Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.
Il était une fois…
Il était une fois, une belle école, dans un quartier à fort pourcentage de population immigrée. Dans cet établissement scolaire, la direction (blanche, valide, cisgenre, bien-pensante) a jugé bon d’organiser une merveilleuse Saint-Nicolas pour ses élèves. Tout a été pensé dans ses moindres détails : l’achat du déguisement, la recherche de figurants pour jouer le rôle, la rédaction stricte d’un horaire de passage dans les classes, l’avis aux enfants et aux parents que ce serait une Saint-Nicolas zéro déchet, donc sans emballage aux friandises données. Et dans ce beau microcosme, tout le monde était heureux d’avoir pensé à éduquer – zéro déchet s’il vous plait – en même temps qu’à amuser, la tradition avant tout. Tout le monde s’autocongratulait de la bonne idée, tout le monde était content de lui-même.

Il était une fois, une belle école, dans un quartier à fort pourcentage de population immigrée. Dans cet établissement scolaire, la direction (blanche, valide, cisgenre, bien-pensante) a jugé bon d’organiser une merveilleuse Saint-Nicolas pour ses élèves. Tout a été pensé dans ses moindres détails : l’achat du déguisement, la recherche de figurants pour jouer le rôle, la rédaction stricte d’un horaire de passage dans les classes, l’avis aux enfants et aux parents que ce serait une Saint-Nicolas zéro déchet, donc sans emballage aux friandises données. Et dans ce beau microcosme, tout le monde était heureux d’avoir pensé à éduquer – zéro déchet s’il vous plait – en même temps qu’à amuser, la tradition avant tout. Tout le monde s’autocongratulait de la bonne idée, tout le monde était content de lui-même.
Enfin, ça, c’était jusqu’à ce que Saint-Nicolas arrive, accompagné de son Père Fouettard. Ça, c’était avant que le joyeux couple entre dans les classes de rhéto. Ça, c’était avant qu’ils repartent bien rapidement (après avoir été hués). Ça, c’était avant.
Et maintenant, me direz-vous, suspendus à ces mots ? Et maintenant, on aurait pu s’attendre, dans ce monde d’ouverture et de culture, à ce que la direction se renseigne sur l’origine de la représentation de Père Fouettard, sur ce qu’elle évoque et sur les référents qu’elle appelle, on aurait pu espérer que la direction comprenne la juste indignation des élèves (pour certains, si pas la plupart, racisés, enfin, je veux dire, racisés par rapport au Blanc qui, lui, est, dans toute sa simplicité coloniale). On aurait pu souhaiter des excuses de la part de la direction face à des élèves contents d’avoir pour une fois pu être entendus. Malheureusement, nous ne vivons pas dans ce monde-là.
Et, bien que la Ducasse d’Ath ait été retirée du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCOdans une actualité proche de ces faits – à cause précisément de la figure du Sauvage qui y est présente –, cela n’a pas éveillé les soupçons de la direction quant à l’acceptation contestée de la figure de Père Fouettard, quant à, même, son potentiel raciste. Effectivement, après les faits, la direction reste stoïque et ferme : elle est choquée par l’arrivée soudaine de ce débat au sein de son établissement. Au courant de ces « nouveaux » discours interprétatifs, elle n’en reste pas moins persuadée de la valeur rassembleuse et collective de la tradition et ne voit pas de raison de la remettre en question. Enfin, la direction se dit « heurtée » de voir mise à mal sa belle et chère tradition, qu’elle a toujours considérée comme source de joie enfantine.
Ainsi, lorsque la direction a décidé d’aller directement à la rencontre des élèves (sans l’intermédiaire de professeurs hypocrites, qui étaient en faveur de la Saint-Nicolas, mais qui traitreusement soutiennent les élèves dans leur rébellion wokiste), a‑t-elle décidé de mettre en place une autre de nos belles et séculaires traditions : celle de la chasse aux sorcières. Tout en relisant les quelques mots maladroits écrits sous le coup de l’émotion où la direction décrit son ressenti, blessée de voir ses traditions questionnées, elle a demandé aux élèves ayant participé activement à l’expulsion du Père Fouettard de se désigner et de réexpliquer, de façon plus détaillée encore, le sens de leur geste… comme s’il revenait encore aux élèves, minorisés et discriminés par cette représentation, de s’excuser d’être choqués d’un tel black face inconscient et gratuit. Comme si, face à cette contestation, la seule manière de garder l’autorité était de sanctionner les éléments transgressifs pour faire marcher droit tous les autres.
Prenons ainsi, un peu plus de hauteur par rapport aux faits pour comprendre et proposer des solutions pour rétablir le dialogue et la compréhension d’autrui. La direction semble avoir été aveuglée par un point commun de l’histoire européenne (et de ses traditions) : l’esprit des Lumières. En effet, par cet esprit, nous, Occidentaux, revendiquons l’égalité, la fraternité et la liberté pour tous. Pourtant, c’est bien sur ces mêmes valeurs (de cette idéologie de la supériorité pourrions-nous dire) que l’Europe s’est appuyée pour réaliser la colonisation du monde, au XIXe siècle. En effet, l’égalité, la fraternité, et la liberté n’étaient accessibles qu’aux hommes blancs, valides, cisgenres, etc. (même pas à la femme, quand on voit le magnifique destin d’Olympe de Gouges, décapitée notamment pour avoir rédigé une déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, en réaction à la déclaration de 1789). On souligne donc déjà, comment ces « valeurs universelles » dont on nous gave, ne le sont absolument pas, ni à l’origine, ni dans la lettre.
Aujourd’hui, ce sont toujours ces mêmes valeurs universelles de tolérance, d’ouverture, d’égalité que notre société prétend défendre, en cherchant à intégrer de force, dans un modèle blanc, toute autre forme d’humanité. Or, ceci n’est point de l’universalité, mais bien du particularisme blanc déguisé qui prétend pouvoir fournir un cadre valable à tous, sans remise en question. Or, si réellement ce sont la tolérance, l’ouverture et l’égalité qui sont visées par notre société, alors, nous devrions pouvoir entendre les critiques qui sont adressées à nos traditions. Nous devrions pouvoir remettre en question des représentations obsolètes traduisant des idéologies raciales dépassées. Nous devrions pouvoir défendre une vision plus juste d’un universalisme qui donne à voir la diversité des pratiques humaines. Nous ne nous sentirions pas menacés par les revendications identitaires de certains groupes car elles serviraient justement un but noble : celui de réduire les inégalités bel et bien existantes et d’atteindre des valeurs, des représentations et un consensus où chacun se reconnait.
Par ailleurs, si vraiment les traditions séculaires nous intéressaient, je suggèrerais d’aller emprunter une tradition que nous avons malheureusement laissé tomber dans l’oubli : celle du syncrétisme. Pendant plusieurs siècles, les Grecs, les Romains, ou même les premiers chrétiens, avaient compris et pratiquaient l’inclusion de nouvelles valeurs, via l’adaptation des rites et traditions dans leur cadre général. Ainsi Isis (divinité égyptienne) a été intégrée au Panthéon des dieux romains, ainsi la religion catholique a décidé de choisir la date symbolique de la fête de Samain des peuples celtiques qu’elle voulait conquérir pour célébrer la Toussaint, etc. Si à l’époque, on savait que pour faire collectif, il faut adapter et revoir ses représentations, ses fêtes, et ses traditions, pour faire place à chacun, il pourrait être intéressant de revenir à ce type de pratiques aujourd’hui.
Ainsi, à l’approche du carnaval qui, en Belgique, reste marqué lui aussi par des représentations et des traditions dépassées (doit-on rappeler le carnaval d’Alost, lui aussi retiré en 2019 du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO ?), ne donnant pas à voir la société inclusive que nous essayons de construire (ou en tout cas, que veulent les esprits woke), il est légitime de se questionner : combien d’articles verrons-nous encore fleurir sur les ressentis de ces Occidentaux, blessés et incompris dans leur bienveillance déguisée, qui doivent arrêter de caricaturer la supposée radinerie des juifs dans un défilé public ? Combien d’articles essayeront encore de justifier la présence de ces représentations stigmatisantes au nom du « plaisir » et du « respect » de la tradition ? Une tradition qui, normalement, comme elle l’a toujours fait, est censée s’adapter à la société, à ce qui la traverse et à ce qui l’anime réellement.
En conclusion – et pour revenir à nos premières amours –, dans ce merveilleux petit monde scolaire, en traitresse professeure que je suis, j’attends avec impatience de voir ce qui sera fait pour la fête de carnaval. Comment l’institution scolaire va-t-elle s’emparer de cette fête ? La direction va-t-elle encore légitimer des pratiques et traditions obsolètes sans ouverture à la critique « woke », préparant de ce fait les élèves à l’injustice de la société ? Va-t-elle sanctionner la fermeture d’esprit des élèves voulant « annuler une culture » discriminante sous couvert de « respect des traditions » ? Ou va-t-on enfin voir apparaitre un débat constructif et inclusif, menant à l’instauration d’un personnage woke faisant la chasse aux figures problématiques, dans une performation de la réflexion qui devrait nous animer collectivement ? La question reste ouverte…