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Handicap et citoyenneté, une approche interdisciplinaire
De manière générale, le concept de citoyenneté a considérablement évolué. En ce qui concerne le handicap, le passage d’un modèle médical à un modèle social et ensuite à un point de vue psychosocial et pluridisciplinaire a transformé les modalités d’intervention. Les personnes en situation de handicap de bénéficiaires-usagers sont devenues des bénéficiaires-experts, socialement incluses plutôt qu’insérées. Une justice sociale réellement inclusive ne peut s’instaurer qu’à travers des processus d’apprentissages de l’ensemble des personnes concernées, usagers, professionnels, chercheurs, experts, politiques.
Depuis la cité grecque jusqu’à la période contemporaine, le concept de la citoyenneté a considérablement évolué. La déclaration de Philadelphie de 1944, puis la Déclaration universelle des droits de l’homme ouvrent à une définition entièrement renouvelée de ce qu’est la citoyenneté : un égal droit à la vie du fait d’être né et une égale dignité. Pour l’Union européenne s’ajouteront à cela trois autres éléments constitués comme fondements de la citoyenneté des personnes handicapées : l’article 13 du traité d’Amsterdam portant sur la lutte contre toutes les formes de discrimination, la Charte européenne des droits fondamentaux (en ses articles 21 et 26), ainsi que la déclaration de Madrid sur la non-discrimination (2003). Plus largement, évoquons la convention de l’ONU sur les droits des personnes handicapées (2006).
La Cité est un ensemble, la « chose publique », où des êtres humains construisent un vivre-ensemble. C’est un lieu partagé où tous peuvent vivre et se déplacer, préparé à recevoir tout un chacun dans sa diversité, basé même sur la diversité des individus, diversité considérée comme une richesse. Aucune situation de handicap ne saurait être considérée comme la base possible d’un rejet aux marges, voire dans l’oubli ou loin à l’extérieur, dans des lieux non choisis ou de réclusion. Une cité ne saurait exclure quiconque du fait de sa différence, par opposition à l’acte d’exclure ou de discriminer, elle est dite inclusive.
On peut estimer que 50 millions de personnes sont considérées comme handicapées au sein des pays de l’Union européenne et 500 millions à l’échelle mondiale (Barnes, Oliver et Barton, 1999) Selon le service public fédéral Sécurité sociale, en Belgique, un peu plus de 500.000 personnes handicapées bénéficient d’une reconnaissance médicale1.
La construction d’un regard social
D’un point de vue sociologique, le phénomène du handicap ne concerne donc pas seulement une petite minorité de la population. Et, si les personnes en situation de handicap ne sont pas (si) minoritaires, elles n’en sont pas pour autant des citoyens ou, en tout cas, des citoyens à part entière.
La notion clé d’outsider (Becker, 1985) permet de décrire quelques aspects de cette problématique de citoyenneté des personnes en situation de handicap.
Cependant, avant l’analyse, il faut préciser deux approches différentes du handicap qui sont en réalité deux modes d’appréhension du phénomène. Elles conduisent à des représentations sociales et des interactions très différentes entre les personnes dites valides et les personnes dites handicapées. La citoyenneté trouve sa place dans ces interactions. Dans l’approche médicale et individuelle, ce sont principalement les attributs intrinsèques de la personne qui seront invoqués pour définir les modes d’intervention. Ces caractéristiques définissent le handicap comme une déviation observable par rapport aux normes. Ainsi, dans cette approche, les processus citoyens seront fixés et l’adaptation devra se réaliser au niveau de l’individu. L’accent sera mis sur l’adaptation de la personne handicapée aux mécanismes démocratiques existants.
Dans une approche sociale, le handicap sera appréhendé comme le résultat d’une interaction entre les qualités de l’individu et son environnement physique et social. L’environnement social, construit par l’homme, prend la première place dans cette approche interactive. Envisager la citoyenneté selon cet angle de vue permet d’insister sur les liens de réciprocité entre les traits inhérents à la personne handicapée et le contexte social général dans lequel elle vit.
Si, dans l’approche médicale, on parle d’individus handicapés, dans l’approche sociale, on parlera plus volontiers de société handicapante ou incapacitante. C’est cette seconde approche que nous privilégions, c’est pourquoi nous parlerons plus volontiers de personnes en situation de handicap ou de citoyens en situation de handicap.
Dans la terminologie de Becker, les personnes en situation de handicap font partie des outsiders (Becker, 1985). Cela signifie qu’elles sont caractérisées et classées par le groupe majoritaire comme différentes, anormales ou déviantes. D’un point de vue descriptif, aucun de ces trois termes n’est intrinsèquement connoté positivement ou négativement. La dimension handicapante du caractère « outsider » vient du fait que le handicap est généralement considéré comme en dessous du normal et non à côté du normal.
Toutefois, en privilégiant l’approche sociale du handicap, nous considèrerons les individus handicapés comme outsiders moins à cause de leurs traits individuels qu’à cause de leur confrontation quotidienne à un monde qu’ils n’ont pas créé eux-mêmes, qui n’a pas été créé pour eux et à la construction duquel ils ne contribuent pas.
À côté des inadaptations physiques, architecturales ou urbanistiques classiquement évoquées pour expliquer la (plus) faible participation sociale et citoyenne des personnes en situation de handicap, la notion d’outsider y ajoute les obstacles sociaux. En 1980, Higgins énonce les obstacles rencontrés par les personnes sourdes. Ces obstacles nous semblent rester pertinents lorsqu’on élargit l’analyse à d’autres situations de handicap (Higgins, 1980).
Les obstacles rencontrés par les outsiders sont particulièrement présents, nous dirons même handicapants, dans l’exercice de la citoyenneté. Le discrédit subi par les personnes en situation de handicap est important. Leur citoyenneté ou leurs compétences citoyennes sont minimisées à cause de la position centrale accordée à leur handicap d’une part, et à un effet de contamination qui associe à tort des handicaps différents d’autre part. Ainsi, sans raison objective, aura-t-on tendance à considérer qu’une personne sourde ou malvoyante a aussi un retard mental.
Le poids du regard des valides a un effet significatif sur les personnes en situation de handicap en augmentant leur insécurité ressentie. Ces regards allant parfois jusqu’à induire l’acceptation de la stigmatisation et de la mise à l’écart. Les personnes en situation de handicap considèrent alors que la participation n’est pas une chose faite pour eux. Elles n’ont d’ailleurs pas tort, et c’est bien le fait d’être confronté à un monde qu’elles n’ont pas créé et qui n’a pas été créé pour elles (ni même avec elles) qui place l’outsider en situation de handicap. En regard de ces obstacles, la déclaration de Madrid et la convention de l’ONU peuvent être prises comme base de réflexions et ainsi contribuer à briser les handicaps subis.
Évolutions des paradigmes d’intervention
Le modèle médical et le modèle social (ou relationnel) ayant été confrontés d’un point de vue sociologique, examinons maintenant, d’un point de vue psychosocial et pluridisciplinaire, l’évolution des paradigmes d’intervention auprès des personnes en situation de handicap.
Le modèle médical réduit l’intervention aux soins donnés, sans laisser de place à la participation du sujet ; tandis que le modèle psychosocial entre dans une perspective de projet. La personne handicapée devient sujet d’un projet élaboré avec elle. L’important, du point de vue de la citoyenneté, c’est alors qu’elle participe réellement au projet. Du point de vue scientifique, une telle attitude implique la transdisciplinarité et l’assurance, grâce à des méthodes adéquates, que la personne est réellement partie prenante et qu’elle n’est pas soumise à des contraintes liées aux objectifs des intervenants et des institutions.
Très longtemps, les personnes handicapées ont dû accepter d’être gérées dans des contextes institutionnels, où des intervenants leur consacraient leur vie par vocation. Au cours des dernières décennies, les institutions sont entrées dans une dynamique de gestion du travail éducatif par des professionnels formés. Les relations d’aide se sont clarifiées, et la rigueur méthodologique fait désormais partie des exigences auxquelles doivent se soumettre les intervenants. Il s’agit donc de mettre en œuvre des méthodologies qui articulent l’objectivation et la prise en compte de la complexité de la relation aidant-aidé. Tant dans l’approche de la sexualité que dans l’utilisation des technologies pour l’aide à la vie quotidienne, que dans la création artistique, les intervenants mettent en œuvre leur propre sensibilité, mais ils doivent, malgré cela, garantir l’autonomie émotionnelle des bénéficiaires et assurer l’objectivité dans l’intervention. Il s’agit de passer de l’assistance à l’accompagnement, tout en sachant que, même s’il y a progrès, des ambigüités persistent : l’intervenant doit s’engager dans l’accompagnement, tout en respectant l’autodétermination de la personne accompagnée, ce qui constitue un véritable processus d’apprentissage pour toutes les personnes impliquées.
L’accompagnement en milieu ouvert s’est développé, et les institutions se sont ouvertes à la vie sociale et aux relations extérieures. Une telle démarche favorise le passage de l’insertion à l’intégration, voire à l’inclusion, mais elle ne garantit pas nécessairement une réelle participation sociale. Nous sommes tenus de mettre en œuvre des méthodologies permettant aux personnes de se mettre en capacité, en tenant compte de leur spécificité, et en envisageant comment l’environnement peut être (ou devenir) capacitant. Le maintien des personnes dans la dépendance résulte souvent de l’insécurité des intervenants ainsi que de l’insécurité des bénéficiaires eux-mêmes. Nous sommes appelés à évaluer si des isolements cachés et des non-participations à la vie sociale ne se perpétuent pas dans des interventions auprès des personnes en situation de handicap, malgré les changements d’apparence. Nous devons changer les fonctionnements institutionnels et favoriser la démocratisation.
Les institutions ont très longtemps été gérées par une seule personne ou par un petit groupe de personnes qui détenaient tout le pouvoir, au nom d’une idéologie de l’aide aux plus vulnérables. Le personnel était directement soumis à un pouvoir non partagé. L’évolution des relations de travail tend à modifier ce type de fonctionnement et a sans doute généré des changements d’attitude à l’égard des bénéficiaires eux-mêmes : changement de l’organisation du travail social et changement du rôle attribué aux bénéficiaires. La démocratisation implique que tous les acteurs concernés participent aux décisions et à la construction des conditions de la participation sociale. Les bénéficiaires eux-mêmes ont une place centrale au sein du processus de travail social : par exemple, dans les entreprises de travail adapté, le fonctionnement des institutions, l’organisation de l’accompagnement, etc. Du point de vue scientifique, il s’agit de développer des démarches et des méthodes propres à mettre en œuvre l’éducation à la citoyenneté démocratique et d’aborder les problématiques d’autodétermination des bénéficiaires. Du point de vue du sujet, il faut se garder de dissimuler le pouvoir réel et favoriser le pouvoir des bénéficiaires sur leur propre destinée. La transdisciplinarité et l’abandon des paradigmes fermés démocratisent la pratique scientifique elle-même et favorisent la mise en œuvre de programmes de recherche où les bénéficiaires deviennent de véritables acteurs.
Le paradigme passe d’une conception du bénéficiaire-usager à une conception du bénéficiaire-expert. D’usager passif des interventions, il devient, dans le nouveau paradigme, l’expert de son propre vécu. Il devient acteur des politiques et des actions en faveur des personnes en situation de handicap. Les bénéficiaires devraient être reconnus comme ayant une connaissance particulière, mais approfondie, du handicap. Du point de vue scientifique, les chercheurs doivent prendre en compte la parole et l’expression des bénéficiaires dans les programmes de recherche, dans les formations et dans les sensibilisations. Il est nécessaire d’articuler les techniques de communication aux théories et aux pratiques des changements sociaux. Du point de vue du sujet, il est important de différencier l’expertise des bénéficiaires de celle des professionnels. Il s’agit de rappeler, avec le souci d’éviter les confusions de rôle, la responsabilité des professionnels dans l’expression du sujet.
Nous sommes passés d’une conception de l’insertion à une conception de l’inclusion sociale. Les personnes handicapées ont trop longtemps été « insérées » dans des structures spécialisées et fermées. Dans le nouveau paradigme, elles sont reconnues de manière égalitaire comme des citoyens à part entière qui participent pleinement à la vie sociale. Soit par elles-mêmes, soit par le truchement d’accompagnement, soit grâce à des représentants, les personnes handicapées sont reconnues comme ayant un rôle social à jouer dans la revendication de leurs droits. Pour être de véritables citoyens, elles doivent devenir des auto-représentants et orienter elles-mêmes l’accompagnement dans des processus de co-création avec les intervenants.
Du point de vue de la recherche, il s’agit, dans l’esprit de la convention de l’ONU pour les droits des personnes handicapées, de mettre en évidence les revendications des personnes en situation de handicap. Il s’agit également de tenir compte, dans une perspective d’inclusion sociale, des conditions pour la mise en œuvre d’environnements accessibles, mais aussi capacitants. Il convient de développer des aménagements raisonnables pour respecter les habitudes de vie. La déclaration de Madrid sur la non-discrimination (2003) et la convention de l’ONU sur les droits des personnes handicapées (2006) impliquent la mise en œuvre de nouvelles politiques d’action et le développement de méthodes d’éducation à la citoyenneté démocratique à un niveau international (par exemple, le Programme international d’éducation à la citoyenneté démocratique, PIECD).
Justice et vulnérabilité : quelle démocratie ?
Ces nouvelles politiques d’action doivent elles-mêmes faire l’objet d’approches critiques fondées d’un point de vue scientifique, philosophique et éthique. Face aux handicaps et à la fragilité humaine, les travaux récents en matière de justice sociale ont interrogé les postulats des théories contractualistes de la justice comme celle de Rawls qui cherche à développer la conception de la justice permettant de spécifier les termes de la coopération sociale entre les citoyens envisagés comme libres et égaux et comme des membres à tous égards normaux et pleinement coopératifs d’une société (Rawls, 1971).
Comme le souligne Martha Nussbaum, ces théories contractualistes souffrent d’un déficit persistant d’inclusion des personnes handicapées au sein des espaces décisionnels qui contribuent à construire un vivre ensemble démocratique dans la mesure où elles se basent à la fois sur une anthropologie idéaliste envisageant les individus comme des adultes compétents libres et égaux (Nussbaum, 2006). Ces théories reposent également sur une méthodologie idéaliste visant à établir un idéal à réaliser, sans penser les conditions de réalisation effective de cet idéal.
Si au début du XIXe siècle, la théorie politique a été marquée par une conception de la citoyenneté où les humains entrent en société pour préserver leur vie, leur liberté et leurs biens, elle ne garantit en réalité la citoyenneté qu’aux personnes en capacité de se protéger et d’exercer cette liberté. Avec l’État social, on va prendre en considération la situation des individus pour donner « corps à l’émancipation d’une majorité qui, à défaut d’être propriétaire de biens privés, devient propriétaire de droits permettant d’assurer son indépendance sociale » (Brugère, 2013, p. 47). Ainsi, elle bénéficie de prestations étendues dans des systèmes de protection collective. Dans le champ du handicap, cette évolution s’est traduite par le passage d’une approche disciplinaire et excluante du handicap durant la première période à une conception médicalisée du handicap décrite plus haut et qui, d’une certaine manière, en protégeant et en soignant les plus vulnérables a amélioré leur sort, mais, paradoxalement, les a également marginalisés et invisibilisés.
Aujourd’hui, ce fonctionnement social est en crise. Comme le souligne Fabienne Brugère, « beaucoup d’individus manquent des ressources de base qui donnent la possibilité d’une certaine indépendance, d’une conduite pour soi, ou encore d’une participation au jeu social au même titre que les autres » (Brugère, 2013). Les combats menés au nom des droits fondamentaux et de la lutte contre les discriminations par les personnes en situation de handicap ont largement contribué à mettre ces insuffisances en avant. D’une certaine manière, la prise en charge médicale permise pour chacun par l’État social a prolongé, voire renforcé l’état disciplinaire de la première modernité, a invisibilisé certaines catégories de la population, notamment, par leur institutionnalisation : « L’inclusion fabrique en même temps de l’exclusion » (Brugère, 2013, p. 49).
Tout l’enjeu de l’évolution actuelle est donc de pouvoir inscrire la dynamique d’émancipation au sein de l’expérience sociale. Il s’agit donc de prendre en compte la situation effective des individus en soulignant la continuité entre la dépendance, l’interdépendance et l’autonomie. À cette fin, la théorie des capabilités développée par Amartya Sen et Martha Nussbaum, offre la possibilité d’évaluer la mesure dans laquelle une société donne la réelle opportunité à chacun de s’épanouir (Sen, 1992 ; Nussbaum, 2006). Il ne s’agit pas simplement de garantir une distribution équitable des ressources (droits, infrastructures, revenus, etc.), mais d’évaluer en quoi les individus ont la réelle possibilité de convertir ces ressources en un projet de vie qu’ils valorisent. Parallèlement au modèle social du handicap, l’approche d’Amartya Sen et Martha Nussbaum met en exergue les conditions qui doivent permettre aux individus de développer leurs potentialités. Par l’approche en termes de capabilité, on entre dans un modèle qui non seulement s’appuie sur les droits des individus, mais considère également les conditions qui rendent possible l’égalisation du pouvoir d’agir entre les citoyens. Cette approche préconise des « politiques qui suppriment les obstacles au nom des choix et des préférences que chaque être doit pouvoir exprimer pour se développer » (Brugère, 2013, p. 85).
Le problème épistémologique des approches par les capabilités, c’est d’une certaine manière qu’elles restent dans une posture dans laquelle il s’agit de fournir aux acteurs les conditions ou, pour le dire autrement, de les équiper (comme de l’extérieur) des capabilités pour améliorer leur capacité d’influencer les processus dans lesquels ils sont engagés. L’enjeu est de mobiliser la capacité d’agir des individus, en l’occurrence des plus vulnérables, en mettant en avant l’importance de tout le processus d’apprentissage qui y mène. L’enjeu de l’inclusion est précisément de pouvoir interroger leur compréhension passée, leurs identités et la définition traditionnelle de leurs intérêts et, sous peine de devoir se référer à un point de vue extérieur ou à une forme ou une autre d’expertise, leur permettre d’exercer un pouvoir de définition à l’égard des futurs possibles (De Schutter et Lenoble, 2010). Dans cette mesure, les approches par les capabilités ne développent pas réellement une philosophie sociale et politique de l’inclusion et de la citoyenneté comme pratique sociale et politique. L’enjeu d’une plus grande justice sociale à l’égard des personnes en situation de handicap aujourd’hui semble donc de développer une approche de la dynamique sociale permettant de générer une société plus inclusive. De nombreux travaux aujourd’hui cherchent donc à réinscrire la question de la citoyenneté dans les épreuves de la participation à la vie de la cité. L’inclusion et la citoyenneté sont envisagées à partir de la participation sociale et souvent liées à la question de la reconnaissance, de la prise de parole et des structures de participation, comme envisagé dans la suite de ce numéro dans le champ de la sexualité, des technologies et de l’art pour et avec les personnes en situation de handicap.
Les travaux de Guillaume Le Blanc tentent aujourd’hui de penser ces questions en soulignant la nécessaire liaison des « politiques sociales aux capacités que déploient effectivement les vies fragilisées » en pensant l’empowerment comme expérience collective (Le Blanc, 2011). Dans cette perspective, en s’appuyant sur la notion d’enquête collective comme vecteur de reconstruction de l’expérience face à des situations problématiques, le « pragmatisme expérimentaliste » nous semble offrir un cadre permettant d’articuler pratiques sociales et cadre politique. Par ailleurs, les travaux de Charles Sabel montrent comment les dynamiques locales de recherche de solutions plus inclusives peuvent être relayées et soutenues à un niveau plus global et politique (Sabel, 2012). Il propose sur cette base une analyse très stimulante des performances et du caractère inclusif de l’expérience scolaire finlandaise dans laquelle les expérimentations de pédagogies différenciées au niveau des écoles sont soutenues par le ministère de l’Éducation. Dans un article récent concernant la gouvernance globale, il montre en quoi, selon lui, la convention de l’ONU de 2006 est un instrument expérimentaliste : par son appel systématique à la participation des personnes concernées, par la formulation d’objectifs ouverts quant à la définition du handicap et à la notion d’aménagement raisonnable, mais surtout par des mécanismes de suivi s’appuyant sur des expériences locales et organisant des processus d’apprentissage de ces expériences (de Burca, Keoahne et Sabel, 2014).
Ces différents exemples semblent montrer qu’une justice sociale réellement inclusive à l’égard des personnes vulnérables ne peut s’instituer qu’à travers des processus d’apprentissages de la part de l’ensemble des personnes concernées : usagers, professionnels, chercheurs et politiques ancrés dans la réalité de leurs interactions et les constructions communes qui peuvent en résulter. À cet égard, différentes expériences peuvent être pointées comme le Programme international d’éducation à la citoyenneté démocratique (PIECD) lancé par Mireille Tremblay et des usagers québécois.
Actuellement, ce programme comprend plusieurs groupes locaux. Chaque comité local participant (Québec, France, Belgique, Luxembourg, Cameroun) est composé de personnes en situation de handicap, de chercheurs et de professionnels. Il vise à approfondir la question des droits, leur prise en compte et mise en œuvre dans les contextes locaux ; à développer une collaboration qui interroge les postures des professionnels et des chercheurs, au croisement du point de vue des personnes en situation de handicap. Le défi majeur de cette dynamique est d’impliquer effectivement des personnes en déficience intellectuelle, psychique, motrice ou sensorielle.
C’est l’opérationnalisation de ce que recouvre un processus de capacitation qui est au cœur des préoccupations du groupe : il s’agit d’œuvrer de telle manière que le principe d’une possibilité d’expression et de participation de personnes en situation de handicap s’actualise. Et ce, au plus près des choix de la personne, soutenue dans sa capacité par des modalités environnementales particulières (ici, sociales et communicationnelles).
La créativité dans les modes de travail et de validation est donc impérative : assemblées collectives avec tours de parole ; communications de type « colloque », groupes de discussion, entretiens, votes ou décision par consensus… L’essentiel reste que la décision sur les modes de travail soit renégociée lors de chaque rencontre, pour correspondre au mieux à la dynamique momentanée. Cette expérimentation permanente des modalités par lesquelles les différentes personnes peuvent avoir une place dans le processus et soient en mesure de contribuer à la dynamique collective et en retirer un bénéfice est au centre de la démarche. C’est là un enjeu de citoyenneté qui devra, à son tour, faire l’objet de nouveaux paradigmes de recherche et d’action.
- Il faut bien sûr ajouter à ce chiffre toutes les personnes handicapées n’ayant pas (encore) introduit de demande d’allocation.