Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

Jacky Morael. Transmettre ses convictions

Numéro 1 - 2017 par Paul Géradin

janvier 2017

« Ce qui compte dans l’héritage, ce n’est pas tel­le­ment ce que l’on reçoit, mais ce qu’on est capable de trans­mettre. » Tel est l’esprit qui anime un volu­mi­neux et (trop…) touf­fu recueil d’interviews de Jacky Morael publié en 2014[efn_note]O. Bie­rain et al., Jacky Morael : Regards croi­sés sur trente ans d’écologie poli­tique, Namur, éd. Eto­pia, 2014. Le pré­sent texte est exclu­si­ve­ment com­po­sé de cita­tions dont les réfé­rences ren­voient à la pagi­na­tion de l’ouvrage.[/efn_note]. En guise d’hommage, on en retien­dra de brefs extraits, à titre de relais dans le monde que Jacky Morael vient de quit­ter. Quelques paroles qui témoignent de convic­tions assu­mées avec fidé­li­té et luci­di­té et qui trans­pa­rais­saient dans les atti­tudes politiques.

Le Mois

Diagnostic : quelle crise ?

« La phrase “une majo­ri­té poli­tique est en train de trom­per une majo­ri­té sociale” est à relier à une autre phrase : “on passe pro­gres­si­ve­ment d’un régime de crise à une crise de régime”. Et je pense qu’une bonne par­tie de la méfiance, du rejet, de l’insatisfaction pour le moins, d’une part de l’opinion à l’égard des res­pon­sables poli­tiques vient du fait que depuis trente ans de crises, d’austérité, de mon­dia­li­sa­tion sans garde-fous, sans pro­tec­tion sociale et fis­cale, depuis trente ans que les mêmes radotent les mêmes solu­tions au pro­blème du chô­mage, de l’exclusion, etc., les gens n’y croient plus tout sim­ple­ment. Ils se demandent à quoi servent ces poli­tiques » (192 – 193).

Complexité : une base solide pour l’action politique

« La gauche his­to­rique a fait beau­coup pour mettre les gens en réseau, pour leur redon­ner de la digni­té à tra­vers un tas de struc­tures mutua­listes, asso­cia­tives, de loi­sir, etc. […]. Mais la gauche ne se limite pas à cela, la gauche doit regar­der com­ment on s’émancipe. Qu’est-ce qu’on fait pour éman­ci­per les gens, notam­ment vis-à-vis du pro­grès. Est-ce que toute nou­veau­té tech­no­lo­gique ou com­mer­ciale qui s’offre au public est néces­sai­re­ment un pro­grès vers l’émancipation ou n’est-ce pas plu­tôt une plus grande source d’aliénation éco­no­mique, socié­tale et citoyenne ? […] Éco­lo ne pou­vait exis­ter que s’il avait au moins trois pieds : le pied déve­lop­pe­ment durable et envi­ron­ne­ment, le pied socioéco­nomique, emploi, réduc­tion du temps de tra­vail, et le pied démo­cra­tie, par­ti­ci­pa­tion des citoyens » (276 et 234).

Perplexité : comment faire vivre l’Europe ?

« La convic­tion de la Com­mis­sion et du Conseil, c’est le libre-échange, l’ouverture des mar­chés, la libre cir­cu­la­tion des mar­chan­dises, avec un mini­mum, un strict mini­mum, d’harmonisation fis­cale et sociale. Et c’est d’ailleurs pour­quoi cer­tains (et on s’y est oppo­sé) ont pré­fé­ré élar­gir l’Europe dans une fuite en avant […] plu­tôt que d’approfondir les pro­cé­dures démo­cra­tiques. Parce que plus il y a d’adhérents, plus il est dif­fi­cile de se mettre d’accord sur les pro­ces­sus démo­cra­tiques de déci­sion. Et tant qu’on tra­vaille­ra à l’unanimité, tout sera tou­jours blo­qué. […] Donc, on est tous conscients chez les éco­lo­gistes qu’il faut modi­fier à terme les modes de déci­sion au plan euro­péen, pour les rendre beau­coup plus fédé­ra­listes, en don­nant plus de poids au Par­le­ment euro­péen et en réfor­mant le mode de dési­gna­tion des com­mis­saires. N’empêche qu’on va se trou­ver devant un dilemme après les pro­chaines élec­tions : ce sou­hait de ren­for­cer l’Europe va être de moins en moins par­ta­gé à mesure qu’on peut pré­voir une vic­toire des euros­cep­tiques. […] Mais ma réflexion part de ce constat : com­ment un par­ti éco­lo­giste peut-il influen­cer au niveau euro­péen en par­tant du plan natio­nal ? » (194 et 298).

Option : une Belgique fédérale

« Les dérives sont tou­jours pos­sibles, mais je pense que le régio­na­lisme ne peut que contri­buer posi­ti­ve­ment à une Bel­gique fédé­rale à quatre Régions auto­nomes, indé­pen­dantes, fières d’elles-mêmes et de leurs pro­jets. Nous sommes fédé­ra­listes, cela veut dire que nous sommes pour le ras­sem­ble­ment et la soli­da­ri­té à par­tir de la recon­nais­sance de ce qui nous dis­tingue. […] Il y aura tou­jours des soli­da­ri­tés et je ne vois pas la Région bruxel­loise entrer dans un scé­na­rio d’isolement, ni par rap­port à la Wal­lo­nie ni par rap­port à la Flandre. […] Si la Flandre veut mener une poli­tique de droite au plan socioé­co­no­mique et sécu­ri­taire, mais qu’elle le fasse. […] Qu’ils le fassent, mais qu’ils ne nous l’imposent pas » (91 – 92 et 98).

Participation au pouvoir : quels effets ?

« Com­ment s’établit un rap­port de force, un rap­port de confiance, entre les par­te­naires, entre les par­tis, entre les hommes et les femmes, ça c’est une his­toire à écrire. […] Donc, voi­là une série d’exemples de réformes struc­tu­relles qu’on a obte­nues, mais il y en a beau­coup d’autres. […] Ce sont des réformes qu’on appelle struc­tu­relles dans la mesure où elles ont des effets sur le long terme et des effets démul­ti­pli­ca­teurs […]» (133, 134 et 132).

Limite : une éthique politique

« La nature humaine reste ce qu’elle est. Je crois qu’on est un par­ti avec des règles éthiques très strictes, très pro­fondes, une culture qui n’est pas celle des autres par­tis, une culture col­lec­tive. Mais on l’a vu tout au long de notre his­toire, en termes de com­por­te­ment indi­vi­duel, tu ne peux jamais rien évi­ter. C’est le col­lec­tif qui se porte bien, avec des hauts et des bas, mais tu ne peux jamais être garant du com­por­te­ment d’une ou de plu­sieurs per­sonnes. Quelle que soit son éthique col­lec­tive. […] Il ne faut pas oublier que nous sommes aus­si un groupe humain, avec ses gran­deurs et ses bas­sesses » (129 et 232).

Inspiration : ses sources

« Athée, mais pas bouf­feur de curés, athée serein ! Et puis pour le reste de mes convic­tions […] j’ai sur­tout lu des auteurs liber­taires comme Bakou­nine, Kro­pot­kine, etc. Je n’ai jamais été atti­ré par le mar­xisme, ça m’a tou­jours paru chiant et à côté de la plaque, pour dire les choses bru­ta­le­ment, parce que je recon­nais aus­si his­to­ri­que­ment la valeur de ces écrits. Par contre, la lit­té­ra­ture anar­chiste et liber­taire, liée aux conflits sociaux du XIXe siècle et la lit­té­ra­ture sur la guerre d’Espagne m’ont tou­jours atti­ré. Et je me suis donc retrou­vé très natu­rel­le­ment à Éco­lo […]» (188).

Parler vrai : une exigence et un paradoxe

« Quand je dis que la com­mu­ni­ca­tion est indis­so­ciable du fond, pour être enten­du, il faut aus­si dia­lo­guer, et donc ren­con­trer. […] Non pas en se per­met­tant de dire aux gens ce qu’ils avaient envie d’entendre, mais plu­tôt d’identifier dans notre cor­pus pro­gram­ma­tique et idéo­lo­gique ce qui pou­vait être une réponse aux attentes, aux inquié­tudes, aux angoisses vis­cé­rales de la popu­la­tion belge fran­co­phone. […] Com­ment expri­mer une pen­sée com­plexe en un lan­gage simple et court ? Tu peux prendre le type le plus intel­li­gent de la pla­nète, si tu lui mets un micro sous le nez, com­ment veux-tu qu’il réponde ? C’est un de nos para­doxes prin­ci­paux qui res­te­ra parce que ça fait par­tie de notre ADN » (58, 61 et 235).

Paul Géradin


Auteur

Professeur émérite en sciences sociales de l'ICHEC