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« J’ai mille » personnes pour la démocratie

Numéro 1 Janvier 2012 par Paul Grosjean

janvier 2012

Non, ceux qui ont lan­cé le « G1000 » n’avaient pas mille idées pour la démo­cra­tie, ils n’en n’avaient qu’une, mais une énorme : faire par­ler effi­ca­ce­ment mille per­sonnes repré­sen­ta­tives du « peuple » belge sur leur gou­ver­nance et leur socié­té ! Un rejet de la démo­cra­tie actuelle ? Non, car la Bel­gique jouit déjà d’une démo­cra­tie de bonne qua­li­té. Mais un […]

Non, ceux qui ont lan­cé le « G1000 » n’avaient pas mille idées pour la démo­cra­tie, ils n’en n’avaient qu’une, mais une énorme : faire par­ler effi­ca­ce­ment mille per­sonnes repré­sen­ta­tives du « peuple » belge sur leur gou­ver­nance et leur socié­té ! Un rejet de la démo­cra­tie actuelle ? Non, car la Bel­gique jouit déjà d’une démo­cra­tie de bonne qua­li­té. Mais un ajout d’importance à la pra­tique démo­cra­tique actuelle qui peut la rendre bien plus satisfaisante.

Comment naissent les grandes choses ?

En jan­vier 2011, Paul Her­mant, édi­to­ria­liste dans les médias fran­co­phones, et David Van Rey­brouck, bien connu en Flandre, notam­ment pour son épous­tou­flant Congo. Eén Ges­chie­de­nis1, dis­cutent presque for­tui­te­ment de la situa­tion poli­tique dans un bis­trot à Bruxelles. La démo­cra­tie a per­du son élan, elle s’essouffle, ses struc­tures rigi­di­fiées sont dis­tantes des per­sonnes gou­ver­nées, et pas seule­ment en Bel­gique. Puis, un groupe se crée, le diag­nos­tic se par­tage, la vision de « démo­cra­tie élar­gie » pro­gresse. Une asbl est créée parce qu’on veut « agir », et pas seule­ment écrire, il faut donc exis­ter. De fil en aiguille, on arti­cule un pro­gramme qui com­mence par un site inter­net, qui vise une jour­née « som­met citoyen » le 11 novembre et qui pré­voit, en troi­sième étape, un rap­port de citoyens au pays pour le prin­temps 2012. La vision large et ce pro­gramme concret sont incroya­ble­ment vite par­ta­gés par tous ceux qui l’approchent.

Le 14 juin, le G1000 fait son « coming out » sur les ondes, à la télé­vi­sion et les médias, au nord, au sud et à l’est du royaume. En quelques jours, le mani­feste du G1000 est signé par plu­sieurs mil­liers de per­sonnes. L’approche est simple : allez lire le mani­feste sur le site2, signez-le si vous êtes d’accord, envoyez vos pro­po­si­tions à débattre le 11 novembre pro­chain par mille Belges, choi­sis au hasard dans tout le pays, contri­buez au cout de l’opération esti­mé à 465.000 euros, enga­gez-vous comme volon­taire pour l’une ou l’autre des tâches lis­tées ; il y a beau­coup à faire. Atten­tion : il n’y a per­sonne der­rière nous, ni par­tis poli­tiques, ni lob­bys consti­tués, pas de publi­ci­té, pas d’intérêts éco­no­miques ou sociaux. Tout est fon­dé sur une double convic­tion : la « démo­cra­tie élar­gie » est une attente de la popu­la­tion, c’est une néces­si­té, un besoin et un poten­tiel, et il y a sur­ement chez nous les mil­liers de bonnes volon­tés que cette vision peut mobi­li­ser. La suite a mon­tré au-delà de toute attente qu’ils avaient bien raison.

Qu’est-ce qu’ils veulent faire ?

Le mani­feste du G1000 est bien fait. Il arrive à son objet en expli­quant com­ment il ren­contre le défi­cit démo­cra­tique actuel : la façon de vivre, la tech­no­lo­gie, les moyens et les attentes des peuples à gou­ver­ner dans nos démo­cra­ties ont fort chan­gé depuis l’établissement de la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive au XIXe siècle. Par­ti­cu­liè­re­ment pour ce qui est du gou­ver­ne­ment des peuples, les nou­velles tech­no­lo­gies de la com­mu­ni­ca­tion ont trans­for­mé aujourd’hui le contexte et les rai­sons mêmes du choix de la « démo­cra­tie repré­sen­ta­tive » à l’époque : les trains à vapeur, sinon les dili­gences, les lino­types, les télé­graphes et les pre­miers bal­bu­tie­ments radio­pho­niques ont en quelque sorte for­cé ce com­pro­mis entre l’idéal de la démo­cra­tie directe et le maté­riel­le­ment pos­sible au tra­vers de repré­sen­tants élus. Sans du tout reve­nir pour autant à la démo­cra­tie directe du soi-disant « âge d’or » athé­nien, le mani­feste du G1000 sou­tient que la « démo­cra­tie déli­bé­ra­tive3 » peut venir com­plé­ter, amé­lio­rer, enri­chir le sys­tème repré­sen­ta­tif exis­tant et engen­drer une plus grande satis­fac­tion citoyenne au tra­vers d’une par­ti­ci­pa­tion accrue à un sys­tème poli­tique ain­si ren­du plus efficace.

Le but n’est donc pas de se sub­sti­tuer au sys­tème repré­sen­ta­tif, mais de le com­plé­ter par un lieu de débat en amont des ins­tances de pou­voir et de déci­sion (Par­le­ments, gou­ver­ne­ments), une « anti­chambre » où les grandes ques­tions peuvent être dis­cu­tées pour elles-mêmes, évi­tant au départ la com­pé­ti­tion de pou­voir entre par­tis et sans attri­bu­tion de res­pon­sa­bi­li­tés pour l’exécution, de telle sorte que les ins­tances for­melles de la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive et des par­tis, sachent dans quel sens va la vox popu­li sur les grandes ques­tions de bien commun.

En quelques semaines, le site du G1000 reçoit plu­sieurs mil­liers de pro­po­si­tions à trai­ter. Elles ne sont pas ren­dues publiques, mais ana­ly­sées, grou­pées et syn­thé­ti­sées par une équipe du G1000. Cela per­met de défi­nir les quelque trois ou quatre grandes ques­tions qui pour­ront être débat­tues le 11 novembre et ser­vir de base de tra­vail aux trente-deux volon­taires (« G32 »), choi­sis par­mi les « 1000 » qui pour­sui­vront le tra­vail après le 11 novembre.

Mobilisation efficace d’un volontariat spontané

Au cours de l’été, les volon­taires enre­gis­trés sur le site s’attèlent à dif­fé­rentes tâches : des groupes de sen­si­bi­li­sa­tion et de mobi­li­sa­tion dans le pays, un joyeux stand dans les rues de Bruxelles le 21 juillet. En sep­tembre une entre­prise de son­dage, indé­pen­dante, com­mence le tra­vail de sélec­tion aléa­toire de mille citoyens dans toute la Bel­gique « comme on fait pour avoir des pré­vi­sions élec­to­rales ». Ceux qui répondent « oui, d’accord pour venir le 11 novembre » sont ensuite contac­tés par des volon­taires « ambas­sa­deurs » qui expliquent plus en détail le pour­quoi et le com­ment de la démarche. Par ailleurs, des cen­taines de bonnes volon­tés, très bien coor­don­nées et diri­gées, s’adonnent à mille et une tâches logis­tiques : trai­teurs, tapis, micros, réseau, inter­net, vote élec­tro­nique, cent tables et mille chaises, recru­te­ment et trai­ning de cent faci­li­ta­teurs pour les cent tables. On met aus­si sur pied un sys­tème de par­ti­ci­pa­tion par inter­net à domi­cile (« GHome ») et des groupes « GOff » qui dans plu­sieurs villes du pays feront leur « mini-som­met citoyen ». Bref, un incroyable tra­vail de volon­ta­riat par une asbl qui n’existait pas six mois plus tôt. Et sur ce plan aus­si, tout fut impeccable.

Au matin du grand jour, ils sont pour finir un peu plus de sept-cents délé­gués pré­sents à Tour et Taxis. Quelque mille-six-cents per­sonnes ont été contac­tées, envi­ron mille-trois-cent-cin­quante ont répon­du immé­dia­te­ment « Oui, je vien­drai » (l’eussiez-vous fait?). Plus de neuf-cent-cin­quante ont confir­mé aux « ambas­sa­deurs » qu’elles vien­draient et plus de sept-cents sont venues pas­ser leur jour­née fériée du 11 novembre à débattre de quatre grands thèmes. En bref, donc, une per­sonne ini­tia­le­ment contac­tée sur deux est venue. C’est un suc­cès inouï pour une pre­mière du genre impli­quant un tel enga­ge­ment. La démo­cra­tie peut encore mobi­li­ser beau­coup de monde en Belgique.

Le jour « J »

David Van Rey­brouck et Paul Her­mant accueillent en des termes réson­nants, éton­nam­ment simples et justes. Après expli­ca­tions diverses sur le dérou­le­ment de la jour­née et sur­tout sur le sys­tème de vote, on se met au tra­vail. Trois grands thèmes ont été rete­nus : la sécu­ri­té sociale, la sur­vie en période de crise, l’immigration et un qua­trième thème qui sera choi­si par l’assemblée. Cha­cun des thèmes est intro­duit, de façon infor­ma­tive et suc­cincte, par deux « experts », puis chaque table de dix, avec l’aide du facilitateur/interprète, débat sur ce thème en déga­geant un cer­tain nombre de pro­blèmes, aspects, sug­ges­tions qui sont trans­mis après une demi-heure, au panel cen­tral. Celui-ci les pré­sente sur le grand écran et chaque délé­gué, muni d’un petit appa­reil de vote à dis­tance, donne ses deux, trois ou quatre prio­ri­tés. Et on arrive ain­si à une prio­ri­sa­tion des points de vue de l’assemblée. En paral­lèle, les « GHome » et les « GOff » forment une sorte de « cent et unième grande table » et par­ti­cipent via le réseau, débattent et trans­mettent leurs réflexions par le Net.

Il n’est pas pos­sible de res­ti­tuer ici ni les débats ni leurs résul­tats. Le G1000 s’est enga­gé à faire connaitre ses tra­vaux de façon appro­priée. Mais on peut déjà sou­li­gner deux ou trois choses. D’abord, la qua­li­té des expo­sés intro­duc­tifs sur cha­cun des thèmes : des petits bijoux suc­cincts et péda­go­giques. En second lieu, l’enthousiasme des par­ti­ci­pants. Ce qu’on a vu aus­si, c’est l’étonnante matu­ri­té des dis­cus­sions à chaque table avec une sur­pre­nante capa­ci­té d’écoute et d’attention. Enfin, on peut sou­li­gner l’étonnement admi­ra­tif du panel de huit obser­va­teurs inter­na­tio­naux qui n’avaient jamais vu un tel pro­ces­sus s’organiser spon­ta­né­ment dans la popu­la­tion sans aucun « patro­nage » d’autorités publiques.

La suite

Sur les quelque sept-cents délé­gués pré­sents, trois-cents (!) se sont por­tés volon­taires pour for­mer le « G32 » et pour­suivre la réflexion pen­dant trois wee­kends de tra­vail d’ici fin avril 2012. Le « rap­port au pays » du G1000 devrait sor­tir peu après.

À suivre donc, très atten­ti­ve­ment, à sou­te­nir cha­cun de ses moyens, ne fût-ce que par quelques euros, à ana­ly­ser et à décor­ti­quer bien plus en pro­fon­deur ulté­rieu­re­ment, à per­pé­tuer sans doute.

En atten­dant, rete­nez déjà ce constat d’un des faci­li­ta­teurs lors du diner en fin de jour­née : « La conclu­sion de ma table, c’est que nous avons cha­cun appris une nou­velle façon de se par­ler en poli­tique ; depuis ce matin, nous avons muté ! » Rien que cela en valait déjà la peine, non ?

  1. De bezige Bij, 2010, 680 p. Voir aus­si la recen­sion de l’ouvra­ge par Paul Géra­din dans La Revue nou­velle d’octobre 2010.
  2. www.g1000.org, ou encore, via Google : « G1000 ».
  3. Que les poli­to­logues se chargent de dire, après plus ample ana­lyse, de quelle épi­thète scien­ti­fique pré­cise il faut éti­que­ter la démo­cra­tie que pour­suit le G1000 : délibé­rative, par­ti­ci­pa­tive, consul­ta­tive, élar­gie…? Pour ma part, je reprends la ter­mi­no­lo­gie uti­li­sée dans le mani­feste du G1000, sans aucune autre pré­ten­tion ici que celle d’un témoi­gnage sur « quelque chose qui se passe près de chez nous ».

Paul Grosjean


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