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Groupe Wallonie-Bruxelles. Des territoires féodaux à l’intérêt général

Numéro 3 Mars 2008 par Donat Carlier

mars 2008

Les quelques échos qui par­viennent du groupe Wal­­lo­­nie-Bruxelles témoignent des nom­breux écueils sur les­quels risque de venir s’é­chouer un pro­ces­sus de réflexion, pour­tant cru­cial. Com­ment ne pas tom­ber de Cha­rybde en Scyl­la ? Com­ment ne pas auto­ma­ti­que­ment limi­ter ses ambi­tions à celles d’un « groupe tech­nique », en ten­tant d’é­vi­ter le piège de la réduc­tion des débats au conflit […]

Les quelques échos qui par­viennent du groupe Wal­lo­nie-Bruxelles témoignent des nom­breux écueils sur les­quels risque de venir s’é­chouer un pro­ces­sus de réflexion, pour­tant cru­cial. Com­ment ne pas tom­ber de Cha­rybde en Scyl­la ? Com­ment ne pas auto­ma­ti­que­ment limi­ter ses ambi­tions à celles d’un « groupe tech­nique », en ten­tant d’é­vi­ter le piège de la réduc­tion des débats au conflit communautaire ?

Pre­mier récif à évi­ter : res­treindre les débats sur l’a­ve­nir des Wal­lons et des Bruxel­lois à la tac­tique à mener côté fran­co­phone face aux reven­di­ca­tions de la Flandre poli­tique. Cer­tains auraient vou­lu faire coïn­ci­der le début de la négo­cia­tion de la réforme ins­ti­tu­tion­nelle avec la fin des tra­vaux du groupe lan­cé à l’i­ni­tia­tive de la ministre-pré­si­dente de la Com­mu­nau­té fran­çaise, Marie Are­na. Pro­po­sée en sep­tembre der­nier, après plus de cent jours de non-négo­cia­tion fédé­rale qui déno­taient la pro­fon­deur inédite de la crise 1, la démarche devait pour­tant toute sa per­ti­nence à l’i­dée de dépas­ser le seul « front du refus », pour faire droit à une réflexion publique sur le meilleur fon­de­ment à don­ner à un pro­jet asso­ciant Wal­lons et Bruxel­lois. Même si la pres­sion du conflit « com­mu­nau­taire » n’exis­tait pas, nous avons un besoin vital de défi­nir les prio­ri­tés propres à cha­cune des deux Régions en les appuyant sur des pro­jets poli­tiques partagés.

Tra­cer de telles pers­pec­tives demande, dans un pre­mier temps, de pla­cer notre rap­port à la Flandre et au fédé­ra­lisme belge entre paren­thèses. Il s’a­git de se don­ner la pos­si­bi­li­té de défi­nir posi­ti­ve­ment ce que nous vou­lons. Plu­tôt que de nous défi­nir « contre » l’autre, et donc uni­que­ment en fonc­tion de lui. Une telle approche en creux, par défaut, ne peut ser­vir de base à une pro­jec­tion un tant soit peu embal­lante dans l’a­ve­nir. Elle ne sert qu’à appro­fon­dir la sinis­trose qui nous étouffe, en confor­tant l’o­pi­nion publique dans un deuil inter­mi­nable d’une Bel­gique uni­que­ment fran­co­phone. Les fran­co­phones belges semblent en fait balan­cer actuel­le­ment d’un fan­tasme à l’autre : de la pos­si­bi­li­té d’un blo­cage ad vitam æter­nam de la pous­sée auto­no­miste fla­mande, au désir — à force de dépit et de ras-le-bol — de voir le Nord prendre uni­la­té­ra­le­ment son indé­pen­dance pour conser­ver une « Bel­gique » (?)… sans les Flamands.

Second risque : réduire les enjeux abor­dés à des pro­blèmes tech­niques que la simple ratio­na­li­té et un peu de bon sens pour­raient lever, comme par enchan­te­ment. Les apports exté­rieurs aux réflexions du groupe Wal­lo­nie-Bruxelles semblent s’être essen­tiel­le­ment limi­tés aux expo­sés d’é­co­no­mistes et de consti­tu­tion­na­listes. Pour impor­tantes qu’elles soient, leurs ana­lyses et pro­po­si­tions ne pour­ront à elles seules fon­der les choix poli­tiques que les fran­co­phones ont à poser. À défaut de ser­vir immé­dia­te­ment dans le cadre du bras de fer com­mu­nau­taire (con)fédéral, comme cer­tains l’es­pé­raient, la com­mis­sion pré­si­dée par Antoi­nette Spaak et Phi­lippe Bus­quin risque de limi­ter ses ambi­tions à mettre un peu d’huile dans les rouages du fonc­tion­ne­ment — par­ti­cu­liè­re­ment baroque — des ins­ti­tu­tions fran­co­phones. « La réponse est tech­nique !… Mais quelle était la question ? »

Le pro­blème qui se pose aux Wal­lons et aux Bruxel­lois ne se résume pas à des ques­tions d’ef­fi­ca­ci­té d’al­lo­ca­tion des res­sources ou de ratio­na­li­sa­tion de notre archi­tec­ture ins­ti­tu­tion­nelle. Il est plus fon­da­men­ta­le­ment un pro­blème de culture poli­tique, un pro­blème de concep­tion du « vivre ensemble ». Il ne s’a­git pas seule­ment de mieux gérer des poli­tiques, mais de poser des choix au sens fort du terme. Plus exac­te­ment, le groupe Wal­lo­nie-Bruxelles doit même inver­ser la pro­po­si­tion : défi­nir des prio­ri­tés pour per­mettre une meilleure orga­ni­sa­tion de notre espace. Sous peine de tour­ner en rond long­temps ou d’ac­cou­cher de quelques tours de clés de plom­bier, néces­sai­re­ment décevants.

À quoi accep­tons-nous de renon­cer pour nous don­ner la pos­si­bi­li­té de mieux nous gou­ver­ner col­lec­ti­ve­ment ? Que sommes-nous capables de mettre en com­mun pour peser sur notre ave­nir ? Ces inter­ro­ga­tions, qui tra­vaillent l’en­semble des démo­cra­ties, sont peut-être, en Wal­lo­nie et à Bruxelles, plus pré­gnantes qu’ailleurs. La culture poli­tique de cet espace « aux fron­tières internes » est mar­quée par l’at­ta­che­ment vis­cé­ral à la recon­nais­sance de sa diver­si­té interne (phi­lo­so­phique et reli­gieuse, idéo­lo­gique et poli­tique, cultu­relle…). Mais ce trait — posi­tif — a son envers : l’ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion rigide de cette diver­si­té, la bal­ka­ni­sa­tion des auto­ri­tés publiques, la féo­da­li­sa­tion des rap­ports au poli­tique et à l’É­tat. Les phé­no­mènes de clien­té­lisme, que l’on fait mine de décou­vrir aujourd’­hui, s’ancrent en réa­li­té dans notre rap­port de longue durée au col­lec­tif. Chaque pou­voir, chaque orga­ni­sa­tion, à quelque niveau que ce soit, a ten­dance à s’au­to­no­mi­ser en petite sphère qui tourne sur elle-même, voire à dégé­né­rer en baron­nie locale.

Cette méca­nique contri­bue à notre impuis­sance et ali­mente même notre inca­pa­ci­té à com­prendre pour­quoi nous en sommes là. C’est cette méca­nique que nous avons à contrer en pri­vi­lé­giant la recherche du bien com­mun. Il s’a­git de réin­ven­ter notre rap­port au poli­tique en le fon­dant, d’une part, sur la recon­nais­sance de la diver­si­té actuelle de notre socié­té deve­nue mul­ti­cul­tu­relle et, d’autre part, sur un pacte entre les diverses com­po­santes de cette socié­té qui évite les dérives féo­dales qui ont trop long­temps accom­pa­gné notre culture du compromis.

Dans le cadre du groupe Wal­lo­nie-Bruxelles, ame­ner les dif­fé­rents acteurs à dépas­ser la défense de « petits ter­ri­toires » au nom de l’in­té­rêt géné­ral exige de par­tir des pro­blèmes tels qu’ils se vivent concrè­te­ment par les dif­fé­rents acteurs et béné­fi­ciaires des poli­tiques menées dans nos deux Régions. Mais aus­si de sélec­tion­ner les défis les plus importants.

L’en­jeu prio­ri­taire à prendre en charge, chez nous, est celui de la for­ma­tion et de l’emploi des jeunes. Et par­ti­cu­liè­re­ment le manque de pers­pec­tive des plus dému­nis d’entre eux, ain­si que de ceux dont l’his­toire per­son­nelle est liée à l’im­mi­gra­tion. L’ins­ti­tu­tion sco­laire, en se mas­si­fiant sans se démo­cra­ti­ser, n’est jamais réel­le­ment par­ve­nue à inté­grer les publics issus des milieux popu­laires, de plus en plus relé­gués par le déve­lop­pe­ment d’un « qua­si-mar­ché sco­laire ». Or les poli­tiques édu­ca­tives, cultu­relles, de for­ma­tion et d’emploi à mettre en œuvre sur ce plan se heurtent à nos « fron­tières internes » : piliers, Com­mu­nau­tés, Régions, pro­vinces, com­munes… C’est à par­tir de pro­po­si­tions fortes sur ce plan qu’il faut refon­der une Com­mu­nau­té Wal­lo­nie-Bruxelles. Une Com­mu­nau­té qui allie les poli­tiques des deux Régions pour ren­for­cer la capa­ci­té des popu­la­tions wal­lonne et bruxel­loise à ren­con­trer les défis aux­quels elles sont confrontées.

  1. Voir l’é­di­to de La Revue nou­velle de sep­tembre, « Le sens d’une crise », paru dans La Libre Bel­gique du 22 août 2007 http://www.lalibre.be/article.phtml?id=11&subid=118&art_id=365638, et « Bel­gique. Les res­sorts de la crise », le dos­sier de jan­vier 2008 de La Revue nou­velle.

Donat Carlier


Auteur

Né en 1971 à Braine-le-Comte, Donat Carlier est membre du comité de rédaction de La Revue nouvelle depuis 1997. Actuellement Directeur du Consortium de validation des compétences, il a dirigé l’équipe du Bassin Enseignement Formation Emploi à Bruxelles, a conseillé Ministre bruxellois de l’économie, de l’emploi et de la formation ; et a également été journaliste, chercheur et enseignant. Titulaire d’un Master en sociologie et anthropologie, ses centres d’intérêts le portent vers la politique belge, et plus particulièrement l’histoire sociale, politique et institutionnelle de la construction du fédéralisme en Wallonie, à Bruxelles et en Flandre. Il a également écrit sur les domaines de l’éducation et du monde du travail. Il est plus généralement attentif aux évolutions actuelles de la société et du régime démocratiques.