref, le fossé entre l’ambition collective et la réalité des efforts individuels est des plus profonds.
Comment pallier cette faille fondamentale et faire en sorte que la somme des contributions individuelles se rapproche du scientifiquement nécessaire ? Différentes dispositions du texte de l’accord de Paris ont été conçues pour tenter de susciter une augmentation progressive des efforts individuels. Tout d’abord, les contributions devront être revues à la hausse tous les cinq ans. Signalons d’ailleurs que, dès le dépôt de leurs instruments de ratification, les pays auront la possibilité de communiquer une contribution améliorée. Au-delà, un gouvernement peut améliorer sa contribution à n’importe quel moment, un peu comme si le législateur laissait la possibilité à chaque contribuable d’augmenter à tout moment sa contribution aux finances de l’État.
À côté de cette possibilité d’amélioration volontaire, l’accord de Paris prévoit la mise en place d’un « cadre de transparence » qui doit être mis en œuvre « de manière facilitative, non intrusive, non punitive, en respectant la souveraineté nationale » (nous traduisons). En clair, chaque partie devra communiquer régulièrement un inventaire de ses émissions et l’information nécessaire pour suivre les progrès dans la mise en œuvre de sa contribution nationale. Ces informations serviront de base à un examen individuel (« review ») dont les modalités restent largement à définir, mais qui pourrait déboucher sur des recommandations d’amélioration des contributions. Ce dispositif sera assorti d’un « état des lieux global » (« Global stocktake ») qui devra évaluer régulièrement les progrès accomplis en vue d’atteindre les objectifs énoncés dans l’article 2, mais également la mobilisation des ressources financières au bénéfice des pays en développement. Enfin, un mécanisme de « facilitation de la mise en œuvre et de promotion du respect des dispositions de l’accord » consistera en un comité d’experts qui rapportera régulièrement à la conférence des Parties agissant comme réunion des Parties à l’accord de Paris.
L’accord de Paris institue ainsi un cycle global de « contributions-rapportage-examen-révision ». Les Parties soumettront tous les cinq ans leurs contributions. Elles devront ensuite rendre compte de leurs actions concrètes et de leurs effets. Les informations ainsi transmises seront traitées et analysées tant individuellement qu’agrégées. Enfin, des recommandations pourront être énoncées à l’adresse des Parties. Le financement, que nous n’avons que très peu évoqué jusqu’ici, répond au même schéma : contribution volontaire, rapportage, examen technique et recommandations. En cela, l’accord de Paris repose sur une dynamique incitative et réflexive : l’obligation de rendre des comptes est censée mener les États Parties à augmenter l’ambition de leurs politiques climatiques. Il incarne une conception du droit, et plus particulièrement du droit international, qui privilégie l’incitation à la sanction et à la contrainte. Les États-Unis, qui semblent très satisfaits de l’accord ne s’y sont d’ailleurs pas trompés. Un de leurs négociateurs confiait lors d’une interview accordée alors que les lampions de la COP21 étaient à peine éteints : « Les objectifs ne sont pas contraignants ; les éléments qui sont obligatoires sont compatibles avec les accords précédents » (nous traduisons). L’accord de Paris ne s’appuie pas sur la contrainte, il parie sur la réflexivité dont les États seraient capables.
Il procède aussi d’une conception finalement assez « idéaliste » de l’action politique. On prête des vertus morales aux institutions étatiques et on les présume capable de progresser, de s’amender, de modifier leurs actions pour anticiper de putatifs effets de réputation que l’examen de leurs contributions pourrait susciter. Cette politique du rapportage est pratiquée depuis de nombreuses années dans le domaine de la protection internationale des droits de l’homme via l’examen périodique universel par exemple. On laissera au lecteur le soin de se forger une opinion quant à l’efficacité de ces dispositifs de protection des droits humains. On se contentera ici de souligner que les préconisations des scientifiques en matière de scénarios d’émission ne semblent guère compatibles avec la temporalité hautement incertaine de ces dispositifs. Comment attendre d’un tel cycle qu’il permette de réduire les émissions globales à zéro en quelques décennies ? Les données des scientifiques appellent de la chirurgie lourde, et la politique internationale du climat crée un groupe de parole.
Le caractère « idéaliste » de ce type de politique se révèle aussi dans la complète déconnexion entre les négociations climat et la matérialité des émissions. Aucune source d’émission n’est mentionnée dans l’accord de Paris empêchant ainsi de doter le monde d’instruments spécifiques organisant la coopération des États pour bannir certaines technologies et activités notoirement nocives pour le climat, sur le modèle par exemple des traités de désarmement et de lutte contre la prolifération des armes nucléaires.
L’accord conclu à Paris au terme de la vingt-et-unième conférence des Parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques laisse à voir un type de multilatéralisme particulièrement frileux. Loin de concrétiser les aspirations qui avaient porté les textes adoptés à Rio en 1992, le texte dont la COP21 a accouché crée un cadre politique finalement assez creux dont le centre de gravité repose sur des contributions nationales remises à échéances régulières par les différents États. En dehors des contributions nationales quinquennales, n’y cherchez ni abandon — même partiel — de souveraineté, ni mécanisme de financement innovant, ni l’embryon d’un dispositif questionnant l’ordre économique actuel, ni même une obligation juridiquement contraignante inédite. Bien des questions techniques devront être tranchées dans les années qui viennent pour donner à l’accord de Paris sa forme définitive et l’avenir dira si l’enthousiasme qui a accueilli la fin de la COP21 était justifié. Si les dispositions décrites ci-dessus parvenaient à maintenir le réchauffement en deçà du seuil de dangerosité, ce serait bien la première fois dans l’histoire que l’autocontrainte, le rapportage et des procédures d’examen technique provoqueraient des transformations sociales aussi radicales que celles requises par l’urgence climatique.
- La conférence de Doha de 2012 a permis l’adoption d’un amendement au protocole (l’amendement de Doha) qui crée principalement une deuxième période d’engagement qui couvre la période 2013 – 2020.