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Handicap, sexualité et citoyenneté
Le propre de l’être humain est de développer un équilibre affectif et relationnel, y compris dans le champ de la sexualité. Ces trois dimensions se fondent aussi bien sur des caractéristiques individuelles, de relation au corps et aux émotions, que sur des caractéristiques sociales, empreintes d’éléments culturels et de représentations sociales. L’être humain a le droit d’être épanoui, dans une société qui peut soit favoriser soit freiner l’épanouissement. L’exercice de ce droit, pour les personnes en situation de handicap, constitue un enjeu de citoyenneté de différents points de vue. Par le biais de l’expression individuelle des besoins et des attentes, tant pour les personnes handicapées physiques que pour les personnes handicapées mentales ; de l’expression collective, compte tenu des représentations sociales du handicap qui trop souvent sont stigmatisantes ; d’actions spécifiques, tels le respect de l’intimité, l’assistance sexuelle ou l’accès à la parentalité qui engendrent des questionnements éthiques et des remises en question de la place des personnes handicapées, dans une société excluante.
La vie affective, relationnelle et sexuelle est un facteur indispensable d’épanouissement et d’équilibre tant individuel que social. Elle constitue une dimension essentielle de la qualité de vie et est en interdépendance avec l’inclusion sociale : celle-ci favorise la vie affective, relationnelle et sexuelle et, inversement, cette dernière facilite l’inclusion sociale. Le phénomène relève à la fois de l’intimité et du contexte social qui la détermine.
En tant que citoyen, la personne handicapée a les mêmes droits que toute autre personne dans sa vie affective, relationnelle et sexuelle. Bien qu’universels, ces droits sont réaffirmés dans la convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées : droit au respect de la vie privée (article 22), droit de se marier et de fonder une famille, droit d’avoir accès à l’information et à l’éducation en matière de procréation et de planification familiale (article 23), droit de bénéficier de services de santé sexuelle et génésique (article 25). Quant aux droits à la sexualité, il faut souligner, même si cela peut paraitre une évidence, qu’il ne s’agit pas d’un droit accessoire. La sexualité est intimement liée à la vie de chaque être humain. Or, même si les mentalités évoluent, la sexualité reste encore et toujours, si pas un sujet tabou, à tout le moins un sujet très sensible lorsqu’il s’agit de le conjuguer avec le handicap.
L’affirmation de ces droits fait écho aux attentes et demandes des personnes en situation de handicap : elles aspirent à construire des relations amoureuses, être en couple, avoir des relations sexuelles et devenir parents. Des personnes en situation de handicap moteur témoignent dans ce sens1. « Homme lourdement handicapé, en fauteuil roulant électrique et dépendant d’une tierce personne, je suis d’abord, par nature, un être humain à part entière. Un homme hétérosexuel. Je suis avant tout un citoyen capable d’aimer et de recevoir de la tendresse, de pratiquer et d’avoir besoin et envie d’une sexualité épanouissante entre partenaires consentants. […] Être un citoyen à part entière, c’est donc, aussi, pouvoir, de manière équilibrée, entretenir des relations érotiques, affectives et sexuelles avec la personne de son choix.[…] Alors, quoi de plus humain que la vie sexuelle. La sexualité humaine fait partie intégrale de la santé générale et est le signe d’une bonne santé malgré une déficience. Ne pas y penser, ne pas permettre de vivre ce qui tient en vie, c’est déjà être mort avant d’avoir vécu ! »
Dans ce qui suit nous reprendrons également le témoignage de personnes déficientes intellectuelles. Nous devons reconnaitre que la réalité du handicap entrave souvent la réalisation des désirs des personnes. Et force est de constater que certaines se sentent isolées, recluses ou confinées au sein du milieu familial ou institutionnel.
Dans les faits, les droits des personnes en situation de handicap ne sont pas toujours respectés. Et les États ne prennent pas les dispositions adéquates pour lutter contre les discriminations. Cela a pour conséquence d’entraver l’inclusion sociale des personnes et d’empêcher leur pleine citoyenneté. Nous nous proposons d’évoquer des domaines de la vie affective, relationnelle et sexuelle au sein desquels la citoyenneté est mise à mal.
Le rôle des représentations sociales
La société a une vue biaisée de la personne handicapée. Ce sont surtout des représentations sociales négatives qui sont véhiculées, d’infantilisation et d’inadaptation. Ces représentations négatives entravent la vie affective et sexuelle des personnes et les stigmatisent.
La sexualité humaine comporte des dimensions symboliques et éthiques qui orientent les émotions et les relations affectives. Ces dimensions se fondent sur des substrats cognitifs déterminés par les rapports sociaux, les représentations sociales institutionnalisées et l’historicité culturelle : en un concept, le système d’action historique, tel que défini par Alain Touraine (2015). Les représentations sociales sont des explicitations des images véhiculées par la connaissance au sein du système d’action historique.
On ne peut donc aborder la sexualité sans aborder les représentations sociales. La position d’un individu au sein des rapports sociaux, c’est-à-dire sa citoyenneté, met en jeu le champ de la sexualité. Pensons par exemple aux rapports sociaux vécus entre femmes et hommes : ils sont déterminés par les représentations de la féminité et de la masculinité. De la même manière, les identités et les orientations sexuelles sont empreintes d’images sociales qui situent les individus dans les rapports sociaux en fonction des spécificités de leur sexualité : évoquons notamment à ce sujet, la transsexualité et l’homosexualité (Goblet, 2011).
Chaque culture véhicule ses propres représentations sociales à propos de la vie sexuelle des individus qui la composent. Dans le champ du handicap, ce mécanisme est particulièrement prégnant : les personnes handicapées, leur sexualité et leur position dans le champ des rapports sociaux sont tributaires des représentations sociales. On ne peut aborder la citoyenneté et le handicap sans aborder les représentations sociales de la sexualité des personnes handicapées. Reprenons brièvement quelques éléments de cette dynamique sociétale.
Dès l’annonce du handicap, et au cours des premières années de la vie de l’enfant, les parents d’enfants en situation de handicap développent des représentations sociales quant à la sexualité de leur fils ou de leur fille. Simone Sausse dans Le miroir brisé (Korff, 1996) met en évidence le fait que les parents dénient la sexualité de leur enfant en situation de handicap, voire le sexe de l’enfant : ce n’est pas un garçon ou une fille, c’est un petit handicapé. Ce déni est également évoqué par Alain Giami dans L’ange et la bête (Giami, Humbert et Laval, 2001): ils n’ont pas de sexualité en tant qu’enfants, ce sont des anges. Cette représentation sociale est vérifiée lorsque les personnes sont déficientes mentales. Ces résultats sont confirmés dans des recherches qualitatives actualisées (Pireau, 2008).
À l’adolescence, les pulsions sexuelles s’expriment à la suite de la puberté, et le contrôle cognitif de ces pulsions et des relations affectives qui en découlent est déficitaire. Tant en ce qui concerne les images symboliques que les règles éthiques, cognitivement déterminées, l’adolescent déficient mental manifeste des lacunes. De ce fait, il est perçu comme soumis à ses pulsions instinctives, la bête évoquée par Giami.
À l’âge adulte, à la suite d’accompagnements adéquats, de formations des intervenants et de sensibilisations des parents, la sexualité de la personne déficiente mentale, dans ses spécificités, peut être davantage reconnue et acceptée. Mais dans ce domaine aussi, ce sont les représentations sociales des familles, des professionnels et des personnes handicapées elles-mêmes qui sont modulées. La personne en situation de handicap mental sera réellement reconnue comme citoyen ayant le droit d’exercer sa sexualité si elle se conforme, du moins en partie, aux normes acceptables par une société qui pose des jugements quant au bon ou au mauvais exercice de la sexualité. En outre, les représentations sociales du handicap physique d’une part et les représentations sociales du handicap mental d’autre part, induisent elles aussi des orientations quant aux représentations de la sexualité des personnes concernées. Jean-Sébastien Morvan (1998) explicite trois types de représentations des personnes en situation de handicap physique : l’impuissance (nécessité d’être assisté), la technique palliative (la chaise roulante représente le handicap) et le malaise de la société (le handicap rappelle la vulnérabilité humaine, la maladie et la mort).
Pour ce qui est des personnes déficientes mentales, l’auteur souligne : l’infantilisation (ce sont des grands enfants), l’inadaptation (à la scolarité ou au travail) et l’affectivité close (ils ont une affectivité que l’on ne comprend pas). Ces représentations sociales des handicaps ont de toute évidence un effet sur les représentations de la sexualité de ces personnes. Des biais sociaux sont induits quant à leur vécu sexuel, à cause des représentations que nous véhiculons de leur être au monde social. Bien plus, Delphine Siegrist (2000) affirme qu’être femme et handicapée physique engendre une double discrimination, liée aux représentations de la féminité et du handicap. Cette assertion confirme notre hypothèse de départ quant aux rôles des représentations sociales dans le champ de la sexualité des personnes en situation de handicap. Si l’on suit Françoise Héritier (2007), dans Masculinité et Féminité, la femme est fragile, reproductrice et doit séduire. Or, d’après Morvan, le handicap physique est impuissance, technique palliative et malaise de la société. Ces deux représentations négatives, en termes de manques, se cumulent et l’hypothèse de Delphine Siegrist est vérifiée.
Le respect de l’intimité
Le respect de l’intimité de l’autre est un aspect essentiel de la dignité de la personne et de la vie en société. Or, pour la personne en situation de handicap, ce droit à l’intimité n’est pas toujours respecté. C’est notamment le cas pour les personnes très dépendantes qui ont besoin d’une tierce personne pour la réalisation de certains actes de la vie quotidienne. Cette intrusion dans l’intimité risque d’entraver la reconnaissance de l’autre comme un alter égo digne d’un respect et d’un statut social équivalent.
L’intimité est un concept qui a évolué avec le temps : signifiant d’abord ce qui est « le plus en dedans, le plus personnel », il évolua ensuite vers l’idée de « vie intérieure, généralement secrète, d’une personne ». Si le partage d’une intimité n’est pas spécifique aux personnes handicapées, en revanche, l’expérience du handicap peut en modifier les contours. Ce partage n’est pas sans incidence pour la (re)construction de soi, mais influe aussi sur les rapports entretenus avec autrui. L’entrée dans l’intimité d’autrui par nécessité convoque des situations d’interaction atypiques, extraordinaires. Si elle est utile et nécessaire, elle n’est pas plus évidente que naturelle ou normale. L’intimité ne se situe pas seulement dans le corps biologique, elle peut aussi être appréhendée et modifiée à travers les objets constitutifs du quotidien, par exemple les aides techniques.
L’intimité indique une frontière entre deux réalités : intérieur et extérieur, ordre personnel et ordre social, domaine privé et domaine public. Elle est le lieu de la dignité de la personne. L’atteinte à l’intimité pourra procéder d’un déni d’intériorité ou d’une non-reconnaissance de la personne, de son « instrumentalisation » en quelque sorte. Les objets personnels d’une personne ont aussi une valeur intime ou une charge émotionnelle forte. Respecter ces objets, c’est porter respect à la personne elle-même.
Respecter l’intimité de l’autre, c’est éviter toute intrusion dans son intérieur secret, mais c’est aussi porter attention à ce qu’il donne à connaitre de son intériorité. Ni intrusion ni indifférence, mais respect et accueil de l’autre. Le respect de l’intimité est une présence négociée : la relation respectueuse entre personne dépendante et tiers aidant porte en elle un présupposé d’égalité et de non-appropriation. Un tel état d’esprit est d’autant plus important qu’il contribue à rééquilibrer la relation rendue « dissymétrique » par la dépendance.
L’accompagnement sexuel
Les personnes en situation de handicap éprouvent des besoins sexuels dont la satisfaction est parfois complexe. C’est le cas notamment pour les personnes de grande dépendance. L’accompagnement sexuel est une tentative de réponse à ces besoins. Il consiste à prodiguer des actes sensuels, érotiques ou sexuels chez des adultes en situation de handicap qui en font la demande. Cependant, l’accompagnement sexuel des personnes en situation de handicap pose des problèmes éthiques (conflits de valeur), à plusieurs points de vue.
En ce qui concerne le droit et les principes, la convention de l’ONU octroie les mêmes droits aux personnes handicapées qu’aux valides, et la déclaration de Madrid prône la non-discrimination et l’aménagement raisonnable. Dans le champ de la sexualité et de la santé, la personne handicapée a le droit à l’épanouissement sexuel, sans discrimination.
Pour ce qui est des besoins, la dimension biologique de l’être humain le détermine dans l’instinct ou la pulsion d’accouplement. Si l’on considère que l’instinct est incontournable, le besoin doit être assouvi par des moyens adaptés. Mais si l’on considère que l’instinct doit être maitrisé, alors l’accomplissement de la pulsion n’est pas justifiable de manière impérative (conflit d’interprétation). En outre, la sexualité humaine est définie, du point de vue psychologique, dans ses dimensions affectives (désir sexuel), relationnelles (relation amoureuse) et cognitives (composante symbolique et contrôle cognitif, par la morale ou l’éthique).
Dans cette spécificité, les fantasmes (symboliques) et le désir affectif (contrôle cognitif) peuvent être contrôlés. Là, des choix sont possibles et des options différentes peuvent être prises.
Si l’accompagnement sexuel est rémunéré (dimension économique), il peut être considéré comme le salaire octroyé à un intervenant spécialisé et formé. Il s’agit d’une interprétation répandue, mais cela peut aussi être considéré comme de la prostitution. Les personnes handicapées elles-mêmes ont des positions différenciées à ce sujet (Bouquet, 2006). Or, dans le champ de la prostitution, deux attitudes idéologiques ou éthiques opposées sont prônées : l’abolitionnisme qui implique la répression de tout acte de prostitution et le règlementarisme qui prône la règlementation du travail du sexe (conflit éthique et idéologique). Enfin, du point de vue social, sommes-nous dans une société de l’obligation, du contrôle de la relation amoureuse ou dans une société de l’accomplissement du désir, ce qui modifie l’attitude par rapport à l’accompagnement sexuel ? En outre, du point de vue sociétal, développer l’accompagnement à la relation sexuelle au service de la personne handicapée par une méthodologie adaptée, n’est-il pas stigmatisant ?
Les témoignages des personnes handicapées physiques revendiquent l’égalité par rapport au plaisir sexuel2. Pour ce qui est des personnes déficientes mentales, le problème se pose encore tout différemment, étant donné les limites des personnes à l’autodétermination, au contrôle cognitif et à l’expression de leurs attentes. Mais, chez elles aussi, tenons compte de leurs désirs et de leurs expressions. C’est là tout l’enjeu des recherches et des travaux développés par le centre Handicap et santé de l’association de recherche et action en faveur des personnes handicapées.
L’accompagnement à la parentalité
Le droit à la parentalité est un droit de tout citoyen, y compris celui des personnes en situation de handicap. Dans le domaine de la déficience intellectuelle, le respect de ce droit ne va pas sans poser certaines questions éthiques fondamentales : comment concilier les droits des personnes à satisfaire leur désir de procréation et les droits fondamentaux de leurs enfants à bénéficier de parents bien traitants ? Car s’il est essentiel d’entendre ces adultes exprimer leur désir à devenir parent, il est tout aussi important de veiller au respect des droits de leurs enfants présents ou à venir.
Légalement, rien ni personne ne peut empêcher autrui, qu’il soit porteur d’une déficience ou non, de réaliser ses projets de parentalité. Rares sont les personnes déficientes intellectuelles qui demandent l’autorisation de devenir parent. Leur environnement, qu’il soit familial ou professionnel, se retrouve bien souvent devant le fait accompli. Trop souvent l’accent est mis sur des expériences désolantes de parents déficients : carence affective, problèmes liés à l’alimentation ou à l’hygiène, environnement insuffisamment sécurisé, enfant trop peu stimulé, règles et consignes inappropriées… Des manquements qui peuvent entrainer des séparations ponctuelles ou des placements à plus long terme, mais qui toujours laissent des traces indélébiles dans le développement psychoaffectif de l’enfant et dans l’équilibre émotionnel des parents.
Dès lors, n’est-ce pas une des missions de notre société que de mettre à disposition de ces personnes un soutien spécifique pour les aider à penser, à développer et finalement à concrétiser, ou pas, leur désir d’être parents ? Les services de soutien, ou d’accompagnement à la parentalité, tentent d’accomplir ces tâches. Leur objectif n’est pas de dissuader à tout prix, mais d’aider les personnes, via un travail essentiellement de prévention, à comprendre la portée de leur projet et à se trouver dans les meilleures conditions en vue de sa réalisation éventuelle.
Il faut reconnaitre que des projets de parentalités d’adultes handicapés mentaux légers ont donné des résultats satisfaisants, moyennant un accompagnement adéquat. L’accompagnement à la parentalité est une démarche plurielle conjointement menée avec le réseau entourant les personnes : médecin traitant, gynécologue, entourage familial, autres intervenants sociaux, et plus spécifiquement concernant les besoins de l’enfant : l’ONE, le médecin pédiatre, la crèche, l’école… Ainsi épaulées, ces familles peuvent trouver les ressources nécessaires pour remédier à leurs lacunes et exercer adéquatement leurs compétences parentales, parfois découvrir certains de leurs talents cachés et souvent donner beaucoup d’amour et de tendresse. « On ne nait pas parent, on peut le devenir compte tenu des spécificités de chacun3. »
L’importance de l’information et de la formation
Avoir accès à des informations aide à dépasser les tabous sociaux. Pour que la personne handicapée vive sa sexualité et qu’elle soit prise en compte socialement, il faut qu’elle puisse s’exprimer par rapport à sa vie affective, relationnelle et sexuelle. C’est ce que proposent notamment les groupes de paroles qui sont mis en place dans une série d’institutions accueillant des personnes handicapées. Il est parfois moins aisé, mais tout aussi important de donner la parole à des personnes déficientes mentales. Pour faciliter la prise de parole, il est intéressant de faire appel aux technologies de l’information et de la communication. Dans le cadre d’animations abordant la vie affective et sexuelle, l’utilisation de tablettes numériques offre une méthode ludique favorisant l’expression de soi.
Des professionnels rencontrés dans le cadre de telles animations témoignent du fait que les applications utilisées ont permis aux participants de parler de la vie de couple, de l’accouchement, des responsabilités que représentent la sexualité et la parentalité, des relations personnes handicapées et personnes valides, des relations d’amour et d’amitié, mais aussi d’aborder sans tabou la pornographie et les risques d’abus. Nous reprenons des témoignages de personnes déficientes mentales exprimés lors d’ateliers, dans le cadre de formations adaptées4.
Un adulte a exprimé son homosexualité en dessinant deux hommes dans un lit et en disant : « Je ne veux pas qu’on le montre, mais je veux que ce soit affiché dans ma chambre », révélant par là sa difficulté à s’exposer aux regards des autres dans une société où l’homosexualité reste un grand tabou. Une jeune femme a dit : « Ma sœur a eu un bébé. On ne s’occupe plus de moi dans ma famille. Avant, le bébé, c’était moi », montrant par là son désarroi devant les changements de position dans la constellation familiale. Et elle demande ensuite : « Ma sœur, elle avait un gros ventre avec un bébé dedans. Maintenant, le bébé est dans ses bras. Mais par où est-ce qu’il est venu ? Ça fait peur…».
Un jeune homme : « Je l’ai déjà fait. Parfois je veux mais mon amie elle veut pas…», commentaire qui a permis d’aborder le sujet des relations sexuelles proprement dites et la problématique du consentement éclairé au sein du couple. Une jeune femme dessine le portrait de son ami : « C’est mon chéri. Je veux un grand lit, avec un bébé, le papa et la maman aussi. » Une autre : « Veux-tu m’épouser ? Me marier, bébé et une lune de miel…». Une autre encore : « L’accouchement. C’est pousser le bébé, vraiment pour qu’il sorte par la tête. C’est mon désir. Je ne veux pas un enfant handicapé pour un parent normal. » « Moi et Jovany. Journée entre amis ». Une femme dessine : « C’est une femme toute nue, debout. On voit ses seins et son vagin. C’est une inconnue. » Ce qui a donné lieu à une discussion sans détour sur le corps sexué et le vocabulaire à utiliser pour décrire les parties génitales sans vulgarité ou crainte.
Ces quelques exemples illustrent bien que, quand les personnes déficientes mentales s’expriment à propos de l’amour, de leur propre vécu affectif et de leur sexualité, c’est là un lieu de citoyenneté incontestable. Ils tentent de se situer par rapport à leur parcours de vie et à leur contexte familial, par rapport à eux-mêmes et à la société dans laquelle ils vivent.
Ces quelques éléments et les thématiques que nous avons abordées mettent en évidence, à notre sens, les enjeux de citoyenneté liés à l’épanouissement de la vie affective, relationnelle et sexuelle, des personnes en situation de handicap. Cette thématique interagit avec l’utilisation des technologies et l’expression artistique qui seront évoquées dans ce qui suit.
- Voir à ce sujet des témoignages repris dans les outils « Envie d’amour » réalisés par le centre Handicap et santé de l’association de recherche et d’action en faveur des personnes handicapées (asbl ARAPH), édités par les presses universitaires de Namur.
- Voir les outils pédagogiques « enVIE d’amour ».
- Voir l’outil pédagogique « Parentalité des personnes déficientes mentales » : Bazier G. et Mercier M. (dir.), presses universitaires de Namur, 2008.
- Voir la recherche-action « Utilisation des tablettes tactiles pour l’expression créative et l’autodétermination des personnes déficientes mentales », financée par le fonds de soutien Marguerite-Marie Delacroix.