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Hier les sorcières, aujourd’hui…
Des évènements récents m’amènent à m’inquiéter en tant que féministe de la conjoncture actuelle en ce qui concerne l’accès des femmes au marché du travail et leur situation sur ce marché. Des règlements ou projets de règlement du travail, proposés ou soutenus par les syndicats, me semblent constituer de véritables discriminations à l’encontre de femmes. Je pense […]
Des évènements récents m’amènent à m’inquiéter en tant que féministe de la conjoncture actuelle en ce qui concerne l’accès des femmes au marché du travail et leur situation sur ce marché. Des règlements ou projets de règlement du travail, proposés ou soutenus par les syndicats, me semblent constituer de véritables discriminations à l’encontre de femmes. Je pense en particulier au règlement désormais en vigueur chez Actiris qui interdit le port de tout signe religieux. Cette mesure, en apparence valable pour toutes et tous, n’affecte en réalité que des femmes, à savoir toutes celles (de l’employée en back-office à la technicienne de surface) qui portent un foulard et même celles qui ont été engagées avec un foulard il y a vingt ans1.
Le plus inquiétant, c’est que le nouveau règlement du travail chez Actiris semble bien faire tâche d’huile. Déjà des propositions dans ce sens se sont fait entendre au sein de l’administration de la région de Bruxelles-Capitale. Soit dans des services publics qui devraient être attentifs à montrer l’exemple de la nondiscrimination. Comment comprendre ce qui m’apparait comme un acharnement contre les seules travailleuses ? Je ne reviendrai pas sur l’instrumentalisation du féminisme dans le débat sur l’interdiction du hijab que nous avons suffisamment dénoncée. Je m’interroge sur l’avenir des femmes sur un marché du travail déjà segmenté et profondément inégalitaire si une nouvelle possibilité de discrimination est légitimée. Non que des mesures discriminatoires seront systématiquement appliquées, mais elles pourront l’être à la moindre occasion offrant aux employeurs toute latitude pour embaucher ou licencier à leur gré en alléguant le règlement. Le foulard pourrait alors devenir un dispositif de régulation du marché du travail.
À l’école comme au travail, ces mesures d’exclusion ne touchent que des femmes. Il est stupéfiant de constater que de vrais problèmes existant dans les écoles (réputation de l’école, autorité contestée des enseignants, sexisme et machisme) ont été prétendument 1 Une employée dans ce cas a reçu son préavis et a entamé une action. résolus en interdisant le foulard. Les témoignages provenant d’écoles qui, après l’avoir toléré, l’ont interdit soulignent que la paix est revenue dans les salles de profs et que les élèves se tiennent plus tranquilles2. Cette victoire symbolique du corps enseignant n’a cependant pas remis en cause les rapports inégalitaires entre filles et garçons, quant à ce qui se passe en dehors de l’école, le corps enseignant n’en a nullement cure. En réalité un signe a été envoyé aux musulmans quant à la question de leur visibilité. Un signe qui ne concerne que les femmes. La réaffirmation du rapport de force en défaveur des musulmans se fait donc jusqu’à présent exclusivement au détriment des femmes3. Je pense que ce n’est pas un hasard et qu’il nous revient à nous féministes de comprendre ce phénomène et de le combattre.
Hier, les sorcières… Nous savons grâce aux historiens que les sorcières qui furent poursuivies en grand nombre aux XVIe et XVIIe siècles en Europe ont fait fonction de boucs émissaires pour toute une série de maux et de problèmes sociaux dont elles n’étaient évidemment pas responsables. Que l’exorcisation du mal passât par les femmes (par comparaison, peu d’hommes furent désignés comme sorciers) n’a pas été, selon moi, suffisamment étudié. Et pourtant c’est bien ce qui frappe et m’autorise à mettre en parallèle ces prétendues sorcières victimes de l’Inquisition et les femmes affichant des signes religieux victimes de discrimination à l’école ou au travail. Dans un cas comme dans l’autre, on ne veut pas voir ou chercher les racines des problèmes, on tente de dissoudre les tensions sociales en s’acharnant contre une catégorie de femmes minoritaires, vulnérables socialement et économiquement, catégorie que l’on sait historiquement mal défendue par les organismes censés représenter les intérêts des travailleurs et des travailleuses.
En 2003, j’écrivais « Fichons la paix aux fichus et occupons-nous d’égalité ». Je pensais naïvement que des problèmes pressants réclamaient notre attention en ce qu’ils affectent de manière spécifique les femmes comme la globalisation, l’usurpation de produits et usages collectifs via la propriété intellectuelle, l’épuisement des ressources naturelles, le chômage croissant, les violences à leur encontre, etc. Je n’avais pas envisagé la perversité du système : que, dans le contexte post-11 septembre, des hommes, mais aussi des femmes, et même des féministes, puissent projeter leurs peurs sur des cibles faciles et que des mesures d’exclusion qui légitiment les discriminations puissent alimenter la méfiance, la suspicion et compromettre de plus en plus gravement le vivre ensemble.
C’est donc un appel à recréer de la solidarité féministe pour que toutes les femmes aient accès à l’école et au travail. Voilà deux des plus anciennes revendications féministes, et dire que nous sommes au XXIe siècle.
- Une employée dans ce cas a reçu son préavis et a entamé une action.
- Audition du préfet du lycée de Forest au Conseil des femmes francophones de Belgique (CFFB) en 2010.
- Il n’est pas question de demander que cela se fasse aussi sur le dos des hommes. Je rejoins évidemment celles et ceux qui prônent une neutralité inclusive.