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Il est temps de « scinder » BHV… et de refaire la Belgique

Numéro 05/6 Mai-Juin 2010 par Jean-Claude Willame

mai 2010

Il y a près de cinq ans déjà, un groupe de Belges du sud comme du nord du pays, le groupe « Bel­gique Plus », jugeait que le fameux arron­dis­se­ment élec­to­ral (et judi­ciaire) de Bruxelles-Hal-Vil­­voorde était bel et bien une ano­ma­lie dans le sys­tème fédé­ral belge. Il leur parais­sait en l’oc­cur­rence tri­ple­ment contra­dic­toire tant par rap­port à l’es­prit de […]

Il y a près de cinq ans déjà, un groupe de Belges du sud comme du nord du pays, le groupe « Bel­gique Plus », jugeait que le fameux arron­dis­se­ment élec­to­ral (et judi­ciaire) de Bruxelles-Hal-Vil­voorde était bel et bien une ano­ma­lie dans le sys­tème fédé­ral belge. Il leur parais­sait en l’oc­cur­rence tri­ple­ment contra­dic­toire tant par rap­port à l’es­prit de la Consti­tu­tion qui orga­nise l’É­tat belge en régions lin­guis­tiques que par rap­port au prin­cipe de ter­ri­to­ria­li­té recon­nu comme la base de tout fédé­ra­lisme clas­sique. Il était enfin jugé en oppo­si­tion avec une vision fédé­rale dans la mesure où les par­tis fran­co­phones ont le droit de pré­sen­ter des listes dans les trente-cinq com­munes fla­mandes de BHV tan­dis que les par­tis fla­mands de Bruxelles et de la Flandre n’ont ce droit dans aucune com­mune francophone.

À cet égard, il est tout aus­si inexact d’op­po­ser une vision « ter­ri­to­ria­liste » fla­mande à une « défense de la per­sonne » mise en exergue par les fran­co­phones puisque le prin­cipe de ter­ri­to­ria­li­té a été voté par les deux Com­mu­nau­tés de ce pays et qu’en plus un article de la Consti­tu­tion pré­voit qu’«une motion moti­vée, signée par les trois-quarts au moins des membres d’un des groupes (lin­guis­tiques) peut décla­rer que les dis­po­si­tions d’un pro­jet ou d’une pro­po­si­tion de loi sont de nature à por­ter gra­ve­ment atteinte aux rela­tions entre les com­mu­nau­tés ». C’est la fameuse son­nette d’a­larme qui peut être agi­tée pen­dant pra­ti­que­ment toute une légis­la­ture et offre donc l’op­por­tu­ni­té et le temps suf­fi­sants pour des négo­cia­tions approfondies.

C’est bien, il faut le sou­li­gner, le terme de négo­cia­tion qui doit être uti­li­sé et non pas celui de com­pen­sa­tions. Il n’y a en effet pas à « obte­nir des com­pen­sa­tions » dans le cadre d’une situa­tion qui n’est tout sim­ple­ment pas accep­table sur le plan consti­tu­tion­nel ; il y a par contre à « négo­cier » les dis­po­si­tions par­ti­cu­lières d’une loi pour la mettre en confor­mi­té avec le droit des per­sonnes dont on pou­vait admettre qu’elles seraient sus­cep­tibles de se sen­tir lésées dans leurs droits poli­tiques et juri­diques. La demande « com­pen­sa­toire » fran­co­phone pour un « élar­gis­se­ment » de la Région bruxel­loise n’a pas vrai­ment de rai­son d’être : elle est un casus bel­li qui ouvre inuti­le­ment une boite de Pan­dore. Depuis la « guerre des Fou­rons », les poli­tiques fran­co­phones savent très bien que ce type de stra­té­gie « ter­ri­to­ria­liste », qui est d’ailleurs en porte-à-faux par rap­port à celle, légi­time, menée tra­di­tion­nel­le­ment pour la défense du « droit des gens », relève de la provocation.

Les négo­cia­tions ont donc une fois de plus échoué : tout ce que la Bel­gique compte de pro­cé­dures de réso­lu­tion de conflits (comi­té des sages, démi­neurs, explo­ra­teurs, etc.) paraît avoir été épui­sé. Au milieu d’un cha­ri­va­ri média­tique ampli­fi­ca­teur de conflits, le pays réel a ces­sé d’être en phase avec le pays vir­tuel des déci­deurs qui n’ont trou­vé d’autres moyens que d’al­ler aux urnes, c’est-à-dire de repor­ter une fois de plus « le pro­blème » aux calendes grecques. Et puis­qu’il n’y a pas de cir­cons­crip­tion fédé­rale dans ce pays, on lais­se­ra à l’é­lec­teur le choix de déci­der, cha­cun dans sa Com­mu­nau­té, qui a été le « meilleur fran­co­phone » et qui a été le « meilleur Flamand ».

Les femmes et les hommes poli­tiques peuvent se confor­ter mutuel­le­ment — et cyni­que­ment — en se disant que, dans ce drôle de pays, on trouve tou­jours une porte de sor­tie. La Bel­gique est en voie de muta­tion ins­ti­tu­tion­nelle depuis plus de qua­rante ans : quelques années ou légis­la­tures de plus ne font guère de dif­fé­rence, sur­tout dans un contexte où une actua­li­té chasse très vite l’autre.

Il n’empêche : à force de pro­vo­ca­tions d’un côté et d’at­ten­tisme, voire de fli­buste de l’autre, le « divorce à la belge » s’ap­pro­fon­dit tant dans le chef des élites poli­tiques, qui ont le nez sur leur seul gui­don élec­to­ral, que dans celui de leurs élec­teurs qui, au Nord comme au Sud, sont deve­nus étran­gers les uns aux autres et aux­quels on laisse pour seul choix un pou­ja­disme hai­neux ou une indif­fé­rence totale pour le politique.

Qu’on le veuille ou non, qu’on l’aime ou pas, la « tuyau­te­rie ins­ti­tu­tion­nelle » est deve­nue en Bel­gique (comme au niveau euro­péen d’ailleurs) une prio­ri­té poli­tique qui n’est pas sépa­rable de ce que le chef du Par­ti socia­liste s’obs­tine à pré­sen­ter, jus­qu’à en las­ser ses audi­teurs, comme les « vraies prio­ri­tés ». Ce fai­sant, il omet de dire que, depuis plus d’une décen­nie, ce « socioé­co­no­mique » baigne dans le com­mu­nau­taire (pen­sions, charges sociales, poli­tique de l’emploi, chômage…).

Au fil des crises, c’est bien d’une nou­velle Bel­gique qu’il s’a­git et il faut le dire et le redire haut et fort. Au fil des crises, les Belges du Nord et ceux du Sud ont per­du depuis long­temps des repères com­muns. Au fil des crises, il y a désor­mais deux enti­tés qui fonc­tionnent sur des registres dif­fé­rents, même s’il est vrai que cette situa­tion ne débou­che­ra nul­le­ment, on peut le gager, sur des situa­tions de vio­lence. Au fil des crises enfin, les « plom­biers » et leurs recettes miracles ont fait leur tes­ta­ment poli­tique : ils sont deve­nus des has been de plus en plus décon­nec­tés d’une élite poli­tique qui, à l’ins­tar des médias, écoute sur­tout son taux d’audience.

BHV n’a été et ne res­te­ra que l’é­pi­phé­no­mène d’un impé­ra­tif beau­coup plus signi­fiant : celui d’une réforme plus déci­sive de l’É­tat fédé­ral, ce qui signi­fie concrè­te­ment un glis­se­ment le plus com­plet, le plus clair et sur­tout le plus cohé­rent pos­sible des com­pé­tences encore déte­nues par cet État vers les Régions et les Com­mu­nau­tés. En d’autres termes, plus que jamais c’est le prin­cipe de sub­si­dia­ri­té tel qu’il a été défi­ni pour l’U­nion euro­péenne, construc­tion hybride de pays ancien­ne­ment « enne­mis », qui doit ser­vir de fon­de­ment à ce nou­vel État réformé.

Il y a cepen­dant un « mais », et même un « grand mais » condi­tion­nel à ce glis­se­ment. Comme l’a fait remar­quer Robert Des­champs, toute nou­velle réforme en pro­fon­deur de l’É­tat n’at­tein­dra ses objec­tifs que si et seule­ment si elle est accom­pa­gnée d’une res­pon­sa­bi­li­sa­tion des acteurs et d’une coopé­ra­tion-coor­di­na­tion entre ceux-ci1. La pre­mière exi­gence ren­voie impli­ci­te­ment à une cer­taine classe poli­tique fran­co­phone, encore trop mar­quée par le clien­té­lisme et le sous-régio­na­lisme, tan­dis que la seconde concerne en ordre prin­ci­pal le monde poli­tique néer­lan­do­phone qui donne trop l’im­pres­sion de n’a­gir que dans le seul inté­rêt de la mère Flandre.

Enfin — et cette condi­tion­na­li­té est de poids -, il convien­drait que l’é­lite poli­tique de quelque bord lin­guis­tique qu’elle soit apprenne à se taire aux moments oppor­tuns et à prendre du recul par rap­port à la pres­sion média­ti­co-poli­tique. À relire la chro­no­lo­gie de la der­nière crise, la pré­si­dente du CDH, dont le par­ti cherche à ren­for­cer son poten­tiel élec­to­ral dans la péri­phé­rie de Bruxelles, et le patron du FDF, pour les mêmes rai­sons, portent une lourde res­pon­sa­bi­li­té dans le déclen­che­ment de cette crise en énon­çant tout de go, à l’en­tame des der­nières négo­cia­tions autour de la note du plom­bier Dehaene, que cette note de la der­nière chance était « net­te­ment insuf­fi­sante » pour la pre­mière et « imbu­vable » pour le second. Tous deux ont clai­re­ment offert un bou­le­vard au jeune pré­sident de l’O­pen VLD qui, moti­vé lui aus­si par des consi­dé­ra­tions par­ti­sanes, a jugé bon de se déso­li­da­ri­ser du gouvernement.

Bien sûr si l’on veut jouer à se faire peur, il y a la solu­tion sépa­ra­tiste ou pla­te­ment confé­dé­ra­liste, ce qui revient au même. Celle-ci est cepen­dant toute théo­rique. En effet, outre qu’elle n’ap­por­te­rait pas de gains sub­stan­tiels à la par­tie la plus riche du pays — on ren­ver­ra sur ce point à une autre étude de Robert Des­champs2 -, une indé­pen­dance ne se décide jamais uni­la­té­ra­le­ment. En droit inter­na­tio­nal, le fameux droit des peuples à dis­po­ser d’eux-mêmes est tem­pé­ré — voire annu­lé — par le prin­cipe de l’«intégrité territoriale ».

Une réso­lu­tion de l’As­sem­blée géné­rale des Nations unies réitère clai­re­ment la condam­na­tion de la séces­sion déjà énon­cée en 1960 : le droit des peuples à dis­po­ser d’eux-mêmes ne peut être inter­pré­té, « comme auto­ri­sant ou encou­ra­geant une action, quelle qu’elle soit, qui démem­bre­rait ou mena­ce­rait, tota­le­ment ou par­tiel­le­ment l’in­té­gri­té ter­ri­to­riale ou l’u­ni­té poli­tique de tout État sou­ve­rain et indé­pen­dant ». Toute pro­cla­ma­tion d’in­dé­pen­dance ne peut se faire qu’au terme d’un pro­ces­sus de négo­cia­tion et de consen­te­ment mutuel. Ce fut ain­si le cas de la Tché­quie et de la Slo­va­quie qui ont, par ailleurs, été plus long­temps deux enti­tés juri­di­que­ment sépa­rées que réuni­fiées sous un pays arti­fi­ciel­le­ment créé et dénom­mé Tché­co­slo­va­quie. De la même manière, la dis­lo­ca­tion de l’empire sovié­tique et la créa­tion de la CEI ont été le fruit d’ac­cords négo­ciés, comme d’ailleurs l’oc­troi des indé­pen­dances afri­caines. Enfin, le Koso­vo a pro­cla­mé uni­la­té­ra­le­ment son indé­pen­dance, mais n’est pas un membre des Nations unies qui, à l’ins­tar de l’U­nion euro­péenne, ne l’ont pas reconnu.

En l’é­tat, le « Bye bye Bel­gium » reste donc une fic­tion, quand il n’est pas un fan­tasme des­ti­né à gon­fler l’audimat.

  1. Robert Des­champs, « Pro­po­si­tions pour un fédé­ra­lisme plus per­for­mant. Res­pon­sa­bi­li­sa­tion, coor­di­na­tion, coopé­ra­tion », Cahiers de recherche. Série poli­tique éco­no­mique, FUNDP, mars 2010. Docu­ment télé­char­geable sur : .
  2. Robert Des­champs, « Le fédé­ra­lisme belge a‑t-il un ave­nir ? , Cahiers de recherche. Série poli­tique éco­no­mique n°7 — 2006.

Jean-Claude Willame


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