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Favoriser la représentation des femmes par le biais des quotas ? La loi sur les conseils d’administration

Numéro 10 Octobre 2011 par Anne Tréfois

octobre 2011

Le 16 juin 2011, la Chambre des repré­sen­tants a adop­té une loi visant à garan­tir la pré­sence des femmes dans les conseils d’ad­mi­nis­tra­tion des entre­prises publiques auto­nomes, des socié­tés cotées et de la Lote­rie natio­nale. Par­tant notam­ment du constat que, en Bel­gique, moins de 7 % des sièges dans le conseil d’ad­mi­nis­tra­tion d’en­tre­prises cotées en bourse sont occu­pés par des femmes, le légis­la­teur a déci­dé de prendre à bras-le-corps le pro­blème de la sous-repré­sen­ta­tion des femmes dans les organes dirigeants.

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Loin de por­ter sur un enjeu neuf, ce texte de loi1 marque une étape dans le pro­ces­sus devant mener à plus d’égalité entre les femmes et les hommes. Néan­moins, le pro­ces­sus légis­la­tif a fait res­sor­tir une ques­tion récur­rente : la méthode employée, à savoir l’imposition de quo­tas, est-elle la meilleure pour pal­lier le manque de femmes dans les plus hautes fonc­tions diri­geantes ? Si les déci­deurs poli­tiques par­tagent tous l’avis qu’il faut tendre à une mixi­té de genres et qu’elle consti­tue une plus-value pour l’entreprise, les points de vue divergent quant aux moyens à employer pour y arri­ver. Appar­tient-il au légis­la­teur d’intervenir en la matière ? Le quo­ta en tant que dis­po­si­tion légale et obli­ga­toire — donc contrai­gnante — est-il la seule et la plus effi­cace solution ?

L’analyse des posi­tions et argu­ments dans ce débat fait appa­raitre une ligne de démar­ca­tion sui­vant le cli­vage gauche-droite, et elle révèle les concep­tions des par­tis quant aux rôles et fonc­tions attri­bués aux indi­vi­dus sur la base de leur genre.

Positions et arguments

Le texte adop­té en juin 2011 découle d’une pro­po­si­tion de loi dépo­sée par le groupe PS de la Chambre en sep­tembre 20102. Fin novembre 2010, d’autres pro­po­si­tions dépo­sées ulté­rieu­re­ment sont jointes à la pro­po­si­tion socia­liste3. La com­mis­sion char­gée des pro­blèmes de droit com­mer­cial et éco­no­mique de la Chambre pro­cè­de­ra à dif­fé­rentes audi­tions de repré­sen­tants de la socié­té civile. De façon symp­to­ma­tique, dix des onze inter­ve­nants qui sont alors enten­dus sont des intervenantes.

Les quo­tas en politique

Dans le débat sur l’instauration de quo­tas dans les CA, il est régu­liè­re­ment fait réfé­rence aux quo­tas appli­qués en poli­tique. L’instauration de ceux-ci remonte à 1994 et s’est pro­gres­si­ve­ment ren­for­cée. La loi alors adop­tée impo­sait que la pro­por­tion de can­di­dats du même sexe sur une liste ne dépasse pas les deux tiers. Depuis la modi­fi­ca­tion de la Consti­tu­tion et du Code élec­to­ral en 2002, l’écart entre le nombre de can­di­dats de chaque sexe ne peut être supé­rieur à un. Par ailleurs, un méca­nisme sup­plé­men­taire pré­voit aujourd’hui la mixi­té pour les deux pre­miers can­di­dats de la liste.

Si l’on atteint presque la pari­té, il faut tou­te­fois se sou­ve­nir que celle-ci n’est pré­vue qu’en ce qui concerne les listes de can­di­dats. En Bel­gique, les quo­tas ne concernent pas les membres des assem­blées. La pari­té par­mi les élus, et, par­tant, l’égalité en termes de genre au sein des assem­blées, n’est donc, pour sa part, pas garantie.

Ces quo­tas ont clai­re­ment per­mis de ren­for­cer la pré­sence des femmes dans les assem­blées élues. De 12% en 1995, la pro­por­tion des élues à la Chambre des repré­sen­tants est pas­sée à 39,3% en 20104. On note­ra tou­te­fois qu’au 1er jan­vier 2010, les femmes repré­sen­taient 51% de la popu­la­tion belge.

Dès l’entame de la dis­cus­sion, une frac­ture très nette se des­sine entre les par­ti­sans des quo­tas et les oppo­sants à cette mesure contrai­gnante. Alors que, selon l’ordre des inter­ven­tions, le PS, le SP.A, le CDH, le CD&V et le groupe Éco­lo-Groen ! pro­meuvent la réforme, la droite (N‑VA, Open VLD et MR) et l’extrême droite (VB) s’y opposent.

Les par­tis du pre­mier groupe par­tagent l’idée qu’il faut impé­ra­ti­ve­ment remé­dier à la sous-repré­sen­ta­tion des femmes dans les hautes fonc­tions diri­geantes. Sont ici visés les postes d’administrateur dans les conseils d’administration des entre­prises publiques, des socié­tés cotées en bourse et de la Lote­rie natio­nale. Le quo­ta, que l’on peut défi­nir dans ce cas comme étant l’imposition légale d’une norme chif­frée visant à garan­tir la repré­sen­ta­ti­vi­té en termes numé­riques d’un groupe don­né — ici défi­ni par l’appartenance à un genre — est la solu­tion rete­nue pour bri­ser le « pla­fond de verre5 » auquel les femmes se heurtent. Les argu­ments avan­cés par ces par­tis sont mul­tiples et se recoupent lar­ge­ment : il en va de l’égalité et de la repré­sen­ta­ti­vi­té ; il faut reflé­ter fidè­le­ment la com­po­si­tion de la socié­té pour des rai­sons démo­cra­tiques et de bon fonc­tion­ne­ment, mais il convient aus­si de reflé­ter la réa­li­té de cer­tains sec­teurs ; il existe des femmes com­pé­tentes, can­di­dates à des fonc­tions à haute res­pon­sa­bi­li­té, et s’en pri­ver revien­drait à gas­piller des talents ; une repré­sen­ta­tion équi­li­brée entraine des retom­bées posi­tives pour les entre­prises ; comp­ter sur le bon vou­loir des entre­prises est inef­fi­cace, tout comme espé­rer que le temps fera son œuvre ; les quo­tas ins­tau­rés en poli­tique ont appor­té une réelle solu­tion, comme en atteste l’accroissement de la pré­sence des femmes dans les assem­blées élues et plus lar­ge­ment dans la vie poli­tique ; l’expérience de la Nor­vège6, qui a légi­fé­ré en la matière en 2003, offre des pers­pec­tives encou­ra­geantes ; avec cette ini­tia­tive, on s’inscrit dans une volon­té euro­péenne, mais aus­si dans la droite ligne des enga­ge­ments inter­na­tio­naux sous­crits par la Bel­gique (Pla­te­forme d’action de Pékin).

Les par­tis du second groupe s’opposent à l’imposition de quo­tas. S’ils par­tagent l’avis que les femmes sont sous-repré­sen­tées dans les CA des entre­prises cotées en bourse, voire dans d’autres sec­teurs7, ils sou­lignent par contre que la repré­sen­ta­tion des femmes est plus impor­tante par­mi les cadres moyens, dans les fonc­tions admi­nis­tra­tives et dans la fonc­tion publique. Ici se mani­feste clai­re­ment le cli­vage gauche-droite. Libé­raux fran­co­phones et néer­lan­do­phones consi­dèrent que l’État peut don­ner l’exemple et for­mu­ler des recom­man­da­tions à l’intention des action­naires, mais qu’il ne peut pas s’immiscer dans les acti­vi­tés pri­vées. Ren­con­trant l’une des posi­tions expri­mées par les natio­na­listes fla­mands, ils estiment qu’il appar­tient aux seuls action­naires de déter­mi­ner la com­po­si­tion du CA d’une entre­prise pri­vée, ce qui est incom­pa­tible avec l’imposition de quotas.

Moyens à mettre en œuvre

C’est donc une concep­tion dif­fé­rente de l’action publique qui appa­rait. Les groupes poli­tiques par­ti­sans des quo­tas estiment qu’il appar­tient aux pou­voirs publics d’indiquer la direc­tion à suivre et d’imposer, le cas échéant, des obli­ga­tions aux entre­prises pri­vées. L’autorégulation et les actions de sen­si­bi­li­sa­tion n’apportent à leurs yeux aucune amé­lio­ra­tion concrète.

En accord sur les objec­tifs, ces groupes divergent par contre quant aux délais de tran­si­tion à accor­der aux entre­prises pour se confor­mer à la légis­la­tion, quant aux sanc­tions à appli­quer aux contre­ve­nants et quant au pour­cen­tage à atteindre. Le délai de tran­si­tion pro­po­sé oscille entre trois ans (SP.A) et sept ou huit ans selon l’organe concer­né8. Pour les socia­listes fla­mands, plus la tran­si­tion sera longue, plus grand est le risque d’abus. Le débat est ouvert sur la forme que peut prendre la sanc­tion : amende, peine de pri­son ou annu­la­tion des déci­sions prises par des organes qui seraient non conformes. Par contre, un consen­sus se dégage très rapi­de­ment sur le pour­cen­tage à atteindre. Bien que le groupe Éco­lo-Groen ! pro­pose 40%, le quo­ta d’un tiers pré­vu dans la pro­po­si­tion ini­tiale est retenu.

Si le CDH sug­gère de mettre en place des mesures d’accompagnement des quo­tas, le groupe Éco­lo-Groen ! sou­lève pour sa part la ques­tion des poli­tiques à mener conjoin­te­ment : « L’instauration de quo­tas devrait éga­le­ment s’accompagner d’une poli­tique axée sur l’égalité en matière de rému­né­ra­tion, de temps de tra­vail et d’accueil des enfants, afin qu’une femme ne doive plus choi­sir entre sa famille et sa car­rière, ou que l’un des deux membres d’un couple ne doive plus aban­don­ner sa carrière. »

Pour les groupes poli­tiques s’opposant à cette réforme, l’imposition de quo­tas n’est pas la bonne méthode. Ils pré­fèrent miser sur la bonne volon­té des entre­prises et mettent l’accent sur les dis­po­si­tions exis­tantes. Le MR rap­pelle à cet effet que le Code belge de gou­ver­nance d’entreprise pré­voit une mixi­té des genres9, et que s’il faut en effet faire évo­luer les men­ta­li­tés, pas­ser par une obli­ga­tion serait contre­pro­duc­tif. Les quatre par­tis pré­co­nisent dès lors d’appliquer le prin­cipe « com­ply or explain » (se confor­mer ou expli­quer). Dans ce cadre, les jus­ti­fi­ca­tions pour­raient par exemple être for­mu­lées dans le rap­port annuel de l’entreprise.

Cette vision, van­tée pour sa sou­plesse et son adap­ta­bi­li­té aux spé­ci­fi­ci­tés de cer­taines entre­prises (fami­liales, notam­ment), est par­ti­cu­liè­re­ment cri­ti­quée par les par­tis de gauche. SP.A et PS, par exemple, évoquent l’inefficacité de l’autorégulation mise en lumière par la crise finan­cière et ban­caire sur­ve­nue en 2008.

Les par­tis s’opposant aux quo­tas consi­dèrent éga­le­ment évident que les action­naires, ayant pour seul objec­tif le bien de l’entreprise, ne vont pas sciem­ment se pri­ver de talents au seul motif qu’ils sont fémi­nins, indi­quant ain­si que l’autorégulation devrait conduire natu­rel­le­ment à une fémi­ni­sa­tion des CA. Ils se réfèrent eux aus­si à la ques­tion de la com­pé­tence, mais pour sou­li­gner qu’il faut s’en tenir d’abord et avant tout au pro­fil du can­di­dat, à son expé­rience pro­fes­sion­nelle et à ses qua­li­tés utiles pour la fonc­tion. Lors de son audi­tion en com­mis­sion de la Chambre, Her­man Daems10, pré­sident de la com­mis­sion Cor­po­rate Gover­nance, indique que « les femmes sont aus­si — sinon plus — com­pé­tentes que les hommes. Elles ont aus­si de l’expérience, mais dans cer­tains cas, leur vision des choses est peut-être un peu plus étroite ». Pré­ci­sant son pro­pos, sans tou­te­fois en atté­nuer la por­tée, il ajoute que « la plu­part des femmes sont trop spé­cia­li­sées. Or, les membres d’un conseil d’administration doivent s’y connaitre dans tous les domaines et avoir de bonnes notions de stra­té­gie, de mar­ke­ting, de ges­tion du per­son­nel11…». La N‑VA se demande pour sa part où trou­ver ces 30 ou 40% de femmes prêtes à entrer dans des CA. Zuhal Demir indique ain­si que « 20% seule­ment des femmes sou­haitent faire car­rière12 », sou­le­vant la ques­tion de la conci­lia­tion entre la vie pri­vée et la vie pro­fes­sion­nelle. Dans cette logique, par­ta­gée par une grande par­tie des élus de droite, « faire car­rière » requiert des « sacri­fices » aux­quels il est pro­po­sé de répondre en abor­dant ce que ces par­le­men­taires consi­dèrent être le vrai débat : celui du temps de tra­vail, dont la flexi­bi­li­té devrait être accrue. Pour ce second groupe, impo­ser par la loi un quo­ta est donc envi­sa­geable, mais uni­que­ment dans les entre­prises publiques (pour les­quelles l’on pour­rait, selon le MR, pré­tendre à la pari­té des genres13). Il appar­tient en effet à l’État de mon­trer l’exemple, mais pas de légi­fé­rer en la matière, sous peine de s’immiscer dans les déci­sions des action­naires, qui font auto­ri­té en termes de ges­tion effi­cace de l’entreprise.

L’avis du Conseil d’État

Après son adop­tion en com­mis­sion, le texte est ren­voyé au Conseil d’État sur demande de l’Open VLD, du MR, de la N‑VA et du VB. Her­man De Croo (Open VLD) explique en séance plé­nière du 31 mars 2011 que « le Conseil d’État pour­rait ain­si exa­mi­ner la ques­tion de l’égalité de trai­te­ment entre les entre­prises publiques éco­no­miques rele­vant de la loi du 21 mars 1991. Il y a en effet des quo­tas dif­fé­rents pour Bel­ga­com, bpost, Bel­go­con­trol, la SNCB-Hol­ding, la sncb et Infra­bel. Le Conseil d’État pour­rait éga­le­ment s’intéresser à l’égalité de trai­te­ment entre les entre­prises cotées en bourse ». Comme le texte pré­voit un régime dif­fé­rent entre les entre­prises selon que la pro­por­tion de leurs actions cotées en bourse est ou non égale ou supé­rieure à 50%, les libé­raux fla­mands se demandent ce qu’il advien­dra « en cas de modi­fi­ca­tion du pour­cen­tage bour­sier d’entreprises clas­siques de droit pri­vé cotées en bourse ».

Cour­rou­cés par le carac­tère tar­dif de cette demande, les tenants de la pro­po­si­tion y voient une manœuvre dila­toire évi­dente, comme en attestent les pro­pos du socia­liste fla­mand Bru­no Tuy­bens : « À pré­sent que nous sommes cer­tains qu’il s’agit d’une manœuvre dila­toire, nous pou­vons consi­dé­rer cette demande comme une occa­sion man­quée pour beau­coup de femmes. Cette ini­tia­tive ne m’a pas sur­pris. Si m. De Croo se livre à des manœuvres dila­toires avec le MR et la N‑VA, il ne doit pas seule­ment s’entendre sur ce qu’ils feront, mais aus­si sur la manière dont ils l’expliqueront. […] Il est en train de pré­tendre qu’ils demandent l’avis pour des pré­oc­cu­pa­tions d’ordre consti­tu­tion­nel alors que les autres recon­naissent aisé­ment qu’ils le font pour retar­der les choses. »

Dans son avis, le Conseil d’État estime que le quo­ta, dans le cas pré­sent, est admis­sible, mais il met en garde contre le risque de voir le prin­cipe de la liber­té d’association vio­lé en ce qui concerne cette obli­ga­tion impo­sée aux entre­prises pri­vées. Cer­taines des remarques for­mu­lées conduisent à des modi­fi­ca­tions de la pro­po­si­tion de loi. La sanc­tion visant la nul­li­té des déci­sions du CA est notam­ment sup­pri­mée par un amen­de­ment dépo­sé conjoin­te­ment par des élus socia­listes, éco­lo­gistes, huma­nistes et chré­tiens démo­crates. Bien qu’ils insistent tou­jours sur la néces­si­té de sanc­tion­ner, ces par­le­men­taires tiennent compte du fait que la dis­po­si­tion ini­tiale com­porte un risque de dys­fonc­tion­ne­ment impor­tant pour l’entreprise14. Une mesure d’évaluation de la loi, par les chambres légis­la­tives, est éga­le­ment ajoutée.

Le texte est adop­té en com­mis­sion par neuf voix contre cinq et deux abs­ten­tions15. Concer­nant les entre­prises publiques éco­no­miques et la Lote­rie natio­nale, il pré­voit qu’au moins un tiers des membres du CA « dési­gnés par l’État belge ou par une entre­prise contrô­lée par l’État belge soit de sexe dif­fé­rent de celui des autres membres ». En ce qui concerne l’application de la mesure, la loi pré­voit que « le nombre mini­mum requis de ces membres de sexe dif­fé­rent doit être arron­di au nombre entier le plus proche ». Si ce quo­ta d’un tiers n’est pas atteint, le pro­chain admi­nis­tra­teur nom­mé doit être de ce sexe sous peine d’annulation de sa nomi­na­tion. La sanc­tion est la même si une nomi­na­tion entraine le pas­sage du nombre d’administrateurs de sexe dif­fé­rent sous le quo­ta fixé.

Dans le cas des socié­tés cotées, la mesure et les règles d’application de celle-ci sont les mêmes, tout comme la sanc­tion. Par contre, le légis­la­teur pré­voit éga­le­ment que la socié­té expose dans son rap­port annuel les efforts consen­tis pour atteindre l’objectif fixé par la loi. Une autre sanc­tion est éga­le­ment pré­vue. En cas de non-res­pect du quo­ta, l’assemblée géné­rale sui­vante doit consti­tuer un CA conforme, sous peine de voir sus­pen­dus (tant que la loi n’est pas res­pec­tée) les avan­tages, finan­ciers et autres, per­çus par ses admi­nis­tra­teurs en lien avec leur mandat.

Conclusion

La pro­po­si­tion de loi est fina­le­ment adop­tée par la Chambre le 16 juin 2011 grâce à une majo­ri­té alter­na­tive et à la faveur d’une période de crise poli­tique, le gou­ver­ne­ment étant tou­jours en affaires cou­rantes. Réunis­sant les par­tis de gauche et du centre, cette majo­ri­té alter­na­tive entend pro­mou­voir l’égalité entre les femmes et les hommes et ce, en impo­sant des mesures contrai­gnantes aux entre­prises, y com­pris pri­vées. Oppo­sés à l’idée de voir l’État s’immiscer dans la sphère pri­vée, les par­tis de droite et d’extrême droite ont déve­lop­pé dif­fé­rents argu­ments et uti­li­sé cer­taines pro­cé­dures pour ten­ter d’empêcher ou de ralen­tir l’adoption de cette loi. Sui­vant cette logique de non-immix­tion, quinze des dix-sept dépu­tés MR pré­sents en séance plé­nière, tout comme une libé­rale fla­mande, se sont abs­te­nus, et deux ont voté contre le texte. L’intention d’abstention du MR était connue et annon­cée sur le site inter­net du par­ti à la veille du vote en com­mis­sion de la Chambre : « Le groupe MR émet­tra un vote d’abstention sur l’ensemble de la pro­po­si­tion mar­quant ain­si sa volon­té d’une meilleure repré­sen­ta­tion des femmes dans les direc­tions d’entreprises, mais mar­quant dans le même temps sa désap­pro­ba­tion quant à la méthode auto­ri­taire choi­sie. Le MR déplore l’intrusion du légis­la­teur dans la ges­tion pri­vée. » S’exprimant avant le vote en séance plé­nière au cours duquel onze membres du groupe sur treize vote­ront contre la pro­po­si­tion, la dépu­tée Open VLD Gwen­do­line Rut­ten déclare : « Sachant que le moyen n’est peut-être pas idéal, mais que l’objectif de l’égalité des chances s’inscrit dans les valeurs fon­da­men­tales libé­rales, je m’abstiendrai lors du vote. » La dépu­tée libé­rale ger­ma­no­phone Kat­trin Jadin tient elle aus­si, mais après le vote, à pré­ci­ser qu’elle s’est abstenue.

Au-delà du par­cours légis­la­tif, la pro­blé­ma­tique des quo­tas des­ti­nés à favo­ri­ser la pré­sence de femmes dans cer­taines sphères d’activité sou­lève des ques­tions fon­da­men­tales. Faut-il voir dans l’adoption de ce texte une réelle évo­lu­tion ou bien, au contraire, la preuve que notre socié­té ne peut évo­luer sur le che­min de l’égalité qu’en y étant contrainte ? Vou­lant répondre à un dés­équi­libre, cet épi­sode ne met-il pas pré­ci­sé­ment l’accent sur l’inégalité de consi­dé­ra­tion des femmes ? Se pose-t-on en effet sou­vent la ques­tion, comme le sou­lignent Claire Gavray et Chris­tine Pagnoulle, de la repré­sen­ta­tion poli­tique des hommes par exemple ? À cet égard, l’argument de la com­pé­tence est par­ti­cu­liè­re­ment par­lant. De part et d’autre, on sou­ligne que les femmes sont com­pé­tentes, comme si la pré­ci­sion était néces­saire, mais, sur­tout, comme si la for­mule un « homme com­pé­tent » était un pléo­nasme. Enfin, ce débat sou­ligne que les inéga­li­tés de car­rière, même au som­met de la hié­rar­chie sociale, ren­voient à des ques­tions coro­laires, sin­gu­liè­re­ment à celles qui pro­cèdent de la répar­ti­tion des rôles et des res­pon­sa­bi­li­tés des femmes et des hommes dans notre socié­té, ain­si que de la place accor­dée aux indi­vi­dus, dans toutes leurs dimen­sions, sur le mar­ché du travail.

  1. Pro­po­si­tion de loi modi­fiant la loi du 21 mars 1991 por­tant réforme de cer­taines entre­prises publiques éco­no­miques, le Code des socié­tés et la loi du 19 avril 2002 rela­tive à la ratio­na­li­sa­tion du fonc­tion­ne­ment et de la ges­tion de la Lote­rie natio­nale afin de garan­tir la pré­sence des femmes dans le conseil d’administration des entre­prises publiques auto­nomes, des socié­tés cotées et de la Lote­rie natio­nale, Chambre des repré­sen­tants, doc 530211/012.
  2. On relè­ve­ra que cette pro­po­si­tion a été cosi­gnée par cinq des neuf dépu­tées du groupe, mais par aucun des dix-sept hommes qui le com­posent. Faut-il com­prendre que les femmes sont les mieux pla­cées pour repré­sen­ter les inté­rêts par­ta­gés par les femmes ? doc 530211/001
  3. Ces pro­po­si­tions émanent res­pec­ti­ve­ment du SP.A (13 octobre 2010), du CDH (19 novembre 2010), du groupe Éco­lo-Groen ! (24 novembre 2010) et du CD&V (25 novembre 2010). Voir Chambre des repré­sen­tants doc 530381/001, Chambre des repré­sen­tants doc 530649/001, Chambre des repré­sen­tants doc 530694/00 et Chambre des repré­sen­tants doc 530686/001.
  4. P. Blaise, V. de Coore­by­ter, J. Faniel, « Les résul­tats des élec­tions fédé­rales du 13 juin 2010 », Cour­rier heb­do­ma­daire, Crisp, n° 2082 – 2083, 2010, p. 76.
  5. La méta­phore du « pla­fond de verre » est employée pour illus­trer la bar­rière, invi­sible, mais dif­fi­cile à fran­chir, à laquelle les femmes sont confron­tées lorsqu’il s’agit d’évoluer dans leur car­rière. En effet, si la pré­sence des femmes, dont les résul­tats sco­laires sont en moyenne supé­rieurs à ceux des hommes, s’est accrue dans les fonc­tions de mana­ge­ment infé­rieur et moyen, force est de consta­ter que plus on monte dans la hié­rar­chie, moins on trouve de repré­sen­tantes du sexe fémi­nin. La rai­son prin­ci­pale de ce phé­no­mène serait à cher­cher du côté de la culture d’entreprise qui demeure for­te­ment impré­gnée de sté­réo­types de genre. Voir Ins­ti­tut pour l’égalité des femmes et des hommes, Femmes au som­met 2008, p. 7 et s.
  6. En 2003, la Nor­vège a adop­té une loi visant à accroitre la pro­por­tion de femmes dans les CA via l’instauration d’un quo­ta de 40 %. Les résul­tats furent pro­bants, au moins au plan quan­ti­ta­tif. En quatre ans, 60 % des entre­prises du sec­teur pri­vé et 100 % des entre­prises du sec­teur public avaient atteint le quo­ta fixé. Celui-ci était assor­ti d’une sanc­tion très sévère puisque les entre­prises contre­ve­nantes seraient exclues de la bourse. Voir Ins­ti­tut pour l’égalité des femmes et des hommes, op. cit., p. 5.
  7. La N‑VA évoque ain­si les grands cabi­nets d’avocats ou les fonc­tions de PD‑G.
  8. Éco­lo-Groen ! entend en effet étendre la dis­po­si­tion aux entre­prises publiques, semi-publiques, para­pu­bliques et socié­tés cotées. Cela com­pren­drait en outre les postes de direc­teur, rai­son pour laquelle est pro­po­sée une tran­si­tion de huit ans, cal­quée sur la durée des man­dats. Chambre des repré­sen­tants doc 530211/004, p. 11.
  9. Arrê­té royal du 6 juin 2010 por­tant dési­gna­tion du Code de gou­ver­ne­ment d’entreprise à res­pec­ter par les socié­tés cotées, Moni­teur belge du 28 juin 2010.
  10. Ancien pré­sident de la GIMV et actuel pré­sident de bnp Pari­bas Fortis.
  11. Chambre des repré­sen­tants doc 530211/004, p. 26.
  12. Id., p. 13.
  13. « Quo­tas de genre et conseils d’administration : le MR pré­co­nise l’exemple plu­tôt que la contrainte », publié le 31 mai 2011 sur le site inter­net offi­ciel du Mou­ve­ment réfor­ma­teur, www.MR.be.
  14. Rap­port com­plé­men­taire fait au nom de la com­mis­sion char­gée des pro­blèmes de droit com­mer­cial et éco­no­mique par Mme Leen Dierick.
  15. Les voix en faveur du texte sont celles du PS, du CD&V, du SP.A, du groupe Éco­lo-Groen ! et du CDH. Les votes contre ont été émis par la N‑VA, l’Open VLD et le VB. Quant aux abs­ten­tions, elles sont émises par le MR, qui s’en est expli­qué dans un com­mu­ni­qué publié sur le site inter­net du par­ti le 31 mai 2011. « Quo­tas de genre et conseils d’administration : le MR pré­co­nise l’exemple plu­tôt que la contrainte », op. cit.

Anne Tréfois


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