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Fukushima : j’aurais dû…
Quand, dans les années septante et quatre-vingt, nous étions quelques-uns à battre la campagne et la vallée pour nous opposer à tous crins au développement du nucléaire de puissance dans nos régions, nous ouvrions des discussions palpitantes et passionnées, au risque d’utiliser des arguments forts. « Trop forts, donc insignifiants », disaient nos adversaires, les défenseurs de l’industrie du […]

Quand, dans les années septante et quatre-vingt, nous étions quelques-uns à battre la campagne et la vallée pour nous opposer à tous crins au développement du nucléaire de puissance dans nos régions, nous ouvrions des discussions palpitantes et passionnées, au risque d’utiliser des arguments forts. « Trop forts, donc insignifiants », disaient nos adversaires, les défenseurs de l’industrie du secteur.
Au moins avions-nous, à l’époque, non pas semé le trouble chez les autorités scientifiques, politiques et industrielles, mais poussé chacun dans des retranchements inattendus. Des responsables de l’industrie m’ont rappelé, des décennies plus tard, que si la contestation les avait embêtés, elle les avait appelés à de singuliers devoirs de prévoyance et de vigilance.
Il était un argument que j’hésitais beaucoup à utiliser, c’était le catastrophisme, le risque majeur, les milliers de morts potentiels, la fusion d’un cœur de réacteur. Et pourtant, en nucléaire civil, le « majeur » s’est déjà produit trois fois, aux États-Unis (Pennsylvanie), en ex-URSS (Ukraine) et au Japon (Fukushima). C’est beaucoup pour une occurrence à la probabilité infinitésimale. Par rapport à Three Miles Island, « notre nucléaire » a affiché sa gestion « régulée », mieux contrôlée que ne l’était l’économie de marché américaine. Par rapport à Tchernobyl, « notre nucléaire » a affiché son sens de la gestion devant un régime soviétique complètement irresponsable. Par rapport à Fukushima, « notre nucléaire » indique que l’Europe ne connait ni les tremblements de terre ni les tsunamis.
Rares sont les marques de respect pour les victimes, toute discussion se précipitant quasi automatiquement vers l’avenir de notre industrie et de notre confort. Comme si l’essentiel était là !
Le Japon est un pays régulé, responsable, civique et prévoyant. Au-delà de l’entendement pour nos esprits occidentaux. Et pourtant ! Pourtant, les observations faites il y a deux ans à l’exploitant Tepco n’ont pas été suivies d’effet. Pourtant, la résistance au tremblement de terre n’a pas été étudiée en parallèle avec la résistance au tsunami. Pourtant, aux yeux de toute la communauté internationale de promotion du nucléaire (l’Agence internationale de l’énergie atomique, AIEA), tout le nucléaire japonais était acceptable.
Alors, devant le désastre, faut-il rappeler les combats passés ? Nous y avons été ridiculisés, bannis, taxés de rétrogrades, voire de dangereux prophètes de malheur. Comment se présenter aujourd’hui ?
D’abord présenter un regret, celui de ne pas avoir poursuivi inlassablement l’attitude de vigilance. Usés devant une telle puissance de décision économique et politique, nous avons laissé le nucléaire prendre deux tiers de la place électrique. Les consommations ont continué d’augmenter, naturalisant par là un gigantesque parc de centrales. Le nucléaire est même entré dans le débat carbone, présenté comme le meilleur moyen de ne pas toucher trop le climat avec les émissions de CO². L’indécence a rejoint le cynisme.
Ensuite reprendre le collier pour faire avancer deux politiques : consommer moins et produire autrement.
Interdire toute exportation de technologie atomique, sauf pour coopérer au démantèlement.
Mais encore imposer au secteur de mettre tout son argent d’aujourd’hui et de demain (ses profits, ses réserves et ses provisions), à peine de confiscation, dans une politique de résorption des dégâts passés, présents et potentiels, de démantèlement et de neutralisation (improbable) des déchets.
Le problème majeur réside dans la mécanique des profits confisqués (la rente) qui pousse les entreprises électriques majeures et les équipementiers nucléaires à poursuivre sur la même voie, à imposer leurs solutions, là où le pouvoir politique a capitulé. Il est déterminant, cet aspect économique, devant lequel les aspects humanitaires sont priés de s’effacer. Il est pathétique, cet aspect politique, quand il offre un discours qui n’est qu’une pâle copie de la rhétorique du progrès par l’atome.
Nous avons perdu, nous les antinucléaires d’hier. Nous sommes balayés, nous les vigiles réveillés par le désastre. Les morts, les sacrifiés, les cancéreux en puissance, les malformés de demain, les désespérés de Fukushima se moquent de nos états d’âme. À nous de les prendre en compte dans notre résolution à être simplement humains dans l’analyse des grands enjeux, à changer l’énergie pour améliorer le monde.