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Faut-il croire ?

Numéro 5 - 2019 par La Revue nouvelle

juin 2019

La crise pro­fonde que, sous de mul­tiples aspects, tra­verse le chris­tia­nisme contem­po­rain se mani­feste plus par­ti­cu­liè­re­ment au sein du catho­li­cisme euro­péen par l’effondrement des affi­lia­tions reli­gieuses et des pra­tiques cultuelles pres­crites par cette Église. Au cours des der­nières décen­nies, la chose a même pris une tour­nure spec­ta­cu­laire. Certes, c’est avec des varia­tions sen­sibles selon les pays […]

Dossier

La crise pro­fonde que, sous de mul­tiples aspects, tra­verse le chris­tia­nisme contem­po­rain se mani­feste plus par­ti­cu­liè­re­ment au sein du catho­li­cisme euro­péen par l’effondrement des affi­lia­tions reli­gieuses et des pra­tiques cultuelles pres­crites par cette Église. Au cours des der­nières décen­nies, la chose a même pris une tour­nure spec­ta­cu­laire. Certes, c’est avec des varia­tions sen­sibles selon les pays et selon les appar­te­nances géné­ra­tion­nelles que le phé­no­mène se mani­feste. Mais ten­dan­ciel­le­ment, par­tout un pro­ces­sus de déclin semble inexo­ra­ble­ment à l’œuvre. Il inter­roge : qu’est-ce qui s’annonce de cette façon ? Pour cer­tains, il y a sim­ple­ment à consta­ter (par­fois en s’en réjouis­sant) que l’on pour­rait bien aller vers une Europe sans pré­sence signi­fi­ca­tive du chris­tia­nisme. Chez d’autres, par­mi ceux aux yeux des­quels les poten­tia­li­tés du mes­sage évan­gé­lique conti­nuent d’importer, on voit se déga­ger, d’une part, un pôle pour lequel s’impose un sur­croit de fidé­li­té au magis­tère romain et, d’autre part, un pôle au sein duquel on se demande s’il faut conti­nuer à croire de la même façon que le firent les géné­ra­tions anté­rieures sous la tutelle dog­ma­tique du clergé.

Le dos­sier qui suit cherche à dis­cer­ner les com­po­santes et les enjeux de cette situation.

Dans le registre de la socio­lo­gie et en opé­rant une dis­tinc­tion entre le « croire », le « cru » et le « cré­dible », Albert Bas­te­nier se demande si, dans le contexte de l’actuelle désaf­fi­lia­tion reli­gieuse, le « cré­dible » ne se cherche pas dans une nou­velle anthro­po-méta­phy­sique qui s’exprime au sein de cer­taines contri­bu­tions de la phi­lo­so­phie contem­po­raine. On y sou­tient que la reli­gion n’est pas sim­ple­ment « tom­bée de ciel » et qu’avant de res­sor­tir au registre d’une « révé­la­tion », elle est « his­to­rique » et appar­tient au domaine de la culture et de l’action humaine. La reli­gion n’opère donc qu’à l’intérieur d’un « faire ». La « croyance sans appar­te­nance » qui gagne en impor­tance aujourd’hui y trouve sa place et, lorsqu’elle ne s’apparente pas à un banal « vaga­bon­dage reli­gieux », elle retient l’attention non pas comme la source d’un « sur­plus de sens » mais plu­tôt comme l’exigence d’un « sur­plus d’agir ».

José Reding, quant à lui, s’interroge sur la signi­fi­ca­tion qui peut être recon­nue dans ce fait cultu­rel majeur qu’est la non-évi­dence contem­po­raine du divin. Et para­doxa­le­ment, avec la saga­ci­té du théo­lo­gien qu’il est, il y dis­cerne fine­ment l’actualisation d’une exi­gence, enfouie sans doute mais sub­stan­tiel­le­ment véhi­cu­lée depuis ses ori­gines par le chris­tia­nisme lui-même. À ses yeux, il est tout sim­ple­ment impen­sable que ce der­nier ignore ou mini­mise l’importance de la volon­té d’émancipation du sujet moderne qui, dans la culture occi­den­tale, a été por­tée jusqu’ici par la rai­son cri­tique des Lumières. Et donc, lorsque l’on se demande s’il faut croire, c’est sur un nou­veau « désac­cord fon­da­teur » qu’il faut tabler, là où « l’espérance de la rai­son » et « les rai­sons de l’espérance » peuvent s’adosser.

Dans le registre phi­lo­so­phique enfin, la contri­bu­tion de Jean Leclercq, d’un point de vue athée, s’appuie au départ sur un « éloge de la fini­tude ». Cher­chant à rejoindre une base intel­lec­tuelle sur laquelle l’espoir d’une « com­mu­nau­té des droits humains » par­vien­drait à s’établir, il invite à ne pas confondre « sécu­la­ri­sa­tion » et « laï­ci­sa­tion ». Dans le pro­ces­sus de la moder­ni­sa­tion, dit-il, c’est la laï­ci­sa­tion qui a trans­for­mé radi­ca­le­ment l’équation théo­lo­gi­co-poli­tique. À ses yeux, ce n’est donc ni du « dire » ni du « faire » de la reli­gion, dont les ins­ti­tu­tions sont actuel­le­ment dans une totale déshé­rence intel­lec­tuelle, que l’on peut attendre une réelle prise en charge de « l’émancipation du sujet moderne » au sein des socié­tés démo­cra­tiques. Une vie en dehors de la croyance reli­gieuse est par­fai­te­ment pos­sible sans devoir craindre un « drame de l’humanisme athée ». C’est en elle que nous nous « sau­ve­rons nous-mêmes ».

La Revue nouvelle


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