Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

Huis clos particratique de plus en plus contreproductif

Numéro 9 Septembre 2011 par John Pitseys

septembre 2011

Le pro­blème de la Bel­gique réside moins dans l’exis­tence de « deux » démo­cra­ties mono­lingues autistes l’une à l’autre que dans un sys­tème poli­tique rédui­sant la démo­cra­tie au moment élec­tif et la repré­sen­ta­tion poli­tique à la prise en charge par les par­tis du dia­logue avec la socié­té civile. Dans cette réduc­tion, le dia­logue est rame­né à un prin­cipe de simi­la­ri­té poli­tique : est légi­time le repré­sen­tant qui res­semble à son élec­teur ; qui s’ha­bille comme lui, qui parle avec son accent, qui mange les mêmes frites et boit la même bière, qui connait les mêmes rues. Cette démo­cra­tie ne sau­rait plus lais­ser la moindre place au débat public puis­qu’il est res­sen­ti comme inutile et per­çu comme insé­cu­ri­sant pour les repré­sen­tants. La trans­pa­rence fac­tice du popu­liste ne se tient pas loin du secret des négociateurs.

A l’heure où ces lignes sont lues s’ouvrent peut-être de réelles négo­cia­tions sur la for­ma­tion du pro­chain gou­ver­ne­ment belge et la sixième réforme de l’État depuis 1970. Pour beau­coup, il était temps — et pour cer­tains, peut-être trop tard — pour sau­ve­gar­der la confiance mutuelle néces­saire à la coexis­tence poli­tique des dif­fé­rentes com­mu­nau­tés en Bel­gique. Plus de quatre-cents jours auront été requis pour que ces négo­cia­tions puissent seule­ment se tenir. Elles suc­cèdent elles-mêmes à l’échec de la ten­ta­tive de mars-avril 2010 sur la scis­sion de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vil­vorde, et aux élec­tions fédé­rales anti­ci­pées qui en furent la conséquence.

Le blo­cage a des causes struc­tu­relles, liées à l’histoire poli­tique du pays, son orga­ni­sa­tion élec­to­rale et ins­ti­tu­tion­nelle, l’émergence de com­mu­nau­tés cultu­relles et média­tiques dis­tinctes : les ana­lyses ne manquent pas à leur sujet. Mais l’embourbement de ces der­niers mois s’explique éga­le­ment par les res­sorts du type de négo­cia­tion uti­li­sée : la mise à l’écart des pro­cé­dures par­le­men­taires ou gou­ver­ne­men­tales clas­siques au pro­fit d’une pro­cé­dure cen­trée sur la légi­ti­mi­té par­ti­cra­tique ; la recherche d’un accord mar­chan­dé per­met­tant d’esquiver les débats sur les désac­cords fon­da­men­taux que les par­ties autour de la table entre­tien­draient : mais sur­tout, la mise en place — et en scène — publique d’une négo­cia­tion dis­crète entre les repré­sen­tants des par­tis poli­tiques. Comme l’écrit Éco­lo le 25 juillet 2011, « pour que [les] négo­cia­tions abou­tissent, chaque par­ti devra […] être capable de faire des com­pro­mis, ce qui n’est pos­sible qu’en négo­ciant en toute confiance, fran­chise, dis­cré­tion et convic­tion autour d’une table1 ».

Après avoir bros­sé les grands traits des dif­fé­rentes phases de la négo­cia­tion ins­ti­tu­tion­nelle, j’essaierai dans cet article de mon­trer que cet argu­ment porte les causes intrin­sèques de son échec, causes elles-mêmes liées à de lourdes objec­tions nor­ma­tives. Le lec­teur me par­don­ne­ra, je l’espère, les rac­cour­cis, approxi­ma­tions et paris sur l’avenir pro­po­sés. Les évè­ne­ments pren­dront encore des années à être retra­cés et les stra­té­gies des acteurs leur appar­tiennent. Sans doute dois-je me gar­der de sur-recons­truire la cohé­rence des faits et y déce­ler des causes struc­tu­relles là où se nichent par­fois seule­ment le hasard, les mou­ve­ments d’humeur des par­tis, les cal­culs chao­tiques. Enfin, mon expé­rience per­son­nelle de conseiller poli­tique « ins­ti­tu­tion­nel » ne consti­tue bien sûr qu’un regard par­cel­laire, qu’il s’agisse du conte­nu des négo­cia­tions, du point de vue des par­ties ou de la période cou­verte (qui va de mars 2010 à mars 2011).

Quelles sont les phases de négociation ?

Les pro­cé­dures de négo­cia­tion mises en œuvre durant la crise suivent trois phases dif­fé­rentes. La pre­mière d’entre elles (A) cor­res­pond aux négo­cia­tions de mars-avril 2010 devant régler la ques­tion de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vil­vorde. Jean-Luc Dehaene est alors char­gé d’une mis­sion royale en vue de trou­ver une solu­tion négo­ciée sur la ques­tion de cet arron­dis­se­ment. Il tente à ces fins de reprendre les man­tras de négo­cia­tion déjà uti­li­sés en 1988, 1991 et 1993. (Pre­miè­re­ment, la négo­cia­tion se déroule dans un cadre extra­par­le­men­taire et gou­ver­ne­men­tal : elle est offi­ciel­le­ment déta­chée de la marche des affaires gou­ver­ne­men­tales, bien que le cd&v s’en défende à l’époque et que le VLD mette une pres­sion crois­sante sur le sujet. Deuxiè­me­ment, la négo­cia­tion doit offrir le pla­teau de mar­chan­dage le plus large et hété­ro­clite pos­sible, afin de lais­ser la plus indé­ter­mi­née pos­sible l’estimation des gains et pertes de cha­cun. Troi­siè­me­ment, le suc­cès de la négo­cia­tion repose sur la confiance des par­ties. Les sujets sont abor­dés pro­gres­si­ve­ment, plu­sieurs semaines à l’avance, en com­men­çant par les plus simples (décla­ra­tion de révi­sion de la Consti­tu­tion, règle­ment du pre­mier paquet de réformes consti­tu­tion­nelles) puis en pour­sui­vant par les sujets plus com­plexes (scis­sion de l’arrondissement judi­ciaire de bhv judi­ciaire, légis­la­tion lin­guis­tique sur Bruxelles). Les cel­lules de dis­cus­sion sont étroites au départ — entre­tiens entre conseillers, entre­tiens uni­la­té­raux entre Jean-Luc Dehaene et les dif­fé­rents négo­cia­teurs — puis petit à petit élar­gies jusqu’à la tenue de la négo­cia­tion finale en pré­sence de toutes les par­ties négo­ciantes. Enfin, et sur­tout, le secret abso­lu est deman­dé aux par­ti­ci­pants, qu’il s’agisse de la com­mu­ni­ca­tion aux médias ou au reste des appa­reils de par­ti. Qua­triè­me­ment, la créa­tion d’une confiance mutuelle est accom­pa­gnée d’une mise sous pres­sion des par­ti­ci­pants : la phase finale de la négo­cia­tion se déroule clas­si­que­ment en un lieu unique, le soir, au finish.

Comme on le sait désor­mais, cette pre­mière phase abou­tit à la chute du gou­ver­ne­ment d’Yves Leterme en mai 2010, et à la tenue d’élections anti­ci­pées en juin 2010. La deuxième phase (B) de négo­cia­tion se déroule de juin à sep­tembre 2010, menée pour l’essentiel par le « pré­for­ma­teur » Elio Di Rupo. La méthode uti­li­sée reprend les carac­té­ris­tiques prin­ci­pales de la pre­mière phase de négo­cia­tion, avec trois pré­cau­tions sup­plé­men­taires. Pre­miè­re­ment, Elio Di Rupo entre­prend en juillet 2010 une curieuse phase de pot­lach poli­tique avec la N‑VA, pas­sant par l’échange de divers pré­sents, par des ren­contres infor­melles d’«apprivoisement poli­tique » mutuel entre le PS et la N‑VA puis par un échange de conces­sions pré­né­go­ciées ensuite. Deuxiè­me­ment, une longue période au cours de laquelle par­tis fran­co­phones et néer­lan­do­phones ne ren­contrent que sépa­ré­ment le pré­for­ma­teur. Troi­siè­me­ment, Elio Di Rupo se ménage une porte de sor­tie en obte­nant de ne pas être nom­mé for­ma­teur du gou­ver­ne­ment — le terme de « pré­for­ma­teur » lais­sant pla­ner dès le début le doute sur l’optimisme des négo­cia­teurs socialistes.

Enfin, la troi­sième phase © court de sep­tembre 2010 — mar­quant l’échec de la pré­for­ma­tion — à main­te­nant. Elle se carac­té­rise par une longue période de no man’s land poli­tique ; une média­tion-paravent menée par André Fla­haut (ps) et Dan­ny Pie­ters (N‑VA); la note du « cla­ri­fi­ca­teur » Bart De Wever, très rapi­de­ment écar­tée par les par­tis fran­co­phones ; la mis­sion d’information de Johan Vande Lanotte d’octobre 2010 à jan­vier 2011, qui culmi­ne­ra avec une pro­po­si­tion d’entrée en négo­cia­tion recueillant l’accueil réser­vé de la famille éco­lo­giste, du CDH, du PS et du SP.A ; le refus de la N‑VA et le « non sous condi­tions » du CD&V ; l’élargissement du champ des par­te­naires au MR et au VLD, puis son rétré­cis­se­ment via l’organisation durant le prin­temps 2011 d’une « confé­rence diplo­ma­tique » entre le PS et la N‑VA, arbi­trée par Wou­ter Beke. Cette phase se carac­té­rise par une absence de négo­cia­tion directe entre les par­ties, un tra­vail à rythme modé­ré sur les pro­po­si­tions des dif­fé­rents média­teurs-cla­ri­fi­ca­teurs-infor­ma­teur, et la coexis­tence de deux sphères de com­mu­ni­ca­tion ; la pre­mière entre les négo­cia­teurs, de plus en plus ténue, et la seconde dans l’espace médiatique.

Trois phases dis­tinctes donc, trois « méthodes », trois échecs. La der­nière phase dure de sep­tembre 2010 à juillet 2011 durant laquelle les négo­cia­teurs ne se ren­contrent même plus. Pour­quoi ? Outre la part de hasard inhé­rente à la crise, le constat d’intérêts irré­sis­ti­ble­ment diver­gents, de nom­breux obser­va­teurs estiment que le modèle belge de déci­sion poli­tique est grip­pé. Le sys­tème conso­cia­tif belge s’est pro­gres­si­ve­ment effa­cé devant une démo­cra­tie d’opinion mar­quée par l’affaiblissement des piliers tra­di­tion­nels, la perte d’influence des ins­ti­tu­tions inter­mé­diaires (syn­di­cats, mutuelles, asso­cia­tions patro­nales tra­di­tion­nelles), l’émergence d’un élec­to­rat plus vola­til. La dis­pa­ri­tion des niches sociales et poli­tiques tra­di­tion­nelles trans­forme — sur­tout en Flandre, mais aus­si au centre de l’échiquier poli­tique fran­co­phone — l’espace poli­tique en course élec­to­rale à l’échalote. L’accélération et l’intensification de la tem­po­ra­li­té média­tique empêchent par ailleurs de réunir les condi­tions néces­saires à l’obtention d’un accord : les acteurs doivent avoir un inté­rêt com­mun pour abou­tir ; cet inté­rêt com­mun doit être sou­te­nu par une confiance mutuelle ; à ces fins, le lieu et le pro­ces­sus de négo­cia­tion doivent être tenus le plus secret pos­sible ; la légi­ti­mi­té de la déci­sion repose alors sur le vote par­le­men­taire de l’accord obte­nu et le retour occa­sion­nel des négo­cia­teurs vers la « base éli­taire » de leur par­ti — à savoir, pour la plu­part, le « bureau du par­ti ». Pour dire les choses plus direc­te­ment, la méthode « Dehaene » (mais aus­si Verhof­stadt, Mar­tens et Tin­de­mans) consi­dère l’information du citoyen comme un obs­tacle dès lors qu’elle nuit à la réso­lu­tion rai­son­née d’une négo­cia­tion poli­tique — secrète, ou du moins dis­crète par essence — ou à l’obtention d’un com­pro­mis entre les acteurs. Or, la N‑VA s’est construite sur l’opinion et la com­mu­ni­ca­tion directe avec le télé-citoyen : elle n’a peut-être ni la volon­té ni les outils psy­cho­lo­giques pour entrer dans le cadre d’une négo­cia­tion de « niches» ; elle com­mu­nique par contre, et avec un cer­tain talent, la carte de la nou­veau­té contre celles des « anciennes méthodes » et celle de la trans­pa­rence contre celle du secret.

Une négociation doit-elle être secrète pour conduire à un accord raisonnable ?

Je crois que la crise actuelle est effec­ti­ve­ment liée à la faillite de la négo­cia­tion « à la belge », mais que cette faillite trouve sa cause dans la « méthode Dehaene » elle-même et le refus des acteurs de prendre en consi­dé­ra­tion ses angles morts.

La doc­trine « Dehaene » rejoue en fait un vieux débat en théo­rie politi­que : déli­bère-t-on mieux à huis clos qu’à la vue de tous ? La publi­ci­té favo­rise-t-elle ou nuit-elle à la déli­bé­ra­tion ? Dans la tra­di­tion poli­tique libé­rale, publi­ci­té poli­tique et déli­bé­ra­tion sont à prio­ri étroi­te­ment liées : d’une part, la déli­bé­ra­tion contri­bue à la trans­pa­rence de la déci­sion ; d’autre part, la trans­pa­rence publi­ci­taire se pré­sente comme une condi­tion néces­saire de la déli­bé­ra­tion2. Par-delà les nuances qu’elles pré­sentent entre elles, les théo­ries déli­bé­ra­tives de la démo­cra­tie sou­lignent que la publi­ci­té élar­git la place de la déli­bé­ra­tion au sein de l’espace public et repré­sente un repère impor­tant du carac­tère démo­cra­tique de la dis­cus­sion3. Elle force le citoyen à uni­ver­sa­li­ser les rai­sons de son action poli­tique et à déli­bé­rer — ne fût-ce qu’à des fins ins­tru­men­tales — de manière plus impar­tiale4. Elle le pousse à mon­trer que ses rai­sons sont com­pa­tibles avec l’intérêt géné­ral et ne servent pas seule­ment son inté­rêt par­ti­cu­lier Elle contri­bue à la matu­ri­té poli­tique du citoyen et à une meilleure infor­ma­tion des repré­sen­tants sur l’état de l’opinion publique : à cet égard, elle est cen­sée per­mettre la cir­cu­la­tion de l’information poli­tique de telle sorte qu’elle puisse être à la fois objec­ti­vable et com­pré­hen­sible par tous.

Néan­moins, des argu­ments impor­tants mettent en doute ce lien entre publi­ci­té et déli­bé­ra­tion. Tout d’abord (argu­ment I), la publi­ci­té ne serait pas néces­saire à un débat public de qua­li­té : une déli­bé­ra­tion tenue secrète n’empêche ni les membres de l’espace social de dis­cu­ter entre eux des enjeux de la dis­cus­sion ni les par­ti­ci­pants du pro­ces­sus de déci­sion de s’informer de l’état de l’opinion publique et des pers­pec­tives expri­mées à par­tir de l’espace social. Le secret rela­tif des négo­cia­tions de 2010 – 2011 n’a pas empê­ché cer­taines par­ties de la socié­té civile orga­ni­sée de s’intéresser aux enjeux ins­ti­tu­tion­nels, qu’il s’agisse du monde aca­dé­mique, des sec­teurs concer­nés par la réforme de l’État (syn­di­cats, asso­cia­tions patro­nales) ou d’associations de citoyens (« Niet in onze naam », Pavia, les diverses orga­ni­sa­tions issues du Mou­ve­ment flamand…).

En outre, (argu­ment II) la déli­bé­ra­tion empri­sonne les par­ties dans une logique de « lock-in ». Qu’il s’agisse — dans le cas de la crise actuelle — du PS, du CD&V ou de la NV‑A, les par­ties sont tenues par les pro­messes émises lors du pro­ces­sus élec­to­ral, ain­si que la crainte de se voir sanc­tion­ner par l’électeur — ou sim­ple­ment les son­dages — si ces pro­messes ne sont pas rem­plies. Or, en cla­ri­fiant les fonc­tions d’utilité et les posi­tions des acteurs, la trans­pa­rence asso­cie les acteurs à leurs posi­tions d’origine et aux inté­rêts qu’ils repré­sentent. La trans­pa­rence cliche la posi­tion de départ des repré­sen­tants sur les inté­rêts qu’ils sont cen­sés défendre. Dans ce cadre, la mise sous les spot­lights du pro­ces­sus pro­voque trois effets. Pre­miè­re­ment, elle rend les acteurs plus réti­cents à ren­trer dans une démarche de décen­tre­ment et d’amendements réci­proques ou — à défaut — de simple recon­nais­sance des argu­ments de l’autre. Deuxiè­me­ment, des expé­riences psy­cho­lo­giques montrent que lorsque les repré­sen­tants doivent publi­que­ment rendre compte de leurs actions à une audience dont les vues sont connues, ceux-ci tendent à diri­ger ou main­te­nir leur posi­tion en direc­tion de celle de l’audience : le main­tien des posi­tions de négo­cia­tion sur celle de la clien­tèle élec­to­rale n’est donc pas seule­ment lié à des cal­culs en termes d’intérêts, mais à des sché­mas com­por­te­men­taux de jus­ti­fi­ca­tion5.

Troi­siè­me­ment, cette pres­sion devient même un élé­ment de stra­té­gie poli­tique, chaque pré­sident de par­ti jus­ti­fiant son obs­ti­na­tion par la crainte avouée de déplaire à son ban élec­to­ral — les « je te jure Elio que si ça ne tenait qu’à moi…» fai­sant flo­rès à la fin de l’été 2010. Le secret, quant à lui, ne délie pas seule­ment les négo­cia­teurs des pres­sions de l’extérieur. Il crée un cli­mat de loyau­té au sein même des négo­cia­teurs. D’une part, cha­cun prend taci­te­ment en charge les efforts de l’autre pour se décen­trer de son point de vue. D’autre part, le pro­ces­sus de négo­cia­tion crée entre les négo­cia­teurs un cocon de vie déve­lop­pant pro­gres­si­ve­ment des codes et un lan­gage com­mun : qu’il s’agisse de la phase A ou B de négo­cia­tion, les par­tis se réunissent ain­si dans le même bâti­ment, sépa­rés de quelques mètres à peine ; ils par­tagent la même nour­ri­ture, se rendent visite, can­canent, uti­lisent les mêmes expres­sions tech­niques. Des codes com­muns se créent et les égos sous pres­sion se sou­lagent l’un l’autre dans la conscience d’une expé­rience com­mune. Les négo­cia­teurs se créent pour les besoins stra­té­giques et psy­cho­lo­giques une sorte de micro­com­mu­nau­té vague­ment soli­daire dans la pres­sion qu’elle s’inflige.

Enfin, le débat public empêche les posi­tion­ne­ments inno­vants ou hété­ro­doxes (argu­ment III). Les repré­sen­tants et/ou les experts poli­tiques ne reportent pas seule­ment des faits ou des posi­tions : la dis­cus­sion poli­tique s’enrichit de dis­cus­sions spon­ta­nées, d’avis fran­che­ment assé­nés, de pro­po­si­tions plus ou moins hété­ro­doxes. Or, ces élé­ments de dia­logue n’émergent que si leurs auteurs sont assu­rés de ne pas en subir pré­ju­dice. Dans ce cadre, la trans­pa­rence dis­suade les posi­tion­ne­ments inno­vants ou ori­gi­naux6 et favo­rise l’alignement des posi­tions sur des figures ou des argu­ments d’autorité7. Elle pousse par ailleurs à sous­traire sa pro­po­si­tion du débat public lorsqu’il estime que celle-ci com­prend une part de risque ou un risque d’incompréhension. À l’inverse, le huis clos per­met que les acteurs soient libres « d’explorer toutes les ave­nues, à l’abri des émois et des pres­sions de l’opinion, et puissent trou­ver […] une solu­tion telle que les conces­sions res­pec­tives soient moins oné­reuses et leurs gains plus éle­vés8 ». La com­mu­nau­té de négo­cia­tion décrite ci-des­sus per­met par­fois même de jeter cer­tains ponts au-des­sus des par­tis — le sou­ve­nir me venant d’un(e) conseiller(e) poli­tique d’un par­ti fran­co­phone orga­ni­sant une réunion avec ses vis-à-vis afin que ceux-ci lui donnent de bons argu­ments pour faire entendre rai­son à son/sa propre président(e).

Certes, la pres­sion de l’audience garan­tit éga­le­ment ce que Jon Elster appelle la « force civi­li­sa­trice de l’hypocrisie ». Le débat public per­met de pla­cer son opi­nion sous le regard d’un audi­toire, de le sou­mettre aux objec­tions les plus com­munes9, de dis­sua­der la réfé­rence à des argu­ments « mani­fes­te­ment inac­cep­tables » aux yeux de l’opinion publique — et pous­se­rait même, par un curieux retour, à ce que l’acteur finisse effec­ti­ve­ment par croire dans les argu­ments qu’il met sur la table10. Pour ne prendre qu’un exemple, il est dif­fi­cile de faire cam­pagne publi­que­ment autour d’idées géno­ci­daires ou de la simple satis­fac­tion de son inté­rêt per­son­nel. Et de manière plus atté­nuée, il est pro­bable que le citoyen envi­sa­ge­rait dif­fi­ci­le­ment que cer­taines com­pé­tences soient défé­dé­ra­li­sées sous le seul motif que le por­te­feuille minis­té­riel affé­rant tombe dans les mains de la par­tie deman­deuse, que « régio­na­li­ser la com­pé­tence ne rime à rien, mais que c’est comme ça ». Néan­moins, l’argument est réver­sible. D’une part la déli­bé­ra­tion publique sur des actes et des argu­ments dont le carac­tère « mani­fes­te­ment inac­cep­table » n’est, pré­ci­sé­ment, pas évident. D’autre part, le poids moral du regard public n’a pas seule­ment pour effet d’éviter que des inté­rêts stric­te­ment pri­vés n’entrent en consi­dé­ra­tion dans la déli­bé­ra­tion ou que la loi soit res­pec­tée : il engage éga­le­ment des argu­ments de type popu­liste et plé­bis­ci­taire11, ou des inté­rêts par­ti­cu­liers mais majo­ri­taires. C’est la « force civi­li­sa­trice de l’hypocrisie » qui rend cer­tains sujets tabous en Flandre et d’autres en Région wal­lonne : et ce serait le secret qui per­met aux négo­cia­teurs du Nord et du Sud du pays de s’en détacher…

Les impasses du huis clos

L’usage sys­té­ma­tique du secret dans le dérou­le­ment des négo­cia­tions pose des pro­blèmes d’efficacité et de qua­li­té de la déli­bé­ra­tion plus impor­tants encore que la publi­ci­té politique.

Pre­miè­re­ment, l’idée que le secret pré­mu­nit les négo­cia­teurs de la pres­sion de l’opinion publique (voyez argu­ments II et III) repose sur une confu­sion entre la notion de publi­ci­té et de res­pon­sa­bi­li­té poli­tique. Ce n’est pas parce que le dérou­le­ment des négo­cia­tions est secret que les par­tis autour de la table cessent d’être res­pon­sables poli­ti­que­ment de leur action. Le seul moyen de sup­pri­mer la pres­sion de la popu­la­tion est de rendre le pou­voir poli­tique irres­pon­sable. Mais la mise sous secret de l’activité poli­tique ne suf­fit à sup­pri­mer ni l’obligation légale de rendre des comptes ni la pres­sion poli­tique du peuple sur les gou­ver­nants. En ce sens, rien ne per­met de dire que les repré­sen­tants seront inci­tés à débattre de manière plus « franche et can­dide » s’ils doivent ensuite, lors du pro­ces­sus élec­tif par exemple, s’expliquer poli­ti­que­ment à la fois sur le conte­nu de la déci­sion poli­tique et sur les rai­sons qui pré­si­daient au secret de son éla­bo­ra­tion. Cela s’accentue même dans la mesure où le secret accroit l’idée que les gou­ver­nants cachent (for­cé­ment) quelque chose aux citoyens, et que les rares moments d’exposition du pro­ces­sus sont par­fois pré­ci­sé­ment scé­na­ri­sés pour être anxio­gènes — qu’il s’agisse d’une confé­rence de presse solen­nelle du (pré)formateur, de sa visite offi­cielle chez le roi, etc.

Deuxiè­me­ment, rien ne per­met de sup­po­ser que le cercle interne des négo­cia­teurs pro­pose des condi­tions de dis­cus­sion supé­rieures à la déli­bé­ra­tion publique (argu­ments II et III). En effet, il n’y a pas de rai­son de croire que les acteurs de l’espace de déci­sion soient moins sujets aux pul­sions, inté­rêts per­son­nels ou demandes de court terme que les membres de l’espace social : le huis clos donne au contraire l’occasion de défendre « entre soi » de pures posi­tions d’opportunité, cer­tains par­tis conce­vant par exemple la défé­dé­ra­li­sa­tion de cer­taines com­pé­tences comme une manière indi­recte de « mettre la main » sur celles-ci sans inter­fé­rence du par­ti domi­nant de l’autre Com­mu­nau­té12.

Et rien ne per­met de pen­ser que le secret pro­meut effec­ti­ve­ment une dis­cus­sion « franche et can­dide ». C’est d’ailleurs sans doute ce qui m’a le plus frap­pé lors de mon expé­rience comme conseiller poli­tique. Comme expli­qué ci-des­sus, les phases de négo­cia­tion active se déroulent dans un envi­ron­ne­ment fer­mé que ne renie­rait pas un pro­duc­teur de télé­réa­li­té. L’efficacité per­son­nelle d’un négo­cia­teur dépend du rap­port de confiance, de sym­pa­thie et de cré­di­bi­li­té qu’il entre­tient avec ses pairs. Or, cette cré­di­bi­li­té dépend moins de sa com­pé­tence tech­nique sup­po­sée que de sa capa­ci­té à socia­li­ser ses posi­tions et argu­ments, et donc à par­ta­ger les mêmes codes infor­mels, les mêmes tics de lan­gage, les mêmes prin­cipes de ratio­na­li­té. Un peu comme dans une cour de récréa­tion, la capa­ci­té du négo­cia­teur à impo­ser ses règles du jeu est para­doxa­le­ment liée à sa capa­ci­té à se cou­ler dans le confor­misme du groupe. Dans ce cadre, les négo­cia­teurs les mieux socia­li­sés ne trouvent for­cé­ment plus aucune rai­son de ques­tion­ner le cadre de négo­cia­tion dans lequel ils évo­luent — puisqu’ils le mai­trisent et l’ont inté­gré comme étant à prio­ri fonctionnel.

Les autres n’entrent plei­ne­ment dans le club qu’en digé­rant les codes de fond et de forme déjà exis­tants. C’est ain­si que, choses enten­dues de part et d’autre, « on ne va pas refu­ser de négo­cier dans un châ­teau à minuit sous le pré­texte que c’est dys­fonc­tion­nel» ; « qu’on ne va tout de même pas refu­ser de régio­na­li­ser la com­pé­tence X sous le pré­texte que ce ne serait pas opti­mal — car on le sait, n’est-ce pas, mais ce n’est pas la ques­tion» ; que les pro­po­si­tions phares de tel ou tel par­ti sont avan­cées à recu­lons par les repré­sen­tants de ce même par­ti « parce qu’il le faut bien ; je sais bien que ça ne tient pas, je sau­rais vivre sans ça, mais bon…», etc. Le secret devait per­mettre une dis­cus­sion franche et can­dide. Elle crée en fait des micro­co­te­ries dont les moindres élans sont bri­dés par la volon­té de cha­cun de conser­ver le capi­tal social interne qu’il croit posséder.

Troi­siè­me­ment, le main­tien du secret empêche de lui-même l’existence d’autres méthodes de déli­bé­ra­tion. Un peu comme le jun­kie ne trou­vant pas d’autre moyen pour se sen­tir mieux que de conti­nuer à se dro­guer, le main­tien du secret empêche la com­mu­nau­té de négo­cia­tion d’en sor­tir. En effet, il s’agit d’être cohé­rent avec l’exigence de ratio­na­li­té du débat public. Si la tenue d’un débat ration­nel est conce­vable, cela signi­fie qu’un argu­ment cor­rect doit pou­voir par sa seule jus­tesse convaincre un spec­ta­teur impar­tial — le citoyen par exemple. Défendre la posi­tion contraire revient soit à récu­ser l’idée que la déli­bé­ra­tion puisse abou­tir à une plus-value ration­nelle — les défenses du huis clos seraient alors contra­dic­toires à l’idéal déli­bé­ra­tif sur lequel elles pré­tendent s’appuyer ; soit à refu­ser l’idée que les citoyens soient suf­fi­sam­ment rai­son­nables pour déli­bé­rer. Dans ce cadre, la défense de huis clos ne pré­sume pas seule­ment que les condi­tions de ratio­na­li­té — inté­rêt et impar­tia­li­té des par­ties, équi­té de la dis­cus­sion, prise en compte des argu­ments adverses… — ne puissent être ren­con­trées dans le cadre d’une déli­bé­ra­tion publique. Elle empêche que ces condi­tions soient réunies (voyez argu­ment I). De l’aveu même de cer­tains négo­cia­teurs, un bon accord doit être un accord illi­sible ou en tout cas ambi­gu, de telle sorte que les gains et pertes de cha­cune des par­ties res­tent le plus indé­ter­mi­nées — et donc inter­pré­tables — possibles.

Dès lors, pour­quoi s’étonner si le citoyen ne com­prend plus le fonc­tion­ne­ment poli­tique de son propre pays et finit par s’en dés­in­té­res­ser ? Et pour­quoi s’étonner que des inter­pré­ta­tions radi­ca­le­ment dif­fé­rentes de la Consti­tu­tion, du res­pect des mino­ri­tés, du prin­cipe de ter­ri­to­ria­li­té ou de l’histoire ins­ti­tu­tion­nelle du pays s’épanouissent au Nord et au Sud du pays ? Sor­tir du huis clos semble impos­sible pré­ci­sé­ment parce que celui-ci a décon­nec­té l’espace poli­tique de l’opinion publique, et accru les frac­tures com­mu­nau­taires de cette der­nière à force de les lais­ser dans l’ambigüité dans la conduite et la conclu­sion des négociations.

Enfin, les dif­fé­rents défauts du huis clos (repro­duc­tion des logiques endo­games de pou­voir, confor­misme poli­tique, décon­nexion avec l’opinion publique) sont aggra­vés par le fait que le secret abso­lu n’existe pas davan­tage que la trans­pa­rence par­faite, ou du moins pas long­temps. Les défen­seurs de la « méthode Dehaene » pensent le débat public comme si la seule trans­pa­rence dési­rable était la trans­pa­rence par­faite, qui est inac­ces­sible : et que le secret, subop­ti­mal sans doute mais plus faci­le­ment sou­te­nable, y repré­sente la seule alter­na­tive pos­sible. Or, le secret par­fait est tout aus­si inac­ces­sible que la trans­pa­rence par­faite — le suc­cès de la « méthode Dehaene » repo­sant d’ailleurs sur une phase finale de négo­cia­tion rela­ti­ve­ment brève et soi­gneu­se­ment cir­cons­crite géo­gra­phi­que­ment. Le huis clos ne garan­tit pas le secret davan­tage que la publi­ci­té ne garan­tit la trans­pa­rence. Dans ce cadre, le huis clos devient para­doxa­le­ment un fac­teur de théâ­tra­li­sa­tion de l’action poli­tique. L’ombre par­tielle des négo­cia­tions colore par contraste chaque fuite de presse, chaque opé­ra­tion de com­mu­ni­ca­tion des par­tis. L’attente devient un évè­ne­ment. Les moments de secrets réels sont scé­na­ri­sés comme un wes­tern pluvieux.

Ce fai­sant, la pra­tique du huis clos cumule les désa­van­tages du secret et de la publi­ci­té. Les négo­cia­teurs sont à la fois tenus par leur base élec­to­rale et l’embryon de récit col­lec­tif tis­sé au fil des mois — le tra­vail des tech­ni­ciens de par­ti consis­tant pen­dant des mois à tenir l’archivage com­pa­ré des notes et pro­po­si­tions rédi­gées par Elio Di Rupo, Bart De Wever et Johan Vande Lanotte. Le public en sait suf­fi­sam­ment pour être inquiet, mais pas assez pour prendre prise sur le débat public. Enfin les par­tis domi­nants peuvent abu­ser sans crainte d’une rente struc­tu­relle de com­mu­ni­ca­tion puisqu’eux seuls peuvent rompre le huis clos sans craindre d’être éjec­tés des négo­cia­tions, Elio Di Rupo et Bart De Wever pou­vant d’une main deman­der un dia­logue « sérieux et en toute dis­cré­tion » et de l’autre gar­der le mono­pole média­tique de la trans­pa­rence et du franc-parler.

L’échec des négo­cia­tions n’est pas seule­ment lié à des diver­gences de fond, mais éga­le­ment à de lourdes dif­fi­cul­tés pro­cé­du­rales. Celles-ci ne sont pas liées à l’émergence d’une « démo­cra­tie des médias » ou à l’absence de dis­ci­pline et de dis­cré­tion des négo­cia­teurs, mais au contraire à une concep­tion dépas­sée de la négo­cia­tion politique.

  1. Com­mu­ni­qué de presse du par­ti Éco­lo du 25 juillet 2011.
  2. Comme l’expliquait déjà Mill, la trans­pa­rence publi­ci­taire garan­tit la cir­cu­la­tion des opi­nions vraies et véri­fie la per­ti­nence de celles qui pour­raient être fausses : « The pecu­liar evil of silen­cing the expres­sion of an opi­nion is, that it is a rob­bing of human race ; pos­te­ri­ty as well as the exis­ting gene­ra­tion ; those who dissent from the opi­nion, still more than those who hold it. If the opi­nion is right, they are depri­ved of the oppor­tu­ni­ty of exchan­ging error for truth ; if wrong they lose, what is almost as great a bene­fit, the clea­rer per­cep­tion and live­lier impres­sion of truth, pro­du­ced by its col­li­sion with error. » J.S. Mill, On Liber­ty. Consi­de­ra­tions on Repre­sen­ta­tive Govern­ment, Cam­bridge Uni­ver­si­ty Press, 2005 (1859).
  3. B. Manin, Prin­cipes du gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif, Flam­ma­rion, « Champs », 1995 ; J. Haber­mas, The New Conser­va­tism, trad. S.W. Nichol­sen, Cam­bridge Uni­ver­si­ty Press, 1991.
  4. J. Elster, « Deli­be­ra­tion and Consti­tu­tion making », dans J. Elster (dir.), Deli­be­ra­tive Demo­cra­cy, Cam­bridge Uni­ver­si­ty Press, 1998.
  5. Si les vues de l’audience sont incon­nues, les repré­sen­tants tendent par contre à s’engager dans un pru­dent pro­ces­sus d’autojustification : voy. J. Ler­ner, P. Tet­lock, « Accoun­ting for the effects of accoun­ta­bi­li­ty », Psy­cho­lo­gi­cal Bul­le­tin, vol. 125, n° 2 dans R. Mac­coun, « Psy­cho­lo­gi­cal Constraints on Trans­pa­ren­cy in Legal and Govern­ment Deci­sion Making », Swiss Poli­ti­cal Science Review, 2006, vol. 12, n° 3.
  6. S. Cham­bers, « Behind Clo­sed Doors : Publi­ci­ty, Secre­cy, and the Qua­li­ty of Deli­be­ra­tion », Jour­nal of Poli­ti­cal Phi­lo­so­phy, n° 12, 3, 2004, p. 389 – 410 : Cham­bers estime néan­moins que la perte de qua­li­té déli­bé­ra­tive n’est pas incom­pa­tible avec une mon­tée en géné­ra­li­té des argu­ments pro­po­sés à la discussion.
  7. E. Meade, D. Sta­sa­vage, « Publi­ci­ty of Debate and the Incen­tive to Dissent : Evi­dence from the US fede­ral Reserve », The Eco­no­mic Jour­nal, vol. 118, n° 528, avril 2008, p. 695 – 717. Meade et Sta­sa­vage ana­lysent le fonc­tion­ne­ment des bureaux de direc­tion de banques cen­trales et montrent que leurs membres expriment plus faci­le­ment leurs diver­gences de vues avec le direc­teur de la banque lorsque la réunion est tenue sous portes closes que quand son conte­nu est ren­du public.
  8. J. Pes­tiau, « Mon­dia­li­sa­tion et bri­co­lage démo­cra­tique », dans Mon­dia­li­sa­tion : pers­pec­tives phi­lo­so­phiques, actes du col­loque Phi­lo­so­phie et mon­dia­li­sa­tion tenu à l’université du Qué­bec à Trois-Rivières les 23 et 24 février 2001, L’Harmattan, 2001.
  9. V. Rosoux, « Secre­cy and Inter­na­tio­nal Nego­cia­tion », Jour­nal of Infor­ma­tion Ethics, vol 12, n°1, 2003, p. 45 – 55.
  10. J. Elster, « Stra­te­gic Uses of Argu­ment », dans K. Arrow et al. (dir.), Bar­riers to Conflict Reso­lu­tion, Nor­ton, 1995. Sur l’argument selon lequel la publi­ci­té réduit les dis­so­nances cog­ni­tives entre les posi­tions de l’acteur et ses convic­tions, voy. R. Goo­din, Moti­va­ting Poli­ti­cal Mora­li­ty, Bla­ck­well, 1992.
  11. S. Cham­bers, op. cit.
  12. Une ten­ta­tion typique consiste alors à mettre en place un niveau sup­plé­men­taire de secret — et de créer par exemple, dans le cadre des négo­cia­tions de 2010 – 2011, une cou­pole de négo­cia­tion PS/N‑VA au-des­sus de sept/neuf par­tis pré­sents autour de la table. Dans ce cas, cette nou­velle zone de secret ne risque pas seule­ment de bri­ser le cercle de confiance entre les négo­cia­teurs. Elle sus­ci­te­ra les mêmes doutes sur sa capa­ci­té à créer les condi­tions d’une déli­bé­ra­tion ration­nelle : le lieu de la déci­sion deve­nant par ailleurs plus dif­fi­ci­le­ment détec­table, cette zone de secret risque par ailleurs d’alimenter — ultime iro­nie — l’obsession col­lec­tive de la trans­pa­rence, et une méfiance per­sis­tante pour les formes visibles du pouvoir.

John Pitseys


Auteur

John Pitseys est licencié en droit et en philosophie, docteur en philosophie à l’UCLouvain (Chaire Hoover d’éthique économique et sociale), député au Parlement bruxellois et sénateur, chef du groupe Ecolo au Parlement régional bruxellois