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Grippe A : l’apocalypse n’aura pas lieu

Numéro 2 Février 2010 par Octave Sieber

février 2010

Pauvre Edgar Hernán­dez. Iden­ti­fié aujourd’hui par les auto­ri­tés sani­taires comme étant le patient zéro de la grippe A, ce Mexi­cain n’imaginait guère la panique mon­diale qu’allait entrai­ner sa mala­die, diag­nos­ti­quée à la mi-mars 2009. Au mois de mai, la grippe A avait cau­sé entre qua­rante et cent morts au Mexique. Il n’en fal­lut pas moins à l’Organisation mondiale […]

Pauvre Edgar Hernán­dez. Iden­ti­fié aujourd’hui par les auto­ri­tés sani­taires comme étant le patient zéro de la grippe A, ce Mexi­cain n’imaginait guère la panique mon­diale qu’allait entrai­ner sa mala­die, diag­nos­ti­quée à la mi-mars 2009.

Au mois de mai, la grippe A avait cau­sé entre qua­rante et cent morts au Mexique. Il n’en fal­lut pas moins à l’Organisation mon­diale de la san­té (OMS) pour lan­cer une cam­pagne de vac­ci­na­tion mon­diale pre­nant, dès ses débuts, des accents d’apocalypse.

Un virus, une pan­dé­mie, un vac­cin. Tout était pré­sent pour alar­mer la popu­la­tion mon­diale. L’ennemi ? Le virus H1N1. Un nou­veau virus déri­vé de la grippe « sai­son­nière », dit « réas­sor­ti » car conte­nant des gènes de plu­sieurs virus d’origine por­cine, aviaire et humaine. La cause ? Incon­nue. Tout au plus le virus appa­rais­sait-il dans les zones d’élevages indus­triels de porcs, un milieu pro­pice à la recom­bi­nai­son de virus.

Sept mois après l’annonce de la pan­dé­mie, le rideau vient de tom­ber. Les centres de vac­ci­na­tion ferment leurs portes les uns après les autres par défaut de can­di­dats au vac­cin. Ces fer­me­tures sont liées à une « cir­cu­la­tion modé­rée du virus », affirment les autorités.

« Pas d’impact significatif »

C’est l’heure du bilan. Les chiffres et la réac­tion d’une par­tie du corps médi­cal posent ques­tion. Selon les don­nées dis­po­nibles à la fin jan­vier, la mala­die a cau­sé 13.554 morts dans le monde avec un impact variable. Dans cer­tains pays, comme le Bré­sil, on recense plus de 8.000 morts. En France, on atteint 258 morts.

En Bel­gique, selon le com­mis­sa­riat inter­mi­nis­té­riel Influen­za, dix-sept per­sonnes sont décé­dées et 212.329 ont été atteintes.

« Le nombre de per­sonnes conta­mi­nées dans notre pays par la grippe A/H1N1 reste rela­ti­ve­ment limi­té et l’épidémie n’a pas eu, à ce jour, d’impact signi­fi­ca­tif sur la popu­la­tion », explique le commissariat.

Pour la suite, l’incertitude est de mise. « Il est dif­fi­cile de dire s’il va connaitre une nou­velle vague ou si le virus va dis­pa­raitre dans les pro­chaines semaines », pré­ci­sait pour sa part Jan Eyck­mans, du SPF san­té publique.

L’UCL indique sur son site Inter­net que « la grippe A/H1N1 n’est pas plus dan­ge­reuse qu’une grippe sai­son­nière. Elle se carac­té­rise cepen­dant par le fait qu’elle touche un plus large public que celui tra­di­tion­nel­le­ment tou­ché par la grippe saisonnière ».

En défi­ni­tive, même si le virus s’est pro­pa­gé comme pré­vu, sa mor­bi­di­té est res­tée modeste en com­pa­rai­son avec l’épidémie annuelle de grippe sai­son­nière, qui entraine entre 3 et 5 mil­lions de cas graves et de 250.000 à 500.000 décès par an dans le monde. Soit entre seize et trente-trois fois plus de décès que la grippe A.

On est loin des scé­na­rios catas­trophe annon­cés par cer­tains médias durant l’été 2009, qui lais­saient entre­voir plu­sieurs cen­taines de mil­liers de per­sonnes tou­chées rien qu’en Bel­gique et qui ame­nèrent le gou­ver­ne­ment fédé­ral à com­mu­ni­quer à tour de bras, annon­çant ci et là des plans catas­trophe dans les entre­prises et les admi­nis­tra­tions. Sans comp­ter sur l’apparition, un peu par­tout, de fla­cons de savons et de consignes pour apprendre au tout-venant… à se laver les mains.

En même temps, les auto­ri­tés, tout en annon­çant le pire, n’ont jamais réel­le­ment fait mys­tère de la pos­si­bi­li­té que la grippe A se pro­page à un stade très infé­rieur à la grippe sai­son­nière. Elles ont pra­ti­qué une double com­mu­ni­ca­tion alar­miste et ras­su­rante. Un grand clas­sique, comme l’ont rele­vé plu­sieurs obser­va­teurs, pour main­te­nir les popu­la­tions dans un état d’incertitude et, pro­ba­ble­ment, de dépendance.

Des achats massifs, avec les deniers publics

Quoi qu’il en soit, face aux craintes d’une pan­dé­mie, la Bel­gique s’est engouf­frée dès le mois de juillet dans la cam­pagne inter­na­tio­nale de vac­ci­na­tion, le tout nour­ri d’une com­mu­ni­ca­tion de crise menée dans les règles. La ministre fédé­rale de la San­té Lau­rette Onke­linx a pas­sé com­mande de 12,6 mil­lions de doses de vac­cins Pan­dem­rix auprès du labo­ra­toire GlaxoS­mi­thK­line (GSK). Une com­mande d’un mon­tant pha­rao­nique de 100 mil­lions d’euros, aujourd’hui réduite d’un tiers après que les craintes se soient dis­si­pées, une éco­no­mie de 33 mil­lions d’euros.

À ce jour, alors que la cam­pagne se ter­mine, entre 1,5 et 2 mil­lions de Belges ont été vac­ci­nés, selon les der­niers chiffres du comi­té Influen­za. Par rap­port aux huit mil­lions de doses effec­ti­ve­ment com­man­dées, le fos­sé est grand… À quoi les mil­lions de doses res­tantes et, fina­le­ment, les mil­lions d’euros débour­sés par l’État belge au géant phar­ma­ceu­tique GSK vont-ils ser­vir concrè­te­ment ? Mys­tère. Avec le recul, le nom Pan­dem­rix lui-même laisse songeur.

La situa­tion est sem­blable un peu par­tout dans le monde. La France, qui avait com­man­dé 95 mil­lions de doses à GSK, Novar­tis et Bax­ter, a rési­lié sa com­mande pour 50 mil­lions de doses. L’Italie, quant à elle, avait com­man­dé 24 mil­lions de doses, dont à peine moins d’un mil­lion ont été ino­cu­lées. Plu­sieurs asso­cia­tions de consom­ma­teurs ita­liens ont récla­mé le rem­bour­se­ment de l’argent public.

La mala­die n’a jamais été ce que l’on redou­tait. Très tôt, les don­nées issues de l’hémisphère Sud, qui ter­mi­nait son hiver lorsque les craintes se répan­dirent en Occi­dent, condui­sirent à pen­ser que la dan­ge­ro­si­té de la grippe A était sur­éva­luée. Si les méde­cins inci­tèrent à la vac­ci­na­tion en sep­tembre, bon nombre d’entre eux émirent des doutes, que ce soit dans leur cabi­net pri­vé ou dans les médias.

Ce n’est pas la pre­mière fois qu’une cam­pagne de vac­ci­na­tion est contes­tée. La France et la Bel­gique sont tra­di­tion­nel­le­ment res­pec­tueuses de l’esprit de Pas­teur. Mais dès le XIXe siècle, on assiste à des mou­ve­ments anti­vac­ci­naux en Angle­terre, tout comme au Bré­sil en 1904 ou en Alle­magne en 1931. Cette contes­ta­tion oppose la liber­té du choix indi­vi­duel à la pra­tique d’une vac­ci­na­tion mas­sive, issue de la tra­di­tion fran­çaise et de Pas­teur. Or, la vac­ci­na­tion d’une popu­la­tion entière a prou­vé à plu­sieurs reprises sa capa­ci­té à consti­tuer une « bar­rière » à des épi­dé­mies telles que la rage, le cho­lé­ra ou encore la tuber­cu­lose, voire à en sup­pri­mer l’existence comme c’est le cas du choléra.

Mais la grippe A n’est ni la rage ni le cho­lé­ra. Et il convient de mettre en balance les risques réels de cette mala­die avec le cout des mesures déployées pour la com­battre. Même si on ne pour­ra jamais sou­te­nir qu’une seule vie vaut moins qu’une cam­pagne mas­sive, ces moyens affec­tés à la grippe auraient pu être affec­tés à d’autres pro­blèmes sani­taires plus urgents.

Des milliards de bénéfices

Vu le nombre de vac­cins inuti­li­sés, à qui a pro­fi­té cette cam­pagne ? La publi­ca­tion des résul­tats annuels des groupes phar­ma­ceu­tiques vient de four­nir un élé­ment de réponse élo­quent. Le suisse Novar­tis, par exemple, a déga­gé en 2009 un béné­fice net de 10,3 mil­liards de dol­lars, en hausse de plus de 8% par rap­port à 2008. La divi­sion « vac­cins et diag­nos­tiques » du groupe phar­ma­ceu­tique, pro­fi­tant de la pan­dé­mie de grippe A, a enre­gis­tré une crois­sance des ventes de 38% à 2,4 mil­liards de dol­lars, notam­ment grâce à plus de 100 mil­lions de doses de vac­cin vendues.

GlaxoS­mi­thK­line, qui a four­ni les vac­cins en Bel­gique, a annon­cé début février un béné­fice net en hausse de 66% au qua­trième tri­mestre 2009 à 1,86 mil­liard d’euros. Et, sur l’année, il est res­sor­ti en hausse de 20% à 6,2 mil­liards d’euros pour l’ensemble de l’exercice.

En un an, les ventes totales de vac­cins de GSK ont aug­men­té de 30% à 4 mil­liards d’euros, dont un mil­liard d’euros de vac­cins contre la grippe H1N1. Appré­ciable en temps de crise. Ce qui n’empêche pas le groupe d’annoncer en même temps le licen­cie­ment de quatre-mille employés.

Le vieux démon de la grippe « espagnole »

Le dis­cours média­tique sou­te­nant des pro­grammes d’achat mas­sifs de vac­cins conte­nait des réfé­rences pour le moins mar­quantes. Un véri­table cock­tail pour une com­mu­ni­ca­tion de crise ron­de­ment menée. Le rap­pro­che­ment avec la grippe « espa­gnole » fut un déto­na­teur tiré de l’imaginaire col­lec­tif. La souche H1N1 de cette grippe, par­ti­cu­liè­re­ment viru­lente, a entrai­né la mort de 30 à 100 mil­lions de per­sonnes en 1918. Soit plus que le nombre de vic­times de la Pre­mière Guerre mon­diale. C’est d’ailleurs cette épi­dé­mie qui ame­na, plus tard, à la créa­tion de l’OMS.

La grippe espa­gnole com­porte un nombre d’éléments frap­pant l’imagination que l’on retrouve dans la grippe A. Son nom a été ins­pi­ré par la famille royale d’Espagne, déci­mée par le mal. À l’approche de la fin de la grande guerre, il a été répan­du parce que la France ne vou­lait pas lais­ser croire que ses troupes étaient rava­gées par cette mala­die. Son ori­gine avait fina­le­ment été attri­buée à la Chine, un pays loin­tain et jugé hostile.

D’abord appe­lée « grippe por­cine » et ensuite « grippe mexi­caine », la grippe A par­tage avec son illustre pré­cé­dent le même par­fum de panique : une ori­gine loin­taine, le Mexique, un mode de pro­pa­ga­tion insi­dieux… Et cer­taines sources médi­cales l’attribuent à des éle­vages… asiatiques.

Gaspillage ou nécessité ?

Il n’est dès lors pas éton­nant que des voix s’élèvent aujourd’hui, avec le recul et vu le poids des cam­pagnes de vac­ci­na­tion gra­tuites sur les bud­gets publics. D’autant qu’ici, les doutes émis dès les pre­mières heures de l’épidémie par une par­tie des méde­cins s’avèrent vérifiés.

D’ailleurs, une cam­pagne mas­sive de vac­ci­na­tion contre la grippe « sai­son­nière » n’eût-elle pas été plus utile ?

Mais à ce stade, il faut cepen­dant se gar­der d’éviter toute conclu­sion hâtive ou de bas­cu­ler dans les scé­na­rios les plus hypo­thé­tiques qui remet­traient en cause l’utilité des vac­cins. Une remise en cause qui serait d’ailleurs pro­vo­quée par la com­mu­ni­ca­tion choi­sie dans le cas de la grippe A. La méde­cine a ten­dance, actuel­le­ment, à se diri­ger vers une thé­ra­pie ciblée, net­te­ment plus indi­vi­dua­li­sée. Il n’en reste pas moins que les cam­pagnes de vac­ci­na­tion com­portent un prin­cipe altruiste. Plu­sieurs mala­dies ont ain­si été conte­nues depuis deux ans grâce à la décou­verte des vac­cins. Et faut-il rap­pe­ler que la variole a été éra­di­quée grâce à cet effort collectif ?

La défiance envers les cam­pagnes de vac­ci­na­tion pour­rait même repré­sen­ter un dan­ger. Pré­tendre qu’il s’agirait d’un com­plot, par exemple, pour­rait conduire à des excès. L’anthropologue Denis Duclos a écrit dans Le Monde diplo­ma­tique de sep­tembre 2009 : « Prê­ter aux fonc­tion­naires natio­naux ou inter­na­tio­naux des inten­tions obs­cures, voire cri­mi­nelles, pou­vant aller jusqu’à pré­pa­rer — de conni­vence avec les labo­ra­toires phar­ma­ceu­tiques — un géno­cide mon­dial en vue de dimi­nuer la popu­la­tion “en excé­dent”, est non seule­ment une par­faite absur­di­té, mais une inci­ta­tion à la haine, voire un appel au lynchage. »

Ce qui laisse son­geur, dans le cas de la grippe A, ce sont les moyens mobi­li­sés dans l’hémisphère Nord et leur uti­li­té toute rela­tive. Les béné­fices plan­tu­reux enre­gis­trés par les firmes qui, de toute façon, licen­cient à tour de bras. Pour­quoi avoir choi­si de cibler le virus H1N1 alors que des maux bien plus mor­tels et plus faciles à soi­gner sont relé­gués au second plan ?

Ceci n’est pas sans rap­pe­ler l’appel de Raoul Fol­le­reau, qui avait deman­dé aux pré­si­dents amé­ri­cain et sovié­tique, en pleine guerre froide, de lui don­ner « deux bom­bar­diers » pour éra­di­quer la lèpre dans le monde : leur cout aurait suf­fi pour gué­rir des mil­lions de lépreux. Plu­sieurs dizaines d’années après, la lèpre n’est tou­jours pas éradiquée.

Octave Sieber


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