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Incontournable criminalisation
Récemment, une Française a été condamnée à une peine de 1.400 euros d’amende pour avoir giflé sa fille. Cette affaire pourrait inciter, à priori, à relancer le débat sur les « violences éducatives ». Peut-on frapper son enfant ? Si oui, dans quelles circonstances et dans quel but ? Pourtant, de toute évidence, les coups et blessures sur un enfant sont déjà prohibés. Si […]
Récemment, une Française a été condamnée à une peine de 1.400 euros d’amende pour avoir giflé sa fille. Cette affaire pourrait inciter, à priori, à relancer le débat sur les « violences éducatives ». Peut-on frapper son enfant ? Si oui, dans quelles circonstances et dans quel but ?
Pourtant, de toute évidence, les coups et blessures sur un enfant sont déjà prohibés. Si les condamnations sont si rares, ce n’est donc pas du fait d’un vide juridique, mais sans doute de celui d’une difficulté à détecter ces comportements et, plus certainement, du fait que les autorités judiciaires n’en font pas une priorité. Il est donc plus intéressant d’examiner autre chose : la nature de la réaction et le contexte spécifique dans lequel elle intervient.
Or, que nous apprend le cas qui nous occupe ? Tout d’abord que les parents étaient séparés et que c’est sur dénonciation du père que les autorités se sont saisies de l’affaire. Ce contexte qui permet de douter que l’intérêt de l’enfant fut seul en jeu ou qui, à tout le moins, pointe un danger : celui de l’instrumentalisation de l’intervention des autorités répressives dans le cadre de couples désunis.
En ce qui concerne l’intervention des autorités, nul doute que l’interrogatoire de la victime, puis celui de la mère furent, pour l’enfant elle-même, une partie de plaisir. La culpabilité, la dépossession de son histoire, la crainte pour une mère convoquée par la police, voilà qui semble bien davantage de nature à traumatiser une fillette qu’une gifle reçue hors d’un contexte de maltraitance caractérisée.
Que dire de la condamnation judiciaire et de ses répercussions médiatiques ? Si la nouvelle est dans la presse, c’est que « cela s’est su»… dans le quartier, à l’école, parmi les amis ? Que ressent une fillette qui sent que sa mère est désapprouvée de la sorte, par la justice et par l’opinion ? Que ressent-elle si, au contraire, on lui dit que sa mère a bien fait… et qu’elle a donc causé, même involontairement, son injuste condamnation ?
Que penser, en outre, de l’infliction d’une amende de 1.400 euros, s’ajoutant aux frais de justice et aux honoraires d’avocat ? On ne sait rien du contexte socioéconomique du cas d’espèce, mais il n’est un secret pour personne que les familles monoparentales sont économiquement fragiles, tout particulièrement lorsqu’elles sont constituées autour d’une femme. De quoi la famille se privera-t-elle ? De quoi l’enfant devra-t-elle se passer ? De vacances à la mer ou d’un nouveau cartable ? Qui est puni, en fin de compte ? A‑t-on songé que la mère ne pourrait plus produire à un employeur de certificat de bonnes vie et mœurs vierge ? On conviendra que la peine n’est pas symbolique.
Et comment envisager, enfin, le pire : l’ambiance familiale ? Entre la mère et le père, censés former un « couple parental », pas de médiation familiale pour traiter en douceur les problèmes, mais une procédure judiciaire… faut-il s’attendre à des représailles ? Les blessures guériront-elles jamais ? Et entre la mère et la fille ? L’autorité, l’amour, la confiance, le sentiment de se savoir protégée par un adulte, plus fort, plus fiable, plus intelligent et, surtout, plus aimant que tout autre… tout cela est-il menacé ? Comment gérer l’image dégradée d’une mère ainsi condamnée ? Comment éduquer son enfant sous la menace d’une intervention judiciaire ? Comment ne pas voir dans cet enfant celle par laquelle la catastrophe peut survenir ?
Il n’est pas ici question de défendre la « violence éducative ». Une fois encore, ce n’est pas le sujet. Il s’agit plutôt de s’étonner de ce que, au nom du caractère inadmissible d’une violence commise sur un enfant, on en inflige une incommensurablement supérieure à un adulte et, par répercussion, à l’enfant que l’on prétendait protéger.
L’intervention pénale est-elle donc devenue si indiscutable, si apparemment naturelle, qu’il est possible d’y recourir dans de telles circonstances ? En fin de compte, ne voyons-nous pas, tout autour de nous, se multiplier à l’infini les appels à recourir à la répression en toute matière ? Chaque fois que nous sommes menacés, troublés, choqués, devons-nous nous réfugier sous l’aile du juge pénal ? Sommes-nous donc incapables d’imaginer d’autres solutions aux injustices ? Ne pouvons-nous entrevoir d’autres moyens de nous protéger ? Avons-nous oublié que, dans une démocratie, cette réaction violente et archaïque devrait être réservée aux cas dans lesquels, non seulement, la collectivité court un danger insigne, mais, en outre, aucune autre solution n’est envisageable ? Avons-nous réellement perdu toute méfiance face aux interventions répressives de l’État ?
En fin de compte, quelle est donc la légitimité d’une société si brutale à exiger que l’on éduque sans violence et, plus largement, à produire en boucle des discours sur la nécessité du respect et de la résolution pacifique des conflits ?
Ce cas, avec bien d’autres, devrait nous pousser à nous interroger à nouveau sur la place que nous sommes prêts à abandonner à la logique répressive. Il devrait aussi nous inciter à faire notre examen de conscience à la lumière de l’image de sociétés et d’individus pacifiques que nous aimons à nous donner. L’exercice ne peut qu’être douloureux, mais il est nécessaire.