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Graisses et sodas au secours de la crise budgétaire

Numéro 12 Décembre 2011 par Catherine Closson

novembre 2011

Pour la nour­ri­ture comme pour tant d’autres domaines, l’Europe a ten­dance à suivre le modèle amé­ri­cain. Aujourd’hui, sodas, fast foods, snacks, plats pré­pa­rés et sucre­ries font par­tie inté­grante de notre ali­men­ta­tion quo­ti­dienne. Avec pour consé­quence directe des taux de sur­poids et d’obésité qui ont dou­blé ces vingt der­nières années dans la plu­part des pays euro­péens. Or on […]

Pour la nour­ri­ture comme pour tant d’autres domaines, l’Europe a ten­dance à suivre le modèle amé­ri­cain. Aujourd’hui, sodas, fast foods, snacks, plats pré­pa­rés et sucre­ries font par­tie inté­grante de notre ali­men­ta­tion quo­ti­dienne. Avec pour consé­quence directe des taux de sur­poids et d’obésité qui ont dou­blé ces vingt der­nières années dans la plu­part des pays euro­péens. Or on sait aujourd’hui avec cer­ti­tude que le sur­poids et l’obésité consti­tuent des fac­teurs de risque impor­tants pour une série de troubles de la san­té, notam­ment l’hypertension, le dia­bète, des pro­blèmes car­dio­vas­cu­laires, res­pi­ra­toires et mus­cu­laires, et cer­taines formes de cancers.

Avec plus de la moi­tié des Euro­péens aujourd’hui en sur­poids ou obèses, inutile donc d’être un expert pour com­prendre que notre mode de consom­ma­tion ali­men­taire entraine désor­mais un sur­cout consi­dé­rable pour les finances publiques. Face à cette situa­tion, les auto­ri­tés natio­nales et euro­péennes com­mencent à prendre des mesures. Tan­dis que le Par­le­ment euro­péen a pas­sé en deuxième lec­ture, cet été, un pro­jet de règle­ment impo­sant l’affichage d’une infor­ma­tion claire et détaillée des valeurs nutri­tion­nelles sur tous les pro­duits ali­men­taires, la France et le Dane­mark ont choi­si d’attaquer le pro­blème via l’instauration de nou­velles taxes, ce qui ne va pas sans sus­ci­ter de vives critiques.

Fin aout, lors de la pré­sen­ta­tion du bud­get 2012, le Pre­mier ministre fran­çais, Fran­çois Fillon, annon­çait une nou­velle taxe sur les bois­sons sucrées, jus­ti­fiant la mesure par la néces­saire lutte contre l’obésité et décla­rant que les recettes seraient par­ta­gées entre la sécu­ri­té sociale et le sec­teur agricole.

Sans sur­prise, les indus­triels de l’agroalimentaire ont immé­dia­te­ment crié au scan­dale. Ils redoutent que les ali­ments gras et sucrés ne fassent désor­mais l’objet de mesures publiques, au même titre que le tabac et l’alcool, qui plus est entrai­nant une « seg­men­ta­tion des pro­duits » qui ren­drait plus appa­rent le lien entre ces ali­ments taxés et l’obésité — révé­la­teur de la façon dont on peut pro­fi­ter du manque d’éducation ali­men­taire des consom­ma­teurs ! Fort de leur poids socioé­co­no­mique, les acteurs de l’agroalimentaire se sont donc lan­cés dans un intense lob­by contre cette nou­velle taxe : Coca-Cola a été jusqu’à mena­cer de renon­cer à un inves­tis­se­ment pro­gram­mé de 17 mil­lions d’euros dans son usine des Bouches-du-Rhône, avant de se rétrac­ter face aux reproches cin­glants de la classe poli­tique fran­çaise, tan­dis que le pré­sident de l’Association natio­nale des indus­tries agroa­li­men­taires a annon­cé, au len­de­main du vote de la loi, qu’il ferait tout pour que le Conseil consti­tu­tion­nel l’annule.

Mais le sec­teur agroa­li­men­taire n’est pas le seul à avoir mani­fes­té son mécon­ten­te­ment à l’annonce de la nou­velle taxe sur les sodas. Les asso­cia­tions de défense des consom­ma­teurs se sont éga­le­ment mon­trées cri­tiques du pro­jet de loi, ce qui est plus inter­pe­lant puisqu’elles se déclarent par ailleurs favo­rables à des poli­tiques finan­cières d’incitation à une ali­men­ta­tion plus saine. Elles ont qua­li­fié la mesure d’«homéopathique » et d’«hypocrite », esti­mant qu’elle était lar­ge­ment trop faible pour sus­ci­ter des chan­ge­ments de com­por­te­ment signi­fi­ca­tifs. Dif­fé­rentes études éma­nant de plu­sieurs pays ont en effet déjà mon­tré que seules des hausses de couts impor­tantes avaient un réel effet pré­ven­tif. Les orga­ni­sa­tions jugent dès lors que cette taxe va avant tout alour­dir le panier de la ména­gère et peser sur les reve­nus les plus faibles, les plus grands consom­ma­teurs de bois­sons sucrées se trou­vant par­mi les popu­la­tions défa­vo­ri­sées et les jeunes.

De si vertueuses lois…

Insen­sible à ce concert de cri­tiques, le gou­ver­ne­ment fran­çais a au contraire choi­si de per­sé­vé­rer puisqu’il a annon­cé mi-octobre à la fois un dou­ble­ment du mon­tant de la taxe — à 2 cen­times d’euros par canette — et un élar­gis­se­ment aux bois­sons light (c’est-à-dire conte­nant des édul­co­rants). Le hic, c’est qu’en éten­dant la mesure aux sodas light, le lien avec la lutte contre l’obésité, cen­sé légi­ti­mer la mesure, per­dait son sens. Mise en garde sur cette contra­dic­tion par la ministre du Bud­get, l’Assemblée natio­nale a fina­le­ment voté, le 21 octobre, deux taxes sépa­rées : une pre­mière sur les sodas, affec­tée à la sécu­ri­té sociale et l’agriculture, comme ini­tia­le­ment pré­vu, et une seconde sur les bois­sons light qui ser­vi­ra inté­gra­le­ment à finan­cer la réduc­tion des charges sociales dans l’agriculture.

Que pen­ser face à cet imbro­glio et à ces rebon­dissements ? À pre­mière vue, on pour­rait se réjouir d’une loi com­bi­nant lutte contre l’obésité, finan­ce­ment de la sécu­ri­té sociale et sou­tien à l’agriculture locale. Mais face à tant d’incohérences dans le dis­cours du gou­ver­ne­ment fran­çais et à la fai­blesse de la mesure, on ne peut s’empêcher d’être scep­tique sur l’efficacité pré­ven­tive de cette nou­velle taxe, et d’y voir, comme l’opinion publique fran­çaise, un wagon sup­plé­men­taire au train d’austérité plu­tôt qu’une véri­table mesure de san­té publique. Tout en s’interrogeant sur l’impact concret de 280 mil­lions, ren­de­ment atten­du des deux taxes cumu­lées, pour redres­ser la situa­tion de la sécu­ri­té sociale et celle de l’agriculture…

Paral­lè­le­ment à cette actua­li­té fran­çaise, tout début octobre, le Dane­mark deve­nait le pre­mier pays au monde à taxer les graisses, pro­vo­quant, lui aus­si, un coup de ton­nerre dans le sec­teur agroa­li­men­taire. Désor­mais, tous les pro­duits conte­nant plus de 2,3% de graisses satu­rées y sont taxés 2,15 euros par kilo. Viandes, beurre, huiles, fro­mages, crèmes et la plu­part des pro­duits trans­for­més sont concer­nés. Deux exemples concrets pour se faire une idée des mon­tants impli­qués : un paquet de beurre aug­men­te­ra d’environ 30 cen­times d’euros et un paquet de chips d’environ 10 centimes.

Cette nou­velle loi, offi­ciel­le­ment des­ti­née à aug­men­ter l’espérance de vie des Danois — infé­rieure à la moyenne de l’OCDE —, par la lutte contre l’obésité, le dia­bète et les mala­dies car­dio­vas­cu­laires, a réuni un large consen­sus au sein de la classe poli­tique et a été approu­vée à près de 90% des voix au Par­le­ment. La taxe devrait per­mettre au pays d’engranger 165 mil­lions d’euros par an et a pour objec­tif une réduc­tion de 10% de la consom­ma­tion de graisses.

Mais, dans ce pays où le beurre et le lard sont rois, la taxe, à l’instar de sa cou­sine fran­çaise, a sus­ci­té une levée de bou­cliers. Tan­dis que les Danois ont déva­li­sé les super­mar­chés ces der­nières semaines pour faire des stocks de pro­duits gras, les repré­sen­tants du sec­teur agroa­li­men­taire parlent de « cau­che­mar », invo­quant les com­plexi­tés admi­nis­tra­tives et, sur­tout, les risques de concur­rence déloyale avec les pro­duits impor­tés de l’étranger qui ne seront pas taxés sur les graisses uti­li­sées pour la trans­for­ma­tion. La Com­mis­sion euro­péenne a d’ailleurs annon­cé qu’elle « sur­veille­rait » de près la mise en appli­ca­tion de la taxe afin de s’assurer qu’elle n’instaure pas de bar­rière au libre com­merce au sein de l’Union. De leur côté, les agri­cul­teurs redoutent éga­le­ment les effets de la mesure. Les pro­duc­teurs lai­tiers, déjà fort tou­chés par la crise depuis 2008, regrettent que la loi ne fasse pas la dif­fé­rence entre un ham­bur­ger indus­triel et du beurre ou du fro­mage de ferme, créant un amal­game et stig­ma­ti­sant leurs pro­duits de qualité.

Si l’on peut com­prendre les inquié­tudes des agri­cul­teurs dont la situa­tion est déjà peu enviable, on a cepen­dant le sen­ti­ment que le Dane­mark a pris ici une mesure plus sérieuse que nos voi­sins fran­çais. Celle-ci s’inscrit d’ailleurs dans la lignée d’une poli­tique natio­nale contre la mal­bouffe, déjà enta­mée en 2004 avec une taxe sur les pro­duits sucrés, qui semble avoir fait ses preuves, le Dane­mark ayant des taux de sur­poids et d’obésité sen­si­ble­ment infé­rieurs à la moyenne européenne.

… ou des mesures d’austérité ?

Pour conclure, si on consi­dère que l’explosion des pro­blèmes de poids liés à notre mode de consom­ma­tion ali­men­taire et l’importance des dépenses publiques sup­plé­men­taires que cela engendre jus­ti­fient la prise de mesures poli­tiques en faveur d’une ali­men­ta­tion plus saine, on est éga­le­ment en droit d’attendre que ces der­nières soient pen­sées intel­li­gem­ment, dans une approche glo­bale, cohé­rente et construc­tive, inté­grant une dimen­sion d’information et de sen­si­bi­li­sa­tion, ain­si que des inci­tants posi­tifs et pas seule­ment néga­tifs. Si, par contre, ces poli­tiques se bornent à prendre la forme de mesures d’austérité enro­bées d’un ver­nis de san­té publique, on peut légi­ti­me­ment craindre qu’elles n’apporteront pas de chan­ge­ments de com­por­te­ment signi­fi­ca­tifs et pérennes. Espé­rons que les pro­chains pays à prendre des ini­tia­tives en la matière en tien­dront compte. Et gageons que la ques­tion revien­dra très pro­chai­ne­ment au menu puisque de nom­breux pays, dont la Bel­gique, ont déjà mani­fes­té leur inté­rêt pour la ques­tion, voire leur inten­tion de suivre les modèles fran­çais et danois.

Catherine Closson


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