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Féminisme. Le livre des premières

Numéro 4 Avril 2007 - Idées-société par Hélène Stoller

avril 2007

Suzanne Van Roke­ghem, Jeanne Ver­che­val-Ver­voort et Jac­que­line Aube­nas auraient pu sous-titrer l’ou­vrage qu’elles viennent de faire paraitre, Des femmes dans l’his­toire en Bel­gique[efn_note]Suzanne Van Roke­ghem, Jeanne Ver­che­val-Ver­voort et Jac­que­line Aube­nas, Des femmes dans l’his­toire en Bel­gique, depuis 1830, coll. « Voix de l’his­toire », éd. Luc Pire, 2006.[/efn_note], « le livre des pre­mières » tant il est vrai qu’elles tracent le por­trait de pion­nières qui à force d’in­tel­li­gence, de téna­ci­té et d’obs­ti­na­tion ont per­mis tant l’é­man­ci­pa­tion des femmes que le pro­grès social pour tous.

Ouvrières, grandes bour­geoises, aris­to­crates, les femmes sont nom­breuses à se mobi­li­ser dès la Révo­lu­tion de 1830. Une fois la liber­té conquise et l’é­ga­li­té entre tous les citoyens ins­crites dans la Consti­tu­tion, elles ne deviennent pas citoyennes pour autant. Éter­nelles mineures assi­mi­lées du point de vue de leurs droits à des enfants, elles ne votent pas, ne sont pas éli­gibles, ne peuvent occu­per des fonc­tions publiques, même si celles qui sont chefs d’en­tre­prise paient des impôts. Elles se battent sur tous les fronts en même temps, pour le suf­frage uni­ver­sel, pour le droit à l’ins­truc­tion, pour le pro­grès social pour tous, à tra­vers des asso­cia­tions en tous genres, revues et jour­naux qu’elles sus­citent. Ain­si, pour prendre un exemple peu connu, Marie Bel­paire fonde en 1910 la Ligue sociale des ache­teurs qui s’en­gagent à n’a­che­ter que des pro­duits qui res­pectent les règles d’hy­giène de tra­vailleurs et de tra­vailleuses cor­rec­te­ment rému­né­rés. La ligue four­nit aux maga­sins une affi­chette qui atteste qu’ils res­pectent les conven­tions sociales. Un label de com­merce équi­table avant la lettre.

Dès 1861, des femmes font par­tie d’as­so­cia­tions ouvrières, comme celle des tis­se­rands, avant de créer leurs propres syn­di­cats. Elles sont per­çues comme des meneuses, c’est le cas lors des grèves insur­rec­tion­nelles des mineurs du bas­sin de Char­le­roi en 1868, et elles font grand-peur dans cette Bel­gique que Marx qua­li­fie de « para­dis du capi­ta­lisme conti­nen­tal », au point qu’on les appelle les « tena­ge­bon », celles qui tiennent jus­qu’au bout.

Le prolétaire de l’homme

Mais il ne s’a­git pas de se battre uni­que­ment contre le patro­nat et contre les épou­van­tables condi­tions de tra­vail de la classe ouvrière, « l’homme le plus oppri­mé peut oppri­mer un autre être, qui est sa femme. Elle est pro­lé­taire du pro­lé­taire même », dira Flo­ra Tris­tan. Émi­lie Claeys, pre­mière femme élue au Conseil géné­ral du Par­ti ouvrier belge, le confirme : « Les ouvrières doivent se battre non seule­ment contre le capi­ta­lisme, mais aus­si contre le mari tout-puis­sant. » Faut-il lut­ter avec les hommes dans les mêmes struc­tures ou en fon­der de spé­ci­fiques, cette ques­tion tra­ver­se­ra l’his­toire jus­qu’au néo­fé­mi­nisme des années sep­tante avec la créa­tion du Par­ti fémi­niste uni­fié et de la pre­mière jour­née des femmes le 11 novembre 1972. Pour Vic­toire Cappe, fon­da­trice du syn­di­cat des tra­vailleuses de l’ai­guille, « la ques­tion fémi­nine fait par­tie inté­grante de la ques­tion sociale ». En 1912, elle crée, à la demande du car­di­nal Mer­cier, le Secré­ta­riat géné­ral des unions pro­fes­sion­nelles fémi­nines chré­tiennes de Bel­gique qui s’af­fi­lie à la CSC.

Le lit, la table, le fourneau

Mais l’é­man­ci­pa­tion des femmes est tri­bu­taire du contexte éco­no­mique et social. Pen­dant la Pre­mière Guerre mon­diale, elles s’in­ves­tissent dans les hôpi­taux et dans les ser­vices sociaux. Par­mi d’autres, Edith Cavell, Louise Derache et Gabrielle Petit sont fusillées comme résis­tantes. Louise Van den Plas note : « Il nous est don­né à voir d’obs­curs héroïsmes sous la bana­li­té des misères cou­rantes. » La guerre finie, elles sont célé­brées comme héroïnes et dans le même mou­ve­ment ren­voyées à la mai­son pour « rem­plir les berceaux ».

Mais l’é­man­ci­pa­tion des femmes est tri­bu­taire du contexte éco­no­mique et social. Pen­dant la Pre­mière Guerre mon­diale, elles s’in­ves­tissent dans les hôpi­taux et dans les ser­vices sociaux. Par­mi d’autres, Edith Cavell, Louise Derache et Gabrielle Petit sont fusillées comme résis­tantes. Louise Van den Plas note : « Il nous est don­né à voir d’obs­curs héroïsmes sous la bana­li­té des misères cou­rantes. » La guerre finie, elles sont célé­brées comme héroïnes et dans le même mou­ve­ment ren­voyées à la mai­son pour « rem­plir les berceaux ».

Après la Seconde Guerre mon­diale, le Conseil natio­nal des femmes relaie dans un pre­mier temps la posi­tion des socia­listes qui estiment que la place des femmes est à la mai­son, mais le rap­port final n’a­dop­te­ra pas cette position.

Émancipation et instruction

Zoé de Gamond ne conçoit l’é­man­ci­pa­tion des femmes que par l’é­du­ca­tion et l’as­so­cia­tion et elle crée en 1835 une école pour les ouvrières adultes et une école nor­male. Sa fille Isa­belle Gat­ti de Gamond ouvre à Bruxelles en 1864 la pre­mière école laïque secon­daire pour filles qui porte tou­jours son nom. Récem­ment, l’é­cole accueillait une pré­sen­ta­tion de L’his­toire des femmes en pré­sence de la ministre Are­na et d’une seule classe de ter­mi­nale, comme si la direc­tion crai­gnait de ne pas par­ve­nir à mai­tri­ser ses troupes…

Tout au long du xixe siècle, catho­liques et libé­raux s’af­frontent sur la ques­tion sco­laire, mais dans les deux camps, peu de voix défendent l’en­sei­gne­ment obli­ga­toire pour tous. Il faut attendre 1914 pour qu’il le devienne jus­qu’à qua­torze ans. Isa­la Van Diest est la pre­mière femme uni­ver­si­taire, mais elle avait dû aller à Berne pour obte­nir son diplôme de méde­cin ; un décret royal de 1884 est néces­saire pour qu’elle puisse ouvrir son cabi­net. Par contre, Marie Pope­lin, pre­mière diplô­mée en droit, n’ob­tien­dra jamais l’au­to­ri­sa­tion de s’ins­crire au Bar­reau. En 1906, elle assure la pré­si­dence du Conseil natio­nal des femmes qu’elle a créé avec Louis Franck et Isa­la Van Diest et qui est à l’o­ri­gine d’im­por­tantes avan­cées législatives.

Le droit de vote

En 1894, le POB dans la Charte de Qua­re­gnon se pro­nonce pour le suf­frage fémi­nin et le droit des femmes au tra­vail. Mais en 1902, les socia­listes alliés aux libé­raux renoncent à reven­di­quer le droit de vote. Les femmes socia­listes s’in­clinent au nom de l’in­té­rêt de la classe ouvrière. Elles vont petit à petit conqué­rir une cer­taine auto­no­mie, mais il faut attendre 1948 pour qu’elles obtiennent le droit de vote aux élec­tions par­le­men­taires et pro­vin­ciales, même si les mères et les veuves de mili­taires et de civils tués pen­dant la guerre et les femmes empri­son­nées ou condam­nées par l’oc­cu­pant l’ont acquis depuis 1920. C’est à cette date éga­le­ment que toutes les femmes obtiennent le droit de vote aux élec­tions com­mu­nales. Curieu­se­ment, elles sont éli­gibles depuis la même époque. Marie Spaak-Jan­son est la pre­mière séna­trice coop­tée et Lucie Dejar­din est la pre­mière femme élue au Par­le­ment en 1929. Toutes ces pion­nières ont des des­tins hors normes, mais celui de Lucie Dejar­din est excep­tion­nel : à dix ans, ouvrière au fond de la mine, elle milite au POB, s’af­fi­lie au Cercle local d’é­du­ca­tion ouvrière, l’un de ces cercles qui jouent un rôle essen­tiel dans la for­ma­tion de la classe ouvrière. Pen­dant la guerre, elle est arrê­tée pour espion­nage et échappe de jus­tesse à l’exé­cu­tion. À cin­quante-quatre ans, elle est élue parlementaire.

Sois belle et tu pourras travailler…

… sois moche (ou jugée telle) et rentre à la mai­son. Par­mi tant de com­bats livrés par les femmes, celui de Gabrielle Defrenne, hôtesse de l’air à la Sabe­na, est exem­plaire de la condi­tion des femmes. La Sabe­na oblige les hôtesses à par­tir à la retraite à qua­rante ans alors que leurs col­lègues mas­cu­lins peuvent tra­vailler jus­qu’à l’âge légal de la retraite. C’est qu’une fois atteint cet âge fati­dique, on les trouve moins appé­tis­santes, à se deman­der ce que les pas­sa­gers (mas­cu­lins) attendent vrai­ment comme ser­vices d’une hôtesse. Pre­mière « avan­cée », elles peuvent tra­vailler jus­qu’à qua­rante-cinq ans, mais elles doivent se pré­sen­ter tous les deux ans devant une com­mis­sion esthé­tique qui jauge leur plas­tique. L’as­so­cia­tion des hôtesses, fon­dée par Monique Genon­ceaux obtient en 1974 la sup­pres­sion d’une telle indi­gni­té, mais il faut attendre 1978 et plu­sieurs recours devant la Cour de jus­tice des Com­mu­nau­tés euro­péennes pour que l’é­ga­li­té de trai­te­ment entre hommes et femmes soit acquise. Voi­ci encore un exemple de lutte menée pour tous, puisque les arrêts Defrenne ont contri­bué à consa­crer la supré­ma­tie du droit euro­péen sur le droit national.

Le néoféminisme

Marie Denis, dont La Revue nou­velle a eu tant de bon­heur à publier les Roses des vents, est à l’i­ni­tia­tive du Petit Livre rouge des femmes qui parait le 11 novembre 1972 à l’oc­ca­sion de la pre­mière jour­née des femmes. Fon­da­trice du maga­zine Voyelles, elle sus­cite l’ou­ver­ture d’une Mai­son des femmes. Le mou­ve­ment des femmes prend de l’am­pleur et les pro­grès sont nom­breux. Il est impos­sible de tous les énu­mé­rer, mais l’on peut en rete­nir un que l’on pour­rait consi­dé­rer comme anec­do­tique dans la conquête de l’é­ga­li­té. Peu de jeunes femmes savent aujourd’­hui que ce n’est qu’en 1973 que les femmes peuvent ouvrir un compte en banque sans l’au­to­ri­sa­tion de leur mari. Ce geste, banal aujourd’­hui, est un droit très récent.

En 1990, l’a­vor­te­ment est dépé­na­li­sé : le che­min aura été long depuis la loi de 1867 qui cri­mi­na­lise l’a­vor­te­ment au titre de « crime contre l’ordre des familles et la mora­li­té publique ». Entre­temps, le pre­mier plan­ning fami­lial, La Famille heu­reuse, s’est ouvert en 1962 ; en 1973, à la suite de l’ar­res­ta­tion du doc­teur Willy Peers qui pra­ti­quait des avor­te­ments, la publi­ci­té pour la contra­cep­tion est auto­ri­sée. Des centres qui pra­tiquent l’in­ter­rup­tion volon­taire de gros­sesse en toute illé­ga­li­té se créent un peu partout.µ

La porte ouverte

Le livre de Suzanne Van Roke­ghem, Jeanne Ver­che­val-Ver­voort et Jac­que­line Aube­nas est aus­si un bel objet. Les deux­cents por­traits, le mil­lier de femmes citées prennent place dans un ouvrage au for­mat de livre d’art, abon­dam­ment illus­tré, qui reprend dans une colonne en paral­lèle du texte les dates mar­quantes de l’his­toire des femmes dans dif­fé­rents pays remises dans le contexte de l’his­toire, celle à qui l’on attri­bue erro­né­ment une majus­cule. Ici, il a fal­lu sabrer dans nombre de « pre­mières fois », tant les femmes ont, au fil de l’his­toire, conquis leur place dans tous les domaines de la vie sociale, poli­tique, éco­no­mique et cultu­relle. Nos contem­po­raines ont béné­fi­cié des acquis de leurs ainées et elles ne doivent plus faire preuve d’au­tant d’hé­roïsme. Même si leurs par­cours indi­vi­duels sont pas­sion­nants, on s’est donc davan­tage cen­tré sur les pionnières.

Isa­belle Gat­ti de Gamond, de pion­nière s’est aus­si faite vision­naire : « On ne sau­ra jamais, chaque fois qu’on ouvre une porte aux femmes, l’im­por­tance de la révo­lu­tion qui va s’ac­com­plir. » La jour­née inter­na­tio­nale des femmes du 8 mars rap­pelle chaque année que cette révo­lu­tion n’est pas terminée.

Hélène Stoller


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