Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

France. La tentation bipolaire d’un pouvoir minoritaire

Numéro 12 Décembre 2009 par Erwan Lecoeur

décembre 2009

Pre­mier par­ti de France, l’UMP ne ral­lie qu’un tiers des voix dans les inten­tions de vote. Iso­lé mais domi­nant, le par­ti pré­si­den­tiel est deve­nu mino­ri­taire. En mars pro­chain, l’opposition devrait rem­por­ter la qua­­si-tota­­li­­té des Régions, comme ce fut le cas en 2004. Car si le PS n’est pas en grande forme, si la gauche radicale […]

Pre­mier par­ti de France, l’UMP ne ral­lie qu’un tiers des voix dans les inten­tions de vote. Iso­lé mais domi­nant, le par­ti pré­si­den­tiel est deve­nu mino­ri­taire. En mars pro­chain, l’opposition devrait rem­por­ter la qua­si-tota­li­té des Régions, comme ce fut le cas en 2004. Car si le PS n’est pas en grande forme, si la gauche radi­cale ne par­vient pas à s’unir, si le Modem n’a pas vrai­ment convain­cu, les éco­lo­gistes ont le vent en poupe depuis les euro­péennes ; et ces chal­len­gers pèse­ront lourd dans les alliances pour les régio­nales. Au grand dam des par­ti­sans d’un sys­tème bipo­laire, dans lequel l’UMP pour­rait incar­ner le par­ti domi­nant et le PS l’unique opposition.

Les élec­tions euro­péennes de juin der­nier ont paru don­ner deux ensei­gne­ments prin­ci­paux sur l’état poli­tique du pays : l’abstention a encore pro­gres­sé, pour dépas­ser les 60%; et la droite (ras­sem­blée autour de l’UMP) est arri­vée en tête, mais mino­ri­taire. La conclu­sion qui s’imposait, au soir du 7 juin, c’est que le PS était en mau­vais état, talon­né par Europe éco­lo­gie, et qu’un scru­tin à un seul tour per­met de tirer d’une majo­ri­té rela­tive un suc­cès média­tique pour le par­ti présidentiel.

Un peu comme au tier­cé, si l’on regarde l’ordre dans lequel les concur­rents ont fini la course : l’UMP en tête (27,8%), et loin der­rière le PS (16,4%), Europe éco­lo­gie (16,2%), le Modem (8,4%), FN (6,3%), Front de gauche (6%), NPA (5%), Liber­tas (4,6%) l’Alliance éco­lo­giste indé­pen­dante (3,5%)… À pre­mière vue, le constat est simple : le par­ti pré­si­den­tiel tient la corde, face à un Par­ti socia­liste en mau­vaise pos­ture. Com­ment l’UMP pour­rait-elle craindre de perdre les pro­chaines régio­nales, si ce n’était qu’il s’agit d’élections pro­por­tion­nelles, à deux tours ?

Une autre lec­ture, à plus longue vue, montre une autre confi­gu­ra­tion du champ poli­tique fran­çais et la fai­blesse des posi­tions appa­rem­ment domi­nantes du PS comme de l’UMP. Après une longue période pen­dant laquelle le Front natio­nal avait consti­tué la troi­sième force poli­tique du pays (de 1984 à 2002), on voit appa­raître ces der­nières années une nou­velle confi­gu­ra­tion de la poli­tique hexa­go­nale. À côté des deux grands par­tis, cha­cun ayant réus­si à conte­nir les extrêmes qui les gênaient pour accé­der au pou­voir, de nou­veaux chal­len­gers appa­raissent, cen­tristes, puis éco­lo­gistes, qui mettent à mal une ten­ta­tive de bipo­la­ri­sa­tion qui aurait per­mis au PS comme à l’UMP de s’imposer comme les seuls à pou­voir rem­por­ter les élections.

De nouveaux challengers du PS et de l’UMP

La média­ti­sa­tion de la confron­ta­tion pré­si­den­tielle entre les deux prin­ci­paux can­di­dats a occul­té la fra­gi­li­té réelle de leurs par­tis res­pec­tifs, qui ne peuvent espé­rer gagner de scru­tin à eux seuls. Et la vic­toire écra­sante de Nico­las Sar­ko­zy au second tour en 2007, sui­vie de celle des dépu­tés UMP aux légis­la­tives n’a duré qu’un temps, assez limi­té. Depuis la fin 2007, la cote de popu­la­ri­té du pré­sident a plon­gé sous les 40% et l’opposition ras­semble de plus en plus net­te­ment tout ce qui n’est ni UMP ni FN. Ain­si, aux euro­péennes, l’addition des voix pour le PS, les éco­lo­gistes, la gauche (NP et FG) donne la mesure : près de 45% des voix expri­mées, contre 27,5% pour l’UMP.

Mais l’autre don­née de ces der­nières années, c’est que le pari de la bipo­la­ri­sa­tion s’est heur­té à l’émergence de nou­veaux chal­len­gers, au cœur du jeu : le Modem, puis les éco­lo­gistes. On est pas­sé d’un jeu à trois, avec le FN en chal­len­ger déran­geant à un échi­quier sur lequel les deux grands par­tis tentent de reprendre tout l’espace, mais se font damer le pion par de nouveaux
venus.

Depuis le début des années quatre-vingt, le PS était deve­nu la prin­ci­pale force de gou­ver­ne­ment à gauche, et l’extrême droite en pro­gres­sion a gêné la droite, l’empêchant par­fois de conso­li­der une majo­ri­té. Ce jeu à trois, agré­men­té de quelques sou­bre­sauts s’est ter­mi­né, d’une cer­taine façon, au soir du 21 avril 2002, avec l’accession de Le Pen au second tour de la pré­si­den­tielle. En réac­tion, de nom­breux élec­teurs désaf­fi­liés ou abs­ten­tion­nistes ont repris le che­min des urnes et remis la gauche et la droite en selle, sans pour autant don­ner à l’un des deux tous les pouvoirs.

L’UMP comme le PS ont ain­si béné­fi­cié à tour de rôle de cette logique de modé­ra­tion des élec­teurs qui ont délais­sé les extrêmes. Mais ils n’ont pu échap­per à une nou­velle forme de sanc­tion du « vote mutin », balan­çant d’un côté à l’autre, comme pour faire tan­guer le navire, à chaque élec­tion. Une séquence nou­velle s’est ouverte, qui a vu les majo­ri­tés bous­cu­lées et les élec­teurs pas­ser de gauche à droite à chaque scru­tin… En 2002, Jacques Chi­rac est élu ; en 2004, la gauche rem­porte vingt régions sur vingt-deux ; en 2005, le non l’emporte au réfé­ren­dum sur le Trai­té consti­tu­tion­nel euro­péen (TCE); en 2007, Nico­las Sar­ko­zy rem­porte la pré­si­den­tielle et l’UMP les légis­la­tives ; en 2008, les muni­ci­pales pro­fitent à la gauche ; en 2009, l’UMP passe en tête et le PS est rejoint par les écologistes…

Le FN décli­nant après avoir fait peur en 2002, l’extrême gauche ne par­ve­nant pas à appa­raître comme une alter­na­tive ras­sem­blée, les deux prin­ci­paux par­tis pou­vaient espé­rer reprendre en main l’ensemble du champ poli­tique, dans une bipo­la­ri­sa­tion à l’américaine. Mais cette ten­ta­tive s’est heur­tée à deux ten­dances lourdes : l’insatisfaction à l’égard des deux par­tis de gou­ver­ne­ment et l’émergence de nou­veaux concur­rents au centre du jeu poli­tique. Lors des der­niers scru­tins, une troi­sième force est à chaque fois venue jouer les tru­blions dans cet ordon­nan­ce­ment : le Modem de Fran­çois Bay­rou en 2007, puis Europe éco­lo­gie en 2009.

Une opposition plus écologiste

L’écart se creuse, au fil des mois, entre la ten­dance à la baisse du par­ti pré­si­den­tiel et la sta­bi­li­té (ou la hausse) de ses concur­rents. À tel point que les pro­chaines élec­tions régio­nales, qui se tien­dront en mars 2010, ne semblent devoir poser qu’une ques­tion : com­bien de Régions la gauche et ses alliés pour­raient-ils perdre, sur les vingt rem­por­tés dans un élan inédit en 2004 ? Réponse : aucune, à en croire les récents son­dages. Et même, l’UMP pour­rait voir bas­cu­ler ses deux der­niers bas­tions (l’Alsace et la Corse).

Le tableau com­pa­ra­tif des diverses forces poli­tiques sur les der­nières années revient à un jeu de vases com­mu­ni­cants : les voix qui manquent au PS de 2004 (aujourd’hui à 20%) et au Modem de 2007 (pas­sé de 18% à 8%), ce sont en par­tie les éco­lo­gistes qui les ont récu­pé­rées. Cré­di­tés par toutes les enquêtes d’une sta­bi­li­sa­tion autour de 15% des voix, ils s’installent dans leur nou­veau rôle de deuxième force de la gauche, et même la pre­mière dans plu­sieurs Régions impor­tantes (dont l’Île-de-France et Rhônes-Alpes).

Les Verts, depuis qu’ils sont deve­nus Europe éco­lo­gie, n’ont plus rien à voir avec ce qu’ils étaient voi­ci deux ans ; eux qui n’avaient pré­sen­té que très peu de listes auto­nomes aux régio­nales de 2004, qui avaient plon­gé à la pré­si­den­tielle (1,5% pour Domi­nique Voy­net, et 1,3% pour José Bové), ont créé la sur­prise aux euro­péennes en juin der­nier : 16,4%, talon­nant le PS (16,6%) et dépas­sant lar­ge­ment le Modem de Fran­çois Bay­rou (8%).

L’aventure d’Europe éco­lo­gie a ras­sem­blé autour de Daniel Cohn-Ben­dit et de plu­sieurs diri­geants Verts d’anciens proches de Nico­las Hulot, la juge Eva Joly, José Bové, mais aus­si d’anciens diri­geants d’ONG (Green­peace, France nature envi­ron­ne­ment…). En don­nant un ton enthou­siaste et direct à leur cam­pagne, les éco­lo­gistes ont réus­si à appa­raître comme une nou­veau­té dans le marasme ambiant, en échap­pant à la fois aux pièges de l’antisarkozisme (pos­ture de Bay­rou) et des débats uni­que­ment fran­co-fran­çais, mais aus­si en évi­tant d’utiliser un ton catas­tro­phiste sans issue ou solution.

Guet­tés depuis l’été par tous les médias et obser­va­teurs, ils ont su négo­cier la suite avec brio. Depuis juin, la dyna­mique n’a pas ces­sé. Et pen­dant que le PS voit ses barons se cha­mailler en vue de 2012, les éco­lo­gistes ont pour­sui­vi leur ras­sem­ble­ment tous azi­muts, accueillant de nou­veaux trans­fuges (issus du PS, du PCF ou du Modem) et d’anciens diri­geants asso­cia­tifs pour four­bir les listes et le pro­gramme en vue des régio­nales. Car, forts de leur suc­cès, ils ont déci­dé cette fois de se pré­sen­ter seuls devant les élec­teurs au pre­mier tour, espé­rant même dépas­ser le PS dans plu­sieurs Régions.

Emblé­ma­tique de cette dyna­mique et deve­nue en quelques mois un per­son­nage média­tique de pre­mier plan, la secré­taire natio­nale des Verts, Cécile Duflot, peut espé­rer rem­por­ter la Région Île-de-France, en s’alliant avec des socia­listes deve­nus des alliés minoritaires.

Ceux qui, à droite, auraient espé­ré voir le PS affai­bli par la mon­tée du concur­rent éco­lo­giste en seraient alors pour leurs frais : menées par des éco­lo­gistes, ou par des socia­listes, ces alliances gagnantes conser­ve­raient les Régions hors de por­tée du par­ti pré­si­den­tiel. Et même plus, car les éco­lo­gistes — en atti­rant de nou­veaux élec­teurs, mais aus­si des trans­fuges de plu­sieurs par­tis et des nou­veaux venus issus de la socié­té civile — pour­raient faire remon­ter le camp de l’opposition bien au-delà des sphères d’influence habi­tuelles des par­tis traditionnels.

L’UMP : Union minoritaire présidentielle

La stra­té­gie d’union de la droite au sein de l’UMP et der­rière son lea­der a per­mis à Nico­las Sar­ko­zy d’arriver en tête à la pré­si­den­tielle de 2007, d’emporter une large majo­ri­té de gou­ver­ne­ment (légis­la­tives) et même de pas­ser devant un PS essouf­flé aux euro­péennes de 2009.

La lente décrue du FN (tom­bé autour de 8% dans les son­dages, mais en légère hausse depuis la fin 2009), a enle­vé une par­tie du pro­blème de l’UMP, qui fait tout pour res­ter le grand par­ti attrape-tout, en absor­bant ce qui reste de l’ex-UDF non ral­liée à Bay­rou (Nou­veau Centre), mais aus­si en annexant les petits par­tis et les éven­tuels concur­rents, tel Phi­lippe de Vil­liers, ou les chas­seurs du CPNT. Un seul impé­ra­tif semble gui­der la stra­té­gie : unir der­rière le pré­sident et pas­ser en tête au pre­mier tour, pour espé­rer rega­gner quelques Régions en mars pro­chain. Mais ce cal­cul ne fonc­tionne que lors des scru­tins majo­ri­taires, dans un face-à-face avec le PS. Et l’union à tout prix peut deve­nir un han­di­cap lorsque des scru­tins pro­por­tion­nels et à deux tours se pro­filent. Pour les régio­nales, face à des alliances de second tour entre les diverses com­po­santes de l’opposition, l’UMP et ses petits groupes de ral­liés ne feront pas le poids.

D’autant qu’un nou­veau spectre hante les rangs de la majo­ri­té pré­si­den­tielle : un retour du FN et des tri­an­gu­laires… Unie, mais affai­blie, la majo­ri­té pré­si­den­tielle deve­nue mino­ri­taire doit aus­si prendre en compte une autre incon­nue pour les régio­nales : le score que fera le FN dans quelques Régions dans les­quelles l’UMP aurait une chance de ras­sem­bler une majo­ri­té au second tour. En effet, s’il venait à dépas­ser les 10% des voix dans cer­taines Régions, le par­ti d’extrême droite pour­rait se main­te­nir au second tour et faire perdre la droite — comme cela fut le cas en 2004. Par contre, s’il passe sous la barre des 10%, l’UMP peut espé­rer atti­rer une par­tie de cet élec­to­rat au second tour et empor­ter quelques régions (Centre, Cham­pagne-Ardennes, Pro­vence-Alpes-Côte d’Azur…). L’OPA sar­ko­ziste sur une par­tie de l’électorat fron­tiste en 2007 tien­dra-t-il jusque-là ? Aux der­niers poin­tages, une par­tie de l’électorat pas­sé du FN à l’UMP en 2007 semble reprendre le che­min du vote pro­tes­ta­taire ces der­niers mois.

On com­prend mieux, alors, pour­quoi il a paru si urgent au gou­ver­ne­ment de lan­cer un grand débat sur l’«identité natio­nale », dont les conclu­sions devraient être pré­sen­tées par le ministre de l’Immigration et de l’Identité natio­nale (ex-socia­liste) Éric Bes­son, à la mi-février ; soit quelques semaines avant le pre­mier tour. Par­ler d’identité « natio­nale », c’est don­ner des gages à cette frange de l’électorat et espé­rer qu’il sau­ra faire le choix de sou­te­nir le camp pré­si­den­tiel contre les sirènes lepé­nistes. Mais, à l’heure où le débat prend un tour euro­péen, rebon­dis­sant sur le refus des mina­rets (en Suisse) et l’idée d’une loi contre le voile inté­gral (en France), le pari pour­rait se retour­ner contre ses auteurs. En remet­tant plu­sieurs thèmes favo­rables au FN (dont l’amalgame entre sécu­ri­té et immi­gra­tion) sur le devant de la scène pour ten­ter de ras­su­rer une par­tie de son élec­to­rat, le gou­ver­ne­ment réveille de vieux démons qu’il ne pour­ra peut-être pas contrôler.

Les Régions pour l’opposition

L’UMP per­dante aux régio­nales ne chan­ge­rait pas grand-chose à l’équilibre des pou­voirs dans le pays. La gauche détient déjà la plu­part des Régions et une majo­ri­té des dépar­te­ments, ou des grandes villes… Mais c’est aus­si que, bien que majo­ri­taire, du côté de l’opposition, tout n’est pas rose non plus. Cela fait des années que le constat reste inchan­gé : une gauche radi­cale divi­sée, un PS sans élan ni lea­der­ship… En 2009, on a vu com­bien le Modem lui-même ne rem­plit pas ses pro­messes de 2007.

Dans les esprits, il n’y a donc que les éco­lo­gistes qui pro­gressent et semblent pou­voir bous­cu­ler le jeu, depuis les euro­péennes et à l’approche des régio­nales. D’autant qu’ils consti­tuent aus­si un axe nou­veau et moins mar­qué par les anciens cli­vages, qui per­mettent d’envisager des alliances très larges, puisqu’ils sont déjà capables d’attirer des élec­teurs venus d’horizons divers, de la gauche radi­cale, comme du centre, de Besan­ce­not jusqu’à Bayrou.

Quant à l’éventualité d’une extrême gauche capable d’affaiblir le PS en refu­sant toute alliance, elle semble avoir fait long feu, pour le moment. Le fac­teur Besan­ce­not ne décolle pas vrai­ment et l’ex-LCR deve­nue NPA (Nou­veau par­ti anti­ca­pi­ta­liste) est tra­ver­sée de ten­dances contra­dic­toires sur l’opportunité de ras­sem­bler un large front à « gauche de la gauche ». Alors que de nom­breux obser­va­teurs lui pré­di­saient une pous­sée à la suite de la crise finan­cière, le NPA s’est même vu dépas­ser par le Front de gauche — consti­tué pour les euro­péennes par le PCF et le PG de Jean-Luc Mélen­chon, ancien cacique du PS — et les deux forces semblent stag­ner — autour de 6 à 7% cha­cune — dans les inten­tions de vote.

Mal­gré ces dif­fi­cul­tés, rap­por­té aux chiffres récents, le rap­port de force est clai­re­ment en faveur de l’opposition, puisque l’UMP pla­fonne autour de 30% d’intentions de vote et qu’elle ne pour­ra comp­ter que sur peu de reports de second tour. À l’échelle natio­nale, l’ensemble de la gauche, alliée aux éco­lo­gistes, dépasse les 45%. Si l’on y ajoute une par­tie du Modem, cet « arc-en-ciel » pour­rait ain­si rem­por­ter l’ensemble des vingt-deux Régions fran­çaises lors du second tour, le 21 mars pro­chain. Un prin­temps en forme de « grand che­lem » qui hante les diri­geants de l’UMP. Parce qu’après une vic­toire d’une telle ampleur, une nou­velle confi­gu­ra­tion et un nou­vel état d’esprit se met­traient en place dans le pays et au sein de l’opposition, à l’orée de la pro­chaine grande confron­ta­tion à la fran­çaise, vers laquelle bien des yeux sont déjà tour­nés : la pré­si­den­tielle de 2012.

Bipolarisation présidentielle annoncée

La pré­si­den­tielle reste dans tous les esprits, comme la seule véri­table élec­tion qui vaut, fait et défait les majo­ri­tés, der­rière un lea­der. On n’en sort jamais : l’ensemble de la vie poli­tique fran­çaise finit tou­jours par être éva­luée à l’aune de ce ren­dez-vous quin­quen­nal. Et à l’UMP comme au PS, ou au Modem, nul ne cache que les régio­nales ne sont qu’un moment, presque sans lien avec ce qui se pas­se­ra ensuite, pour pré­pa­rer 2012.

Côté pos­tu­lants, à plus de deux ans de l’échéance, cha­cun four­bit déjà ses réseaux et sa légi­ti­mi­té. Fran­çois Bay­rou ne semble exis­ter que pour cette échéance, convain­cu qu’il pour­ra faire mieux que ses 18% de 2007 et créer la sur­prise. À droite, nul ne doute que Nico­las Sar­ko­zy vou­dra se suc­cé­der ; et, à part quelques vel­léi­tés de venir trou­bler le jeu au pre­mier tour (dont celle de son enne­mi intime, Domi­nique de Vil­le­pin) per­sonne ne semble pou­voir lui dis­pu­ter la place. En face, les pos­tu­lants au sein du PS sont à la fois nom­breux et jugés peu concluants, pour le moment. Face à l’afflux de voca­tions — la plu­part contre l’hypothèse d’un retour de Ségo­lène Royal —, l’idée d’une pri­maire à gauche a fait son che­min. Elle pour­rait être orga­ni­sée en 2011, mais des ques­tions res­tent en sus­pens : qui vote­ra à cette consul­ta­tion ? com­bien de can­di­dats ? Et quid de ceux qui refu­se­raient d’y par­ti­ci­per ? Et sur­tout, que feront les éco­lo­gistes, qui béné­fi­cient d’une aura nou­velle et ne semblent pas prêts à par­ti­ci­per une fois de plus à un jeu de dupes avec le grand frère socialiste ?

La machine pré­si­den­tielle se met­tra en route dès le len­de­main des régio­nales. Cha­cun le sait. La bipo­la­ri­sa­tion se nour­rit et oriente les enjeux en fonc­tion de cette élec­tion majeure, fon­da­trice, pour l’ensemble du champ poli­tique. Et si de nou­velles têtes émergent, elles seront éva­luées à cette aune : les éco­lo­gistes iront-ils à la pré­si­den­tielle ? Daniel Cohn-Ben­dit ayant décli­né, les prin­ci­paux pos­tu­lants res­pirent. On pour­ra reve­nir aux choses sérieuses, avec deux camps et un éven­tuel « troi­sième homme » (Bay­rou, sans doute).

Alors, une idée germe dans les esprits : et si toutes les élec­tions pou­vaient se jouer de cette façon, un camp contre l’autre ? Cela sim­pli­fie­rait gran­de­ment la tâche des diri­geants, qui n’auraient plus à redou­ter les ren­dez-vous inter­mé­diaires et leurs sur­prises répé­tées… Comme pour les régionales.

Face aux aléas du vote à plu­sieurs tours et aux chal­len­gers divers qui pro­fi­te­raient de la pro­por­tion­nelle, le scru­tin majo­ri­taire a donc clai­re­ment la pré­fé­rence du pou­voir. Et pour le faire savoir, les porte-parole de l’UMP clai­ronnent qu’une dose de pro­por­tion­nelle ne doit pas empê­cher le par­ti domi­nant de l’emporter, fût-ce en un seul tour. Une maxime qui semble pous­ser l’Élysée à pro­po­ser de modi­fier le mode de scru­tin pour 2014 (en fusion­nant au pas­sage les Régions et les dépar­te­ments) en avan­çant un modèle inédit : un scru­tin à un tour, avec prime à la majo­ri­té. Depuis quelques semaines, il est ques­tion de cette trou­vaille du pou­voir pour pous­ser à la bipo­la­ri­sa­tion du jeu poli­tique et per­mettre à une droite unie de l’emporter au pre­mier tour.

La bipo­la­ri­sa­tion ver­rait ain­si sa vic­toire écla­tante sur les aléas des scru­tins, des chal­len­gers inédits et autres tru­blions qui vou­draient contes­ter la logique qui veut qu’une élec­tion, c’est un camp contre un autre. Exit le FN, mais aus­si le NPA, le Front de gauche, le Modem ou les éco­lo­gistes… Aucun autre par­ti que les deux prin­ci­paux n’aurait d’autre poids que celui dévo­lu aux lob­bies dans une grande démo­cra­tie : can­di­da­ture de témoi­gnage ou sou­tiens en alliance au moment de l’élection. Une forme de pré­si­den­tielle per­ma­nente… Et, si le sys­tème allait au bout de la logique, à l’américaine, les autres forces poli­tiques en émer­gence pour­raient tout au plus espé­rer un rôle de « fai­seurs de rois » au moment des pri­maires, ou de négo­cia­tions orga­ni­sées en amont de chaque élection. 

Erwan Lecœur est l’auteur d’Un néo-popu­lisme à la fran­çaise. Trente ans de Front natio­nal, La Décou­verte, « Cahiers Libres », 2003.

Erwan Lecoeur


Auteur

Erwan Lecoeur est sociologue, membre de la rédaction de la revue [Ecorev->http://ecorev.org], ancien directeur scientifique de l'Observatoire du débat public.