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First we take Manhattan

Numéro 10 Octobre 2001 par Ron Mivrag

février 2009

Trois jours après l’attaque sui­cide contre New York et Washing­ton, l’éditorialiste israé­lien Ron Mivrag publiait dans les colonnes du Maa­riv un texte extrê­me­ment sur­pre­nant de la part d’un intel­lec­tuel répu­té à droite de l’échiquier poli­tique, un texte empreint de dépres­sion, d’apocalypse et de remords. 

Ceux d’entre nous pour qui New York est un second foyer, ceux d’entre nous qui y ont habi­té un jour ou l’autre de leur vie, ceux d’entre nous qui ont fait de New York la quin­tes­sence du rêve urbain et du rêve de la liber­té, sentent que ce qui s’est pas­sé le mar­di 11 sep­tembre à New York a tou­ché ce qui, à nos yeux, en fait une seconde et immense Tel-Aviv : la sophis­ti­ca­tion, la culture, la concep­tua­li­sa­tion, la liber­té, notre man­tra de baby boomers. 

C’est pour­quoi, au nom des mil­liers de morts enfouis sous les décombres du World Trade Cen­ter, je ne peux oublier ces stu­pides Israé­liens qui se sont moqués de « ces Amé­ri­cains qui savent main­te­nant ce que c’est », comme si le soleil s’était enfin levé sur le Nou­veau Monde… Certes, la vague de ter­reur qu’Israël a dû affron­ter cette année est sans com­mune mesure avec ce que d’autres pays endurent. Mais aurait-on oublié les cent-soixante-huit morts d’Oklahoma City et les ten­ta­tives pré­cé­dentes de détruire les Twin Towers ? Cette satis­fac­tion israé­lienne est indé­cente à l’heure où la fumée s’élève au-des­sus de New York. Nous devrions nous rendre compte que la catas­trophe qui a frap­pé New York nous concerne, parce que c’est une nation sans laquelle Israël aurait déjà dis­pa­ru qui, pen­dant quelques heures, a per­du le contrôle. 

Que l’on retrouve ou non des Israé­liens sous les décombres ne change rien au fait que ce qui s’est pas­sé à New York doit être inté­gré dans la conscience juive israé­lienne comme une tra­gé­die israé­lienne. Si la super­puis­sance amé­ri­caine a pu être aus­si mor­tel­le­ment frap­pée, cela signi­fie que le dan­ger qui nous menace est bien plus effroyable encore. Car, contrai­re­ment à Israël, l’Amérique ne par­tage pas des cen­taines de kilo­mètres de fron­tières avec des pays qui peinent à renon­cer au fan­tasme de notre extermination. 

Pour beau­coup d’Israéliens, New York est cette ville où il fait bon se rendre quand ils veulent prendre l’air, res­pi­rer et fuir pen­dant quelque temps l’atmosphère oppres­sante d’Israël. New York ne sera plus jamais comme avant. Et notre atti­tude envers New York ne sera plus jamais comme avant. New York ne sera plus jamais ce refuge pour nos névroses et nos psy­choses d’Israéliens. Vingt-quatre heures après l’écrasement des avions, j’ai pris un vol inté­rieur de la TWA pour Los Angeles. Les règles de sécu­ri­té étaient tou­jours aus­si lâches et le per­son­nel était tou­jours com­po­sé de membres d’ethnies non amé­ri­caines (les seuls à accep­ter de tra­vailler pour des salaires de misère). Comme si rien n’avait chan­gé, toute l’arrogance amé­ri­caine s’exprimait dans cette cer­ti­tude que rien ne peut leur arri­ver et que per­sonne au monde n’oserait se frot­ter à la super­puis­sance mon­diale. Le fait que quatre groupes de pre­neurs d’otages aient pu s’emparer de quatre avions et en pré­ci­pi­ter trois sur leurs objec­tifs est symp­to­ma­tique d’un ethos amé­ri­cain fran­che­ment déses­pé­rant et consti­tué d’un sen­ti­ment de supé­rio­ri­té, de sou­ve­rai­ne­té, de force et self control. 

Le grand péché de l’Amérique, et cela ne jus­ti­fie en rien ce qui s’est pas­sé à New York, c’est le péché de l’arrogance et du mépris envers les sanc­tuaires ter­ro­ristes du tiers monde. Les atten­tats les plus san­glants com­mis sur le sol amé­ri­cain l’ont été dix ans après la guerre du Golfe, lorsque l’Amérique, pour des rai­sons que l’on ignore encore, a déci­dé de frap­per l’Irak de Sad­dam Hus­sein. Non seule­ment l’Amérique a frap­pé l’Irak sans dis­cer­ne­ment, mais, en impo­sant à des mil­liers de civils inno­cents une guerre sans fin bap­ti­sée « Tem­pête du désert », elle a atti­ré sur elle les dési­rs de ven­geance du ter­ro­risme musulman. 

Tel un bédouin rumi­nant patiem­ment et froi­de­ment sa ven­geance, le monde musul­man a atten­du dix ans pour que s’offre à lui l’occasion de se ven­ger de la super­puis­sance amé­ri­caine d’une façon qu’aucun cau­che­mar ne pou­vait anti­ci­per. Per­sonne ne peut jus­ti­fier ce qui s’est pas­sé cette semaine à New York. Mais on ne pou­vait non plus jus­ti­fier la guerre du Golfe, même si elle était cen­sée ser­vir (ce qui est loin d’être prou­vé) nos inté­rêts. En pre­nant pour cible l’Irak, les Etats-Unis ont pris Israël en otage. Ce 11 sep­tembre, des comptes ont été sol­dés. De quel legs san­glant a héri­té le fils du concep­teur de la guerre du Golfe ? Et Georges W. Bush est-il à la hau­teur de la situa­tion, lui qui appelle les ter­ro­ristes « folks » (comme si Sha­ron appe­lait nos kami­kazes « les mecs » … )? 

C’est sou­vent à New York que je pre­nais le large face aux réac­tions vio­lentes que cer­tains de mes articles sus­ci­taient. Pour­tant, mes contemp­teurs feraient bien de se faire du sou­ci. Désor­mais, le monde occi­den­tal, de Jéru­sa­lem à Washing­ton, ne sera plus qu’un unique et gigan­tesque Dol­phi­na­rium1. Et, aus­si san­glant soit-il, le pro­chain atten­tat qui frap­pe­ra Israël ne sera plus qu’une sta­tis­tique par­mi d’autres.

  1. Nom d’une dis­co­thèque de Tel-Aviv où l’attentat d’un kami­kaze pales­ti­nien avait, au début du mois de juin, cau­sé la mort d’une ving­taine d’Israéliens.

Ron Mivrag


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