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GB. Réforme de l’État providence et régulation des bonus : deux poids, deux mesures

Numéro 3 Mars 2012 par David D'Hondt

février 2012

Aus­té­ri­té et dimi­nu­tion du défi­cit sont aus­si les mots d’ordre de l’autre côté de la Manche. C’est ain­si que la réforme de l’État pro­vi­dence est le thème à l’ordre du jour de l’agenda poli­tique de la majo­ri­té conser­­va­­teurs/­­li­­bé­­raux-démo­­crates depuis plus d’un an main­te­nant. Objec­tif annon­cé : évi­ter que des familles qui tra­vaillent gagnent en fin de compte […]

Aus­té­ri­té et dimi­nu­tion du défi­cit sont aus­si les mots d’ordre de l’autre côté de la Manche. C’est ain­si que la réforme de l’État pro­vi­dence est le thème à l’ordre du jour de l’agenda poli­tique de la majo­ri­té conser­va­teurs/­li­bé­raux-démo­crates depuis plus d’un an maintenant.

Objec­tif annon­cé : évi­ter que des familles qui tra­vaillent gagnent en fin de compte moins que celles qui per­çoivent exclu­si­ve­ment des allo­ca­tions de l’État. Un mon­tant maxi­mal serait donc fixé pour les allo­ca­tions que peut per­ce­voir une seule et même famille.

Le débat a refait sur­face en ce début d’année après avoir fait l’objet d’un vote à la chambre des Lords. Et alors que Maria Mil­ler (conser­va­trice), ministre en charge des Per­sonnes han­di­ca­pées affirme, appa­rem­ment sans avoir consul­té les chiffres, qu’il y a de l’emploi pour tous, d’aucuns se demandent pour­quoi un gou­ver­ne­ment qui plaide pour un mon­tant maxi­mal pour les aides accor­dées aux familles pauvres de la socié­té bri­tan­nique se refuse à appli­quer une mesure simi­laire aux salaires et bonus des patrons des grandes entreprises.

David Came­ron (conser­va­teur) a bien plai­dé pour le pas­sage à un « capi­ta­lisme res­pon­sable », mais nom­breux sont ceux qui attendent de voir si la parole sera sui­vie de l’action.

Le travail au cœur du système

Retour en février 2011. À l’époque, David Came­ron, Pre­mier ministre, et Iain Dun­can Smith (libé­ral-démo­crate), secré­taire d’État au Tra­vail et aux Pen­sions, par­laient d’une seule et même voix. « Nos réformes met­tront fin à l’absurdité d’un sys­tème où trop sou­vent les gens sont récom­pen­sés pour leur mau­vais choix, alors que ceux qui luttent pour faire le mieux pour leur famille sont péna­li­sés. » Iain Dun­can Smith conti­nue en expli­quant que « la réforme de l’État pro­vi­dence va repla­cer le tra­vail, en lieu et place de l’assistanat, au cœur du sys­tème de sécu­ri­té sociale ». Ou expri­mé par le Pre­mier ministre lui-même : « Tra­vailler ne sera plus jamais un mau­vais choix… Nous allons enfin faire en sorte que tra­vailler soit payant pour cer­tains des plus pauvres de notre socié­té. » La réforme inclut notam­ment le fait de limi­ter la tota­li­té des aides pos­sibles à une même famille à 26.000 livres ster­ling (31.000 euros) par an, de pas­ser à un sys­tème de paie­ment d’un unique « cré­dit uni­ver­sel » en lieu et place des dif­fé­rentes allo­ca­tions actuelles (dont les allo­ca­tions de chô­mage et les aides au loge­ment) ou encore de sup­pri­mer, pour une durée pou­vant aller jusqu’à trois ans, les allo­ca­tions d’aide en cas de refus de travailler.

Rebelles libéraux démocrates ?

Jan­vier 2012. Lors d’un vote à la chambre des Lords, le gou­ver­ne­ment de Came­ron a per­du face au Labour qui a pu comp­ter sur le sou­tien de lords indé­pen­dants, mais sur­tout à la suite de l’abstention ou du vote contre d’une série de lords des libé­raux-démo­crates, par­ti de la majo­ri­té. De quoi faire dire à l’analyste poli­tique de la BBC, James Lan­dale, que « si le lea­deur­ship des libé­raux-démo­crates sou­tient la réforme pro­po­sée de la sécu­ri­té sociale, nom­breux sont leurs pairs qui sont moins enclins à pro­cé­der aux coupes proposées ».

Une ana­lyse confir­mée par la carte blanche dans le Guar­dian du libé­ral-démo­crate George Pot­ter qui se demande « ce que l’on fait dans cette coa­li­tion si l’on ne peut pas influen­cer cette réforme de la sécu­ri­té sociale ? ». Pour Pot­ter c’est l’âme même du par­ti qui est en jeu. «“Pour construire et pro­té­ger une socié­té juste, libre et ouverte où nul n’est asser­vi par la pau­vre­té, l’ignorance ou la confor­mi­té.” Tels sont les mots qui figurent sur la carte de par­ti de chaque membre des libé­raux-démo­crates, expri­mant ain­si les valeurs fon­da­men­tales aux­quelles nous croyons. »

Dans la ligne de mire du libé­ral, le point de la réforme qui vise à limi­ter à un an l’aide que pour­raient per­ce­voir des per­sonnes malades ou han­di­ca­pées, date après laquelle elles seront rayées de la liste des aides pos­sibles, sauf si le reve­nu total de la famille s’élève à moins de 7.500 livres ster­ling (8.950 euros) par an… « Un point que l’on ne retrouve ni dans les deux mani­festes des par­tis au pou­voir ni dans l’accord de coa­li­tion », pré­cise-t-il encore.

Et il n’est pas seul, cin­quante membres du par­ti ont écrit au vice-Pre­mier Nick Clegg (libé­ral-démo­crate) pour lui deman­der de res­pec­ter les pro­po­si­tions des lords. Lords qui, il faut s’empresser de l’ajouter, ne deman­daient pas une modi­fi­ca­tion com­plète de la réforme, mais pro­po­saient des amen­de­ments sur sept points. Étaient, entres autres, visés par les lords, l’allongement, à deux ans au lieu d’un an comme le pro­pose le gou­ver­ne­ment, de l’indemnité pré­vue pour des per­sonnes en congé de mala­die (par exemple, des malades du can­cer) et le retrait auto­ma­tique d’un loge­ment social aux per­sonnes qui ne font pas usage de toutes ses chambres.

Or, le gou­ver­ne­ment ne compte pas prendre en compte les amen­de­ments pro­po­sés. En effet, fait assez rare pour être sou­li­gné, la coa­li­tion a fait appel à un méca­nisme par­le­men­taire appe­lé « pri­vi­lège finan­cier ». Ce méca­nisme, qui per­met à la Chambre de sta­tuer sans prendre en compte l’avis des lords, n’est valable que dans le cas d’une modi­fi­ca­tion d’un pro­jet de loi qui a des impli­ca­tions finan­cières impor­tantes. La coa­li­tion consi­dère que les amen­de­ments pro­po­sés par les lords réduisent de plu­sieurs mil­liards les éco­no­mies pré­vues par la réforme. Pour le Labour, la réfé­rence faite à ce méca­nisme par­le­men­taire n’a pas lieu d’être puisqu’il ne s’agit pas d’un pro­jet de loi qui concerne direc­te­ment la ques­tion du bud­get. Et, l’opposition socia­liste fus­tige : « Le gou­ver­ne­ment a dépas­sé la ligne élé­men­taire de la décence britannique. »

La peur de l’emploi

La décence bri­tan­nique tou­chée de plein fouet selon le Labour ? Maria Mil­ler, ministre conser­va­trice pour les Per­sonnes han­di­ca­pées, n’est pas de cet avis. À la bbc radio « 5 live », elle a expli­qué que la Grande-Bre­tagne ne manque pas d’emplois vacants, mais bien de per­sonnes qua­li­fiées pour les emplois pro­po­sés. À pro­pos des per­sonnes tou­chant des allo­ca­tions d’invalidité, elle a affir­mé que « chaque famille devrait être une famille au tra­vail. […] Peut-on les aider à dépas­ser leur peur de reprendre un emploi ou encore leur peur de cer­taines dif­fi­cul­tés que la reprise d’un emploi pour­rait créer pour leur famille… Ce n’est pas qu’un pro­blème lié à cet indi­vi­du, mais c’est aus­si lié à sa famille, et ce n’est pas qu’une ques­tion de qua­li­fi­ca­tion, c’est par­ve­nir à les aider à ne pas avoir peur d’opter pour ce boulot-là. »

Un jour­na­liste du Guar­dian s’est deman­dé si l’on pou­vait affir­mer que la Grande-Bre­tagne avait suf­fi­sam­ment d’emplois vacants pour satis­faire la demande. Résul­tats ? Le nombre de sans-emploi s’élève à 2,68 mil­lions alors qu’au mois de jan­vier seuls 400000 postes de tra­vail étaient dis­po­nibles. La ministre par­lait des per­sonnes ne tra­vaillant pas car tou­chant des allo­ca­tions d’invalidité. Si on les ajoute au nombre de per­sonnes sans tra­vail, le chiffre de 2,68 mil­lions devrait être revu à la hausse…

Place au capitalisme pour tous

Si les pauvres sont tou­chés de plein fouet par les déci­sions du gou­ver­ne­ment bri­tan­nique, David Came­ron a néan­moins annon­cé son désir de voir le sys­tème capi­ta­liste évo­luer vers un « capi­ta­lisme res­pon­sable » qui ne sera pas réel­le­ment un « capi­ta­lisme popu­laire tant qu’il ne per­met pas à cha­cun d’y par­ti­ci­per et d’en reti­rer un béné­fice ». Il pro­pose donc de réfor­mer la loi pour per­mettre une meilleure régu­la­tion des sys­tèmes de paie­ments et de bonus en accor­dant plus de droits aux action­naires. Bonus qui seraient par ailleurs de toute façon limi­tés à 2.000 livres ster­ling (2.386 euros). Sauf qu’il s’agit là des bonus payés en cash. Or, la majo­ri­té des bonus des grands ban­quiers ne sont jus­te­ment pas payés sous cette forme… Mon­tant maxi­mum à 26.000 livres ster­ling (31.000 euros) d’un côté, régu­la­tion interne de l’autre. On peut dif­fi­ci­le­ment ne pas y voir un sys­tème qui applique deux poids deux mesures…

David D'Hondt


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