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Finances publiques : et si on reparlait fiscalité ?
En 2010, la dette publique belge repassera au-dessus de la barre symbolique des 100% du PIB. Dans sa crudité arithmétique, l’information ne dit pas grand-chose. Mais pour tous les Belges et leurs représentants politiques, elle est lourde d’implications concrètes. Nous avons encore tous en mémoire la saga budgétaire des années quatre-vingt et nonante, dominées par […]
En 2010, la dette publique belge repassera au-dessus de la barre symbolique des 100% du PIB. Dans sa crudité arithmétique, l’information ne dit pas grand-chose. Mais pour tous les Belges et leurs représentants politiques, elle est lourde d’implications concrètes. Nous avons encore tous en mémoire la saga budgétaire des années quatre-vingt et nonante, dominées par la nécessité de réduire la dette publique qui avait atteint 133,5% du PIB en 1993 avant d’être laborieusement ramenée à 84% en 2007. La justification était (au moins) double. Il s’agissait de permettre à la Belgique d’abandonner le franc pour l’euro et puis de préparer le choc du vieillissement annoncé pour la deuxième décennie du XXIe siècle. À la fin des années nonante, tout semblait sur la bonne voie.
Et puis la situation commença à se dégrader. En silence et dans l’indifférence quasi générale. Le corset imposé par les coalitions social-chrétiennes-socialistes sous la direction de Jean-Luc Dehaene fut lentement desserré. Les gouvernements arc-en-ciel et violet laissèrent se réduire le solde primaire (la différence entre les recettes et les dépenses hors charges de la dette) et bénéficièrent de l’effet d’aubaine de la baisse de la charge de la dette et des taux d’intérêts pour atteindre l’équilibre sans trop de peine. Les mises en garde de ceux qui redoutaient qu’on ne prépare pas suffisamment le « papy-boom » en constituant des réserves et en accélérant la réduction de la dette en période de bonne conjoncture furent largement ignorées. Alors que dans les années quatre-vingt et nonante, du plan de Val Duchesse au Pacte de stabilité en passant par le fameux Plan global, il n’avait été question que d’austérité et d’assainissement, au début du XXIe siècle, le débat politique tourna autour du « partage des marges », chaque famille politique venant avec ses revendications, qui pour augmenter les allocations sociales, qui pour réduire la fiscalité.
Le gaufrier à l’envers
Désormais, cet art bien belge du gaufrier va devoir s’exercer à l’envers pour tenter de renouer progressivement avec l’équilibre budgétaire. Chacun tentera de défendre sa face du gaufrier en essayant qu’on en enlève le moins de pâte possible. Cela a d’ailleurs déjà commencé autour de la norme de croissance dans les soins de santé. Mais on sent bien les acteurs quelque peu affectés. Comme s’ils jouaient un rôle trop bien rôdé, machinalement, sans être vraiment convaincus que le spectacle est encore au goût du jour. On sent aussi poindre dans la classe politique un mélange de découragement et de perplexité. Le Premier ministre comme tous les politiques qui ont participé aux gouvernements Dehaene semblent atteints par une sorte de complexe de Sisyphe : il va nous falloir laborieusement remonter l’énorme rocher du déficit, celui-là même auquel on a consacré près d’une décennie de notre vie et qui, d’un seul coup, par la faute de quelques banquiers irresponsables et puis sans doute aussi de notre propre relâchement, a brusquement roulé tout au bas de la montagne… Et puis surtout, on ne sent pas trop comment remonter la pente sans heurter de front les intérêts de l’une ou l’autre composante de la société. Combien de recettes nouvelles et combien d’économies ? Et où ? Dans la sécu, dans les Communautés (et donc dans l’enseignement), dans la fonction publique, dans l’armée, dans la consommation ? Toutes les pistes seront sans doute examinées et soupesées. Il est possible qu’un équilibre s’en dégage. Et il est tout aussi probable que des oppositions plus ou moins fortes émergeront. Car au fond, chacun perçoit bien qu’on a atteint les limites extrêmes d’un modèle de décision — la concertation à la belge — parce que les bases socioéconomiques sur lesquelles il repose sont en train de changer sous l’action de la crise.
Pour un bilan des réformes fiscales
Avant de savoir où il faudra porter l’effort, l’heure n’est-elle donc pas venue de remettre à plat un certain nombre de choses ? Un préalable se dégage avant toute coupe claire sombre dans les politiques elles-mêmes : l’évaluation de leurs effets et surtout de l’efficacité générale de l’architecture organisationnelle et institutionnelle chargée de les mettre en œuvre. Cette condition à toute possibilité d’action publique crédible était indispensable, particulièrement côté francophone (quid des provinces, des relations entre niveaux de pouvoir, des articulations Région-communes à Bruxelles, des collaborations entre réseaux d’enseignement, etc.). La crise budgétaire actuelle va la rendre vitale. Mais ces réformes de structure ne suffiront évidemment pas.
Ensuite, le plus urgent sera de réaliser un bilan aussi large que possible de l’utilité collective des réformes fiscales (impôt des personnes, des sociétés, intérêts notionnels, DLU…). Elles ont coûté largement plus que le refinancement des Communautés du début des années 2000. Est-ce juste en termes d’allocation de ressources ? Ont-elles réduit les inégalités entre les Belges ? N’ont-elles pas eu un impact destructeur pour notre environnement et les générations futures via le maintien d’un dogme à réinterroger d’urgence, celui de la relance par la consommation ? De l’évaluation des réformes fiscales, le débat doit revenir sur la fiscalité et plus largement sur son affectation. La mutation écologique que nous devons impérativement négocier dans les prochaines années va nous amener à revoir complètement la fiscalité sur la consommation. Mais gare à en faire une opération purement « budgétaire » en mettant sur le dos de l’«environnement » le financement de politiques qui ne servent absolument pas la cause de la « Grande Transformation écologique » en cours. Le temps n’est-il pas venu de donner la priorité absolue à des biens publics (transport, enseignement, formation, santé…) rénovés et efficaces, nettement plus « rentables » en termes de justice sociale et environnementale que les baisses d’impôts qui n’ont pour seul résultat que de relancer une consommation aux effets destructeurs ? Autant de questions cruciales qui engagent notre avenir commun et qui doivent — elles aussi — trouver leur place dans le débat institutionnel qui s’annonce.