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Intervenir dans les quartiers
Depuis près de trois décennies, la Belgique et d’autres États européens fondent le déploiement des politiques sociales sur base des territoires et des quartiers. Dans les faits, ce sont moins les catégories classiques du social (santé, logement, éducation, etc.) qui définissent les périmètres de l’action mais bien des territoires identifiés comme étant « relégués », au nom d’un principe de proximité qui permet une meilleure adéquation entre les besoins des personnes et les réponses qui y sont apportées. Ce mouvement de territorialisation des politiques sociales s’est vu assorti du développement de nouveaux dispositifs locaux (missions locales pour l’emploi, contrat de quartier, etc.) portés, pour la plupart, par des associations parapubliques. Il repose également sur la valorisation d’une participation active des citoyens des communautés locales, ainsi que sur une dimension plus transversale de l’intervention sociale qui implique le décloisonnement des secteurs (notamment entre le privé et le public) et la valorisation de partenariats locaux.
Depuis près de trois décennies, la Belgique et d’autres États européens fondent le déploiement des politiques sociales sur base des territoires et des quartiers. Dans les faits, ce sont moins les catégories classiques du social (santé, logement, éducation, etc.) qui définissent les périmètres de l’action mais bien des territoires identifiés comme étant « relégués »1, au nom d’un principe de proximité qui permet une meilleure adéquation entre les besoins des personnes et les réponses qui y sont apportées. Ce mouvement de territorialisation des politiques sociales s’est vu assorti du développement de nouveaux dispositifs locaux (missions locales pour l’emploi, contrat de quartier, etc.) portés, pour la plupart, par des associations parapubliques. Il repose également sur la valorisation d’une participation active des citoyens des communautés locales, ainsi que sur une dimension plus transversale de l’intervention sociale qui implique le décloisonnement des secteurs (notamment entre le privé et le public) et la valorisation de partenariats locaux.
Plusieurs institutions incarnent depuis longtemps cette approche de l’intervention sociale, comme les CPAS qui répondent à un principe de territorialité. C’est aussi le cas de services sociaux de proximité ancrés dans des quartiers depuis parfois plusieurs dizaines d’années, comme l’est par exemple l’Entr’aide des Marolles active dans le centre de Bruxelles depuis près d’un siècle. Aujourd’hui, la distance – creusée par la crise sanitaire et sa gestion – entre les autorités publiques et certaines populations précarisées a contribué à donner toujours plus de légitimité au développement de politiques sociales centrées sur les besoins d’un territoire. À Bruxelles, le Plan Social Santé Intégré (PSSI) se déploie progressivement dans les secteurs concernés et les territoires déficitaires en offre. En Wallonie, les prémisses du plan Proxisanté voient le jour, il fait du maillage des territoires par les services de première ligne et de la concertation entre acteurs locaux ses horizons d’action.
Ces plans qui mobilisent des principes fédérateurs, comme celui d’universalisme proportionné (qui consiste à renforcer la présence des services ambulatoires dans des quartiers plus précarisés ou désertés) et celui de responsabilité populationnelle (qui rend l’action publique redevable vis‑à-vis de la population d’une propo- sition adaptée de l’offre de services), sont toutefois critiqués par l’intervention de première ligne, c’est‑à-dire par les professionnel·les qui sont directement en contact avec les usager·ères. Leurs critiques résident dans le fait que plutôt que de programmer et renforcer une offre, ces plans la réorganisent « par quartiers, groupements de quartiers, bassins », y accolant une deuxième ligne pourvue de nouvelles fonctions, y associant des métiers centrés sur des modes d’actions tels que l’outreach (l’aller-vers) et la formalisation des concertations. C’est pourtant une offre ambulatoire renforcée, incluant des services peu conditionnés accessibles à des personnes fortement marginalisées (et stigmatisées), que réclament les services de première ligne. C’était notamment le cri d’alarme récent lancé par des directions de CPAS bruxellois (Schaerbeek et Saint-Gilles) requérant « plus de moyens pour leurs missions de base » à la place des financements alloués, dans le cadre du PSSI, à des projets de coordination locale des acteurs Social Santé (à la charge des CPAS via le dispositif CLSS). Non seulement ils sont redondants par rapport aux dynamiques de réseau préexistantes dans les quartiers, mais en plus, ils renforcent des logiques concurrentielles à l’échelle des territoires, via la soumission d’appels à projet. Comme le résume François Perl, conseiller stratégique du Secrétariat Général de Solidaris : « Il n’y a pas de programmation effective de l’offre de soins ambulatoires à Bruxelles et en Wallonie. Et bien que les plans, en particulier le PSSI, soient intéressants dans leurs principes, ils n’apportent pas de réponse à cette non-programmation ».
Plutôt que de s’intéresser à la littérature qui balise les plans de l’action publique, nous choisissons de nous arrêter sur le travail « en train de se faire » dans les quartiers et les territoires, sur ses atouts et ses limites, ses difficultés et ses succès. Comment les services, implantés dans les quartiers, s’approprient-ils cette notion de territoire et de quartier ? La connaissance et le quadrillage des territoires, une catégorie construite et jamais stabilisée (Bresson et al., 2016), sont-ils l’objet d’un fantasme politique ? Comment les services de première ligne construisent- ils, voire même bricolent, des pratiques qui vont dans le sens d’une approche territorialisée de leurs actions ? Quelles sont leurs propres limites et logiques d’action ? Comment intégrer une diversité d’approches qui incluent la proximité géographique mais qui sont loin de s’y limiter ? À travers les expériences et les regards de ces professionnel·les et de ces services, se dessinent une diversité d’appréhensions de cette notion de territoire, construite parfois hors des cadres définis par les autorités publiques. Rédigé par une équipe de chercheur·euses inscrit·es dans des organisations de deuxième ligne – la Fédération des Services Sociaux et la Ligue Bruxelloise de Santé Mentale – ce dossier a une portée intersectorielle : il se préoccupe d’aide sociale, de santé mentale, de santé physique ; il se nourrit de contributions diversifiées, bruxelloises et wallonnes ; il s’exprime à partir des terrains et de leurs praticien·nes.
Ce dossier s’ouvre sur un article de Joaquín de Santos Barbosa (FdSS). Il s’intéresse au contexte français et à la manière dont la question des « quartiers sensibles » est devenue sous l’impulsion de politiques publiques l’objet de la territorialisation des enjeux de l’exclusion sociale. Il montre, par ailleurs, comment cette catégorie est vécue en retour par les habitant·es de ces quartiers-là, et comment l’identification aux « banlieues », si elle est source de stigmatisation, peut aussi être un vecteur de mobilisation et de politisation des enjeux sociaux par les classes populaires.
Dans un entretien mené avec Alain Caufriez et François Baufay, respectivement coordinateur du centre bruxellois d’action sociale globale et directeur de l’Entr’aide des Marolles, Lotte Damhuis (FdSS) propose de s’intéresser à cette organisation offrant une diversité de services, active depuis près de 100 ans dans le quartier populaire des Marolles. Ses logiques d’action reposent sur les notions d’accessibilité et de proximité, qui se déclinent à une diversité de niveaux, tant géographique, symbolique que pratique.
Robin Susswein, Marie Jenet et Matthieu Boulanger, chercheurs et chercheuse à la Ligue bruxelloise de la santé mentale (LBSM), soulignent les différences entre la logique d’action de l’homo proximus postulé par le PSSI, et les logiques d’actions mobilisées par les bénéficiaires qui portent une demande d’accompagnement vers un Service de Santé Mentale (SSM). Confiance relationnelle, accessibilité économique et surtout disponibilité de l’offre apparaissent primer sur la logique de proximité géographique dans un contexte marqué par une forte saturation de ces services.
Dans une quatrième contribution, Justine Vleminckx (FdSS) décrit et analyse un dispositif d’intervention sociale mis en place dans près de 30 quartiers précari- sés à Bruxelles depuis janvier 2022 dans le contexte de sortie de crise sanitaire. Il s’agit du BRI-Co (Bureau de Recherche et d’Investigation sur les Communs), un outil d’intervention communautaire, prenant la forme d’une cantine et d’un atelier de quartier éphémère, porté par des acteur·ices tiers – extérieur·es au territoire considéré – et limité à un territoire de maximum 5000 habitant·es.
Enfin, l’article de Charlotte Maisin (FdSS) aborde les questions de l’offre ambulatoire en milieu rural et isolé, en particulier dans le secteur de la périna- talité en difficulté. Il étudie l’articulation entre des interventions bas-seuil et d’autres plus normées auprès des mères et des familles (très) précarisées. Il interroge la question du « maillage » des territoires ruraux et des défis de l’approche intégrée quand elle s’applique à des situations de grande fragilité.
Ce dossier s’intéresse à l’existant, aux savoirs professionnels, aux nuances et à la complexité des situations de vie. Il n’a pas vocation à (re)dessiner l’action publique mais il porte l’attention sur l’accompagnement et le soin porté à des situations de précarité et de marginalité dans les quartiers qui ne répondent pas à un critère de représentativité. Il pense les territoires à partir de leurs exclusions et montre, par force d’exemples de terrain, comment elles sont construites et façonnées par les mécanismes de rejet et l’instauration de frontières – géographiques, pratiques, symboliques – produits à partir « du centre » et de ce qui, justement, s’estime inclus.
- Sur le vocabulaire utilisé pour désigner les quartiers relégués, Kokoreff écrivait, en 2007, que « l’abondance des catégorisations pour qualifier les quartiers pauvres est significative de l’ambivalence qui les caractérise (…) Les catégories du discours social (des élus, des journalistes, des professionnels…) tantôt en disent trop, tantôt n’en disent pas assez. On est au mieux dans l’ambivalence, l’oscillation, le balancement entre catastrophisme et dénégation, désenchantement et ré-enchantement. » voir : Kokoreff, M. (2007), « Du stigmate au ghetto. De la difficulté à nommer les quartiers », Informations sociales, 5, N° 141, p. 86 – 95.