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Het land dat nooit was, par Maarten Van Ginderachter, Koen Arts, Antoon Vrints

Numéro 7 - 2015 par Geneviève Warland

novembre 2015

Et s’il n’y avait pas eu de révo­lu­tion en Bel­gique, mais une scis­sion du royaume des Pays-Bas sous la férule d’un des deux fils de Guillaume Ier ? Et si Léo­pol­dII n’avait pas colo­ni­sé le Congo ? Et si le bourg­mestre de Bruxelles, Jules Ans­pach, avait pu impo­ser à l’ensemble du ter­ri­toire belge son modèle de pla­ni­fi­ca­tion urbanistique […]

Et s’il n’y avait pas eu de révo­lu­tion en Bel­gique, mais une scis­sion du royaume des Pays-Bas sous la férule d’un des deux fils de Guillaume Ier ? Et si Léo­pol­dII n’avait pas colo­ni­sé le Congo ? Et si le bourg­mestre de Bruxelles, Jules Ans­pach, avait pu impo­ser à l’ensemble du ter­ri­toire belge son modèle de pla­ni­fi­ca­tion urba­nis­tique à la fran­çaise ? Et si le suf­frage uni­ver­sel avait été intro­duit en 1893 plu­tôt que le vote plu­ral ? Et si la Bel­gique n’avait pas reçu l’aide ali­men­taire des États-Unis via le Comi­té natio­nal de secours ali­men­taire durant la Pre­mière Guerre mon­diale ? Et si Léo­pold III avait adop­té pour la Bel­gique une forme de régime de Vichy durant la Seconde Guerre mon­diale et qu’il avait été contraint de renon­cer défi­ni­ti­ve­ment au trône à la fin de celle-ci ?

Telles sont quelques-unes des ques­tions posées dans ce livre qui inter­roge tant l’histoire de Bel­gique que la méthode du tra­vail his­to­rique, en par­ti­cu­lier du rai­son­ne­ment his­to­rique1. Voi­ci une œuvre col­lec­tive sti­mu­lante où l’histoire d’un petit pays, sou­vent pré­sen­té comme un labo­ra­toire ori­gi­nal de construc­tion natio­nale et poli­tique, croise l’épistémologie, dis­ci­pline phi­lo­so­phique por­tant sur les fon­de­ments de l’histoire comme de toute science. Quelques heures de lec­ture à la fois diver­tis­santes, enri­chis­santes et sti­mu­lantes tant en ce qui concerne les idées que la démarche de pensée.

C’est à ima­gi­ner dix scé­na­rios pour une his­toire alter­na­tive de la Bel­gique sur le mode du « et si » que s’est amu­sé intel­lec­tuel­le­ment un groupe d’historiens fla­mands, issus des uni­ver­si­tés du Nord du pays : Gand, Anvers et Lou­vain. L’essai, un novum dans le pay­sage his­to­rique belge, est réus­si. Le jeu en valait la chan­delle : si les voies ima­gi­naires pro­po­sées reposent toutes sur un fort degré de plau­si­bi­li­té, elles montrent non seule­ment ce que le cours de l’histoire peut avoir d’arbitraire, mais encore que des dépla­ce­ments plus ou moins impor­tants n’auraient pas eu néces­sai­re­ment des consé­quences fort dif­fé­rentes de celles que l’on observe réel­le­ment. C’est ce que révèle sin­gu­liè­re­ment l’analyse de l’échec fic­tif de l’entreprise colo­niale de Léo­pold II, laquelle n’aurait pas empê­ché un sys­tème d’exploitation abu­sive de la colonie.

Plu­tôt que d’écrire l’histoire telle qu’elle a été (wie es eigent­lich gewe­sen ist), comme l’a ensei­gné au XIXe siècle le grand his­to­rien alle­mand, Léo­pold von Ranke, les contri­bu­teurs à ce volume se sont pro­po­sés de rédi­ger l’histoire telle qu’elle n’a pas été (wie es eigent­lich nicht gewe­sen ist). Exa­mi­nant scru­pu­leu­se­ment les sources d’époque et la lit­té­ra­ture secon­daire, cha­cun a lais­sé cou­rir sa fan­tai­sie, toutes pro­por­tions étant gar­dées par les réqui­sits de la dis­ci­pline his­to­rique. Dans tous les cas, c’est à un ou deux spé­cia­listes de l’époque et de la thé­ma­tique, fins connais­seurs des sources et du contexte, que la rédac­tion du contre-récit a été confiée.

L’histoire alter­na­tive ou his­toire contre­fac­tuelle est un genre d’histoire qui n’a géné­ra­le­ment pas bonne presse dans les milieux aca­dé­miques. La cita­tion d’un des his­to­riens bri­tan­niques les plus en vue, Richard J. Evans, parle d’elle-même : «“what if” is a waste of time » (p. 11). Mêlant fic­tion et réa­li­té, elle repré­sente pré­ci­sé­ment ce que l’apprentissage du métier d’historien vise à évi­ter : inven­tions, extra­po­la­tions, exa­gé­ra­tions ou mini­mi­sa­tions de faits et de phé­no­mènes. La règle d’or consiste géné­ra­le­ment à réécrire le moins pos­sible et à col­ler au plus près de la réa­li­té pas­sée. C’est aus­si la rai­son pour laquelle ce type d’histoire n’est pas très en vogue et que l’on peine à citer des œuvres de valeur dans le domaine. Pour­tant, il en existe, comme l’ouvrage du phi­lo­sophe fran­çais, Charles Renou­vier, Uchro­nie : l’utopie dans l’histoire (1876) ou celui de l’historien alle­mand, volon­tiers épis­té­mo­logue, Alexan­der Demandt, Unges­che­hene Ges­chichte (1986) (His­toires qui n’ont pas eu lieu), ou encore celui de l’historien amé­ri­cain, Robert Fogels, spé­cia­liste d’histoire éco­no­mique où le genre de coun­ter­fac­tual his­to­ry est le plus pra­ti­qué : Rail­roads and Ame­ri­can Eco­no­mic Growth (1964).

À y bien regar­der, la démarche de l’histoire contre­fac­tuelle fait par­tie inté­grante d’une réflexion his­to­rique sérieuse sur la recherche des cau­sa­li­tés : en effet, l’historien émet des hypo­thèses et com­pare dif­fé­rentes pos­si­bi­li­tés pour mesu­rer l’impact de cha­cune d’elle sur un évè­ne­ment. Pour illus­trer ceci, son­geons à l’abondance de la lit­té­ra­ture his­to­rique consa­crée au déclen­che­ment de la Pre­mière guerre mon­diale. Ce fait est assu­ré­ment extrê­me­ment com­plexe, mais il est aus­si para­dig­ma­tique du rai­son­ne­ment de l’historien qui se pose inévi­ta­ble­ment la ques­tion de savoir ce qui se serait pas­sé si la Rus­sie n’avait pas mobi­li­sé ses troupes ou si l’Allemagne avait res­pec­té la neu­tra­li­té du ter­ri­toire belge, etc. Il s’agit bien là de réflé­chir sur le cours des évè­ne­ments en ima­gi­nant ce qui aurait pu se pas­ser si telle déci­sion ou action n’étaient pas sur­ve­nues. Se réfé­rant au socio­logue alle­mand Max weber et à l’historien fran­çais Antoine Prost, les auteurs de l’introduction de Het land dat nooit was sou­lignent avec jus­tesse que « elke goede, verk­la­rende ges­chied­schri­j­ving is tegen­fei­te­lijk in de zin dat his­to­ri­ci oor­za­ken-gevolg­ke­tens die daad­wer­ke­lijk gebeurd zijn, ver­ge­lij­ken met sequen­ties die had­den kun­nen gebeu­ren » (p. 12). En réa­li­té, cette démarche d’heuristique intel­lec­tuelle, briè­ve­ment décrite ci-des­sus à l’exemple de la Pre­mière guerre, a été théo­ri­sée par le phi­lo­sophe fran­çais Paul Ricœur, ins­pi­ré par la phi­lo­so­phie ana­ly­tique de l’histoire des années 1950 – 1960 aux États-Unis. Elle porte un nom : l’imputation cau­sale sin­gu­lière, laquelle est propre au rai­son­ne­ment his­to­rique et évoque l’attribution à chaque fois par­ti­cu­lière d’une ou de plu­sieurs causes à un fait en éva­luant leur degré d’importance (et donc en com­pa­rant de manière ima­gi­naire ce qui se serait pas­sé si ces causes n’avaient pas été pré­sentes)2. Le mode de rai­son­ne­ment de l’imputation cau­sale sin­gu­lière est à la base de l’explication tant dans l’histoire réelle que dans l’histoire contre­fac­tuelle, car elle déter­mine la façon dont on inter­prète l’enchainement des évè­ne­ments dans le pre­mier cas, ou dont on choi­sit de construire une fic­tion his­to­rique plau­sible comme dans le second.

Au-delà de la pré­sence du contre­fac­tuel dans la démarche de rai­son­ne­ment de l’historien, le type de « guerrilla­geschiedenis » (p. 9), telle que les auteurs la sur­nomment, pour­suit un objec­tif plus large : il vise à dépas­ser les évi­dences chez le lec­teur et à démon­ter les croyances en un cours natu­rel de l’histoire. Ce livre se pré­sente, dès lors, comme un « anti­dote » contre une his­toire téléo­lo­gique consi­dé­rant une seule tra­jec­toire pos­sible à l’exclusion de toutes les autres. En son cœur se trouve la ques­tion com­mu­nau­taire belge, pré­sente ne fût-ce qu’en fili­grane dans les diverses thé­ma­tiques traitées.

Le mes­sage est net­te­ment un mes­sage de com­bat : l’ouvrage s’oppose à une « concep­tion erro­née de l’histoire répan­due en Flandre », laquelle consi­dère la Bel­gique de 1830 comme étant néces­sai­re­ment vouée à l’échec en rai­son de son carac­tère bicul­tu­rel ou biso­cié­tal (p. 14). Il montre que l’éloignement des deux popu­la­tions belges s’est opé­ré prin­ci­pa­le­ment après la Seconde Guerre mon­diale et que l’on aurait pu avoir des scé­na­rios dif­fé­rents, telle que la géné­ra­li­sa­tion du bilin­guisme sur l’ensemble du ter­ri­toire. Trois contri­bu­tions optent pour des alter­na­tives dans les­quelles les lignes de frac­ture dans la popu­la­tion belge ne sont pas prio­ri­tai­re­ment lin­guis­tiques, mais idéo­lo­giques (catho­lique et anti­clé­ri­cale) et socioéconomiques.

Ain­si, Maar­ten Van Gin­de­rach­ter met en évi­dence, dans sa contre-his­toire du suf­frage tem­pé­ré de 1893, que l’option d’un sys­tème à majo­ri­té abso­lue aurait ren­for­cé la dif­fé­rence entre, d’un côté, une Flandre catho­lique et, de l’autre, une ville de Bruxelles et une Wal­lo­nie libé­rales et socia­listes. Ain­si, Benoît Maje­rus et Antoon Vrints posent l’hypothèse qu’en l’absence de Fla­men­po­li­tik par les Alle­mands au cours de la Pre­mière Guerre mon­diale, les pri­va­tions, ren­for­cées par le manque d’aide venant de l’étranger, auraient por­té à son comble les dis­pa­ri­tés entre riches et pauvres de sorte que la lutte pour le main­tien de l’ordre se serait dérou­lée plus vrai­sem­bla­ble­ment selon la ligne de par­tage gauche-droite. Enfin, Nico Wou­ters rend plau­sible que l’abdication de Léo­pold III dès la fin de la guerre à la suite de sa col­la­bo­ra­tion étroite avec le régime nazi n’aurait pas autant enve­ni­mé les rela­tions entre les deux com­mu­nau­tés lin­guis­tiques car il n’y aurait pas eu de ques­tion royale.

Les dix essais d’histoire contre­fac­tuelle ras­sem­blés dans ce livre sont struc­tu­rés de sorte qu’ils dévoilent à la fois leur mode de concep­tua­li­sa­tion et d’écriture ain­si que l’histoire « vraie », autre­ment dit non fic­tive, tout en évo­quant à plu­sieurs reprises les diver­gences d’interprétation qui peuvent exis­ter dans l’historiographie scien­ti­fique sur cer­taines ques­tions cru­ciales de l’histoire de Bel­gique. Ils ont donc été conçus sous les deux aspects d’une his­toire contre­fac­tuelle nar­ra­tive et d’une his­toire contre­fac­tuelle ana­ly­tique. La pre­mière par­tie de chaque scé­na­rio entraine le lec­teur dans un uni­vers alter­na­tif, n’hésitant pas à le désta­bi­li­ser quelque peu. Dans la seconde par­tie, l’historien explique la construc­tion de son récit et dis­tingue, ce fai­sant, le réel du contre­fac­tuel. Deux grands axes pro­blé­ma­tiques de la recherche his­to­rique sont ain­si éclai­rés de manière conjointe : l’un porte sur l’histoire des ori­gines et des péri­pé­ties du conflit com­mu­nau­taire en Bel­gique ; l’autre est de nature plus métho­do­lo­gique et concerne, d’une part, une vision linéaire du déve­lop­pe­ment his­to­rique et, d’autre part, le rap­port entre indi­vi­dus et struc­tures comme fac­teurs déter­mi­nants de l’explication historique.

Une telle dimen­sion réflexive évite l’écueil dans lequel les auteurs du livre n’ont pas vou­lu tom­ber : une simple chro­nique fic­tive de la Bel­gique, his­toire paral­lèle rédi­gée sans expli­quer ses tenants et ses abou­tis­sants. À l’inverse, Het Land dat nooit was place les normes de qua­li­té du tra­vail his­to­rique uni­ver­si­taire au ser­vice de l’écriture contre­fac­tuelle en vue de l’élaboration de recons­ti­tu­tions fic­tives, mais aus­si plau­sibles : « geen roe­ke­loze spe­cu­la­tie, maar rigou­reuze argu­men­ta­tie » (p. 19). Il s’agit de « varia­tions réa­listes » (p. 362), ins­crites dans le cadre de pos­si­bi­li­tés struc­tu­rel­le­ment pos­sibles. Par exemple, avoir pla­cé l’indépendance de la par­tie méri­dio­nale de la Bel­gique non pas sous le coup d’une révo­lu­tion mais à la suite d’une guerre entre les deux fils de Guillaume Ier, s’inscrit dans l’idée que les deux par­ties du royaume des Pays-Bas, réunies par le trai­té de Vienne en 1815, avaient pris des voies trop dif­fé­rentes depuis plu­sieurs siècles pour ne pas se sépa­rer à nouveau.

Les thèmes abor­dés portent sur des moments clés de l’histoire de la Bel­gique, les­quels ont façon­né la socié­té belge et sont au cœur des débats his­to­riques : dans l’ordre chro­no­lo­gique, la créa­tion de l’État belge en 1830 ; le trai­té des XXIV articles en 1839 entre la Bel­gique et les Pays-Bas et son impact éco­no­mique pour le com­merce mari­time vers Anvers ; la poli­tique urba­nis­tique du bourg­mestre de Bruxelles Jules Ans­pach ; la pre­mière guerre sco­laire en 1879 – 1884 revue à la lor­gnette d’un scan­dale de pédo­phi­lie ; la colo­ni­sa­tion du Congo par Léo­pold II ; la loi de 1893 sur le suf­frage uni­ver­sel tem­pé­ré par le vote plu­ral ; les pri­va­tions de la popu­la­tion belge au cours de la Pre­mière Guerre mon­diale ; l’impossibilité du retour de Léo­pold III sur le trône en rai­son de sa col­la­bo­ra­tion avec le régime d’occupation nazi ; le « modèle » de l’État belge deve­nu Répu­blique à la suite de la ques­tion royale et l’inondation catas­tro­phique de 1953 en Flandre. Ces thèmes sont trai­tés res­pec­ti­ve­ment par Tom Ver­schaf­fel, Hilde Greefs, Ilja Van Damme et Tho­mas Vanou­trive, Gita Denee­ckere, Petra Ver­wust, Maar­ten Van Gin­de­rach­ter, Benoit Maje­rus et Antoon Vrints, Koen Aerts et Bru­no De Wever, Nico Wou­ters, Tim Soens et Chris­tophe Verbruggen.

Ce compte ren­du ne cherche pas à don­ner un résu­mé de chaque contri­bu­tion en par­ti­cu­lier, mais il pré­fère ren­voyer à des élé­ments spé­ci­fiques. C’est ce qu’il m’apparait encore oppor­tun de réa­li­ser ici sous l’angle du rap­port au contem­po­rain, c’est-à-dire à la Bel­gique d’aujourd’hui, qui est un des aspects récur­rents du livre. Il n’est pas tant utile de sou­li­gner que plu­sieurs articles com­mencent par un dis­cours, sou­vent légè­re­ment modi­fié, d’Elio Di Rupo, alors Pre­mier ministre, que de révé­ler les écarts de per­cep­tion pro­vo­qués par cer­tains évè­ne­ments dans la société.

Dans cette optique, la contri­bu­tion de Gita Denee­ckere est élo­quente : elle montre que la décou­verte d’un scan­dale de pédo­phi­lie, per­pé­tré par les frères d’une congré­ga­tion à Renaix en Flandre, les Broe­ders van de Goede Wer­ken, dont la pour­suite en 1881 a fina­le­ment débou­ché sur un non-lieu, n’a pas sus­ci­té dans la popu­la­tion un impact à la mesure de l’attention que lui a accor­dée la presse libé­rale de l’époque. Cette atti­tude est inverse à celle qu’ont pro­vo­quée les affaires récentes qui ont ébran­lé l’Église catho­lique belge, dont celle de l’évêque de Bruges, Roger Van­ghe­luwe. Le trai­te­ment de cette thé­ma­tique illustre avec force les chan­ge­ments dans les men­ta­li­tés et dans les mœurs quant aux atteintes por­tées à l’intégrité des mineurs d’âge. Si au XIXe siècle régnait essen­tiel­le­ment la loi du silence, il en va tout autre­ment du XXIe siècle. Par là, on mesure les pro­grès réa­li­sés dans la recon­nais­sance de la digni­té humaine sur plus de cent-cin­quante ans.

His­toire de l’enseignement et des ordres catho­liques dans le cas d’une guerre sco­laire fic­ti­ve­ment cham­bou­lée par des scan­dales, his­toire sociale et poli­tique à tra­vers les ques­tions du suf­frage ou de la faim au cours de la Pre­mière Guerre mon­diale, his­toire de l’urbanisme en Bel­gique, his­toire colo­niale, his­toire de l’environnement, his­toire poli­tique avec les sujets de la col­la­bo­ra­tion et de la forme éta­tique belge — aban­don de la monar­chie au pro­fit d’une Répu­blique après la Seconde Guerre mon­diale —, voi­là autant de domaines his­to­riques qui se prêtent à un scé­na­rio contre­fac­tuel, comme l’atteste avec brio cet ouvrage.

À quand une ver­sion fran­co­phone jetant des feux sur la Wal­lo­nie, laquelle est peu pré­sente dans Het land dat nooit was, et ten­tant l’expérience à par­tir des points de vue des his­to­riens du Sud du pays ? Le livre de l’écrivain belge fran­co­phone Frank Andriat, Bart chez les Fla­mands3, peut ser­vir d’incitant : il pro­pose, avec intel­li­gence et humour, une image inver­sée du rap­port éco­no­mique entre la Flandre et la Wal­lo­nie, située dans le futur, mais en prise directe avec l’actualité belge. La Flandre qui, sous l’action de ses hérauts natio­na­listes, aurait accé­dé à l’indépendance, subi­rait les coups conju­gués du dés­in­ves­tis­se­ment finan­cier et éco­no­mique. Au contraire, la Wal­lo­nie ver­rait le chô­mage des­cendre en flèche grâce à la décou­verte d’un filon d’or dans la région de La Lou­vière… Si la trame est ici très impro­bable, notam­ment par le recours à cette res­source natu­relle que ne contient pas le sol wal­lon, l’exercice mérite, quant à lui, d’être réa­li­sé. Il mobi­li­se­rait des faits du pas­sé de cette région comme de la Bel­gique et revi­si­te­rait les sources de l’histoire belge pour les dis­po­ser autre­ment et les inter­pré­ter avec créa­ti­vi­té. À vos plumes, his­to­riens francophones !

  1. Maar­ten Van Gin­de­rach­ter, Koen Arts, Antoon Vrints, Het land dat nooit was. Een tegen­fei­te­lijke ges­chie­de­nis van Bel­gië, De Bezige Bij, 2015, 383 p.
  2. Paul Ricœur, Temps et récit I : l’intrigue et le récit his­to­rique, Paris, Seuil, 1983.
  3. Frank Andriat, Bart chez les Fla­mands, Water­loo, Grand miroir, 2012.

Geneviève Warland


Auteur

Geneviève Warland est historienne, philosophe et philologue de formation, une combinaison un peu insolite mais porteuse quand on veut introduire des concepts en histoire et réfléchir à la manière de l’écrire. De 1991 à 2003, elle a enseigné en Allemagne sous des statuts divers, principalement à l’université : Aix-la-Chapelle, Brême, et aussi, par la suite, Francfort/Main et Paderborn. Cette vie un peu aventurière l’a tout de même ramenée en Belgique où elle a travaillé comme assistante en philosophie à l’USL-B et y a soutenu en 2011 une thèse intégrant une approche historique et une approche philosophique sur les usages publics de l’histoire dans la construction des identités nationales et européennes aux tournants des XXè et XXIè siècles. Depuis 2012, elle est professeure invitée à l’UCLouvain pour différents enseignements en relation avec ses domaines de spécialisation : historiographie, communication scientifique et épistémologie de l’histoire, médiation culturelle des savoirs en histoire. De 2014 à 2018, elle a participé à un projet de recherche Brain.be, à la fois interdisciplinaire et interuniversitaire, sur Reconnaissance et ressentiment : expériences et mémoires de la Grande Guerre en Belgique coordonné par Laurence van Ypersele. Elle en a édité les résultats scientifiques dans un livre paru chez Waxmann en 2018 : Experience and Memory of the First World War in Belgium. Comparative and Interdisciplinary Insights.