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Flash Trading. L’Europe risque-t-elle de subir une nouvelle instabilité financière ?

Numéro 4 Avril 2012 par Fernandez

avril 2012

Depuis le début des années quatre-vingt, l’économie mon­diale est mar­quée par la place gran­dis­sante prise par l’innovation finan­cière. L’innovation finan­cière est à la fois la cause et la consé­quence de trois chan­ge­ments struc­tu­rels majeurs : le déve­lop­pe­ment de la finance quan­ti­ta­tive et de pro­duits struc­tu­rés, l’essor des nou­velles tech­no­lo­gies de l’information et des com­mu­ni­ca­tions, et la libéralisation […]

Depuis le début des années quatre-vingt, l’économie mon­diale est mar­quée par la place gran­dis­sante prise par l’innovation finan­cière. L’innovation finan­cière est à la fois la cause et la consé­quence de trois chan­ge­ments struc­tu­rels majeurs : le déve­lop­pe­ment de la finance quan­ti­ta­tive et de pro­duits struc­tu­rés, l’essor des nou­velles tech­no­lo­gies de l’information et des com­mu­ni­ca­tions, et la libé­ra­li­sa­tion de l’économie.

L’innovation finan­cière a eu comme prin­ci­pal objec­tif de faci­li­ter le déve­lop­pe­ment du cré­dit, mais aus­si de repous­ser les limites de l’analyse et de la cou­ver­ture des risques. Elle s’est déve­lop­pée sur la base d’utilisation de tech­niques actua­rielles et d’ingénierie juri­dique et finan­cière. Sans vali­da­tion scien­ti­fique, il fut avan­cé que les inno­va­tions finan­cières faci­li­te­raient l’allocation des risques entre les agents éco­no­miques et que le par­tage des risques amé­lio­re­rait le fonc­tion­ne­ment du sys­tème finan­cier. Aujourd’hui, de nom­breuses études mettent en avant l’augmentation du risque sys­té­mique (fra­gi­li­sa­tion de l’ensemble de l’économie et des finances publiques) résul­tant de l’innovation financière.

L’innovation finan­cière a révo­lu­tion­né la macroé­co­no­mie en per­met­tant à l’extrême la liqui­di­té des capi­taux. Le capi­tal réel (les machines, les bâti­ments, les infra­struc­tures de com­mu­ni­ca­tion et de trans­port, mais aus­si les com­pé­tences, les images de marques, etc.) n’est pas ou peu mobile et sou­met par consé­quent ses déten­teurs aux contraintes sociales et poli­tiques. À l’inverse, le capi­tal finan­cier est deve­nu extrê­me­ment mobile et liquide. De ce fait, l’interconnectivité conti­nue, immé­diate et mon­dia­li­sée des flux finan­ciers créée le nou­veau para­digme de l’économie mon­diale nous impo­sant de repen­ser le rôle de l’État dans une éco­no­mie mon­diale « financiarisée ».

Cette « finan­cia­ri­sa­tion » se réa­lise d’une double manière. En amont, en pre­nant le contrôle des sources d’épargne des ménages (et des sys­tèmes d’épargne pen­sion). En aval, en pre­nant le contrôle du capi­tal de nom­breuses entre­prises évo­luant, jusque-là, indé­pen­dam­ment des mar­chés finan­ciers. Dans cette avan­cée de la « finan­cia­ri­sa­tion », le tra­ding à haute fré­quence, dit le Flash Tra­ding1, repré­sente aujourd’hui une avan­cée tech­no­fi­nan­cière majeure. En effet, le « krach éclair » du 6 mai 2010 a révé­lé l’ampleur de cette nou­velle réa­li­té. Lors de ce crash, en 14 secondes, 27000 contrats furent pas­sés pour un net de contrats non annu­lés de 200 uni­tés2.

Du côté de ses défen­seurs, le Flash Tra­ding contri­bue­rait à l’efficience des mar­chés : meilleure liqui­di­té de cer­tains mar­chés, réduc­tion du spread3. De plus, des études démon­tre­raient que sur les mar­chés des changes ain­si qu’au Nas­daq, la négo­cia­tion algo­rith­mique4 atté­nue la vola­ti­li­té réa­li­sée. Le Flash Tra­ding semble néan­moins réduire la liqui­di­té en cas de crise. De plus, il implique une forte concen­tra­tion de « liqui­di­ty makers ». En effet, sur 12000 par­ti­ci­pants du mar­ché E‑Mini S&P5, 30% de la liqui­di­té serait réa­li­sé par 15 opé­ra­teurs. Comme pour la titri­sa­tion, le Flash Tra­ding pose dès lors la ques­tion de l’augmentation du risque sys­té­mique étant don­né l’interconnectivité, l’automatisation et la vitesse d’exécution de ce type de tra­ding. Le Flash Tra­ding repré­sente aujourd’hui 70% des négo­cia­tions des actions amé­ri­caines. Dif­fé­rentes études confirment que le Flash Tra­ding repré­sen­te­rait déjà un tiers des opé­ra­tions pas­sées sur les mar­chés européens.

Le Flash Tra­ding implique dès lors un enjeu majeur de sta­bi­li­té pour l’Europe au regard de quatre types de risques majeurs qu’il sous-tend : un stress exces­sif pour l’infrastructure de mar­ché ; un risque de com­por­te­ment impré­vu d’un algo­rithme ou ce qu’on appelle un algo­rithme fou ; l’éviction des autres inter­ve­nants du mar­ché, notam­ment des inves­tis­seurs par­ti­cu­liers. Un qua­trième risque est lié à la sur­veillance du régu­la­teur. La vitesse et la com­plexi­té du Flash Tra­ding rendent dif­fi­cile, voire impos­sible, une sur­veillance effi­cace pour iden­ti­fier des pra­tiques dom­ma­geables6. Enfin, le Flash Tra­ding sou­lève la ques­tion de la dis­si­mu­la­tion d’opérations frau­du­leuses dans l’exécution ultra­ra­pide d’importantes quan­ti­tés d’opérations. Ain­si l’avalanche des ordres noie des ordres sus­pects dans la masse puisque les pla­te­formes de Flash Tra­ding ne conservent pas les don­nées avec un degré suf­fi­sant de pré­ci­sion et que les vitesses d’annulation sont extrê­me­ment rapides.

Le Flash Tra­ding repré­sente dès lors une véri­table inno­va­tion finan­cière ouvrant la voie à une nou­velle forme d’arbitrage, y com­pris légale, en uti­li­sant la vitesse d’exécution comme nou­velle fron­tière de la déré­gu­la­tion financière.

  1. Les tran­sac­tions à haute fré­quence, ou tra­ding haute fré­quence, se réfèrent à l’exécution à grande vitesse (en micro­se­condes) de tran­sac­tions finan­cières faites par des algo­rithmes infor­ma­tiques. Les tran­sac­tions à haute fré­quence génèrent 73% du volume de négo­cia­tion d’actions sur les mar­chés des États-Unis, pour une déten­tion moyenne de 22 secondes en juillet 2011.
  2. Didier Sor­nette, « Crashes and high fre­quen­cy tra­ding », Swiss Finance Research, aout 2011.
  3. Le spread acheteur/vendeur est la dif­fé­rence de prix pra­ti­qué sur un mar­ché finan­cier en fonc­tion du sens de l’opération. Si un opé­ra­teur veut ache­ter une action à un moment déter­mi­né il aura à payer un cours plus éle­vé que s’il enten­dait vendre la même action au même moment. La dif­fé­rence repré­sente la marge finan­cière de l’intermédiaire.
  4. La négo­cia­tion algo­rith­mique est une stra­té­gie de tra­ding basée sur un algo­rithme para­mé­tré sur le volume, le prix et le timing visé par un don­neur d’ordre dans le cadre d’une opé­ra­tion d’achat ou de vente sur un mar­ché finan­cier automatisé.
  5. E‑Mini S&P est un mar­ché lié au mar­ché amé­ri­cain S&P 500 du Chi­ca­go Mer­can­tile Exchange.
  6. Les pra­tiques dom­ma­geables relèvent prin­ci­pa­le­ment d’une inten­tion de mani­pu­la­tion du mar­ché en for­çant le prix à la hausse ou à la baisse en inon­dant le mar­ché d’ordres d’achat ou de vente. Ces ordres sont auto­ma­tiques fer­més le jour même car il n’y a pas d’intention de gar­der une posi­tion par le tra­deur. Ces pra­tiques peuvent pro­vo­quer une spé­cu­la­tion sur le prix réel d’une valeur finan­cière ain­si que la mani­pu­la­tion de la per­cep­tion des par­ti­ci­pants sur la réa­li­té de la liqui­di­té d’un mar­ché (faci­li­té avec laquelle le ven­deur ou l’acheteur sur un mar­ché finan­cier trou­ve­ra une contre­par­tie). Cette mani­pu­la­tion de la per­cep­tion de la liqui­di­té peut pous­ser cer­tains tra­deurs à ache­ter des actions ou contrats qu’ils pensent pou­voir revendre facilement.

Fernandez


Auteur

est consultant Financial risk et assistant à Solvay Brussels School of Economics and Management (ULB)