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Grippe A : l’apocalypse n’aura pas lieu
Pauvre Edgar Hernández. Identifié aujourd’hui par les autorités sanitaires comme étant le patient zéro de la grippe A, ce Mexicain n’imaginait guère la panique mondiale qu’allait entrainer sa maladie, diagnostiquée à la mi-mars 2009. Au mois de mai, la grippe A avait causé entre quarante et cent morts au Mexique. Il n’en fallut pas moins à l’Organisation mondiale […]
Pauvre Edgar Hernández. Identifié aujourd’hui par les autorités sanitaires comme étant le patient zéro de la grippe A, ce Mexicain n’imaginait guère la panique mondiale qu’allait entrainer sa maladie, diagnostiquée à la mi-mars 2009.
Au mois de mai, la grippe A avait causé entre quarante et cent morts au Mexique. Il n’en fallut pas moins à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour lancer une campagne de vaccination mondiale prenant, dès ses débuts, des accents d’apocalypse.
Un virus, une pandémie, un vaccin. Tout était présent pour alarmer la population mondiale. L’ennemi ? Le virus H1N1. Un nouveau virus dérivé de la grippe « saisonnière », dit « réassorti » car contenant des gènes de plusieurs virus d’origine porcine, aviaire et humaine. La cause ? Inconnue. Tout au plus le virus apparaissait-il dans les zones d’élevages industriels de porcs, un milieu propice à la recombinaison de virus.
Sept mois après l’annonce de la pandémie, le rideau vient de tomber. Les centres de vaccination ferment leurs portes les uns après les autres par défaut de candidats au vaccin. Ces fermetures sont liées à une « circulation modérée du virus », affirment les autorités.
« Pas d’impact significatif »
C’est l’heure du bilan. Les chiffres et la réaction d’une partie du corps médical posent question. Selon les données disponibles à la fin janvier, la maladie a causé 13.554 morts dans le monde avec un impact variable. Dans certains pays, comme le Brésil, on recense plus de 8.000 morts. En France, on atteint 258 morts.
En Belgique, selon le commissariat interministériel Influenza, dix-sept personnes sont décédées et 212.329 ont été atteintes.
« Le nombre de personnes contaminées dans notre pays par la grippe A/H1N1 reste relativement limité et l’épidémie n’a pas eu, à ce jour, d’impact significatif sur la population », explique le commissariat.
Pour la suite, l’incertitude est de mise. « Il est difficile de dire s’il va connaitre une nouvelle vague ou si le virus va disparaitre dans les prochaines semaines », précisait pour sa part Jan Eyckmans, du SPF santé publique.
L’UCL indique sur son site Internet que « la grippe A/H1N1 n’est pas plus dangereuse qu’une grippe saisonnière. Elle se caractérise cependant par le fait qu’elle touche un plus large public que celui traditionnellement touché par la grippe saisonnière ».
En définitive, même si le virus s’est propagé comme prévu, sa morbidité est restée modeste en comparaison avec l’épidémie annuelle de grippe saisonnière, qui entraine entre 3 et 5 millions de cas graves et de 250.000 à 500.000 décès par an dans le monde. Soit entre seize et trente-trois fois plus de décès que la grippe A.
On est loin des scénarios catastrophe annoncés par certains médias durant l’été 2009, qui laissaient entrevoir plusieurs centaines de milliers de personnes touchées rien qu’en Belgique et qui amenèrent le gouvernement fédéral à communiquer à tour de bras, annonçant ci et là des plans catastrophe dans les entreprises et les administrations. Sans compter sur l’apparition, un peu partout, de flacons de savons et de consignes pour apprendre au tout-venant… à se laver les mains.
En même temps, les autorités, tout en annonçant le pire, n’ont jamais réellement fait mystère de la possibilité que la grippe A se propage à un stade très inférieur à la grippe saisonnière. Elles ont pratiqué une double communication alarmiste et rassurante. Un grand classique, comme l’ont relevé plusieurs observateurs, pour maintenir les populations dans un état d’incertitude et, probablement, de dépendance.
Des achats massifs, avec les deniers publics
Quoi qu’il en soit, face aux craintes d’une pandémie, la Belgique s’est engouffrée dès le mois de juillet dans la campagne internationale de vaccination, le tout nourri d’une communication de crise menée dans les règles. La ministre fédérale de la Santé Laurette Onkelinx a passé commande de 12,6 millions de doses de vaccins Pandemrix auprès du laboratoire GlaxoSmithKline (GSK). Une commande d’un montant pharaonique de 100 millions d’euros, aujourd’hui réduite d’un tiers après que les craintes se soient dissipées, une économie de 33 millions d’euros.
À ce jour, alors que la campagne se termine, entre 1,5 et 2 millions de Belges ont été vaccinés, selon les derniers chiffres du comité Influenza. Par rapport aux huit millions de doses effectivement commandées, le fossé est grand… À quoi les millions de doses restantes et, finalement, les millions d’euros déboursés par l’État belge au géant pharmaceutique GSK vont-ils servir concrètement ? Mystère. Avec le recul, le nom Pandemrix lui-même laisse songeur.
La situation est semblable un peu partout dans le monde. La France, qui avait commandé 95 millions de doses à GSK, Novartis et Baxter, a résilié sa commande pour 50 millions de doses. L’Italie, quant à elle, avait commandé 24 millions de doses, dont à peine moins d’un million ont été inoculées. Plusieurs associations de consommateurs italiens ont réclamé le remboursement de l’argent public.
La maladie n’a jamais été ce que l’on redoutait. Très tôt, les données issues de l’hémisphère Sud, qui terminait son hiver lorsque les craintes se répandirent en Occident, conduisirent à penser que la dangerosité de la grippe A était surévaluée. Si les médecins incitèrent à la vaccination en septembre, bon nombre d’entre eux émirent des doutes, que ce soit dans leur cabinet privé ou dans les médias.
Ce n’est pas la première fois qu’une campagne de vaccination est contestée. La France et la Belgique sont traditionnellement respectueuses de l’esprit de Pasteur. Mais dès le XIXe siècle, on assiste à des mouvements antivaccinaux en Angleterre, tout comme au Brésil en 1904 ou en Allemagne en 1931. Cette contestation oppose la liberté du choix individuel à la pratique d’une vaccination massive, issue de la tradition française et de Pasteur. Or, la vaccination d’une population entière a prouvé à plusieurs reprises sa capacité à constituer une « barrière » à des épidémies telles que la rage, le choléra ou encore la tuberculose, voire à en supprimer l’existence comme c’est le cas du choléra.
Mais la grippe A n’est ni la rage ni le choléra. Et il convient de mettre en balance les risques réels de cette maladie avec le cout des mesures déployées pour la combattre. Même si on ne pourra jamais soutenir qu’une seule vie vaut moins qu’une campagne massive, ces moyens affectés à la grippe auraient pu être affectés à d’autres problèmes sanitaires plus urgents.
Des milliards de bénéfices
Vu le nombre de vaccins inutilisés, à qui a profité cette campagne ? La publication des résultats annuels des groupes pharmaceutiques vient de fournir un élément de réponse éloquent. Le suisse Novartis, par exemple, a dégagé en 2009 un bénéfice net de 10,3 milliards de dollars, en hausse de plus de 8% par rapport à 2008. La division « vaccins et diagnostiques » du groupe pharmaceutique, profitant de la pandémie de grippe A, a enregistré une croissance des ventes de 38% à 2,4 milliards de dollars, notamment grâce à plus de 100 millions de doses de vaccin vendues.
GlaxoSmithKline, qui a fourni les vaccins en Belgique, a annoncé début février un bénéfice net en hausse de 66% au quatrième trimestre 2009 à 1,86 milliard d’euros. Et, sur l’année, il est ressorti en hausse de 20% à 6,2 milliards d’euros pour l’ensemble de l’exercice.
En un an, les ventes totales de vaccins de GSK ont augmenté de 30% à 4 milliards d’euros, dont un milliard d’euros de vaccins contre la grippe H1N1. Appréciable en temps de crise. Ce qui n’empêche pas le groupe d’annoncer en même temps le licenciement de quatre-mille employés.
Le vieux démon de la grippe « espagnole »
Le discours médiatique soutenant des programmes d’achat massifs de vaccins contenait des références pour le moins marquantes. Un véritable cocktail pour une communication de crise rondement menée. Le rapprochement avec la grippe « espagnole » fut un détonateur tiré de l’imaginaire collectif. La souche H1N1 de cette grippe, particulièrement virulente, a entrainé la mort de 30 à 100 millions de personnes en 1918. Soit plus que le nombre de victimes de la Première Guerre mondiale. C’est d’ailleurs cette épidémie qui amena, plus tard, à la création de l’OMS.
La grippe espagnole comporte un nombre d’éléments frappant l’imagination que l’on retrouve dans la grippe A. Son nom a été inspiré par la famille royale d’Espagne, décimée par le mal. À l’approche de la fin de la grande guerre, il a été répandu parce que la France ne voulait pas laisser croire que ses troupes étaient ravagées par cette maladie. Son origine avait finalement été attribuée à la Chine, un pays lointain et jugé hostile.
D’abord appelée « grippe porcine » et ensuite « grippe mexicaine », la grippe A partage avec son illustre précédent le même parfum de panique : une origine lointaine, le Mexique, un mode de propagation insidieux… Et certaines sources médicales l’attribuent à des élevages… asiatiques.
Gaspillage ou nécessité ?
Il n’est dès lors pas étonnant que des voix s’élèvent aujourd’hui, avec le recul et vu le poids des campagnes de vaccination gratuites sur les budgets publics. D’autant qu’ici, les doutes émis dès les premières heures de l’épidémie par une partie des médecins s’avèrent vérifiés.
D’ailleurs, une campagne massive de vaccination contre la grippe « saisonnière » n’eût-elle pas été plus utile ?
Mais à ce stade, il faut cependant se garder d’éviter toute conclusion hâtive ou de basculer dans les scénarios les plus hypothétiques qui remettraient en cause l’utilité des vaccins. Une remise en cause qui serait d’ailleurs provoquée par la communication choisie dans le cas de la grippe A. La médecine a tendance, actuellement, à se diriger vers une thérapie ciblée, nettement plus individualisée. Il n’en reste pas moins que les campagnes de vaccination comportent un principe altruiste. Plusieurs maladies ont ainsi été contenues depuis deux ans grâce à la découverte des vaccins. Et faut-il rappeler que la variole a été éradiquée grâce à cet effort collectif ?
La défiance envers les campagnes de vaccination pourrait même représenter un danger. Prétendre qu’il s’agirait d’un complot, par exemple, pourrait conduire à des excès. L’anthropologue Denis Duclos a écrit dans Le Monde diplomatique de septembre 2009 : « Prêter aux fonctionnaires nationaux ou internationaux des intentions obscures, voire criminelles, pouvant aller jusqu’à préparer — de connivence avec les laboratoires pharmaceutiques — un génocide mondial en vue de diminuer la population “en excédent”, est non seulement une parfaite absurdité, mais une incitation à la haine, voire un appel au lynchage. »
Ce qui laisse songeur, dans le cas de la grippe A, ce sont les moyens mobilisés dans l’hémisphère Nord et leur utilité toute relative. Les bénéfices plantureux enregistrés par les firmes qui, de toute façon, licencient à tour de bras. Pourquoi avoir choisi de cibler le virus H1N1 alors que des maux bien plus mortels et plus faciles à soigner sont relégués au second plan ?
Ceci n’est pas sans rappeler l’appel de Raoul Follereau, qui avait demandé aux présidents américain et soviétique, en pleine guerre froide, de lui donner « deux bombardiers » pour éradiquer la lèpre dans le monde : leur cout aurait suffi pour guérir des millions de lépreux. Plusieurs dizaines d’années après, la lèpre n’est toujours pas éradiquée.