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Il y a une Amérique que nous n’aimons pas, Mister President
Le 12 novembre dernier, une information est passée totalement inaperçue dans les médias belges tout occupés qu’ils étaient à gloser sur les chances du Premier ministre d’accéder à la fonction de président permanent du Conseil européen ou sur celles d’Yves Leterme de revenir à la primature. Seuls les lecteurs de Belga, qui se comptent sur les doigts de […]
Le 12 novembre dernier, une information est passée totalement inaperçue dans les médias belges tout occupés qu’ils étaient à gloser sur les chances du Premier ministre d’accéder à la fonction de président permanent du Conseil européen ou sur celles d’Yves Leterme de revenir à la primature. Seuls les lecteurs de Belga, qui se comptent sur les doigts de la main, ont pris connaissance de ce que le Sénat belge avait entériné un projet de loi portant assentiment à l’accord entre l’Union européenne et les États-Unis sur le traitement et le transfert de données des dossiers passagers (PNR) par les transporteurs aériens au ministère américain de la Sécurité intérieure. En vertu de cet accord, adopté dans le cadre de « la lutte contre le terrorisme et la grande criminalité internationale », les compagnies aériennes des pays de l’Union acceptent de transférer au département américain de Sécurité intérieure toutes les données concernant les personnes voyageant à leur bord à l’exception de celles qui concernent « leur origine raciale et ethnique, leur opinion politique, leur conviction religieuse ou philosophique, leur état de santé et leur appartenance syndicale »1.
Déjà pratiqué de facto par les compagnies aériennes, cet accord avait donné lieu en avril dernier à l’épisode rocambolesque de l’interdiction du survol des États-Unis par un avion d’Air France en raison de la présence à bord d’un collaborateur colombien du Monde diplomatique, mensuel dont on connait le biais assez habituellement antiaméricain. Hernando Calvo Ospina, puisque c’est de lui qu’il s’agit, était un exilé politique en France qui a beaucoup écrit pour dénoncer le gouvernement d’Alvaro Uribe et le rôle des États-Unis en Amérique latine, et en tant que journaliste, il avait eu l’occasion d’interviewer des membres de l’état-major des FARC. Cela semblait suffire pour qu’il soit considéré comme un terroriste !
Rebelotte en aout 2009 lorsque le vol de ligne Air France qui relie Paris à Mexico reçoit des autorités des États-Unis une interdiction de survoler leur territoire, ce qui l’a obligé à contourner la Floride et le golfe du Mexique, prolongeant sa durée de vol de cinquante minutes. Motif de ce détour qui a couté bien cher aux passagers qui ont raté leur correspondance : la présence à bord de Paul-Émile Dupret, juriste belge, conseiller du groupe GUE-GVN du Parlement européen, militant altermondialiste, qui se rendait à l’assemblée du Forum de Sao Paulo avec une délégation parlementaire.
Un paradoxe américain
On ne peut évidemment pas suspecter la compagnie Air France d’avoir transmis un dossier sur les « convictions politiques » de ces passagers. En fait, c’était bien des officines spécialisées du département d’état et sur la base de la procédure PNR que l’interdiction de survol était venue, ce qui démontre à quel point la « surveillance » nord-américaine est redoutablement efficace et doit faire pâlir d’envie Georges Orwell dans sa tombe. On donnera donc pour conseil aux militants antiaméricains de tenter d’abord d’effectuer une demande auprès de l’administration du Privacy Act afin de vérifier, avant de prendre leur billet d’avion pour les États-Unis, qu’ils ne sont pas répertoriés dans les « listes noires » du département d’état. Car c’est un des plus grands paradoxes des États-Unis d’être aussi le seul pays au monde à avoir adopté en 1974 une loi qui permet, moyennant une dizaine d’exemptions, à tout citoyen américain ou non américain de connaitre les informations que le gouvernement détient à leur sujet, de les corriger si elles s’avèrent fausses, et d’attaquer en justice le gouvernement si celui-ci utilise les données d’une façon non autorisée.
Les dérives
Toute ironie mise à part, nous avons de plus en plus de mal à accepter une certaine Amérique quand bien même elle aurait un Barack Obama à sa tête. Beaucoup d’indices laissent à penser que le charisme du nouveau président américain a et aura encore beaucoup de mal à infléchir la titanesque inertie d’une administration ou les dérives d’une certaine société américaine que nous n’aimons pas.
Ainsi, la décision de fermeture de l’abominable Guantanamo, prise par le nouveau prix Nobel de la paix au lendemain de son entrée en fonction, a été repoussée d’abord à janvier, puis à juillet 2010, tandis que le conseiller juridique du président, principal artisan de la décision de cette fermeture, vient de démissionner « pour avoir échoué dans sa mission ». Quelque deux cent cinquante prisonniers restent toujours détenus dans la base américaine et le nouveau gouvernement des États-Unis n’a annoncé aucune mesure visant à ouvrir des enquêtes et à poursuivre en justice les responsables des tortures infligées aux prisonniers, les nombreuses informations portant sur ces violations étant toujours classées secrètes. Alors que le Congrès a adopté une loi, la Homeland Security Appropriations Bill, qui interdit toute diffusion de photos de prisonniers sous la garde de l’armée américaine — il s’agit de ne pas « entamer le moral des troupes dépêchées à l’extérieur et de prévenir toute violence ou sentiment antiaméricain » —, toute la lumière n’a pas encore été faite sur les responsables des sévices infligés aux suspects de « terrorisme » dans une autre prison américaine tristement célèbre, celle d’Abou Ghraib.
De même dans le dossier des mines antipersonnel, le département d’État de l’administration Obama a récemment signifié qu’il n’était pas question pour les États-Unis de souscrire au traité d’Ottawa qui les interdit. Il a donné comme curieuse justification le fait que « les États-Unis sont les leaders mondiaux en matière d’action humanitaire relative aux mines et que depuis 1993, les États-Unis ont apporté plus d’1,5 milliard de dollars d’aide à cinquante pays, contribuant à une réduction significative du nombre des victimes de mines et d’autres munitions restées sur le terrain après des conflits ». Un « droit de tuer » en quelque sorte puisque les ambulances sont à portée de main.
Dans le domaine de la peine de mort, on ne peut guère s’attendre à ce que l’Amérique de Barack Obama rejoigne le camp désormais majoritaire des abolitionnistes (138 pays sur les 197 que compte l’ONU). Le parcours d’Obama sur la question demeure ambigu. Naguère candidat à un poste sénatorial dans l’Illinois, l’intéressé déclara à la télévision que la peine de mort était utilisée « trop fréquemment et inconsciemment » et rappela que « treize condamnés à mort ont été libérés en Illinois pour cause d’innocence ». Il avait conclu son interview en déclarant que même s’il supportait la peine de mort lorsque « la communauté est fondée à exprimer la pleine mesure de son indignation », il fallait « réduire le nombre de crimes capitaux ».
Durant la campagne présidentielle, Obama déclara que le cas d’Oussama Ben Laden justifiait le recours à la peine de mort et condamna le jour même où elle fut rendue une décision de la Cour suprême des États-Unis qui déclarait la peine de mort anticonstitutionnelle pour les violeurs d’enfant « qui ne tuent pas ». Une fois élu, Obama nomma au poste de ministre de la Justice un partisan de l’abolitionnisme, mais, lors de son audition, le futur ministre déclara qu’il appliquerait la « loi faite par le Congrès » malgré ses convictions personnelles : c’est avec son autorisation que la peine de mort fut ainsi requise devant une cour fédérale dès sa prise de fonction en janvier 20092. En décembre 2008, alors qu’il n’avait pas encore pris ses fonctions, Obama ne dit mot sur la décision des États-Unis de refuser le moratoire sur la peine de mort adoptée à une forte majorité par l’Assemblée générale des Nations unies.
Sur le plan diplomatique, les avancées ne sont guère probantes. Barack Obama reste bien indécis sur la question de l’implication américaine en Afghanistan et doit faire face à des divisions en sens divers au sein de son « état-major de guerre ». Alors que le scepticisme sur le bien-fondé de la guerre augmente aux États-Unis, l’ambassadeur américain à Kaboul, Karl W. Eikenberry, général à la retraite, qui a commandé les troupes américaines en Afghanistan en 2006 – 2007, a émis des doutes sur la pertinence d’y envoyer des renforts, en invoquant un gouvernement afghan « corrompu et incompétent ». Ses propos furent immédiatement contredits par ses ex-collègues du Pentagone, et notamment par le général McChrystal, commandant des forces américaines en Afghanistan qui déclara tout de go que, sans une augmentation substantielle des effectifs, la mission « risque de finir en échec ». Aujourd’hui, Barack Obama est littéralement prisonnier de quatre scénarios qui font la part plus ou moins belle à de nouveaux envois de troupes dans ce pays où la détestation américaine n’a cessé de croitre.
Dans un autre dossier, celui des relations israélo-palestiniennes, c’est à un recul notable auquel on a récemment assisté. Barack Obama avait placé, il y a quelques mois, le conflit israélo-palestinien en tête de ses priorités. Il avait exigé d’Israël l’arrêt du développement des colonies de peuplement dans le territoire palestinien de Cisjordanie. « C’était, sinon un préalable, du moins une condition pour que puissent s’ouvrir des négociations avec les Palestiniens », écrivait récemment Le Monde. « Les Israéliens ont dit non : la colonisation se poursuivra, mais un peu ralentie, a répondu le Premier ministre, Benjamin Netanyahou. Les États-Unis ont encaissé : par la voix de la secrétaire d’état, Hillary Clinton, ils ont platement endossé la position de M. Netanyahou. En quelques semaines, M. Obama a perdu dans le monde arabe le crédit que lui avait valu son remarquable discours de juin au Caire3. Même en langage diplomatique, cela s’appelle un monumental fiasco. » Il faut dire que dans ce domaine, le nouveau président doit faire face à la montée en puissance depuis plusieurs années de lobbies « pentecôtistes » et autres qui, appuyés sur la Bible, ont pris avec vigueur et parfois avec beaucoup plus de zèle le relais du plus traditionnel lobby juif new-yorkais.
Il ne faut pas non plus s’attendre à de réelles avancées dans le champ des relations américano-africaines. Affectionnant de se présenter, non pas comme un « Black American », mais comme un migrant africain aux États-Unis, Barack Obama a effectué en juillet 2009 un « retour sur sa terre d’origine », mais en se centrant sur une de ces « success story », celle du Ghana, et en mettant classiquement et rituellement en évidence les vertus de la « bonne gouvernance », de la « lutte contre la corruption », de la « démocratie », du règlement pacifique des conflits et de la lutte contre le sida où le Ghana était présenté comme un modèle du genre. Il est vrai que le président américain ne sera sans doute pas « poussé dans le dos » par une communauté noire américaine dont les relations avec l’Afrique sont traditionnellement marquées par l’ambigüité voire le dédain4. En ce qui concerne la RDC, Barack Obama a délégué un mois plus tard (aout 2009) sa secrétaire d’état Hillary Clinton à Kinshasa et surtout au Kivu où cette dernière, vantant une autre histoire à succès africaine, le Botswana, a surtout été (sincèrement) frappée plus par les conséquences de la guerre — les violences faites aux femmes — que par ses causes.
Quoi que son leadeur puisse dire ou faire, qu’il soit noir ou d’une autre couleur, l’Amérique profonde reste et restera celle qu’elle a toujours été : à la fois, première société démocratique du monde et haut lieu de la liberté, mais aussi lieu d’intolérance, de nombrilisme impérial et d’incompréhension de ce qui lui est étranger. Il ne faut guère s’illusionner ; il faut la prendre comme elle est.
- On voudra bien noter que l’article 5 de l’accord prévoit un « soutien promis par les États-Unis — dans le cadre du principe de réciprocité — à la mise en place d’un système PNR européen ». Soyons clairs à ce propos : la position de l’Union européenne en matière de « lutte contre le terrorisme international » est en parfaite symbiose avec celle des États-Unis. Dans les deux cas, il est fait appel aux industries de hautes technologies dans le domaine de la sécurité aérienne pour qu’elles puissent, par exemple, mettre au point des dispositifs de repérage d’explosifs dans les tubes de dentifrice ou les flacons de shampoing emportés par les passagers !
- Ce même ministre a obtenu tout récemment et de haute lutte de faire juger par un tribunal de droit commun les cinq hommes accusés d’avoir organisé les attentats du 11 septembre et pour lesquels la peine de mort serait demandée, mais dut se résoudre à faire juger par des tribunaux d’exception cinq autres détenus de Guantanamo.
- Dans ce discours (4 juin 2009) en plus de sa condamnation des colonies israéliennes, Barak Obama avait déclaré : « Je suis venu ici au Caire en quête d’un nouveau départ pour les États-Unis et les musulmans du monde entier, un départ fondé sur l’intérêt mutuel et le respect mutuel, et reposant sur la proposition vraie que l’Amérique et l’islam ne s’excluent pas et qu’ils n’ont pas lieu de se faire concurrence. Bien au contraire, l’Amérique et l’islam se recoupent et se nourrissent de principes communs, à savoir la justice et le progrès, la tolérance et la dignité de chaque être humain. »
- Voir à ce sujet Sylvie Laurent, Homérique Amérique, éditions du Seuil, 2008.