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Finances publiques : et si on reparlait fiscalité ?

Numéro 9 Septembre 2009 par Lechat Benoît

septembre 2009

En 2010, la dette publique belge repas­se­ra au-des­­sus de la barre sym­bo­lique des 100% du PIB. Dans sa cru­di­té arith­mé­tique, l’in­for­ma­tion ne dit pas grand-chose. Mais pour tous les Belges et leurs repré­sen­tants poli­tiques, elle est lourde d’im­pli­ca­tions concrètes. Nous avons encore tous en mémoire la saga bud­gé­taire des années quatre-vingt et nonante, domi­nées par […]

En 2010, la dette publique belge repas­se­ra au-des­sus de la barre sym­bo­lique des 100% du PIB. Dans sa cru­di­té arith­mé­tique, l’in­for­ma­tion ne dit pas grand-chose. Mais pour tous les Belges et leurs repré­sen­tants poli­tiques, elle est lourde d’im­pli­ca­tions concrètes. Nous avons encore tous en mémoire la saga bud­gé­taire des années quatre-vingt et nonante, domi­nées par la néces­si­té de réduire la dette publique qui avait atteint 133,5% du PIB en 1993 avant d’être labo­rieu­se­ment rame­née à 84% en 2007. La jus­ti­fi­ca­tion était (au moins) double. Il s’a­gis­sait de per­mettre à la Bel­gique d’a­ban­don­ner le franc pour l’eu­ro et puis de pré­pa­rer le choc du vieillis­se­ment annon­cé pour la deuxième décen­nie du XXIe siècle. À la fin des années nonante, tout sem­blait sur la bonne voie.

Et puis la situa­tion com­men­ça à se dégra­der. En silence et dans l’in­dif­fé­rence qua­si géné­rale. Le cor­set impo­sé par les coa­li­tions social-chré­tiennes-socia­listes sous la direc­tion de Jean-Luc Dehaene fut len­te­ment des­ser­ré. Les gou­ver­ne­ments arc-en-ciel et vio­let lais­sèrent se réduire le solde pri­maire (la dif­fé­rence entre les recettes et les dépenses hors charges de la dette) et béné­fi­cièrent de l’ef­fet d’au­baine de la baisse de la charge de la dette et des taux d’in­té­rêts pour atteindre l’é­qui­libre sans trop de peine. Les mises en garde de ceux qui redou­taient qu’on ne pré­pare pas suf­fi­sam­ment le « papy-boom » en consti­tuant des réserves et en accé­lé­rant la réduc­tion de la dette en période de bonne conjonc­ture furent lar­ge­ment igno­rées. Alors que dans les années quatre-vingt et nonante, du plan de Val Duchesse au Pacte de sta­bi­li­té en pas­sant par le fameux Plan glo­bal, il n’a­vait été ques­tion que d’aus­té­ri­té et d’as­sai­nis­se­ment, au début du XXIe siècle, le débat poli­tique tour­na autour du « par­tage des marges », chaque famille poli­tique venant avec ses reven­di­ca­tions, qui pour aug­men­ter les allo­ca­tions sociales, qui pour réduire la fiscalité.

Le gaufrier à l’envers

Désor­mais, cet art bien belge du gau­frier va devoir s’exer­cer à l’en­vers pour ten­ter de renouer pro­gres­si­ve­ment avec l’é­qui­libre bud­gé­taire. Cha­cun ten­te­ra de défendre sa face du gau­frier en essayant qu’on en enlève le moins de pâte pos­sible. Cela a d’ailleurs déjà com­men­cé autour de la norme de crois­sance dans les soins de san­té. Mais on sent bien les acteurs quelque peu affec­tés. Comme s’ils jouaient un rôle trop bien rôdé, machi­na­le­ment, sans être vrai­ment convain­cus que le spec­tacle est encore au goût du jour. On sent aus­si poindre dans la classe poli­tique un mélange de décou­ra­ge­ment et de per­plexi­té. Le Pre­mier ministre comme tous les poli­tiques qui ont par­ti­ci­pé aux gou­ver­ne­ments Dehaene semblent atteints par une sorte de com­plexe de Sisyphe : il va nous fal­loir labo­rieu­se­ment remon­ter l’é­norme rocher du défi­cit, celui-là même auquel on a consa­cré près d’une décen­nie de notre vie et qui, d’un seul coup, par la faute de quelques ban­quiers irres­pon­sables et puis sans doute aus­si de notre propre relâ­che­ment, a brus­que­ment rou­lé tout au bas de la mon­tagne… Et puis sur­tout, on ne sent pas trop com­ment remon­ter la pente sans heur­ter de front les inté­rêts de l’une ou l’autre com­po­sante de la socié­té. Com­bien de recettes nou­velles et com­bien d’é­co­no­mies ? Et où ? Dans la sécu, dans les Com­mu­nau­tés (et donc dans l’en­sei­gne­ment), dans la fonc­tion publique, dans l’ar­mée, dans la consom­ma­tion ? Toutes les pistes seront sans doute exa­mi­nées et sou­pe­sées. Il est pos­sible qu’un équi­libre s’en dégage. Et il est tout aus­si pro­bable que des oppo­si­tions plus ou moins fortes émer­ge­ront. Car au fond, cha­cun per­çoit bien qu’on a atteint les limites extrêmes d’un modèle de déci­sion — la concer­ta­tion à la belge — parce que les bases socioé­co­no­miques sur les­quelles il repose sont en train de chan­ger sous l’ac­tion de la crise.

Pour un bilan des réformes fiscales

Avant de savoir où il fau­dra por­ter l’ef­fort, l’heure n’est-elle donc pas venue de remettre à plat un cer­tain nombre de choses ? Un préa­lable se dégage avant toute coupe claire sombre dans les poli­tiques elles-mêmes : l’é­va­lua­tion de leurs effets et sur­tout de l’ef­fi­ca­ci­té géné­rale de l’ar­chi­tec­ture orga­ni­sa­tion­nelle et ins­ti­tu­tion­nelle char­gée de les mettre en œuvre. Cette condi­tion à toute pos­si­bi­li­té d’ac­tion publique cré­dible était indis­pen­sable, par­ti­cu­liè­re­ment côté fran­co­phone (quid des pro­vinces, des rela­tions entre niveaux de pou­voir, des arti­cu­la­tions Région-com­munes à Bruxelles, des col­la­bo­ra­tions entre réseaux d’en­sei­gne­ment, etc.). La crise bud­gé­taire actuelle va la rendre vitale. Mais ces réformes de struc­ture ne suf­fi­ront évi­dem­ment pas.

Ensuite, le plus urgent sera de réa­li­ser un bilan aus­si large que pos­sible de l’u­ti­li­té col­lec­tive des réformes fis­cales (impôt des per­sonnes, des socié­tés, inté­rêts notion­nels, DLU…). Elles ont coû­té lar­ge­ment plus que le refi­nan­ce­ment des Com­mu­nau­tés du début des années 2000. Est-ce juste en termes d’al­lo­ca­tion de res­sources ? Ont-elles réduit les inéga­li­tés entre les Belges ? N’ont-elles pas eu un impact des­truc­teur pour notre envi­ron­ne­ment et les géné­ra­tions futures via le main­tien d’un dogme à réin­ter­ro­ger d’ur­gence, celui de la relance par la consom­ma­tion ? De l’é­va­lua­tion des réformes fis­cales, le débat doit reve­nir sur la fis­ca­li­té et plus lar­ge­ment sur son affec­ta­tion. La muta­tion éco­lo­gique que nous devons impé­ra­ti­ve­ment négo­cier dans les pro­chaines années va nous ame­ner à revoir com­plè­te­ment la fis­ca­li­té sur la consom­ma­tion. Mais gare à en faire une opé­ra­tion pure­ment « bud­gé­taire » en met­tant sur le dos de l’«environnement » le finan­ce­ment de poli­tiques qui ne servent abso­lu­ment pas la cause de la « Grande Trans­for­ma­tion éco­lo­gique » en cours. Le temps n’est-il pas venu de don­ner la prio­ri­té abso­lue à des biens publics (trans­port, ensei­gne­ment, for­ma­tion, san­té…) réno­vés et effi­caces, net­te­ment plus « ren­tables » en termes de jus­tice sociale et envi­ron­ne­men­tale que les baisses d’im­pôts qui n’ont pour seul résul­tat que de relan­cer une consom­ma­tion aux effets des­truc­teurs ? Autant de ques­tions cru­ciales qui engagent notre ave­nir com­mun et qui doivent — elles aus­si — trou­ver leur place dans le débat ins­ti­tu­tion­nel qui s’annonce.

Lechat Benoît


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