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Herstal-Riyad : le vache et le prisonnier
Le 2 octobre, Jamal Khashoggi, un journaliste saoudien en rupture de ban, était assassiné dans les bureaux du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul. L’affaire a fait grand bruit, principalement suite aux informations qui ont filtré (si l’on ose dire) quant aux conditions particulièrement sordides dans lesquelles cet opposant de fraiche date a été éliminé. Après un laps de temps […]
Le 2 octobre, Jamal Khashoggi, un journaliste saoudien en rupture de ban, était assassiné dans les bureaux du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul. L’affaire a fait grand bruit, principalement suite aux informations qui ont filtré (si l’on ose dire) quant aux conditions particulièrement sordides dans lesquelles cet opposant de fraiche date a été éliminé.
Après un laps de temps aussi court que celui de la remise à niveau de nos centrales nucléaires, des réactions ont commencé à se faire entendre en Belgique francophone. D’abord mollement, avant d’en arriver à la question qui tue : faut-il continuer de vendre des armes belges (en l’occurrence, wallonnes) à l’Arabie saoudite ? Tous les regards se sont alors tournés vers la FN d’Herstal, dont l’épaisseur du carnet de commandes et du chiffre d’affaires doit beaucoup à l’avant-poste de la démocratie et des libertés syndicales qu’incarne le royaume saoudien au Moyen-Orient.
Le 22 octobre, près de trois semaines après les faits, la RTBF, dans son émission Soir Première, organisait enfin un débat sur la question : « Faut-il arrêter toute livraison d’armes à l’Arabie saoudite ? ». Le débat opposait le directeur d’Amnesty International Belgique francophone (AIBF), Philippe Hensmans, au secrétaire-général de la FGTB Métallos Wallonie-Bruxelles, Nico Cué.
Les deux acteurs jouèrent leur rôle à la perfection. Le responsable d’Amnesty rappela que, en vertu de la législation wallonne, de l’affaire Khashoggi, mais aussi de la boucherie invraisemblable qui se déroule au Yémen et de la capacité miraculeuse qu’ont les armes vendues par la FN à Riyad à se retrouver aux quatre coins du Moyen-Orient, la FN devait suspendre les contrats d’armement la liant à l’Arabie saoudite. Et d’en profiter pour rappeler qu’en tant qu’actionnaire unique de ladite FN, la responsabilité politique et éthique du gouvernement wallon était directement engagée. Le responsable de la FGTB, lui, se posa, non en défenseur des droits de l’homme (« Ça, c’est vot’ problème, pas l’mien », sic), mais tout naturellement en défenseur des emplois wallons et, excusez du peu, de « La Wallonie », une Wallonie dont, à entendre la psalmodie du métallo, Amnesty « n’en a rien à f…» (sic bis). Ce dernier parvint à occuper 80 % du temps de parole et à tempêter contre les ONG et, c’est toujours bon à prendre, contre « La Flandre ». Tremblez, Wallons…
Ce qui fit de ce « débat » tant attendu sur les ondes du service public un moment pas comme les autres, ce ne furent pas tant les positions défendues par les deux intervenants que la brutalité qui exsudait du dirigeant syndical. L’on pourrait céder à la facilité en parlant de « méthode Cué ». En ces temps de virtualité et d’indignations digitales, il faut reconnaitre à la RTBF le mérite de nous avoir fait vivre un débat que l’on peut, sans barguigner, qualifier de sensuel, dans l’acception physique et épidermique du terme.
Ce fut comme une plongée dans le temps et un retour dans les salles obscures, lorsqu’en 1976, dans Taxi Driver, Robert De Niro, face à son miroir, se lançait dans un monologue pas précisément rimbaldien : « You talkin’ to me ? You talkin’ to me ? You talkin’ to me ? Then who the hell else are you talkin’ to ? You talkin’ to me ? Well I’m the only one here ! Who the fuck do you think you’re talking to ? »
La captation du temps de parole par le syndicaliste donna effectivement l’impression d’assister à un monologue. Sauf que le texte et la réalisation n’étaient l’œuvre ni de Martin Scorsese ni, bien entendu, du journaliste Arnaud Ruyssen qui, cela transpirait sur les ondes, était manifestement abasourdi par la violence quasi physique qui envahissait son studio. Un studio dans lequel, pour reprendre une description de Bernard Lavilliers, « les pales du ventilateur coup[aient] tranche à tranche l’air épais comme du manioc ».
Me reste une question sans réponse. Dans ce huis-clos, qui était le vache et qui était le prisonnier ? Peut-être trouverez-vous une réponse en réécoutant le chef‑d’œuvre.