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France. PS : la révolution néolibérale conservatrice et le “scénario italien”
Lorsqu’il était Premier ministre dans les années 1997 – 2002, Lionel Jospin se présentait comme l’anti-Blair. Les socialistes français cultivaient, de manière ostentatoire, leur opposition au New Labour et à la troisième voie alors en vogue au sein de la social-démocratie européenne. Le blairisme — une guerre d’Irak et des résultats sociaux et économiques décevants plus tard — est passé de mode. […]
Lorsqu’il était Premier ministre dans les années 1997 – 2002, Lionel Jospin se présentait comme l’anti-Blair. Les socialistes français cultivaient, de manière ostentatoire, leur opposition au New Labour et à la troisième voie alors en vogue au sein de la social-démocratie européenne. Le blairisme — une guerre d’Irak et des résultats sociaux et économiques décevants plus tard — est passé de mode. Ed Miliband a conquis le Parti travailliste en 2010 car il avait promis de rompre avec le New Labour et son « thatchérisme à visage humain ». Les socialistes français sont décidément en retard d’une guerre. Alors que les partis sociaux-démocrates en Europe tentent — tant bien que mal — de redéfinir une voie qui ne soit pas qu’une vague atténuation sociale du capitalisme financier, le PS se convertit aux réformes les plus brutales de la troisième voie. La « politique de l’offre » poursuivie par François Hollande et Manuel Valls, n’est ni de « gauche » ni même « social-démocrate » : c’est un « néolibéralisme conservateur1 ».
Du côté économique et social, il s’agit d’une panoplie de mesures structurelles, dont dernièrement le projet de loi Macron. Sous couvert de réduction des déficits publics, cette politique entend mettre la France aux normes européennes de l’«État minimal ». Côté politique, on observe un repli sur un républicanisme identitaire et disciplinaire semblable à celui de la IIIe République. Des politiques sécuritaires — dont la récente loi sur le renseignement — stigmatisent des ennemis intérieurs réels ou imaginaires. Cette politique « austéritaire » a déjà provoqué des dégâts considérables : débâcles électorales du PS à toutes les élections depuis 2012 ; discrédit de la gauche en général qui a permis la radicalisation d’un UMP revanchard et montée inexorable du Front national. Autre dommage collatéral : l’esprit civique français. Dans un contexte social tendu, la recherche de bouc émissaire est patente. Un racisme diffus, mais « acceptable », a pénétré la classe politique et les médias dominants. En 2014, le roman Soumission, de Michel Houellebecq, et l’essai Le suicide français, d’Éric Zemmour, ont été classés parmi les meilleures ventes de livres. Ces deux ouvrages étalent sans fard leur haine des musulmans et de l’islam. L’islamophobie atteint aujourd’hui des sommets jamais égalés auparavant dans la société française.
C’est dans ce contexte en tout point déprimant et inquiétant que le PS, en chute libre sur le plan électoral et militant, va tenir son congrès à Reims du 5 au 7 juin. Une fois la révolution néolibérale conservatrice du PS achevée ; quand le PS aura perdu ses positions de pouvoir à tous les niveaux, que restera-t-il du PS ? Que sera-t-il encore en mesure de faire ?
Une social-démocratie introuvable
Le PS a toujours été un parti à part dans la galaxie de la gauche réformiste européenne. Sans attache dynamique avec le monde syndical et du travail, c’est avant tout un parti républicain de gauche (ou radical-socialiste), étranger à l’organisation et à la culture sociale-démocrate. Formation dirigée par les élites bourgeoises de la république, il est capable du meilleur (le Programme commun des années 1972 – 1978, certes par trop productiviste) comme du pire (la plupart du temps, surtout quand il gouverne). À quelques rares exceptions près, ce parti n’a jamais été matérialiste (marxiste) ou (politiquement) libéral (promoteur de thématiques prônant l’autonomie individuelle). C’est un parti imprégné des valeurs abstraites d’un républicanisme bourgeois et césariste : celui de la IIIe République et de ses succédanés, notamment le régime monarcho-bonapartiste de la Ve République.
Depuis la fin des années 1980, les dirigeants socialistes se sont progressivement ralliés à une interprétation dévoyée de la loi de 1905, le texte posant le principe de la laïcité. Reniant l’esprit libéral de cette loi, selon la conception défendue par Aristide Briand et Jean Jaurès, ils en ont privilégié une lecture identitaire. En vertu de celle-ci, l’État « laïque » édicte des normes de plus en plus contraignantes qui exigent aux citoyens de défendre des « valeurs » ou de se conformer à un type de conduite particulier. Cette démarche a abouti au vote de la loi de 2004 bannissant le port des signes religieux dans les écoles publiques (en réalité, c’était le hijab qui était visé). Soutenu par le PS, cet acte législatif est contraire à la laïcité car il discrimine notoirement une catégorie de citoyens et impose un « devoir de neutralité » aux usagers d’un service public. La loi de 1905 n’exige celui-ci que du personnel de l’État.
Les dirigeants socialistes ont trouvé dans ce « combat » le moyen de faire oublier leurs renoncements sociaux et économiques des années 1980 et 1990. En 1981, le PS proposait de « changer la vie ». Puis, il y eut le « tournant de la rigueur » en 1982, le ralliement de François Mitterrand à l’Europe des marchés et de la finance contre celle des peuples (qu’il érigea activement avec l’Acte unique européen et le traité de Maastricht) et la marche (progressive mais inexorable) vers le régime néolibéral-conservateur qui est le cours actuel de l’exécutif Hollande-Valls.
Ce sont donc autant l’adieu de Jean-Pierre Chevènement au socialisme et l’adoption d’une ligne nationale-républicaine, que l’affairisme sans scrupule du mitterrandisme qui sont responsables de l’épuisement total du mouvement socialiste en France. La mue blairiste différée des socialistes français s’explique par le retrait politique des derniers marxistes de la génération d’Épinay (Lionel Jospin), par l’affaiblissement de l’aile gauche à la suite du départ de Jean-Luc Mélenchon en 1999 et par le renouvèlement des cadres et des militants, étrangers à la culture de gauche unitaire des générations précédentes. Le PS est en outre devenu un parti d’élus, d’assistants parlementaires et de conseillers politiques ; une situation peu compatible avec le militantisme et le radicalisme politique.
Contrairement à ce que disent les médias dominants, il n’y a pas une once de social-démocratie dans la politique de ce gouvernement « socialiste ». Ce n’est pas non plus un « social-libéralisme », car on peine à y trouver toute trace de « social ». Le social-libéralisme fut un courant politique britannique au XIXe siècle, préconisant la mise en place d’un État social. John Maynard Keynes, le père du Welfare State britannique, est issu de cette tradition qui est, évidemment, largement à gauche du PS français.
J’ai pris soin de parler des « élites bourgeoises » qui dirigent le PS, les Hollande, Valls, Macron, Sapin, Le Guen, Fabius, Rebsamen, Cambadélis, etc. (hier Strauss-Kahn, Cahuzac, etc.). Mais il demeure des militants de base et des élus qui sont d’authentiques socialistes ou sociaux-démocrates ; il y a encore dans ce parti des syndicalistes qui déplorent cette marche forcée vers une situation à l’italienne. Après moult transformations, l’ex-Parti communiste italien (PCI) avait rompu, au début des années 2000, avec le combat de classe pour devenir un parti « démocrate » centriste, allié des démocrates-chrétiens et des libéraux. C’est l’ambition reconnue de Manuel Valls.
L’électorat socialiste — dont le cœur est constitué des classes moyennes salariées et d’une portion décroissante d’un prolétariat fragmenté — a bien conscience d’effectuer un vote de gauche, de classe, quand il dépose son bulletin PS dans l’urne. D’où la divergence d’intérêt et d’objectif fondamental entre cet électorat et les élites néolibérales du parti. Cette contradiction d’intérêt irréconciliable pourrait, à terme, provoquer l’implosion du PS. Contrairement à ce que ressassent certains gauchistes, le PS n’est pas un parti de droite. Le PS demeure un parti de classe, de gauche, car la majorité du salariat populaire continue de voter pour lui. Sa base militante est mixte — certes de plus en plus dominée par les professions libérales et les catégories diplômées, et sa direction est, en effet, objectivement acquise aux idées et aux politiques du néolibéralisme. Par conséquent, quand un dirigeant du Front de gauche déclare que le PS est un « parti de droite », il offense et détourne de lui les millions d’électeurs qui ont voté pour ce parti en ayant conscience de faire un vote de gauche.
Le PS peut mourir
J’écris ce texte quelques jours avant la tenue du congrès socialiste qui aura lieu à Poitiers du 5 au 7 mai. Quatre motions sont en lice pour la direction du parti. La motion A, présentée par Jean-Christophe Cambadélis, le Premier secrétaire sortant (non élu), a vocation à demeurer majoritaire. Elle regroupe tous les ministres du gouvernement (dont Manuel Valls) et a reçu le renfort de Martine Aubry, pourtant très critique de la politique du gouvernement. Présentée comme l’aile sociale-démocrate de la majorité, la maire de Lille a profondément déçu celles et ceux qui comptaient sur elle pour proposer une alternative à la politique droitière de Hollande-Valls. On la dit fatiguée des jeux d’appareil, désintéressée par le pouvoir et, aussi, doutant de sa propre victoire dans le parti. Ceci expliquerait ce ralliement aussi étonnant que tardif. Le texte de la motion A est surréaliste : de facture sociale-démocrate classique (il fallait tout de même cela pour accueillir Martine Aubry!), il prend à contrepied la politique néolibérale conservatrice du gouvernement… qu’il soutient pourtant ! Le PS, de nos jours, c’est cela : des motions de congrès creuses et attrape-tout avec un minimum de références « de gauche » pour attirer ce qu’il faut de voix militantes, et un soutien sans faille aux politiques d’un gouvernement qui vont dans une direction diamétralement opposée.
La décision de Martine Aubry a coupé l’herbe sous le pied à la motion B, regroupant les segments épars de l’aile gauche du parti. On y retrouve pêlemêle, Christian Paul (un aubryste!), des ex-ministres du gouvernement Valls, Aurélie Filippetti et Benoît Hamon ou encore des figures plus traditionnelles de la gauche socialiste telles la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann et l’ex-inspecteur du travail Gérard Filoche. C’est au sein de cette motion B qu’est regroupée la nébuleuse des « frondeurs» ; un groupe de députés qui a voté contre ou s’est abstenu au Parlement sur des textes de loi proposés par le gouvernement. Deux autres motions, plus centristes, viennent compléter le tableau.
La gauche socialiste peut-elle remporter le congrès et renverser in extrémis la vapeur ? Les socialistes pour la plupart authentiques de la motion B veulent y croire. Mais en fait personne n’y croit en dehors de ce groupe. La victoire attendue de la motion A aura pour conséquence de donner carte blanche à Hollande, Valls et Emmanuel Macron (le très néolibéral ministre des Finances) pour maintenir le cap à droite. Que se passera-t-il alors ? D’une part, les mêmes politiques d’austérité qui ont échoué à réduire les déficits, relancer la croissance et réduire le chômage seront poursuivies. D’autre part, la victoire de la motion A sera synonyme de nouvelles débâcles électorales (régionales en 2015, puis présidentielle et législatives en 2017). De ce champ de ruines, le PS pourra-t-il se relever ? Rien n’est moins sûr. Mais est-ce, après tout, ce que souhaitent Hollande et Valls ?
Le lendemain de la déroute des élections départementales, le 30 mars 2015, le quotidien Libération titrait en première page : « Manuel Valls est battu, mais content. » Content, Manuel Valls pouvait l’être car sa stratégie est jusqu’à présent couronnée de succès. L’affaiblissement de la gauche le rapproche du champ de ruines qu’il recherche pour pouvoir justifier son « scénario italien » : la constitution d’un Parti démocrate à l’italienne (fin du PS, création d’un parti centriste à la place et alliance avec le centre droit). En 2017, François Hollande misera tout sur un deuxième tour entre Marine Le Pen et lui-même. Au rythme où vont les choses, nous aurons assurément un deuxième tour entre Le Pen et un candidat UMP. Si Hollande n’est pas réélu en 2017, Valls espère alors récupérer le PS et mettre en œuvre le « scénario italien ». Nous n’en sommes pas encore là, mais après la révolution néolibérale conservatrice, exclure cette hypothèse serait faire preuve de peu de lucidité.
- Pour une argumentation détaillée de ce point, voir l’ouvrage que j’ai co-rédigé avec Liêm Hoang-Ngoc : La gauche ne doit pas mourir ! Le manifeste des socialistes affligés, Les Éditions qui libèrent, 2014.