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Groupe Wallonie-Bruxelles. Des territoires féodaux à l’intérêt général
Les quelques échos qui parviennent du groupe Wallonie-Bruxelles témoignent des nombreux écueils sur lesquels risque de venir s’échouer un processus de réflexion, pourtant crucial. Comment ne pas tomber de Charybde en Scylla ? Comment ne pas automatiquement limiter ses ambitions à celles d’un « groupe technique », en tentant d’éviter le piège de la réduction des débats au conflit […]
Les quelques échos qui parviennent du groupe Wallonie-Bruxelles témoignent des nombreux écueils sur lesquels risque de venir s’échouer un processus de réflexion, pourtant crucial. Comment ne pas tomber de Charybde en Scylla ? Comment ne pas automatiquement limiter ses ambitions à celles d’un « groupe technique », en tentant d’éviter le piège de la réduction des débats au conflit communautaire ?
Premier récif à éviter : restreindre les débats sur l’avenir des Wallons et des Bruxellois à la tactique à mener côté francophone face aux revendications de la Flandre politique. Certains auraient voulu faire coïncider le début de la négociation de la réforme institutionnelle avec la fin des travaux du groupe lancé à l’initiative de la ministre-présidente de la Communauté française, Marie Arena. Proposée en septembre dernier, après plus de cent jours de non-négociation fédérale qui dénotaient la profondeur inédite de la crise 1, la démarche devait pourtant toute sa pertinence à l’idée de dépasser le seul « front du refus », pour faire droit à une réflexion publique sur le meilleur fondement à donner à un projet associant Wallons et Bruxellois. Même si la pression du conflit « communautaire » n’existait pas, nous avons un besoin vital de définir les priorités propres à chacune des deux Régions en les appuyant sur des projets politiques partagés.
Tracer de telles perspectives demande, dans un premier temps, de placer notre rapport à la Flandre et au fédéralisme belge entre parenthèses. Il s’agit de se donner la possibilité de définir positivement ce que nous voulons. Plutôt que de nous définir « contre » l’autre, et donc uniquement en fonction de lui. Une telle approche en creux, par défaut, ne peut servir de base à une projection un tant soit peu emballante dans l’avenir. Elle ne sert qu’à approfondir la sinistrose qui nous étouffe, en confortant l’opinion publique dans un deuil interminable d’une Belgique uniquement francophone. Les francophones belges semblent en fait balancer actuellement d’un fantasme à l’autre : de la possibilité d’un blocage ad vitam æternam de la poussée autonomiste flamande, au désir — à force de dépit et de ras-le-bol — de voir le Nord prendre unilatéralement son indépendance pour conserver une « Belgique » (?)… sans les Flamands.
Second risque : réduire les enjeux abordés à des problèmes techniques que la simple rationalité et un peu de bon sens pourraient lever, comme par enchantement. Les apports extérieurs aux réflexions du groupe Wallonie-Bruxelles semblent s’être essentiellement limités aux exposés d’économistes et de constitutionnalistes. Pour importantes qu’elles soient, leurs analyses et propositions ne pourront à elles seules fonder les choix politiques que les francophones ont à poser. À défaut de servir immédiatement dans le cadre du bras de fer communautaire (con)fédéral, comme certains l’espéraient, la commission présidée par Antoinette Spaak et Philippe Busquin risque de limiter ses ambitions à mettre un peu d’huile dans les rouages du fonctionnement — particulièrement baroque — des institutions francophones. « La réponse est technique !… Mais quelle était la question ? »
Le problème qui se pose aux Wallons et aux Bruxellois ne se résume pas à des questions d’efficacité d’allocation des ressources ou de rationalisation de notre architecture institutionnelle. Il est plus fondamentalement un problème de culture politique, un problème de conception du « vivre ensemble ». Il ne s’agit pas seulement de mieux gérer des politiques, mais de poser des choix au sens fort du terme. Plus exactement, le groupe Wallonie-Bruxelles doit même inverser la proposition : définir des priorités pour permettre une meilleure organisation de notre espace. Sous peine de tourner en rond longtemps ou d’accoucher de quelques tours de clés de plombier, nécessairement décevants.
À quoi acceptons-nous de renoncer pour nous donner la possibilité de mieux nous gouverner collectivement ? Que sommes-nous capables de mettre en commun pour peser sur notre avenir ? Ces interrogations, qui travaillent l’ensemble des démocraties, sont peut-être, en Wallonie et à Bruxelles, plus prégnantes qu’ailleurs. La culture politique de cet espace « aux frontières internes » est marquée par l’attachement viscéral à la reconnaissance de sa diversité interne (philosophique et religieuse, idéologique et politique, culturelle…). Mais ce trait — positif — a son envers : l’institutionnalisation rigide de cette diversité, la balkanisation des autorités publiques, la féodalisation des rapports au politique et à l’État. Les phénomènes de clientélisme, que l’on fait mine de découvrir aujourd’hui, s’ancrent en réalité dans notre rapport de longue durée au collectif. Chaque pouvoir, chaque organisation, à quelque niveau que ce soit, a tendance à s’autonomiser en petite sphère qui tourne sur elle-même, voire à dégénérer en baronnie locale.
Cette mécanique contribue à notre impuissance et alimente même notre incapacité à comprendre pourquoi nous en sommes là. C’est cette mécanique que nous avons à contrer en privilégiant la recherche du bien commun. Il s’agit de réinventer notre rapport au politique en le fondant, d’une part, sur la reconnaissance de la diversité actuelle de notre société devenue multiculturelle et, d’autre part, sur un pacte entre les diverses composantes de cette société qui évite les dérives féodales qui ont trop longtemps accompagné notre culture du compromis.
Dans le cadre du groupe Wallonie-Bruxelles, amener les différents acteurs à dépasser la défense de « petits territoires » au nom de l’intérêt général exige de partir des problèmes tels qu’ils se vivent concrètement par les différents acteurs et bénéficiaires des politiques menées dans nos deux Régions. Mais aussi de sélectionner les défis les plus importants.
L’enjeu prioritaire à prendre en charge, chez nous, est celui de la formation et de l’emploi des jeunes. Et particulièrement le manque de perspective des plus démunis d’entre eux, ainsi que de ceux dont l’histoire personnelle est liée à l’immigration. L’institution scolaire, en se massifiant sans se démocratiser, n’est jamais réellement parvenue à intégrer les publics issus des milieux populaires, de plus en plus relégués par le développement d’un « quasi-marché scolaire ». Or les politiques éducatives, culturelles, de formation et d’emploi à mettre en œuvre sur ce plan se heurtent à nos « frontières internes » : piliers, Communautés, Régions, provinces, communes… C’est à partir de propositions fortes sur ce plan qu’il faut refonder une Communauté Wallonie-Bruxelles. Une Communauté qui allie les politiques des deux Régions pour renforcer la capacité des populations wallonne et bruxelloise à rencontrer les défis auxquels elles sont confrontées.
- Voir l’édito de La Revue nouvelle de septembre, « Le sens d’une crise », paru dans La Libre Belgique du 22 août 2007 http://www.lalibre.be/article.phtml?id=11&subid=118&art_id=365638, et « Belgique. Les ressorts de la crise », le dossier de janvier 2008 de La Revue nouvelle.