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Incontournable criminalisation

Numéro 8 - 2015 par Christophe Mincke

décembre 2015

Récem­ment, une Fran­çaise a été condam­née à une peine de 1.400 euros d’amende pour avoir giflé sa fille. Cette affaire pour­rait inci­ter, à prio­ri, à relan­cer le débat sur les « vio­lences édu­ca­tives ». Peut-on frap­per son enfant ? Si oui, dans quelles cir­cons­tances et dans quel but ? Pour­tant, de toute évi­dence, les coups et bles­sures sur un enfant sont déjà pro­hi­bés. Si […]

Billet d’humeur

Récem­ment, une Fran­çaise a été condam­née à une peine de 1.400 euros d’amende pour avoir giflé sa fille. Cette affaire pour­rait inci­ter, à prio­ri, à relan­cer le débat sur les « vio­lences édu­ca­tives ». Peut-on frap­per son enfant ? Si oui, dans quelles cir­cons­tances et dans quel but ?

Pour­tant, de toute évi­dence, les coups et bles­sures sur un enfant sont déjà pro­hi­bés. Si les condam­na­tions sont si rares, ce n’est donc pas du fait d’un vide juri­dique, mais sans doute de celui d’une dif­fi­cul­té à détec­ter ces com­por­te­ments et, plus cer­tai­ne­ment, du fait que les auto­ri­tés judi­ciaires n’en font pas une prio­ri­té. Il est donc plus inté­res­sant d’examiner autre chose : la nature de la réac­tion et le contexte spé­ci­fique dans lequel elle intervient.

Or, que nous apprend le cas qui nous occupe ? Tout d’abord que les parents étaient sépa­rés et que c’est sur dénon­cia­tion du père que les auto­ri­tés se sont sai­sies de l’affaire. Ce contexte qui per­met de dou­ter que l’intérêt de l’enfant fut seul en jeu ou qui, à tout le moins, pointe un dan­ger : celui de l’instrumentalisation de l’intervention des auto­ri­tés répres­sives dans le cadre de couples désunis.

En ce qui concerne l’intervention des auto­ri­tés, nul doute que l’interrogatoire de la vic­time, puis celui de la mère furent, pour l’enfant elle-même, une par­tie de plai­sir. La culpa­bi­li­té, la dépos­ses­sion de son his­toire, la crainte pour une mère convo­quée par la police, voi­là qui semble bien davan­tage de nature à trau­ma­ti­ser une fillette qu’une gifle reçue hors d’un contexte de mal­trai­tance caractérisée.

Que dire de la condam­na­tion judi­ciaire et de ses réper­cus­sions média­tiques ? Si la nou­velle est dans la presse, c’est que « cela s’est su»… dans le quar­tier, à l’école, par­mi les amis ? Que res­sent une fillette qui sent que sa mère est désap­prou­vée de la sorte, par la jus­tice et par l’opinion ? Que res­sent-elle si, au contraire, on lui dit que sa mère a bien fait… et qu’elle a donc cau­sé, même invo­lon­tai­re­ment, son injuste condamnation ?

Que pen­ser, en outre, de l’infliction d’une amende de 1.400 euros, s’ajoutant aux frais de jus­tice et aux hono­raires d’avocat ? On ne sait rien du contexte socioé­co­no­mique du cas d’espèce, mais il n’est un secret pour per­sonne que les familles mono­pa­ren­tales sont éco­no­mi­que­ment fra­giles, tout par­ti­cu­liè­re­ment lorsqu’elles sont consti­tuées autour d’une femme. De quoi la famille se pri­ve­ra-t-elle ? De quoi l’enfant devra-t-elle se pas­ser ? De vacances à la mer ou d’un nou­veau car­table ? Qui est puni, en fin de compte ? A‑t-on son­gé que la mère ne pour­rait plus pro­duire à un employeur de cer­ti­fi­cat de bonnes vie et mœurs vierge ? On convien­dra que la peine n’est pas symbolique.

Et com­ment envi­sa­ger, enfin, le pire : l’ambiance fami­liale ? Entre la mère et le père, cen­sés for­mer un « couple paren­tal », pas de média­tion fami­liale pour trai­ter en dou­ceur les pro­blèmes, mais une pro­cé­dure judi­ciaire… faut-il s’attendre à des repré­sailles ? Les bles­sures gué­ri­ront-elles jamais ? Et entre la mère et la fille ? L’autorité, l’amour, la confiance, le sen­ti­ment de se savoir pro­té­gée par un adulte, plus fort, plus fiable, plus intel­li­gent et, sur­tout, plus aimant que tout autre… tout cela est-il mena­cé ? Com­ment gérer l’image dégra­dée d’une mère ain­si condam­née ? Com­ment édu­quer son enfant sous la menace d’une inter­ven­tion judi­ciaire ? Com­ment ne pas voir dans cet enfant celle par laquelle la catas­trophe peut survenir ?

Il n’est pas ici ques­tion de défendre la « vio­lence édu­ca­tive ». Une fois encore, ce n’est pas le sujet. Il s’agit plu­tôt de s’étonner de ce que, au nom du carac­tère inad­mis­sible d’une vio­lence com­mise sur un enfant, on en inflige une incom­men­su­ra­ble­ment supé­rieure à un adulte et, par réper­cus­sion, à l’enfant que l’on pré­ten­dait protéger.

L’intervention pénale est-elle donc deve­nue si indis­cu­table, si appa­rem­ment natu­relle, qu’il est pos­sible d’y recou­rir dans de telles cir­cons­tances ? En fin de compte, ne voyons-nous pas, tout autour de nous, se mul­ti­plier à l’infini les appels à recou­rir à la répres­sion en toute matière ? Chaque fois que nous sommes mena­cés, trou­blés, cho­qués, devons-nous nous réfu­gier sous l’aile du juge pénal ? Sommes-nous donc inca­pables d’imaginer d’autres solu­tions aux injus­tices ? Ne pou­vons-nous entre­voir d’autres moyens de nous pro­té­ger ? Avons-nous oublié que, dans une démo­cra­tie, cette réac­tion vio­lente et archaïque devrait être réser­vée aux cas dans les­quels, non seule­ment, la col­lec­ti­vi­té court un dan­ger insigne, mais, en outre, aucune autre solu­tion n’est envi­sa­geable ? Avons-nous réel­le­ment per­du toute méfiance face aux inter­ven­tions répres­sives de l’État ?

En fin de compte, quelle est donc la légi­ti­mi­té d’une socié­té si bru­tale à exi­ger que l’on éduque sans vio­lence et, plus lar­ge­ment, à pro­duire en boucle des dis­cours sur la néces­si­té du res­pect et de la réso­lu­tion paci­fique des conflits ?

Ce cas, avec bien d’autres, devrait nous pous­ser à nous inter­ro­ger à nou­veau sur la place que nous sommes prêts à aban­don­ner à la logique répres­sive. Il devrait aus­si nous inci­ter à faire notre exa­men de conscience à la lumière de l’image de socié­tés et d’individus paci­fiques que nous aimons à nous don­ner. L’exercice ne peut qu’être dou­lou­reux, mais il est nécessaire.

Christophe Mincke


Auteur

Christophe Mincke est codirecteur de La Revue nouvelle, directeur du département de criminologie de l’Institut national de criminalistique et de criminologie et professeur à l’Université Saint-Louis à Bruxelles. Il a étudié le droit et la sociologie et s’est intéressé, à titre scientifique, au ministère public, à la médiation pénale et, aujourd’hui, à la mobilité et à ses rapports avec la prison. Au travers de ses travaux récents, il interroge notre rapport collectif au changement et la frénésie de notre époque.