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Iran : l’opposition à la recherche d’un leadeurschip
Le décès de l’ayatollah Montazeri le 19 décembre dernier a permis à l’opposition iranienne de l’intérieur, le « mouvement vert », d’opérer une jonction montrant sa grande diversité face au président Ahmadinejad et à la tendance conservatrice qui domine tous les secteurs de l’appareil d’État et de l’économie. L’opposition qui manifeste dès qu’elle peut dans les rues de Téhéran « recrute » […]
Le décès de l’ayatollah Montazeri le 19 décembre dernier a permis à l’opposition iranienne de l’intérieur, le « mouvement vert », d’opérer une jonction montrant sa grande diversité face au président Ahmadinejad et à la tendance conservatrice qui domine tous les secteurs de l’appareil d’État et de l’économie. L’opposition qui manifeste dès qu’elle peut dans les rues de Téhéran « recrute » plutôt dans la classe moyenne, au sens large, de la capitale et parmi les étudiants. La participation massive lors des obsèques de l’ayatollah Montazeri, dauphin déchu de Khomeiny devenu opposant résolu à la direction actuelle du régime iranien, et l’instrumentalisation par l’opposition des cérémonies de l’Achoura1 ont donc montré que celle-ci ne se limitait pas à « une jeunesse téhéranaise dorée avide d’occidentalisation », mais qu’elle se composait aussi d’une frange de croyants se manifestant bien au-delà de la capitale. Outre les obsèques de l’ayatollah Montazeri qui ont eu lieu à Najafabad, non loin d’Ispahan, le deuil de celui qui était devenu une sorte de « guide spirituel » de cette opposition hétéroclite a été observé un peu partout dans le pays.
Par ailleurs, bien loin d’affaiblir ce mouvement, la disparition de cet ayatollah a démontré l’aspect pluridimensionnel d’une opposition que le régime ne pourra pas stopper en frappant à sa tête dès lors qu’elle en a plusieurs. Avant son décès, il était permis de s’interroger sur la réelle popularité de l’ayatollah Montazeri. Celui-ci n’avait pas hésité à s’opposer à l’ayatollah Khomeiny en personne sur la question des exécutions massives à la fin des années quatre-vingt. Cette opposition lui avait d’ailleurs couté toute perspective de remplacer le fondateur de la République islamique au titre de Guide suprême et de vivre reclus à Qom en résidence surveillée.
Montazeri jouissait du statut de « source d’imitation » (marja taqlid) qui confère au docteur de la loi religieuse chiite un rôle de référence pour les croyants qui décident de suivre son enseignement. Le clergé chiite se singularise par une structure hiérarchique relativement informelle. Dans ce contexte, le croyant peut décider librement de privilégier les enseignements du marja (source d’imitation) qu’il préfère. Il participe alors à un réseau qui, outre ses aspects spirituels, se distingue également par sa dimension socioéconomique grâce aux donations des croyants. Montazeri a ainsi pu s’appuyer sur ce type de fonctionnement traditionnel. L’opposition courageuse de Montazeri aux exécutions sommaires a considérablement limité ses déplacements physiques, qui n’ont pas pu empêcher sa parole de circuler, malgré les campagnes de dénigrement orchestrées contre lui par le régime. L’hommage rendu par une partie non négligeable de la population iranienne lors de sa disparition illustre la pérennité de ces réseaux traditionnels.
Opposition et religion
Le régime semble d’ailleurs l’avoir bien compris puisqu’il s’en prend désormais aux quelques autres ayatollahs qui n’ont jamais caché leurs sympathies réformatrices et qui ont exprimé leur critique envers le guide suprême Khamenei, nommé ayatollah à la « va-vite » et qu’ils ne considèrent pas comme une « source d’imitation ». Une organisation religieuse conservatrice, l’«Association des enseignants du séminaire islamique de Qom », inféodée au Guide suprême Khamenei, vient pourtant de dénier à l’ayatollah Sanei la qualité de « source d’imitation » dès lors que celui-ci passe pour une sorte de successeur de Montazeri au titre de caution religieuse du mouvement d’opposition. Sanei, connu pour son interprétation plutôt libérale des textes religieux relatifs aux femmes, avait clairement soutenu les candidats réformateurs contre Ahmadinejad.
Il n’est pas le seul à faire l’objet d’une répression de la part d’un régime théocratique qui opprime ceux qui ont tenu à garder leurs distances par rapport à un État qui, en fonctionnarisant le clergé chiite, l’a paradoxalement affaibli, lui qui tire notamment sa force de sa tradition d’indépendance. Le charisme de ces personnalités joue néanmoins un rôle non négligeable dans ce bras de fer. En effet, si au début de la révolution, Khomeiny avait réussi à marginaliser l’ayatollah Chariat Madari — qui avait pourtant une grande légitimité sur le plan religieux — qui s’opposait à sa doctrine éminemment politique du Velayat é Faqih (théorie affirmant la primauté du religieux sur le politique)2, à l’élaboration de laquelle Montazeri collabora d’ailleurs, il le dut à un contexte révolutionnaire qui lui était favorable.
Aujourd’hui, par contre, Khamenei, qui n’a qu’une faible légitimité religieuse et qui le sait, ne peut pas se permettre d’affronter directement sur le terrain des idées ces ayatollahs bien plus prestigieux que lui du point de vue religieux. Il recourt donc à la force, avec pour résultat paradoxal que la République islamique est le régime iranien qui aura le plus opprimé et discrédité l’institution informelle que constitue le « clergé » chiite. C’est pour cette raison que les plus grands ayatollahs du chiisme, y compris Montazeri, ont rejeté ou pris leurs distances avec la théorie du Velayat é Faqih qui, sur le long terme, s’avère très nuisible à la tradition d’indépendance des clercs chiites.
Revendications
Par ailleurs, dans la foulée du plan de résolution de la crise en cinq points présenté au début janvier 2010 par Mir Hossein Mousavi dans le souci de démontrer sa stature d’homme d’État, cinq personnalités du courant réformateur rentrant plus ou moins dans la catégorie des « intellectuels religieux », actuellement en exil, ont présenté un cahier de revendications en dix points prolongeant et renforçant ceux avancés quelques jours plus tôt par Moussavi. Ils réclament ainsi la libération des prisonniers politiques, l’organisation de nouvelles élections présidentielles, le jugement des responsables des crimes et mauvais traitements commis ces derniers mois, la dépolitisation des institutions religieuses chiites, etc. Ces cinq intellectuels se revendiquent tous d’une appartenance religieuse, mais dans un sens résolument réformiste.
Abdolkarim Soroush qui a participé aux purges de l’université iranienne au lendemain de la révolution de 1979 a évolué vers une remise en question de son engagement radical initial pour développer une vision de l’islam plus « libérale » en phase avec le concept de démocratie. Les autres signataires — Ataollah Mohajerani, ancien ministre de la Culture de Khatami, Abdolali Bazargan, exégète du Coran et fils du premier Premier ministre islamo-libéral de la République islamique Mehdi Bazargan, Akbar Ganji, ancien gardien de la révolution, journaliste, opposant célèbre et auteur d’un « manifeste républicain » prônant la séparation de la religion et de l’État et Mohsen Kadivar, religieux chiite réformateur — ont connu un parcours plus ou moins identique3. Certes, ces intellectuels influents très présents dans les médias internet et audiovisuels de la diaspora, et très suivis en Iran, ne sont pas sur place, mais ils sont le symbole d’une initiative visant à structurer plus concrètement les revendications d’une opposition très hétérogène.
On constate donc que ces revendications, qu’elles émanent de Moussavi ou de ces cinq intellectuels, sont résolument réformistes dans le sens où aucune ne prône une remise en cause de la République islamique. D’une certaine façon, ce nouveau leadeurship qui se dessine n’est pas antireligieux4. Une composante, difficilement estimable, de ce « mouvement vert » souhaite certainement aller plus loin dans la remise en cause du caractère islamique, fût-il réformé, de cette République, mais (par prudence ou pour des raisons tactiques?), elle n’exprime pas de revendication allant dans ce sens. Ainsi, la figure de Khomeiny, pourtant controversée — Montazeri lui-même s’y était opposé — n’a jamais jusqu’à maintenant fait l’objet d’une remise en cause par les manifestants malgré les tentatives du régime de prouver le contraire5.
La question du leadeurship de cette opposition dont l’importance augmente autant que sa pluralité est donc posée. Outre les leadeurs de l’intérieur — Moussavi, Karoubi et dans une moindre mesure Khatami et Rafsandjani, ce dernier étant très silencieux ces derniers temps — et ceux de la diaspora, il y a toute une nouvelle génération de leadeurs locaux peu connus qui font leurs armes dans la rue parmi lesquels on trouve notamment des femmes. L’avocate et militante des droits de l’homme Shadi Sadr6, arrêtée deux semaines au mois de juillet 2009, dresse le profil des nouvelles militantes qu’elle a découvertes en prison : issues de milieux modestes économiquement et culturellement, disposant de peu de culture politique, elles se sont réalisées en organisant des groupes de manifestants le plus souvent composés d’une majorité d’hommes lors des mobilisations contestant la réélection de Mahmoud Ahmadinejad. On est donc loin de l’image d’étudiants hyper-politisés dominant ces mobilisations.
Par ailleurs, dans un pays comme l’Iran où l’accès à l’université a été largement généralisé (on parle d’environ vingt millions d’étudiants à l’université sur près de septante millions d’habitants), y compris dans les coins les plus reculés du pays comme le Balouchistan, l’image de l’étudiant ne se réduit de toute façon pas au « fils de bonne famille des quartiers nord de Téhéran ». Le représentant du Guide suprême auprès des universités, sorte de « commissaire » de Khamenei, a d’ailleurs reconnu publiquement que « 70 % des étudiants des universités iraniennes n’avaient pas voté pour Ahmadinejad lors de la dernière élection présidentielle »7.
La force de cette opposition réside dans son hétérogénéité, ce qui fait qu’on peut difficilement la décapiter. Pour autant, la question de son leadeurship et donc de sa capacité à se poser en véritable interlocuteur et à ne pas se fragmenter reste posée.
8 janvier 2010
- L’Achoura est pour les chiites la cérémonie qui chaque dixième jour du mois musulman de Moharram commémore le martyre de l’Imam Hussein, massacré avec sa famille à Kerbela en 680 de notre ère par les Ommeyades.
- Ce concept de théocratie chiite développe l’idée selon laquelle le docteur religieux le plus compétent, c’est-à-dire un grand ayatollah, détient l’autorité suprême en matière de représentation du prophète ou de l’imam caché qui pour les chiites reviendra tel un messie le jour du Jugement dernier. Il s’agit donc d’une théorie affirmant la primauté du religieux sur le politique et qui constitue la clef de voute du régime iranien actuel.
- Akbar Ganji a toutefois développé des réflexions plus critiques sur la religion et le texte coranique lui-même suscitant un débat philosophico-religieux contradictoire et très prolixe avec notamment Ataollah Mohajerani.
- Les « cinq points » avancés par Moussavi s’inscrivent dans une approche plus minimaliste et légaliste tandis que les « dix points » des cinq intellectuels se distinguent par leur empreinte républicaine. Ces derniers, conscients d’être à l’extérieur de l’Iran, entendent accompagner les revendications de Moussavi.
- La télévision d’État iranienne a diffusé en décembre 2009 des images, considérées par beaucoup comme un montage grossier, montrant des manifestants déchirer des photos de Khomeiny dans le but de discréditer l’opposition et de lui aliéner les Iraniens éprouvant du respect pour le fondateur de la République islamique.
- Libérée à la suite d’importantes pressions internationales, Shadi Sadr, lauréate de plusieurs prix internationaux récompensant son engagement, était de passage à Bruxelles au début décembre 2009.
- Mardomsalari, (quotidien iranien), Téhéran, 13 décembre 2009.