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Iran : la guerre des symboles
Dans un régime dont le fondateur, l’ayatollah Khomeiny, demeure le symbole, les références à celui-ci ont désormais tendance à être monopolisées par l’opposition, celle incarnée par les deux candidats malheureux à la dernière élection présidentielle de juin 2009, Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi. Certes, la belle unanimité régnant officiellement autour de Khomeiny n’est jamais parvenue à cacher un […]
Dans un régime dont le fondateur, l’ayatollah Khomeiny, demeure le symbole, les références à celui-ci ont désormais tendance à être monopolisées par l’opposition, celle incarnée par les deux candidats malheureux à la dernière élection présidentielle de juin 2009, Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi.
Certes, la belle unanimité régnant officiellement autour de Khomeiny n’est jamais parvenue à cacher un débat et des dissensions autour de son projet politique et philosophique. Au début de la révolution, il y avait déjà des ayatollahs, majoritaires d’ailleurs au sein du clergé chiite, rejetant la doctrine du velayat é faqih (qui considère que l’autorité religieuse la plus compétente doit exercer le pouvoir temporel et qui justifie donc la théocratie) au nom de la séparation entre le clergé chiite et le pouvoir politique. Dans l’ambiance révolutionnaire de l’époque, ils ont alors été marginalisés voire « défroqués », comme ce fut le cas de l’ayatollah Chariat Madari. L’ayatollah Montazeri, quant à lui, dauphin déchu de Khomeiny, qui a contribué à l’élaboration de cette doctrine, estime qu’elle est mal appliquée aujourd’hui, ce qui lui vaut d’être placé en résidence surveillée à Qom. Mais, outre ces derniers, il y a dans la mouvance ultra-conservatrice partisane du velayat é faqih une remise en cause même du principe de « République » islamique. Le chef de file de cette tendance est l’ayatollah Mesbah Yazdi qui considère que « république » et « islam » sont incompatibles et que le vali ul faqih (le Guide suprême) est le représentant de l’imam caché sur terre dont aucune décision ne peut être contestée. Par cette interprétation absolutiste, il remet en cause la doctrine de Khomeiny dont il a été l’élève et dont il estime que la philosophie a été mal interprétée. Mesbah Yazdi, bête noire du courant réformateur et qui aurait même publié des fatwas autorisant le meurtre d’opposants, est considéré comme le guide spirituel du président Ahmadinejad.
Khomeiny, symbole de la contestation
Ces débats n’empêchent pas que Khomeiny incarne toujours une sorte de clef de voûte symbolique du régime. Pour autant, il est devenu tout au long de la campagne électorale et après les élections présidentielles du 12 juin, une image utilisée presque exclusivement par les candidats réformateurs Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, c’est-à-dire, dans le contexte actuel, le symbole de la contestation de ce même régime. La tendance conservatrice qui détient le pouvoir a d’ailleurs perçu le danger de cette « récupération » au point de faire en sorte que les célébrations du souvenir de l’«imam » qui ont lieu chaque année depuis 1989 soient annulées. La crainte est en effet que ce genre de cérémonie soit désormais instrumentalisée par une opposition réprimée, dont les demandes officielles pour manifester sont systématiquement rejetées et qui profite donc de la moindre occasion officielle pour se faire entendre. Le petit-fils de Khomeiny, Hassan Khomeiny, que le régime a mis un temps en avant dans un désir de pérennisation symbolique du système, et qui est responsable du mausolée où se trouve enterré son grand-père, a d’ailleurs pris ses distances avec le régime en refusant d’assister à la cérémonie d’investiture consacrant la réélection de Ahmadinejad. Et il s’affiche ostensiblement avec des personnalités proches de Moussavi et de l’ancien président réformateur Khatami. La grande prière de la fin du mois de jeûne du Ramadan (aïd al fitr) qui devait se tenir dans un vaste lieu de prière de Téhéran prévu pour accueillir des centaines de milliers de personnes s’est finalement tenue à l’université de Téhéran, lieu plus étroit permettant un contrôle policier plus efficace. Cette décision cache mal la crainte des autorités de voir ce type d’occasion transformée en manifestation de contestation. De grandes cérémonies religieuses prévues à l’occasion du mois du Ramadan ont ainsi été annulées ou déplacées dans des endroits moins en vue sous des prétextes divers cachant mal la crainte des autorités de voir ces occasions transformées en autant de manifestations de contestation.
De même, la cérémonie commémorant la mémoire de l’ayatollah Taleghani, autre grande figure révolutionnaire décédée en 1979, prévue dans un haut lieu de la pensée religieuse réformatrice de Téhéran, n’a pas non plus été autorisée. Il faut dire que la cérémonie d’hommage à Beheshti, l’un des architectes de la révolution, assassiné en 1981, qui a eu lieu dans une mosquée du nord de Téhéran à la fin du mois de juin dernier avait été l’occasion d’une manifestation spontanée d’opposants à la réélection d’Ahmadinejad bien vite réprimée.
L’opposition s’est donc réapproprié les armes symboliques d’un régime qui s’appuyait notamment sur ce genre de célébration pour assurer sa pérennité. La prière du vendredi, véritable institution du régime et dont le premier dirigeant fut précisément l’ayatollah Taleghani, a également été l’occasion d’une contestation lorsque Hashemi Rafsandjani, personnage central de l’histoire et du fonctionnement de la République islamique, en a été l’imam le 17 juillet dernier.
Pour la première fois dans l’histoire trentenaire de cette république, la prière du vendredi à l’université de Téhéran a été réprimée par les forces de l’ordre et l’un des candidats réformateurs qui s’y rendait, Mehdi Karoubi, a été agressé. Même l’organisation de la « Journée de Jérusalem », qui a eu lieu le 18 septembre dernier, et qui est l’occasion pour les autorités iraniennes d’exprimer leur solidarité avec les Palestiniens sur un mode anti-israélien radical et où les conservateurs communient entre eux, a suscité des craintes de la part des autorités au point que le Guide suprême Ali Khamenei a dû demander lors de la prière du vendredi précédent, que cette journée « ne se transforme pas en celle de la désunion ». Comme prévu, ce rassemblement a été instrumentalisé par l’opposition dont les partisans s’y sont rendus en masse donnant à cette manifestation un déroulement totalement inédit. Aux cris de « mort à Israël » et « mort à l’Amérique » scandés par les organisateurs, une partie de la foule répondait ainsi « mort à la Russie » (perçue comme un soutien du gouvernement d’Ahmadinejad) et « mort au dictateur » (allusion à Ahmadinejad). Par cette instrumentalisation, le régime se voit concurrencé directement dans un type d’événement sur lequel il s’appuyait jusque-là pour affirmer son orientation idéologique et montrer à la communauté internationale l’adhésion de la population autour de ses mots d’ordre politiques. La présence remarquée de l’opposition brouille ainsi le message que le régime voulait donner de lui-même à l’intérieur et à l’extérieur de l’Iran.
La tendance dure du régime, qui a pris le pouvoir à l’occasion de cette élection douteuse, oscille ainsi entre la répression (notamment en jugeant dans un simulacre de procès certaines des personnalités qui faisait partie du système) de tout ce qui lui donnait sa force symbolique jusque-là, et le doute quant à la méthode à employer pour juguler une contestation toujours bien présente. Cette indécision transparaît ainsi de plus en plus dans les prêches du Guide suprême qui souffle tantôt le chaud tantôt le froid dès lors qu’il ne peut pas négliger outre mesure, par la répression, des symboles dans un régime où la charge idéologique pèse inévitablement de tout son poids.
Sciences humaines
L’«idéologie occidentale » est d’ailleurs présentée sans surprise comme la responsable de la perversion de la jeunesse iranienne qui a participé en masse aux manifestations de protestation consécutives à l’élection présidentielle du 12 juin. Néanmoins, une étape a été franchie cette fois dans la logorrhée antioccidentale classique du régime iranien avec une attaque en règle des « sciences humaines » qui seraient à l’origine de l’«égarement » des jeunes Iraniens dès lors qu’elles transmettent des valeurs sociales et politiques occidentales. Deux tiers des étudiants inscrits dans les universités iraniennes aujourd’hui le sont dans des facultés de sciences humaines. Les autorités viennent donc d’annoncer des mesures visant à réduire ce nombre parallèlement à un contrôle renforcé du milieu estudiantin par l’intermédiaire d’organisations d’étudiants bassidjis (miliciens chargés de la répression intérieure) qui remplissent désormais le vide laissé par la répression qui a frappé les principales organisations étudiantes dont la plus importante, le Defter é Tahkim é Vahdat (Bureau du renforcement de l’unité) qui avait publiquement apporté son soutien à la candidature de Mehdi Karoubi.
Les procès de Téhéran du mois d’août 2009 ont ainsi été l’occasion d’une condamnation par contumace sur la base de la théorie du complot des philosophes et sociologues occidentaux les plus emblématiques. Le philosophe allemand Jürgen Habermas, le politologue anglais John Keane, fondateur du Centre d’études de la démocratie à l’université de Westminster, et le philosophe américain Richard McKay Rorty, aujourd’hui décédé, ont ainsi été dénoncés pour leurs « idées subversives » dans une parodie de procès où Said Hajjarian, arrêté au lendemain de l’élection et considéré comme le « cerveau » du mouvement réformateur, a fait lire des aveux vraisemblablement extorqués sous la torture dans lesquels il reconnaissait avoir rencontré ces « agents des services secrets britanniques et américains ». Les autorités iraniennes pensent donc que la réduction des filières en sciences humaines permettra de diminuer la capacité de contestation du mouvement étudiant. Pourtant, bon nombre de victimes étudiantes de la répression qui a suivi les manifestations contre la fraude électorale sont issues de facultés de sciences exactes. De même, à l’époque du shah, les grandes figures du mouvement étudiant contestataire qui ont à cette époque découvert les vertus de l’islam révolutionnaire et qui ont ensuite investi l’appareil d’État de la République islamique n’étaient pas non plus des étudiants en sciences humaines.
Le choix de Kameran Daneshdjou — ancien haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, responsable de l’organisation des dernières élections présidentielles — en tant que nouveau ministre des Sciences, en charge des universités, ne laisse en tout cas planer aucun doute quant à la volonté du régime d’opérer un contrôle accru sur les universités.
Par cette « reprise en main » opérée à la suite de l’élection présidentielle, le régime a considérablement réduit la base sur laquelle il s’appuyait pour se maintenir. Même les grands dignitaires religieux chiites viennent de remettre en cause la légitimité religieuse du Guide suprême Ali Khamenei en ne s’accordant pas avec lui sur la date de fin du mois de Ramadan. Dans ces conditions, le régime se fragilise dès lors que ses adversaires réformateurs qui jusque-là prenaient grand soin de ne pas dépasser certaines lignes rouges et donnaient ainsi une sorte de caution pluraliste au régime, pourraient radicaliser leurs positions à mesure que la répression qui les touche s’accentue. Un régime qui voit sa base rétrécir et qui est contesté jusque dans ses références symboliques risque alors de recourir à encore davantage de répression dans un cercle vicieux menaçant à terme son maintien.
20 septembre 2009