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Institutionnel : les faux problèmes sont les vrais problèmes

Numéro 9 Septembre 2011 par Lechat Benoît

septembre 2011

La for­mule a domi­né le dis­cours poli­tique fran­co­phone tout au long de la pre­mière décen­nie de ce siècle : les enjeux ins­ti­tu­tion­nels et com­mu­nau­taires sont secon­daires par rap­port aux « vrais » enjeux, comme l’emploi et le pou­voir d’a­chat. En la répé­tant pour ten­ter de repor­ter les reven­di­ca­tions adop­tées en 1999 par les par­tis sié­geant au Par­le­ment fla­mand, les […]

La for­mule a domi­né le dis­cours poli­tique fran­co­phone tout au long de la pre­mière décen­nie de ce siècle : les enjeux ins­ti­tu­tion­nels et com­mu­nau­taires sont secon­daires par rap­port aux « vrais » enjeux, comme l’emploi et le pou­voir d’a­chat. En la répé­tant pour ten­ter de repor­ter les reven­di­ca­tions adop­tées en 1999 par les par­tis sié­geant au Par­le­ment fla­mand, les fran­co­phones ont indi­rec­te­ment confor­té le cli­ché tenace selon lequel les pro­blèmes com­mu­nau­taires étaient une inven­tion des par­tis poli­tiques. Selon ce cli­ché, les « vrais gens » dans la vie « nor­male », qu’ils soient néer­lan­do­phones ou fran­co­phones, s’en­tendent par­fai­te­ment et ne s’in­ventent pas de désac­cords là où il n’y en a pas. En dépit du fait que depuis une dizaine d’an­nées de plus en plus d’é­lec­teurs fla­mands ont appor­té leurs suf­frages à des par­tis dont la prio­ri­té est consti­tuée par la réforme de l’É­tat, voire par l’in­dé­pen­dance de la Flandre, ce cli­ché a encore la vie dure. Il risque cepen­dant d’ap­pa­raitre très rapi­de­ment comme une grande illu­sion collective.

Enfin, serait-on ten­té de pen­ser ! Car non seule­ment les enjeux ins­ti­tu­tion­nels et com­mu­nau­taires sur­dé­ter­minent la vie poli­tique belge et influencent donc direc­te­ment notre vie quo­ti­dienne. Mais aus­si et sur­tout parce qu’en mini­mi­sant leur impor­tance, nous nous pri­vons d’une part de notre capa­ci­té d’a­gir. Nous sommes lit­té­ra­le­ment hété­ro­nomes, c’est-à-dire inca­pables de com­prendre les res­sorts de notre vie col­lec­tive et de la changer.

Éviter un mauvais remake des années nonante

Aujourd’­hui, il faut évi­ter à tout prix d’être les spec­ta­teurs impuis­sants d’un mau­vais remake du film des années nonante, quand la com­mu­nau­ta­ri­sa­tion de l’en­sei­gne­ment fut sui­vie de plu­sieurs années de conflits sociaux dans les écoles de la Com­mu­nau­té fran­çaise, sans débou­cher sur de réels pro­grès. Y par­ve­nir est une res­pon­sa­bi­li­té poli­tique au sens très large : non seule­ment des per­sonnes dont c’est le métier (par­tis, fonc­tion­naires, ensei­gnants, syn­di­cats, pou­voirs orga­ni­sa­teurs, asso­cia­tions), mais aus­si de l’en­semble des citoyens habi­tant la Wal­lo­nie et Bruxelles, qui sont tous usa­gers directs ou indi­rects de l’é­cole, comme des autres ser­vices aux per­sonnes assu­rés par les asso­cia­tions ou ser­vices publics dépen­dant de la Com­mu­nau­té française.

Nous sommes tous des plombiers

Le sys­tème par­ti­cra­tique belge a, il est vrai, pour fâcheuse ten­dance de déres­pon­sa­bi­li­ser gran­de­ment les citoyens. Gérard Deprez et Guy Spi­taels qui com­ptèrent aus­si par­mi ses plus brillants repré­sen­tants en savent quelque chose… Après avoir négo­cié dure­ment une loi de finan­ce­ment des Com­mu­nau­tés et des Régions et après avoir cru qu’ils avaient sau­ve­gar­dé l’es­sen­tiel des inté­rêts de l’en­sei­gne­ment fran­co­phone, ils subirent tout au long des années nonante le désa­veu d’une grande par­tie du monde de l’é­cole (ensei­gnants, parents, élèves…) qui les accu­sa de s’être fait rou­ler dans la farine par leurs homo­logues fla­mands en ne pré­voyant pas de finan­ce­ment suf­fi­sant pour l’é­cole fran­co­phone. Il fal­lut ensuite des années de mobi­li­sa­tion pour qu’un refi­nan­ce­ment des Com­mu­nau­tés soit ins­ti­tué. Si du côté néer­lan­do­phone, il per­mit d’ac­cé­lé­rer le désen­det­te­ment de la Région fla­mande, du côté fran­co­phone, il main­tint l’é­cole tout juste au-des­sus de sa sur­face de flot­tai­son. Que la Flandre qui avait fusion­né sa Région et sa Com­mu­nau­té dis­po­sât d’une assiette fis­cale bien plus large ne fit qua­si­ment pas l’ob­jet du débat. Les refi­nan­ce­ments de 1993 et de 2001 per­mirent ain­si de faire l’é­co­no­mie d’une vraie réflexion sur une meilleure affec­ta­tion des deniers publics au sein des ins­ti­tu­tions régio­nales et com­mu­nau­taires. Les plans d’é­co­no­mies impo­sés dans le secon­daire et le supé­rieur furent mis sur le compte des erreurs com­mises par les pré­si­dents fran­co­phones et non du dif­fé­ren­tiel de richesse entre la Flandre, la Wal­lo­nie et Bruxelles. De la sorte, les res­pon­sa­bi­li­tés internes à la crise de l’é­cole fran­co­phone ne furent guère inter­ro­gées. Cette fois-ci, il fau­dra tout faire pour ne pas répé­ter pareil scénario.

Nous sommes tous concernés par l’avenir de l’école

La note Di Rupo pré­voit un ren­for­ce­ment de l’au­to­no­mie fis­cale et une contri­bu­tion des enti­tés fédé­rées à l’ef­fort de réduc­tion du défi­cit bud­gé­taire de la Bel­gique. Pour la Wal­lo­nie et Bruxelles, comme pour la Com­mu­nau­té fran­çaise, son impact d’ores et déjà consi­dé­rable devrait selon toute pro­ba­bi­li­té être ren­for­cé au terme de la négo­cia­tion qui s’ouvre en cette ren­trée 2011, sans par­ler, en cas d’é­chec com­plet, de la mise en place d’un plan B qui se tra­dui­rait par un taris­se­ment des méca­nismes de soli­da­ri­té inter­ré­gio­nale entre la Flandre et les autres enti­tés fédé­rées. Sauf à spé­cu­ler sur un impro­bable raz de marée de la gauche fla­mande aux élec­tions régio­nales de 2014 (et encore), il fau­dra donc obli­ga­toi­re­ment faire la même chose avec des moyens plus ou moins réduits. Au vu de son impor­tance bud­gé­taire, l’é­cole sera imman­qua­ble­ment en pre­mière ligne.

Or en Wal­lo­nie et à Bruxelles, elle est déjà confron­tée de manière par­ti­cu­liè­re­ment aigüe aux pro­blèmes de pénu­rie et de démo­ti­va­tion des ensei­gnants qui touchent à des degrés divers l’en­semble des pays euro­péens. La solu­tion du malaise sco­laire ne vien­dra donc pas d’un nou­veau refi­nan­ce­ment. Pas ques­tion pour autant de consi­dé­rer celui-ci comme une fata­li­té et de lais­ser aux seuls poli­tiques, aux syn­di­cats d’en­sei­gnants et aux pou­voirs orga­ni­sa­teurs, le soin de négo­cier de nou­veaux plans de restruc­tu­ra­tion sans repar­ler en pro­fon­deur de la place de l’é­cole dans nos Régions, sans ten­ter d’ou­vrir de toutes nou­velles pers­pec­tives. L’a­ve­nir de l’é­cole concerne tous les habi­tants de Bruxelles et de la Wal­lo­nie. Il en va de même pour la culture et toutes les com­pé­tences de l’aide aux per­sonnes. Au-delà des négo­cia­tions ins­ti­tu­tion­nelles, ce sont donc tous les acteurs concer­nés par l’a­ve­nir de nos Régions — syn­di­cats inter­pro­fes­sion­nels, entre­prises, asso­cia­tions, citoyens — qui doivent être asso­ciés à la défi­ni­tion et à la mise en œuvre de pro­jets qui per­met­tront d’af­fron­ter « les vrais pro­blèmes » de tous ceux qui y vivent, en com­men­çant par les plus jeunes d’entre eux.

Lechat Benoît


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