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Femme-objet, femme voilée ou femme émancipée ?

Numéro 07/8 Juillet-Août 2011 par Sophie Heine

juillet 2011

Les rai­sons de por­ter le fou­lard sont mul­tiples et ne peuvent que rare­ment être rame­nées à un pres­crit reli­gieux. Pour nombre de musul­manes, notam­ment celles qui s’af­firment fémi­nistes, le fou­lard cor­res­pond au refus de la réi­fi­ca­tion de leur corps. Avant d’être per­çues comme des corps sexués et sexuels, notam­ment à tra­vers les canons de la mode, elles s’af­firment comme des sujets, ren­ver­sant ain­si dou­ble­ment le stig­mate de leur appar­te­nance à une mino­ri­té déva­lo­ri­sée et celui de leur oppres­sion par les hommes. Une alliance pour­rait ain­si être trou­vée entre toutes les fémi­nistes dans cette reven­di­ca­tion au droit à dis­po­ser libre­ment de leur corps, c’est-à-dire à être recon­nues comme personnes.

Nombre de fémi­nistes occi­den­tales per­çoivent le port du fou­lard par des musul­manes comme le signe évident de leur oppres­sion, consi­dé­rant que cette manière de se cou­vrir les che­veux résul­te­rait néces­sai­re­ment d’une ten­ta­tive mas­cu­line de contrôle du corps des femmes. Le fait que l’injonction du Coran à se vêtir de manière pudique invo­quée par la plu­part des femmes voi­lées soit appli­quée avec rigueur avant tout par les femmes semble confor­ter de tels argu­ments. En effet, si cette ordon­nance incombe aux hommes comme aux femmes, alors pour­quoi se tra­duit-elle par des consé­quences net­te­ment plus visibles pour ces der­nières ? Non seule­ment les femmes musul­manes sou­hai­tant res­pec­ter ce pres­crit se couvrent-elles les che­veux, mais elles refusent aus­si de por­ter des vête­ments met­tant en évi­dence leurs formes. Com­ment se fait-il que les hommes musul­mans ne res­pectent que rare­ment le prin­cipe de pudeur ves­ti­men­taire cen­sé incom­ber aux deux sexes ? Pour­quoi tous les hommes musul­mans ne portent-ils pas par exemple une robe dis­si­mu­lant leurs formes mas­cu­lines ou des bon­nets cachant la forme mâle de leurs crânes ?

On peut faci­le­ment répondre à de tels argu­ments que les rai­sons moti­vant le port du fou­lard par un nombre crois­sant de femmes musul­manes sont mul­tiples et ne peuvent être que rare­ment res­treintes à la volon­té de res­pec­ter un pres­crit reli­gieux. Un grand nombre de filles et de femmes voi­lées consi­dèrent leur fou­lard aus­si comme un signe cultu­rel ou iden­ti­taire. Beau­coup d’entre elles, qui sont nées et ont gran­di en Occi­dent, mais sont issues de familles immi­grées1, le per­çoivent éga­le­ment comme une manière de construire un com­pro­mis entre leur iden­ti­té belge, fran­çaise, bri­tan­nique ou autre, d’une part, et leur iden­ti­té musul­mane d’origine d’autre part2. À cet égard, il est essen­tiel de rap­pe­ler les écrits socio­lo­giques sur le « ren­ver­se­ment du stig­mate3 » : le fou­lard peut être inter­pré­té comme un signe mar­quant son appar­te­nance à une com­mu­nau­té stig­ma­ti­sée et dési­gnée comme « autre » et étran­gère par la socié­té majo­ri­taire. Au lieu de reje­ter en bloc cette iden­ti­té déni­grée, il s’agirait plu­tôt de se la réap­pro­prier en la conno­tant posi­ti­ve­ment. Par ailleurs, une par­tie des femmes musul­manes por­tant le fou­lard, en géné­ral par­mi les plus édu­quées, consi­dère que leur iden­ti­té musul­mane non seule­ment n’est pas incom­pa­tible avec l’objectif d’émancipation des femmes, mais peut même en consti­tuer le fon­de­ment. S’affichant comme « fémi­nistes musul­manes4 », elles estiment pos­sible d’interpréter l’islam de manière à faire avan­cer la cause de l’émancipation des femmes et plaident pour une éga­li­té sociale, éco­no­mique et poli­tique entre les hommes et les femmes.

Dans ce der­nier argu­men­taire, tou­te­fois, le lien entre fou­lard et éman­ci­pa­tion des femmes n’est que rare­ment dis­cu­té et le fou­lard est avant tout per­çu comme un mar­queur reli­gieux, cultu­rel ou iden­ti­taire5. Or, il est pos­sible d’attribuer une signi­fi­ca­tion plus expli­ci­te­ment fémi­niste au fou­lard, qui peut per­mettre de révé­ler une forme d’oppression des femmes dépas­sant lar­ge­ment les groupes musul­mans. Je fais ici réfé­rence aux diverses formes de contrôle du corps dont les femmes font l’objet et qui concernent l’ensemble des femmes, même les plus éman­ci­pées d’entre elles. Contrai­re­ment à l’inégalité socioé­co­no­mique ou à aux oppres­sions fla­grantes telles que la vio­lence domes­tique, les mul­tiples formes de contrôle du corps subies par les femmes sont plus dif­fi­ciles à incri­mi­ner car plus sour­noises et com­plexes. Ces mani­fes­ta­tions plus sub­tiles de domi­na­tion concernent la plu­part des femmes, même celles — peu nom­breuses — qui ont atteint un rap­port éga­li­taire avec les hommes sur le plan social, éco­no­mique ou poli­tique et même celles — encore très rares éga­le­ment — qui sont par­ve­nues à éta­blir une éga­li­té dans la répar­ti­tion des tâches domes­tiques et la prise en charge des enfants.

Corps réifié, corps contrôlé

Comme les fémi­nistes des années sep­tante l’avaient déjà sou­li­gné, les femmes sont tou­jours avant tout per­çues à tra­vers leur corps, lui-même sou­vent réi­fié et sexua­li­sé. Le regard mas­cu­lin semble ici être deve­nu le regard social domi­nant sur les femmes6. L’image de la femme véhi­cu­lée par la publi­ci­té tra­duit ain­si des canons de beau­té extrê­me­ment exi­geants (jeu­nesse, min­ceur, belle peau…)7 et les vête­ments fémi­nins sont lourds de conno­ta­tions impré­gnées de la vision mas­cu­line du corps fémi­nin. La manière dont une femme s’habille n’est jamais neutre : si elle est coquette et sou­cieuse de son allure, elle est cer­tai­ne­ment com­pli­men­tée et cour­ti­sée, mais elle court en même temps le risque d’être réduite à son appa­rence. Nombre de femmes sont dès lors expo­sées à des situa­tions émi­nem­ment embar­ras­santes. Ain­si, un patron dra­gueur peut, face à un refus, se mon­trer sou­dain beau­coup moins coopé­ra­tif au tra­vail. Les femmes peuvent par­fois être sou­mises à des formes de chan­tage plus expli­cites, lorsque, par exemple, on leur pro­pose des avan­cées pro­fes­sion­nelles si elles cèdent aux avances de leur supérieur.

Casse-tête

Le choix des vête­ments sur le lieu de tra­vail peut alors deve­nir un véri­table casse-tête : faut-il s’habiller de la manière la plus neutre pos­sible, voire, s’enlaidir à des­sein ? Peu de femmes choi­sissent cette der­nière voie et c’est bien com­pré­hen­sible car elle consis­te­rait à nier son propre corps et donc à muti­ler une par­tie de soi. Tou­te­fois, les femmes qui décident de jouer sur leur appa­rence de manière plus ou moins expli­cite, par exemple pour obte­nir des avan­tages en termes de car­rière, s’exposent à des dan­gers tout aus­si impor­tants. Tout d’abord, elles risquent, si cela se sait, de sus­ci­ter des doutes sur leurs com­pé­tences. En outre, si elles renoncent par la suite à uti­li­ser leurs atours pour plaire pro­fes­sion­nel­le­ment, elles peuvent alors engen­drer de l’animosité et des repré­sailles de la part d’hommes qui avaient espé­ré obte­nir qu’elles cèdent à leurs avances. Enfin, savoir qu’on a reçu tel ou tel avan­tage pro­fes­sion­nel parce qu’on s’est mon­tré sédui­sante peut insi­nuer chez la femme elle-même un doute sur ses compétences.

L’habillement et l’apparence sont net­te­ment moins pro­blé­ma­tiques pour les hommes, qui ont la chance d’avoir à leur dis­po­si­tion des sortes d’uniformes adap­tés à leurs dif­fé­rents rôles sociaux : le cos­tume pour le tra­vail, le jean décon­trac­té pour les sor­ties en famille, le pan­ta­lon sexy pour les soi­rées en boite… Il est très rare qu’un homme ne sache pas com­ment se vêtir pour aller tra­vailler et qu’il soit expo­sé à des remarques déso­bli­geantes ou à des formes de chan­tage plus ou moins ouvertes du type de celles dont les femmes font l’objet. Cette situa­tion n’est pas le fruit de dif­fé­rences natu­relles entre hommes et femmes comme le vou­drait une vision essen­tia­liste pos­tu­lant que les femmes seraient géné­ti­que­ment pro­gram­mées pour être plus coquettes. Il existe en effet des indi­vi­dus sou­cieux de leur appa­rence dans les deux sexes. Mais il est cer­tain que l’apparence ne revêt pas la même signi­fi­ca­tion sociale pour les hommes et les femmes. Pour ces der­nières, le phy­sique et l’habillement font l’objet de pres­sions et d’exigences plus éle­vées que pour les hommes et sont presque tou­jours imbi­bés d’une approche réi­fiant le corps fémi­nin. Cette situa­tion chan­ge­rait pro­ba­ble­ment si les femmes étaient plus nom­breuses aux postes de pou­voir, comme l’atteste le fait que les hommes tra­vaillant dans des milieux très fémi­nins subissent des pres­sions simi­laires à ce que vivent beau­coup de femmes. Tou­te­fois, étant don­né que la plu­part des posi­tions domi­nantes sont encore occu­pées par les hommes, de telles situa­tions res­tent assez rares.

La nature pro­blé­ma­tique de l’habillement pour les femmes résulte d’une sexua­li­sa­tion très pous­sée du corps fémi­nin qui veut que les femmes soient per­çues comme des corps sexués et sexuels avant d’être abor­dées comme des per­sonnes. Dès lors, les femmes sont très rare­ment appré­hen­dées uni­que­ment comme des indi­vi­dus jugés avant tout sur leurs com­pé­tences, leur mérite ou leur carac­tère, mais doivent tou­jours en même temps subir, impli­ci­te­ment ou expli­ci­te­ment, une éva­lua­tion de leur corps. Notons que cette approche du corps fémi­nin, loin d’être seule­ment le fait des hommes, est aus­si pra­ti­quée par les femmes elles-mêmes, qui se révèlent sou­vent être les juges les plus impi­toyables de l’apparence des autres femmes.

Cette sexua­li­sa­tion du corps fémi­nin peut se mar­quer par des qua­li­fi­ca­tifs dépré­cia­tifs à conno­ta­tion sexuelle. Ain­si, il arrive qu’une femme qui déplait, peu importe la rai­son, soit dési­gnée de « mal bai­sée », « sale pute », « salope », « frus­trée»… Il y a peu d’équivalents mas­cu­lins de telles injures et, lorsqu’ils existent, ils ne sont pas for­cé­ment char­gés d’un sens néga­tif. Ain­si, le terme « gigo­lo », qui serait l’équivalent d’une « putain », est plu­tôt amu­sant que déni­grant. De même, alors qu’une « salope » est clai­re­ment une injure, un homme cou­chant avec de nom­breuses femmes serait plu­tôt qua­li­fié avec admi­ra­tion de « Don Juan ». De toute façon, un homme déplai­sant par son tem­pé­ra­ment, son atti­tude ou son tra­vail se ver­ra très rare­ment affu­blé de com­men­taires néga­tifs sur son phy­sique. On le cri­ti­que­ra pour son manque de com­pé­tence, son mau­vais carac­tère, son com­por­te­ment condam­nable… bref, pour ses carac­té­ris­tiques en tant qu’individu.

Il peut être utile de remar­quer que les pres­sions pesant sur l’apparence des femmes imprègnent sou­vent éga­le­ment la sphère pri­vée. Un grand nombre d’hommes uti­lisent en effet ces caté­go­ries socia­le­ment construites pour valo­ri­ser ou déni­grer l’apparence de leur par­te­naire. Les com­men­taires sur le phy­sique relèvent bien sûr de la dimen­sion éro­tique et sexuelle inhé­rente à toute rela­tion amou­reuse. Le pro­blème est que les hommes ont à leur dis­po­si­tion cer­taines caté­go­ries dis­cur­sives pour dési­gner les femmes qui sont impré­gnées de conno­ta­tions par­ti­cu­lières. Un homme contrô­lant et pos­ses­sif peut ain­si faire com­prendre à sa femme qu’il trouve sa tenue inap­pro­priée, ce qui fera immé­dia­te­ment écho aux qua­li­fi­ca­tifs plus crus men­tion­nés plus haut. La femme, enten­dant ce genre de com­men­taires, se deman­de­ra si elle n’est pas agui­cheuse et crain­dra d’être asso­ciée à l’image de la pros­ti­tuée, mépri­sée depuis que les socié­tés humaines existent. Il est impor­tant de sou­li­gner que le machisme et le sexisme existent dans tous les groupes sociaux et cultu­rels de la socié­té et ce fut l’erreur d’une asso­cia­tion comme Ni putes ni sou­mises d’avoir res­treint ces pro­blèmes aux ban­lieues d’origine immi­grée8.

Un foulard révélateur

Dans ce contexte, le fou­lard ne pour­rait-il pas ser­vir de révé­la­teur de la sexua­li­sa­tion du corps des femmes autant qu’il consti­tue une réac­tion aux dis­cri­mi­na­tions cultu­relles ? Le ren­ver­se­ment du stig­mate serait alors double, puisqu’il s’agirait de se réap­pro­prier à la fois une iden­ti­té cultu­relle ou reli­gieuse stig­ma­ti­sée par la socié­té majo­ri­taire et un corps fai­sant l’objet de mul­tiples formes de contrôle, qui, comme on l’a dit, sont loin de carac­té­ri­ser uni­que­ment les milieux musul­mans. Les femmes conti­nuent à être per­çues comme des corps conno­tés sexuel­le­ment avant d’être appré­hen­dées comme des per­sonnes ou des indi­vi­dus jugés sur leurs actions, leur com­por­te­ment, leur mérite ou leur com­pé­tence. La plu­part des femmes réagissent à cette sexua­li­sa­tion en essayant d’être sexy, sédui­santes et jeunes le plus long­temps pos­sible. Puisqu’elles semblent être récom­pen­sées par un regard bien­veillant des hommes lorsqu’elles plaisent par leur corps, elles prêtent à ce der­nier une atten­tion toute par­ti­cu­lière. Comme on l’a briè­ve­ment expli­qué, cette stra­té­gie se révèle sou­vent dangereuse.

Pour cer­taines musul­manes, même si cela est rare­ment théo­ri­sé, le choix de por­ter le fou­lard peut repré­sen­ter une autre manière de réagir à cette réi­fi­ca­tion. Ce signe n’est alors pas seule­ment une manière de se réap­pro­prier de manière posi­tive leur culture, leur iden­ti­té ou leur reli­gion, mais peut consti­tuer une ten­ta­tive de réponse à la sexua­li­sa­tion de leur corps de la part des socié­tés occi­den­tales et des autres hommes, musul­mans comme non musul­mans. Lorsque le fou­lard est inter­pré­té comme une marque de pudeur, il va aus­si de pair avec un habille­ment réser­vé, ayant pour but de ne pas atti­rer le regard des hommes. Contrai­re­ment aux situa­tions d’oppression dans les­quelles une telle façon de se vêtir résulte d’une obli­ga­tion impo­sée par les hommes ou le groupe cultu­rel, les femmes déci­dant elles-mêmes d’adopter ces tenues pra­tiquent donc en fait le ren­ver­se­ment du stig­mate. Cacher ses attri­buts fémi­nins peut en effet réduire les remarques réi­fiantes. Le fou­lard et l’obligation de décence ves­ti­men­taire qui l’accompagne peuvent donc consti­tuer une réac­tion à une double oppres­sion : non seule­ment à une iden­ti­té stig­ma­ti­sée, mais aus­si à la réi­fi­ca­tion du corps féminin.

Quelle alliance possible ?

Les fémi­nistes occi­den­tales pour­raient s’intéresser au fou­lard comme étant à la fois un révé­la­teur et une ten­ta­tive de réponse à la réi­fi­ca­tion et à la sexua­li­sa­tion géné­ra­li­sées du corps fémi­nin. Il ne s’agit pas ici de pré­co­ni­ser le port du fou­lard pour toutes les femmes, ce signe étant doté de signi­fi­ca­tions cultu­relles, iden­ti­taires ou reli­gieuses par­ti­cu­lières. Et il faut sou­li­gner que, dans des milieux très patriar­caux, le port du fou­lard est davan­tage subi que choi­si et relève d’une logique d’oppression plus que d’émancipation. En revanche, il pour­rait être inté­res­sant pour les orga­ni­sa­tions fémi­nistes clas­siques de réa­li­ser des alliances avec des fémi­nistes musul­manes pour ten­ter d’élaborer un dis­cours à la fois cri­tique et alter­na­tif sur le phé­no­mène de la réi­fi­ca­tion du corps des femmes.

Il serait éga­le­ment salu­taire que les musul­manes por­tant le fou­lard s’interrogent sur la pos­si­bi­li­té d’attribuer plus ouver­te­ment une telle signi­fi­ca­tion à ce der­nier. En d’autres termes, il s’agirait d’insister un peu plus sur le sens poten­tiel­le­ment fémi­niste du fou­lard et non seule­ment sur sa dimen­sion cultu­relle ou iden­ti­taire. Relan­cer le débat sur la liber­té pour les femmes de réel­le­ment choi­sir leurs tenues ves­ti­men­taires pour­rait per­mettre de mettre en évi­dence les pres­sions qu’elles subissent sur leur corps et leur appa­rence. Bien enten­du, la seule manière de mettre fin à ces pres­sions serait de répri­mer les com­por­te­ments mas­cu­lins offen­sants et, sur­tout, de chan­ger les men­ta­li­tés des hommes afin qu’ils per­çoivent les femmes avant tout comme des per­sonnes et s’efforcent de confi­ner la réi­fi­ca­tion du corps à la sphère intime de la sexua­li­té et des fan­tasmes. Mais un tel chan­ge­ment de men­ta­li­té n’a aucune chance de se réa­li­ser tant que les femmes elles-mêmes ne prennent pas conscience de cette forme par­ti­cu­lière d’oppression, qui se mani­feste par­tout et indé­pen­dam­ment de la culture à laquelle elles appartiennent.

« Le foulard, si je veux ! »

En fin de compte, on pour­rait consi­dé­rer que la reven­di­ca­tion des fémi­nistes musul­manes vivant en Occi­dent de pou­voir por­ter le fou­lard si elles le dési­rent rejoint celle des fémi­nistes musul­manes de ne pas le por­ter dans des pays où il est impo­sé. De même, si un sens fémi­niste était plus clai­re­ment don­né à ces choix, on pour­rait alors les rap­pro­cher de la logique qui ani­mait de nom­breuses fémi­nistes occi­den­tales dans les années sep­tante quand elles reven­di­quaient le droit de por­ter des pan­ta­lons, des mini­jupes ou de refu­ser le sou­tien-gorge. Ce sou­ci de pou­voir contrô­ler son propre corps se retrouve aus­si dans cer­tains cou­rants fémi­nistes actuels qui consi­dèrent que les femmes peuvent très bien adop­ter les normes domi­nantes d’apparence et se poser mal­gré tout en sujets. Ces fémi­nistes consi­dèrent que l’on doit refu­ser de se lais­ser objec­ti­ver, mais pas au prix de son propre corps9. En d’autres termes, on a le droit d’exiger d’être consi­dé­rées comme des sujets même si l’on conti­nue à être sexy et sédui­santes. Rap­pro­cher ces dif­fé­rents cou­rants revien­drait fina­le­ment dans tous les cas à réaf­fir­mer le droit fon­da­men­tal des femmes à dis­po­ser libre­ment de leur corps, ce qui implique de ne pas être per­çue en per­ma­nence comme un objet ou un corps sexuel, mais comme une per­sonne à part entière.

  1. Il est tou­te­fois inté­res­sant de sou­li­gner qu’il existe des femmes non issues de l’immigration qui font le choix de por­ter le fou­lard après s’être conver­ties à l’islam.
  2. Pour une ana­lyse des dif­fé­rentes rai­sons invo­quées par les filles et femmes voi­lées, voir : Fran­çoise Gas­pard, Farhad Khos­ro­kha­var, Le fou­lard et la Répu­blique, La Décou­verte, 1995.
  3. Michel Wie­vior­ka, La dif­fé­rence, Bal­land, 2001.
  4. Islam et laï­ci­té. Existe-t-il un fémi­nisme musul­man ?, L’Harmattan, 2007.
  5. Cette signi­fi­ca­tion don­née au fou­lard est rare­ment défen­due ouver­te­ment par les femmes por­tant le fou­lard. Sha­rif Gemie sou­ligne cepen­dant qu’on trouve une posi­tion de ce genre dans les écrits de l’Égyptienne Heba Ezzat : Sha­rif Gemie, French Mus­lims. New Voices in Contem­po­ra­ry France, 2010, Uni­ver­si­ty of Wales Press, p. 56.
  6. Valé­rie Daoust, « Le dis­cours sur l’hypersexualisation ou le divorce sujet/objet », Conjonc­tures, n° 44, Poli­ti­cal­ly Cor­rect, p 84.
  7. Kate Banyard, une jeune fémi­niste beau­coup lue aujourd’hui dans le milieu anglo-saxon, sou­ligne dans son der­nier livre que ces exi­gences sont sans doute l’une des causes des très nom­breux cas de troubles ali­men­taires chez les filles et les femmes : The Equa­li­ty Illu­sion : The Truth about Women and Men Today, Faber and Faber, 2010.
  8. Gemie, op. cit, p. 78 – 80.
  9. Daoust, op. cit., p. 85.

Sophie Heine


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