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Handicap, citoyenneté et inclusion sociale
La philosophe politique américaine Martha Nussbaum notait, il y a quelques années, qu’«il reste trois problèmes de justice sociale non résolus dont le manque d’attention qui leur est porté dans les travaux théoriques est particulièrement problématique », le premier de ces problèmes étant celui de « rendre justice aux personnes ayant des handicaps physiques ou mentaux ». Bien que […]
La philosophe politique américaine Martha Nussbaum notait, il y a quelques années, qu’«il reste trois problèmes de justice sociale non résolus dont le manque d’attention qui leur est porté dans les travaux théoriques est particulièrement problématique », le premier de ces problèmes étant celui de « rendre justice aux personnes ayant des handicaps physiques ou mentaux1 ». Bien que les travaux de Nussbaum aient contribué à dynamiser le débat sur cette question dans le champ des théories de la justice sociale, le constat qu’elle faisait garde toute son actualité aujourd’hui et il ne doit pas se limiter aux travaux théoriques : l’attention publique portée aux questions de justice sociale eu égard aux personnes handicapées reste très faible — par rapport, par exemple, à celle qui est portée à la situation des minorités ethniques ou religieuses. Le dossier que nous proposons ici a pour fin d’offrir des éléments de réflexion autour de ces questions et par là, de contribuer à les rendre plus visibles.
Parmi les multiples dimensions qu’englobe l’idée de justice sociale, nous questionnerons plus précisément celles de citoyenneté et d’inclusion sociale. Car, s’il est un indicateur décisif pour évaluer combien une société est juste, c’est bien la réelle opportunité que celle-ci offre à chacun de ses membres d’être de véritables acteurs de leur communauté sociale et politique (citoyenneté…) tout en reconnaissant pleinement leurs particularités identitaires (… inclusive). En ce sens, l’inclusion dont il est question doit être distinguée de l’intégration-assimilation (selon laquelle tout citoyen doit se conformer aux normes sociales « ordinaires ») et de l’insertion (selon laquelle les minorités bénéficient de conditions particulières et adaptées, mais qui les excluent, à des degrés divers, de la communauté citoyenne « ordinaire »): une dynamique inclusive vise à créer un espace de citoyenneté commun à tous.
Les leviers d’une politique d’inclusion sont multiples ; ils renvoient et répondent, plus ou moins directement, à deux types d’injustice2. Injustice « distributive », d’un côté, lorsque les biens, commodités, revenus, mais aussi les droits et prérogatives sont alloués inéquitablement entre les uns et les autres ; injustice « culturelle », d’un autre côté, lorsque les représentations sociales relatives à des catégories de personnes sont sources de déni de reconnaissance, voire de mépris social. Bien que ces deux types d’injustice soient imbriqués et entretiennent des relations de cause à effet multiples dans la réalité sociale, les actions sociales d’inclusion sont conçues pour répondre plus directement soit à une distribution inéquitable, soit à un déni de reconnaissance. Ainsi, en abordant la thématique du « prix du handicap » (La Revue nouvelle, mars 2008), Michel Mercier et Michel Grawez proposaient une réflexion centrée avant tout sur la dimension distributive de la justice pour les personnes handicapées. Dans le présent dossier, une attention plus particulière sera portée aux questions de reconnaissance, d’estime de soi, d’expression et d’autodétermination comme vecteurs d’inclusion sociale et de citoyenneté.
À cette fin, nous proposons de traiter de différentes thématiques qui s’inscrivent dans le contexte social actuel et qui reprennent les questionnements sur la citoyenneté et l’inclusion sociale.
Dans une première contribution, nous soulignons le fait, avéré, que les personnes en situation de handicap font l’objet de représentations sociales, d’images stéréotypées et stigmatisantes, qui les marginalisent et les excluent. Il s’agit de mettre en évidence ces mécanismes pour tenter de les dépasser afin de favoriser l’inclusion. En outre, surtout dans le domaine du handicap mental, l’autodétermination est entravée par des manques d’appréhension des canaux habituels de communications sociales et par des difficultés à structurer le discours à propos des intentions, des désirs, des attentes, des préférences, etc. Enfin, pour les personnes tributaires de handicaps sensoriels, l’accès aux informations constitue une entrave à l’inclusion, dans une société fondée sur la réception et l’émission de messages imagés, verbaux et virtuels. Parmi l’ensemble des freins et des facilitateurs à la citoyenneté, les représentations sociales, l’autodétermination, l’accès à l’information et la participation à la sphère publique sont abordés à titre d’indicateurs sociaux.
Nous proposons ensuite une réflexion autour des thématiques des technologies, de la sexualité et de l’art, afin de compléter et d’illustrer les enjeux de la citoyenneté inclusive des personnes en situation de handicap. Ces thématiques, qui font l’objet des trois contributions suivantes, mettent en scène, à des degrés divers, les quatre dimensions proposées comme indicateurs : représentations sociales, autodétermination, accès à l’information et participation à la sphère publique.
L’accès et l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) constituent un enjeu essentiel en tant que sources d’inclusion ou d’exclusion (phénomène de fracture numérique), pour les personnes en situation de handicap. Les TICS peuvent tenir trois rôles essentiels pour l’inclusion : dans le champ de la réadaptation fonctionnelle ; en tant qu’outils d’expression individuelle, relationnelle ou sociale ; comme moyens d’autodétermination et de participation citoyenne. L’objectif est de développer des technologies adaptées aux besoins et aux attentes des personnes handicapées, en veillant à l’accessibilité tant financière que technique. Il s’agit également de tenir compte de, et d’agir sur, les habilités des personnes pour qu’elles bénéficient des apports des technologies de l’information et de la communication.
La vie affective, relationnelle et sexuelle des personnes en situation de handicap est traversée par des tabous et des interdits. Elles excluent du champ de l’épanouissement personnel, de l’estime de soi, du respect de leur intimité, de la capacité de vie de couple et de vie parentale. L’effet des représentations sociales du handicap et de la personne handicapée telles que l’infantilisation, l’inadaptation ou l’affectivité close, est particulièrement prégnant dans son développement psychologique : affectif, relationnel et sexuel. Différentes questions particulières qui connotent le processus d’inclusion ont été envisagées. Citons par exemple le respect de l’intimité, corolaire du respect de la vie sexuelle, pour les personnes de grandes dépendances tributaires d’autrui pour tous les aspects de leur vie quotidienne. Citons aussi la problématique de l’accompagnement sexuel empreinte de questionnements d’ordre éthique qui font l’objet de débats, ainsi que la problématique de la parentalité et de la responsabilité parentale pour les personnes en situation de déficience mentale. Autant d’enjeux qui conditionnent le potentiel inclusif de la vie affective et sexuelle des personnes en situation de handicap.
Enfin, le rôle de l’expression artistique dans l’épanouissement humain et l’inclusion sociale est bien connu. Cependant, en ce qui concerne les personnes handicapées mentales, le rôle inclusif de l’art est certainement plus ambigu. S’il ne fait pas de doute que l’expression artistique contribue significativement à l’estime de soi et au bien-être subjectif des personnes handicapées mentales, la reconnaissance sociale de leurs performances et productions artistiques est moins certaine. Au-delà du cercle de leurs proches et des animateurs-artistes qui accompagnent leurs créations, quelle valeur esthétique est attribuée à leurs œuvres ? De quelle reconnaissance en tant qu’artistes peuvent-ils espérer jouir ? La question centrale à laquelle nous réfléchissons est de savoir dans quelle mesure le cadre institutionnel, le contexte et le travail des centres artistiques, la réception du public ou encore la diffusion sur le marché de l’art ou dans les médias contribuent à la juste reconnaissance du travail artistique des personnes handicapées mentales, et partant, à leur inclusion sociale.
- Nussbaum M., Frontiers of Justice, The Belknap Press, Cambridge (MA), 2006, p. 1 – 2.
- Fraser N., Justice Interruptus. Critical Reflections on the « Postsocialist » Condition, Routledge, 1997, trad. fr.: Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution, La Découverte, 2005.