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Faire la lumière sur la transparence

Numéro 12 Décembre 2011 par Christophe Mincke

novembre 2011

Qui n’a pas enten­du par­ler de trans­pa­rence au cours de la semaine écou­lée revient d’un loin­tain voyage dans le temps ou d’une autre pla­nète. Uti­li­sé à tout bout de champ, pour tout dire, pour tout mettre en valeur, le terme hante la presse, les dis­cours poli­tiques, les slo­gans com­mer­ciaux, les pro­messes d’un monde meilleur, et j’en […]

Qui n’a pas enten­du par­ler de trans­pa­rence au cours de la semaine écou­lée revient d’un loin­tain voyage dans le temps ou d’une autre pla­nète. Uti­li­sé à tout bout de champ, pour tout dire, pour tout mettre en valeur, le terme hante la presse, les dis­cours poli­tiques, les slo­gans com­mer­ciaux, les pro­messes d’un monde meilleur, et j’en passe. Même lorsque nul ne l’in­voque, elle sous-tend un large désir d’ho­ri­zons déga­gés, où le regard por­te­rait au loin, sans obs­tacle, nous dévoi­lant notre monde dans la plus par­faite des nudités.

Il n’est bien enten­du pas envi­sa­geable de prendre cette trans­pa­rence au mot… d’où ce dos­sier, né d’un désir d’al­ler voir der­rière la trans­pa­rence. Aus­si quelques auteurs se risquent-ils ici à explo­rer le ter­rain, machette à la main. Ne faut-il en effet pas, en ce domaine pri­vé d’i­ma­ge­rie médi­cale de pointe, encore tran­cher dans le vif pour savoir ce que la trans­pa­rence a dans le ventre ?

Puis­qu’il faut com­men­cer par quelque chose, le dos­sier s’ouvre sur un texte inter­ro­geant les contours de la trans­pa­rence et les rai­sons de son attrac­ti­vi­té (Chris­tophe Mincke). Pour­quoi est-il aujourd’­hui si impor­tant de rac­cour­cir les jupes des filles de telle sorte qu’il ne faut plus se bais­ser pour voir des­sous ? Que jouons-nous au tra­vers de l’i­ma­ge­rie médi­cale et de l’ex­po­si­tion au regard (du fruit) de nos entrailles ? Que se cache-t-il der­rière l’im­pu­deur des sen­ti­ments et le dévoi­le­ment des menus faits et gestes de notre vie pri­vée ? Que cherchent les poli­tiques qui se donnent à voir sur les réseaux sociaux ? Et pour­quoi la trans­pa­rence nous parle-t-elle tant, nous les enfants et petits-enfants de géné­ra­tions aux­quelles on incul­qua la pudeur comme valeur suprême et le mys­tère comme pivot de l’exis­tence humaine ? De quelle époque la trans­pa­rence est-elle le dogme, l’idéologie ?

Laurent de Sut­ter, quant à lui, pose la ques­tion de l’ef­froi dont la trans­pa­rence devrait pré­ten­du­ment nous pro­té­ger… Pré­ten­du­ment, car il n’en faut rien attendre. Œuvrant à un trop haut niveau de géné­ra­li­té, la trans­pa­rence ne fait aucune lumière sur les secrets qui nous inquiètent, tout au plus est-elle un dis­po­si­tif sépa­rant les bons des méchants, en un clas­sique axe du wes­tern. Aus­si l’au­teur nous invite-t-il donc à consi­dé­rer la trans­pa­rence pour ce qu’elle est : un faux pro­blème qui cache un désir d’ordre.

Au rang des secrets les mieux gar­dés, figure le secret médi­cal. Pour­tant, para­doxa­le­ment, alors que l’in­fec­tion par le VIHh a per­du en Occi­dent son sta­tut de condam­na­tion à mort pour deve­nir l’en­trée dans une mala­die chro­nique, se déve­loppe une exi­gence de trans­pa­rence qui vise à contraindre à la révé­la­tion de son sta­tut séro­lo­gique. Le secret médi­cal ne tient alors plus face à une obli­ga­tion de révé­la­tion. Et Char­lotte Peze­ril de s’in­ter­ro­ger sur la signi­fi­ca­tion de cette trans­pa­rence obli­ga­toire en tant qu’elle ouvre sur une péna­li­sa­tion et sur une res­pon­sa­bi­li­sa­tion du séro­po­si­tif, désor­mais seul face à l’infection.

S’il est un sec­teur où la trans­pa­rence pose ques­tion, c’est bien celui de la politi­que. Quel est donc ce concept paré de toutes les ver­tus, sys­té­ma­ti­que­ment pré­sen­té comme mélio­ra­tif, notam­ment en poli­tique ? Telle est la ques­tion que se pose Mar­cel Sel, lequel rap­proche le terme qui nous occupe d’autres, comme démo­cra­tie ou liber­té, qui semblent eux aus­si ne pou­voir dési­gner que des réa­li­tés enviables et aux­quels, pour­tant, on fit dire tout, y com­pris les pires hor­reurs. La trans­pa­rence ne serait-elle qu’apparence ?

L’un des dis­po­si­tifs de trans­pa­rence les plus mar­quants de ces der­nières années est sans contexte le web 2.0, archi­pel de sites, pro­grammes, tech­niques, for­mats et modes de com­mu­ni­ca­tion dans le cadre duquel ce sont les inter­nautes qui créent le conte­nu de l’In­ter­net. Ce sont les rap­ports du poli­tique à ce Web 2.0 qu’in­ter­roge Nico­las Bay­gert. Il y décèle, sous le déve­lop­pe­ment du per­so­nal bran­ding et de l’ex­po­si­tion per­ma­nente et com­plète au regard de tous, l’é­mer­gence d’une sous-veillance à laquelle répondent des tech­niques de mise en scène de soi. La repré­sen­ta­tion poli­tique sur­vi­vra-t-elle à ces assauts démythificateurs ?

De poli­tique, il en est encore ques­tion dans le texte d’Ar­naud Cam­bier qui rap­pelle uti­le­ment le rôle que joue l’ex­po­si­tion aux regards, sous la forme de la publi­ci­té, dans le bon fonc­tion­ne­ment de la démo­cra­tie. Cette publi­ci­té, il l’op­pose une forme dévoyée du dévoi­le­ment : la trans­pa­rence. Cette der­nière porte sur la vie pri­vée du per­son­nel poli­tique et a plus que jamais le vent en poupe. Sous l’ap­pel au dévoi­le­ment, à l’ex­po­si­tion par le poli­tique de sa véri­té intime, se cache une ten­ta­tive de mora­li­sa­tion : ne serait digne de l’onc­tion publique, que celui qui pour­rait se mon­trer pur non seule­ment dans sa vie publique, mais aus­si dans sa vie pri­vée. La néga­tion de la dis­tinc­tion entre ver­tus publiques et pri­vées serait alors un clou du cer­cueil de la démocratie.

Enfin, Caro­line Van Wyns­ber­ghe pointe le fait que, sous les slo­gans appe­lant à une trans­pa­rence par­faite, se dis­si­mule la ques­tion de son orga­ni­sa­tion. Que convient-il de rendre trans­pa­rent, à quel moment et aux yeux de qui ? La ques­tion est cru­ciale car la trans­pa­rence peut ser­vir bien des maitres. C’est ain­si qu’elle rap­pelle uti­le­ment qu’au fon­de­ment même de la démo­cra­tie, se situe un secret, celui du vote, condi­tion indis­pen­sable à l’exer­cice par le citoyen de sa fonc­tion poli­tique. La trans­pa­rence à tout prix ? Vraiment ?

Au terme de ces quelques jalons réflexifs sur la trans­pa­rence, me viennent, c’est bon signe, de nou­velles ques­tions, de celles que nous devrions peut-être tous nous poser un jour : à qui et en quoi suis-je trans­pa­rent ? Qu’est-ce qui m’est trans­pa­rent, et que fais-je de la vue qui m’est ain­si offerte ?

Christophe Mincke


Auteur

Christophe Mincke est codirecteur de La Revue nouvelle, directeur du département de criminologie de l’Institut national de criminalistique et de criminologie et professeur à l’Université Saint-Louis à Bruxelles. Il a étudié le droit et la sociologie et s’est intéressé, à titre scientifique, au ministère public, à la médiation pénale et, aujourd’hui, à la mobilité et à ses rapports avec la prison. Au travers de ses travaux récents, il interroge notre rapport collectif au changement et la frénésie de notre époque.