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Honduras : coup d’État et démocratie

Numéro 10 Octobre 2009 par Karen Bähr Caballero

octobre 2009

Le Hon­du­ras vit la crise poli­tique la plus longue de son his­toire. Plus de trois mois ont pas­sé depuis le 28 juin 2009, jour où les Hon­du­riens appre­naient, incré­dules, que les mili­taires avaient expul­sé Manuel Zelaya du pays offrant au monde le spec­tacle tra­gi­co­mique d’un pré­sident en pyja­ma dénon­çant le coup d’état dont il était […]

Le Hon­du­ras vit la crise poli­tique la plus longue de son his­toire. Plus de trois mois ont pas­sé depuis le 28 juin 2009, jour où les Hon­du­riens appre­naient, incré­dules, que les mili­taires avaient expul­sé Manuel Zelaya du pays offrant au monde le spec­tacle tra­gi­co­mique d’un pré­sident en pyja­ma dénon­çant le coup d’état dont il était victime.

Cette crise a été déclen­chée à la suite du pro­jet du pré­sident Zelaya d’organiser un réfé­ren­dum sur la réforme de la Consti­tu­tion. L’interprétation de cet évé­ne­ment la plus cou­ram­ment accep­tée et qui a fait le tour du monde était que le pré­sident hon­du­rien a été dépos­sé­dé de son inves­ti­ture de façon illé­gale, mais qu’il s’agissait là d’une réponse à son inten­tion, tout aus­si illé­gi­time, de vou­loir se main­te­nir abso­lu­ment au pou­voir1. Le monde pou­vait, une fois de plus, se moquer de cette répu­blique bana­nière où les matchs de foot­ball pou­vaient se ter­mi­ner par une guerre2. Hélas!, la réa­li­té est, comme d’habitude, beau­coup plus com­plexe. L’essor de la résis­tance que le mou­ve­ment popu­laire mène sans arrêt depuis plus de nonante jours exi­geant la res­tau­ra­tion de la démo­cra­tie témoigne de cette com­plexi­té. Cette réac­tion des sec­teurs popu­laires est d’autant plus inat­ten­due qu’au moment où Zelaya appe­lait à réfor­mer la Consti­tu­tion, il ne pou­vait comp­ter que sur un faible sou­tien du mou­ve­ment popu­laire. Si quelques diri­geants s’étaient ran­gés à ses côtés, plu­sieurs obser­va­teurs s’accordent à dire que ce que Zelaya consi­dé­rait comme sa base, n’était rien d’autre que les réseaux clien­té­listes qu’il avait com­men­cé à tis­ser depuis 1998, alors qu’il était ministre du Fonds d’investissement social du gou­ver­ne­ment de Flores Facu­sé (1998 – 2002).

Certes, le pro­ces­sus de réforme consti­tu­tion­nelle était sou­hai­té par une par­tie de la gauche qui vou­lait y voir l’opportunité d’en finir avec le bipar­tisme3 qui gan­grène le sys­tème poli­tique hon­du­rien. Mais la plu­part des orga­ni­sa­tions popu­laires voyaient avec méfiance les pro­po­si­tions de ce membre de l’élite agraire du pays qui avait occu­pé en 1987 la pré­si­dence du Conseil hon­du­rien de l’entreprise pri­vée, la plus grande confé­dé­ra­tion patro­nale du pays. Le fait est qu’avant le coup d’État du 28 juin 2009, le pro­ces­sus de créa­tion d’une consti­tuante était sur­tout un pro­jet du pré­sident Zelaya auquel s’était jointe une par­tie du mou­ve­ment social. Com­ment inter­pré­ter cette pro­po­si­tion de Zelaya ? Au moment de son inves­ti­ture en tant que can­di­dat du Par­ti libé­ral en 2004, sa fac­tion est en franche confron­ta­tion avec celle diri­gée au sein du même par­ti par Flores Facu­sé, ancien pré­sident de la Répu­blique, membre de l’élite finan­cière hon­du­rienne qui a le plus béné­fi­cié de la glo­ba­li­sa­tion, mais qui est aus­si le « cer­veau » du coup d’État du 28 juin. Facu­sé se méfiait de Zelaya, ce riche pro­prié­taire ter­rien qui ne par­ta­geait pas les mêmes inté­rêts que lui sur le plan éco­no­mique. Il n’empêche, Zelaya est fina­le­ment élu en novembre 2005 à la pré­si­dence de la République.

Les deux pre­mières années du gou­ver­ne­ment Zelaya ont été mar­quées par les ten­ta­tives de gagner la confiance de l’élite de son par­ti et de l’élite tout court. C’est ce qui explique la mise en œuvre du Trai­té de libre-échange avec les États-Unis (signé par le gou­ver­ne­ment pré­cé­dent), la signa­ture d’accords simi­laires avec Pana­ma, Taï­wan et la Colom­bie ain­si que les faci­li­tés accor­dées aux zones franches, ces entre­prises manu­fac­tu­rières qui s’appuient sur de la main‑d’œuvre bon mar­ché. Tout cela se dérou­lait au moment même où le mou­ve­ment popu­laire dénon­çait, d’une part, l’effet néga­tif de l’internationalisation de l’économie hon­du­rienne sur la majo­ri­té de la popu­la­tion hon­du­rienne et, d’autre part, les pra­tiques abu­sives des entre­prises trans­na­tio­nales, en par­ti­cu­lier celles qui opèrent dans l’exploitation des mines et des bois.

Mais son style fran­che­ment popu­liste et sa ges­tion de la chose publique, qui béné­fi­ciait en pre­mier lieu à sa propre clien­tèle, ont contri­bué à aug­men­ter son iso­le­ment vis-à-vis d’une par­tie de l’élite qui sen­tait que son emprise sur l’État allait en dimi­nuant. L’isolement interne qui se fai­sait sen­tir de plus en plus a eu pour effet de pous­ser Zelaya à ren­for­cer davan­tage les alliances externes. Dans sa quête d’un appui inter­na­tio­nal, Patri­cia Rodas, la ministre des Affaires étran­gères du gou­ver­ne­ment Zelaya, a joué un rôle cru­cial. Rodas est la fille de Modes­to Rodas, un cacique libé­ral qui, en 1963, avait vu frus­trer ses inten­tions pré­si­den­tiables par un coup d’État. Rodas estime que son père a été tra­hi par la fac­tion du par­ti diri­gée par le père de Flores Facu­sé. Dès sa jeu­nesse, Rodas s’était rap­pro­chée de la fac­tion de « gauche » mino­ri­taire au sein de son par­ti, le Par­ti libé­ral, et avait tis­sé des liens avec le Nica­ra­guayen Daniel Orte­ga et le Véné­zué­lien Hugo Cha­vez, tout en res­tant libérale.

C’est ain­si que ce qui était d’abord un rap­pro­che­ment prag­ma­tique avec le Vene­zue­la est deve­nu une alliance poli­tique qui s’est accen­tuée sous l’effet de la crise éner­gé­tique dont avait héri­té Zelaya. La flam­bée des prix au niveau mon­dial avait en effet obli­gé Zelaya à décré­ter l’état d’urgence quatre jours seule­ment après son inves­ti­ture. Ratio­na­li­ser l’accès du Hon­du­ras au mar­ché du pétrole deve­nait ain­si cru­cial et don­nait à la poli­tique exté­rieure une dimen­sion pri­mor­diale. Zelaya a alors mis en œuvre toute une série de mesures telles que l’importation du pétrole via un sys­tème d’appels d’offres inter­na­tio­naux. Des négo­cia­tions ont été enta­mées avec le Bré­sil pour rece­voir une assis­tance tech­nique pour la pro­duc­tion d’éthanol. Enfin, des accords étaient conclus avec le Vene­zue­la en vue d’acheter des pro­duits déri­vés du pétrole à des prix avan­ta­geux. C’est ce qu’on a appe­lé l’initiative Petrocaribe.

« Virage à gauche »

Ce rap­pro­che­ment avec le Vene­zue­la et la poli­tique sociale impul­sée par Zelaya ont vite été consi­dé­rés comme un « virage à gauche ». En réa­li­té, Zelaya ne s’est pas atta­qué aux pri­vi­lèges struc­tu­rels de l’élite hon­du­rienne. Ses mesures sociales étaient un mélange hété­ro­clite de pro­grammes ciblés de sou­la­ge­ment de la pau­vre­té — pro­mus par la Banque mon­diale dans tous les pays du tiers-monde pour légi­ti­mer les mesures éco­no­miques néo­li­bé­rales — et de mesures popu­listes. Il ne s’agissait pas de pro­grammes visant à pro­duire une citoyen­ne­té sociale et s’en pre­nant aux causes struc­tu­relles de la pau­vre­té et à l’inégalité. En outre, le pas­sage du dis­cours à la pra­tique res­tait tein­té d’ambiguïté : le jour de l’investiture de Daniel Orte­ga à la pré­si­dence de la Répu­blique du Nica­ra­gua, alors que Zelaya fai­sait un dis­cours enflam­mé contre l’impérialisme, la police répri­mait sous ses ordres une mani­fes­ta­tion pay­sanne exi­geant une régu­la­tion juri­dique des acti­vi­tés minières. En même temps, le pré­sident accor­dait la déro­ga­tion qui per­met aux entre­prises maqui­la­do­ras4 de ne pas appli­quer la loi sur le salaire mini­mum aux entre­prises ayant des acti­vi­tés dans les régions les plus pauvres du pays.

Mais l’inclusion du Hon­du­ras à l’Alba5 — ini­tia­le­ment appuyée par les entre­pre­neurs hon­du­riens du fait des condi­tions avan­ta­geuses dont ils pro­fi­taient éga­le­ment — est le début d’une esca­lade de méfiance, soup­çons et accu­sa­tions d’intégration du Hon­du­ras au pro­jet socia­liste de Hugo Cha­vez. Cette esca­lade s’est tra­duite dans la rela­tion tor­tueuse qu’a connue le pré­sident Zelaya avec la presque tota­li­té des médias qui sont la pro­prié­té des riches entre­pre­neurs honduriens.

C’est dans ce contexte que se pro­duit le coup d’État du 28 juin qui vient com­plè­te­ment chan­ger la donne. En effet, en défe­nes­trant Zelaya, le com­plexe éco­no­mique, média­tique et mili­taire qui a pro­mu le coup d’état a ouvert une boîte de Pan­dore. Ce fai­sant, il offre le pou­voir au sec­teur le plus rétro­grade de la droite hon­du­rienne. Il est donc évident que le pou­voir de fac­to s’attaque ain­si aux avan­cées démo­cra­tiques de ces der­nières décen­nies. La ten­ta­tive de res­tau­rer le ser­vice mili­taire obli­ga­toire, la par­ti­ci­pa­tion des groupes reli­gieux fon­da­men­ta­listes (évan­gé­liques et catho­liques) à la sphère poli­tique et la dia­bo­li­sa­tion de la gauche sont autant d’illustrations de cette nou­velle poli­tique. Mais le plus frap­pant a été la réac­tion vio­lente et dis­pro­por­tion­née des put­schistes pour répri­mer le mou­ve­ment de résis­tance à ce coup d’État. L’armée, que les Hon­du­riens pen­saient désor­mais moderne et sou­mise au pou­voir civil, appa­raît à nou­veau comme un organe de répres­sion dont les pra­tiques rap­pellent les moments les plus hon­teux de la guerre froide. Dans ces cir­cons­tances, la ques­tion n’est plus de sou­te­nir Zelaya ou pas. L’urgence est de réta­blir les ins­ti­tu­tions et de réta­blir le pro­ces­sus de démocratisation.

Ce qui était au moment du putsch un ras­sem­ble­ment d’organisations, dis­pa­rate et désar­ti­cu­lé, s’est trans­for­mé au fil du temps et de la répres­sion en un mou­ve­ment social de plus en plus struc­tu­ré. La résis­tance est deve­nue un acteur indis­pen­sable de la solu­tion à la crise poli­tique, mais aus­si du deve­nir démo­cra­tique du pays. Le pro­jet de réforme de la Consti­tu­tion a donc chan­gé de nature pour deve­nir main­te­nant un pro­jet viable et légi­time dès lors que le sec­teur popu­laire orga­ni­sé a acquis la capa­ci­té d’y contri­buer direc­te­ment. La par­ti­ci­pa­tion popu­laire dans la construc­tion de la démo­cra­tie n’est plus un concept vide de sens, mais annonce désor­mais l’espoir d’une refon­da­tion de la socié­té hon­du­rienne, sur un mode plus juste et plus libre.

Au moment où ces lignes sont écrites, la crise poli­tique au Hon­du­ras s’est aggra­vée. Le régime a don­né clai­re­ment sa « ver­sion de la démo­cra­tie » : meurtres, déten­tions illé­gales, tor­ture, vio­la­tion de domi­cile. Le tableau s’est encore assom­bri avec sa ten­ta­tive de sup­pri­mer les garan­ties indi­vi­duelles pour une période de qua­rante-cinq jours. Dans ce contexte, le rôle de la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale s’avère évi­dem­ment primordial.

29 sep­tembre 2009

  1. Manuel Zelaya n’a jamais clai­re­ment dit ce qu’il vou­lait modi­fier dans cette Consti­tu­tion. C’est ce qui per­met à ses adver­saires de dire qu’il vou­lait res­ter au pou­voir et à ces sym­pa­thi­sants d’affirmer qu’il vou­lait fon­der une démo­cra­tie plus par­ti­ci­pa­tive. Zelaya a été ren­ver­sé avant de pou­voir faire abou­tir son pro­jet, au moment où il vou­lait deman­der à la popu­la­tion s’il était sou­hai­table de modi­fier la Consti­tu­tion (démarche indis­pen­sable car celle-ci est verrouillée).
  2. Selon l’histoire offi­cielle, un match de foot­ball fut le cata­ly­seur de la « Guerre des cent heures » qui oppo­sa le Hon­du­ras au Sal­va­dor en 1969.
  3. Entre le Par­ti libé­ral du Hon­du­ras (PLH, centre-droit) et le Par­ti natio­nal (consi­dé­ré comme plus à droite).
  4. Entre­prise béné­fi­ciant d’exemption de droits de douane pour pro­duire des pro­duits à moindre coût à par­tir de com­po­sants importés.
  5. Alliance boli­va­rienne pour les peuples d’Amérique, qui se veut une alter­na­tive au pro­jet de « Zone de libre-échange des Amé­riques » (ex-Ale­na) lan­cé par les États-Unis.

Karen Bähr Caballero


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