Faire face à la Covid : vivre, survivre ou sur-vivre ?
Temps 1 : Comment avons-nous fait face ? Dès l’annonce du confinement, on a vu fleurir sur la toile et les réseaux sociaux notamment les touches d’humour annonçant ce à quoi allaient probablement ressembler les semaines qui allaient suivre. On y décrivait souvent trois actes : d’abord une extase béate face aux petites choses de la vie quotidienne redécouvertes à la suite de […]
Temps 1 : Comment avons-nous fait face ?
Dès l’annonce du confinement, on a vu fleurir sur la toile et les réseaux sociaux notamment les touches d’humour annonçant ce à quoi allaient probablement ressembler les semaines qui allaient suivre. On y décrivait souvent trois actes : d’abord une extase béate face aux petites choses de la vie quotidienne redécouvertes à la suite de ce ralentissement imposé ; ensuite l’arrivée des premiers nuages dans ce ciel bleu de printemps lorsque l’on se rend compte des limites de notre patience ou de notre circonspection face à ce temps dont on ne sait plus trop que faire ; et enfin la chute, le rejet de cette nouvelle vie vite devenue insupportable qu’on avait pourtant célébré quelque temps auparavant.
Comme souvent dans l’humour, il y avait ici un fond de sagesse grinçante : comme des enfants tombés malgré eux sur un sac de bonbons, nous risquerions de nous empiffrer des friandises du confinement jusqu’à en être dégoutés, oubliant bien vite que ce qui donne leur bon gout aux sucreries comme aux jours confinés, c’est aussi que, la plupart du temps, nous n’en profitons pas : ils sont rares.
Mais plus sérieusement, comment avons-nous fait face ? Comment nous en sommes-nous sortis ou pas sortis, en tant qu’individu et en tant que collectif ? Le fait majeur de ces dernières semaines, c’est que ce brouillard semble s’installer dans la durée. Le sprint s’est transformé en marathon. Ce n’est plus comme si on pouvait traverser la zone de turbulence en apnée, car elle semble être partie pour rester. On parle nouvellement d’un vieux mot : incertitude. Non seulement nous semblons être dans le brouillard pour longtemps, nous sommes moins capables de prévoir, mais nous ne savons plus trop ou nous en sommes : Est-ce qu’on va bien ? Est-ce qu’on va mal ? Est-ce que les autres vont bien ou mal ? Mieux ou moins bien que nous ? Est-ce que c’est pire ou est-ce qu’on s’en sort mieux que prévu ? Des questions auxquelles il est bien difficile de répondre quand on n’a jamais expérimenté la situation dans laquelle on s’interroge sur nous-mêmes.
Le seul constat qui me semble pouvoir s’imposer sans prendre trop de risques, c’est qu’on ne sait pas grand-chose. Et pourtant, on parle, on en parle, beaucoup, sans arrêt. D’un côté, nous sommes confrontés à des discours d’experts (rien de péjoratif, au contraire), à qui il est demandé, tant par des médias que par une partie de la population, de jouer le rôle qu’on attend d’un expert (qu’il soit validé par les pairs, autoproclamé, ou proclamé malgré lui), c’est-à-dire qu’il nomme, et qu’il prévoie, par exemple à l’aide de ses outils stochastiques et prospectifs : qu’il nous dise ce qui est et ce qui va être, voire qu’il trouve des solutions.
Mais il serait infiniment trop facile de rendre les experts seuls générateurs du gazouillis sur twitter ou ailleurs. Une énorme quantité de propos, d’avis, de critiques, d’objections, de craintes, de prévisions, d’hypothèses, de plaintes ou de réjouissances, émanent aussi du grand public, de tout un chacun, au moins de ceux qui ont accès à la parole publique. Chacun est devenu une sorte d’expert d’au moins une chose : son vécu personnel de la Covid, du confinement, du déconfinement, de la remontée des cas, de son organisation personnelle, de son port du masque… Et ce vécu personnel est vécu, justement, comme étant irréductible à d’autres.
Cela renvoie à un paradoxe de la situation que nous vivons. D’une part, c’est un évènement général, qui touche tout le monde. Bien sûr, ce n’est certainement pas le premier malheur, ni le pire des malheurs contemporains. Mais ici, comme tout le monde l’a vécu (à sa façon), chacun a quelque chose à en dire, à en raconter, à témoigner, à partir de son expérience personnelle, et l’on sait qu’on est dans un contexte qui permet et valorise la prise de parole, le témoignage à partir de sa propre expérience, à la première personne.
Cependant, d’autre part, c’est un phénomène où nous sommes atomisés, non seulement parce que les contacts sociaux sont fortement réduits, mais plus encore parce que nous sommes renvoyés à notre situation individuelle. Le confinement a immobilisé chacun·e dans sa situation économique, sociale, sanitaire, familiale, professionnelle, mentale ou relative au logement, et a probablement conduit à extrémiser les particularités, positives ou négatives, des équations individuelles difficilement comparables. Autrement dit, on assiste à une aggravation aussi bien des avantages que des désavantages — et donc des inégalités. La crise de la Covid cristallise des forces et des fragilités qui peuvent concerner tous les capitaux : économique, de santé mentale, environnemental (jardin ou non, proximité verdure ou non, sortir pendant la chaleur…), technologique et social (possibilité de se reposer sur d’autres). Tout prenait des proportions importantes : appart’ ou maison ? Enfant ou non ? Grands-parents qui peuvent aider ou non ? Qui est à risque ou non ? Immunodépression ou non ? Dépression tout court ou non ? Chacun se voyait renvoyé à ses propres caractéristiques, incomparables à celles d’autrui.
Temps 2 : Et dans la santé mentale ?
Ce qui se passe dans le monde de la santé mentale est un bon exemple de ce flou : on s’imagine bien que ce qui se trame n’est pas vierge de conséquences sur la santé mentale, individuelle ou collective, mais le problème c’est qu’on n’a pas de benchmark, ni individuel ni collectif, et nous sommes un peu dans le brouillard. Même lorsqu’il y a des données chiffrées1.
D’un côté, on entend des acteurs du système de soins s’inquiéter de l’augmentation des hospitalisations en psychiatrie, et en particulier des hospitalisations sous contrainte. On a eu aussi des résultats un peu alarmistes d’enquête quantitative…, mais sur la base d’échantillons autosélectionnés, qui forcément ne sont pas représentatifs.
Mais est-ce qu’il y a beaucoup de nouveaux patients ou non ? Seconde vague ou non ? Est-ce qu’on a beaucoup de nouveaux patients ? La porosité entre la psychiatrie et la santé mentale est-elle plus importante ? Avec des risques de basculements ? Est-ce que la consommation d’alcool a vraiment augmenté ? Je ne crois pas qu’on le sache. En fait on n’a aucune vision d’ensemble et on ne sait pas comment interpréter les signes, par exemple, si la baisse observée de signalements dans les écoles ou ailleurs doit inquiéter (parce que les gens vont mal dans leur coin) ou rassurer (parce que les gens n’ont pas vraiment besoin des services).
Hors des données chiffrées, d’un point de vue qualitatif, c’est encore plus flou : pour les personnes en psychiatrie, des contacts informels me laissent entendre que les conséquences vont dans tous les sens, dépendant des établissements, des types d’établissements (défense sociale), mais aussi des pathologies. Parfois c’est pire (par exemple, les personnes souffrant de tocs ou d’un isolement), parfois c’est moins grave (les personnes qui se voient moins confrontées à la nécessité d’être sociables…), parfois ça ne change pas grand-chose (impression retirée de la mini-enquête dans le cadre d’une carte blanche sur hospit avec Sophie De Spiegeleir et Yves Cartuyvels2). Hors de la psychiatrie, il n’y a qu’à voir cette vidéo Yapaka d’une psychiatre qu’on interroge sur les conséquences du confinement pour les enfants et qui semble, assez troublée, ne proférer que des généralités, « ça dépend », « pour certains c’est facile, pour d’autres c’est compliqué3 » (noter l’idée d’un contexte potentiellement traumatique). Ça nous fait rire parce qu’on attend autre chose d’une « experte », mais en réalité, que pourrait-elle dire d’autre d’intelligent ? Autour de vous, vous avez des gens qui disent qu’ils vont très bien, d’autres très mal, certains qui croyaient aller très mal et qui en fait vont très bien, l’inverse…
Cependant, puisque nous sommes une société qui évalue la bonne vie à partir de catégories telles que celle de « bienêtre », puisque nous avons pris l’habitude de nous ausculter, de discourir sur nous-mêmes et autrui en particulier dans le lexique de la santé mentale (est-ce qu’on a pété les plombs, décompensé, est-ce qu’on est résilient ? etc.), ça ne nous suffit pas et nous avons la volonté de savoir comment nous allons.
Évidemment, je ne vais pas répondre ici à cette question. Mon but est plus humble et plus sociologique (ça va de pair): donner quelques clés pour comprendre les façons dont nous disons aujourd’hui aller bien ou aller mal, en particulier dans ce contexte.
Temps 3 : Vivre, survivre ou sur-vivre ?
En fait, je pense qu’il est possible de ranger nos expériences infiniment variées de la Covid-19, du confinement et du déconfinement en deux catégories, dont je ne connais pas les proportions : ceux « pour » qui ce temps a joué en leur faveur, et ceux « contre » qui il a joué.
Pour ces derniers, chaque prolongation de cette expérience suspendue loin du rythme d’avant, qui semble s’inscrire maintenant dans la durée d’une « nouvelle normalité » a pu être la source de stress voire d’angoisse, que ce soit pour des raisons objectives (une perte financière qui se creuse), subjective (une incapacité à « cope » avec l’aspect anxiogène de la situation), ou tout simplement parce que, peut-être, on y trouvait son compte sans s’en rendre compte dans le monde d’avant.
Mais les autres ? Pour comprendre cette tribu de celles et ceux qui ont « bien vécu » cette situation, je voudrais reprendre ici les résultats d’une enquête coordonnée par Julien Charles (Cesep) et Samuel Desguin, à laquelle j’ai eu le plaisir de participer et qui portait sur le travail à l’heure du confinement/déconfinement4.
En analysant les réponses qualitatives, on se rend compte que les répondants à l’enquête semblent majoritairement appartenir au premier ensemble : ceux pour qui le temps a joué un rôle positif. Ils sont d’ailleurs nombreux à évoquer leur crainte, une fois ce confinement imposé derrière eux, d’en perdre les avantages, et de retrouver stress, obligations et vieux réflexes du rythme d’avant.
Comment avons-nous fait face ? À les écouter, voici l’impression que ça laisse : jetés hors de nos routines, on a ralenti le rythme, on a retrouvé du temps, et on s’est par conséquent retrouvés, soi-même et entre proches. On a réappris le goût des choses simples, on a fait bouger notre corps et découvert de nouveau itinéraires. On a dormi davantage et on a pris quelques libertés avec les conventions sociales relatives à la présentation de soi. Impuissant·es face au dérèglement global, on a investi notre jardin et notre potager. Un peu inquiets tout de même, on s’est demandé comment faire soi-même de la levure et on s’est renseigné sur les propriétés multiples du bicarbonate de soude pour les tâches ménagères. Bien sûr, tout n’a pas été simple : il a fallu maintenir un minimum d’horaire, résister aux dérivatifs psychotropes ou technologiques, cadrer le télétravail, développer des trésors de patience pour travailler avec des enfants la géométrie selon les consignes reçues en ligne de l’école et cela tout en se sentant un peu coupable de ne pas leur permettre de profiter eux aussi de « leur » confinement. Mais globalement, ça a été. On a d’ailleurs pris des bonnes résolutions pour la vie et le monde d’après.
Ce tableau qui ressort des réponses qualitatives à l’enquête et que je caricature volontairement appelle au moins trois réflexions.
La première réflexion pose la question de la nature des chaines dont tant se disent aujourd’hui, pour un temps au moins, « libérés, délivrés », et qu’ils craignent de retrouver comme on retourne en cellule après un congé pénitentiaire. Dans les réponses, ces chaines s’appellent « stress », « rythme infernal », « nez dans le guidon », et sont forgées par le travail, en tout cas pour ceux qui en ont un. Certains propos magnifient tellement le réagencement vie privée-vie professionnelle imposé par cette règle extérieure qu’on se demande : mais pourquoi ne l’ont-ils pas fait avant que cela tombe comme un couperet ? Était-ce parce qu’ils évoluaient dans un système de contraintes telles qu’ils étaient dépossédés de cette décision ? Était-ce parce qu’ils avaient tout simplement oublié ou qu’ils n’avaient jamais imaginé que ces chaines pouvaient disparaitre ? Peut-être.
Il me semble néanmoins que dans une société qui valorise non seulement l’autonomie, mais également l’activité (notamment professionnelle) plutôt que la passivité, nous sommes très ambivalents par rapport à ces figures apparemment contradictoires du retour à la nature et de l’homme pressé (ou de la femme pressée). Elles constituent nos grilles de lecture et d’évaluation de nous-mêmes et des autres. Dans la première nous aspirons à l’authenticité et au fait d’être « en phase » avec soi, les autres et le monde, et d’en prendre soin, autant de choses que nos chaines modernes nous auraient fait abandonner (le nombre d’occurrences de verbes débutant par le préfixe « re/ré » (-investir, ‑trouver…) témoigne de l’idée qu’il s’agirait bien d’un retour, pas d’une découverte). Quant à la seconde figure, nous entretenons à son égard ce qui apparait comme une servitude volontaire nourrie en particulier dans la sphère professionnelle, et nous profitons volontiers de la contenance qu’offre un agenda trop rempli, toujours à la limite du débordement mais maitrisé, renvoyant à ce prestige aujourd’hui reconnu à celui/celle dont le temps est précieux parce qu’il est rare.
L’expérience du confinement a permis, à ceux qui ont pu se le permettre, de tirer le meilleur parti des deux mondes, théoriquement du moins. Un ralentissement imposé par les circonstances exceptionnelles, du temps disponible comme rarement et la possibilité d’investir (au sens économique du terme) ce nouveau bien dans des activités générant plaisir et développement personnel. Le tour de force consiste à faire quelque chose de tout ce temps, à garder son caractère précieux même s’il perd de sa rareté. Surtout ne pas le gâcher, par exemple en cédant à l’ennui — le terme n’est d’ailleurs jamais présent dans les réponses des personnes pour qualifier leurs expériences de confinement — sauf si, bien sûr, l’ennui peut être facteur de qualité de vie. Il a bien fallu faire quelque chose de ce confinement.
Ce que je trouve intéressant est que cela nous permet d’identifier deux façons de raconter la façon dont on a fait face, ce que, après Peter Winch, j’ai appelé des « attitudes face à la contingence » : la « simple survie » et la prestigieuse « sur-vie ». La première est plutôt passive, tente de faire le gros dos, la seconde fait contre mauvaise fortune bon cœur, transforme de façon alchimique le plomb en or, ou le malheur en occasion de développement personnel, est active, ne se laisse pas abattre et n’est pas dans la simple réaction. Elle se prétend être le système 2 là où la première resterait engoncée dans de vieux carcans du monde d’avant. Inutile de préciser que la seconde est bien plus valorisée socialement que la première. C’est ainsi que l’on doit lire, je pense le succès de la catégorie de la résilience (voir Marquis 2018 dans SociologieS) comme cette prestigieuse appellation d’origine contrôlée qui marque le parcours de ceux qui non seulement s’en sont sortis, mais en ont profité pour [quoi que ce soit, mais pour quelque chose].
Deuxième réflexion : il est frappant de noter que le spectre des expériences que les répondants déclarent avoir pu réinvestir à la suite du confinement concerne exclusivement la sphère privée (et non professionnelle), et se situe à un niveau individuel ou interindividuel : faire des choses pour soi, avec son conjoint ou avec sa famille. Malgré le fait qu’il s’agisse là de la structure imposée par le confinement, on pourrait tout de même s’interroger sur l’absence de mentions relatives à l’investissement de temps pour une cause collective, dans le cadre d’un mouvement social, fût-il virtuel. Il faut résister aux conclusions hâtives et moralisantes et ne pas y lire le signe d’une société marquée par un éventuel égoïsme5. J’y vois par contre deux choses. La première est l’importance que nous accordons aujourd’hui à notre foyer (au sens large du terme) que nous estimons, à tort ou à raison, ne pas suffisamment entretenir à cause des contraintes qu’imposent nos autres sphères de vie.
La seconde est que cette crise nous met face à une caractéristique importante de la modernité globalisée dont cette épidémie est, qu’on le veuille ou non, un produit : le hiatus entre le caractère massif et généralisé d’un phénomène touchant à nos conditions de vie, engendré ou facilité par les humains, d’une part, et, d’autre part, le si peu de marge de manœuvre dont dispose le commun des mortels pour infléchir son cours — en l’espèce rester chez soi, respecter les consignes et éventuellement coudre quelques masques. Nous expérimentons aujourd’hui de façon beaucoup plus violente que d’habitude une caractéristique pourtant fondamentale de la vie dans des sociétés complexes : nous ne maitrisons pas grand-chose de nombreux aspects de notre vie quotidienne, de nos trajets à notre alimentation, en passant bien sûr par la façon de bien porter son masque. Je ne peux pas approfondir ici, mais je pense que c’est à l’aune de cette tension qu’il faut lire le succès de certaines théories complotistes : quand tout est glissant, elles permettent chimériquement à chacun d’avoir une prise sur les évènements, fut-elle complètement magique, quand je ne maitrise rien et que des messages m’invitent à adopter une attitude qui est contre mon expérience immédiate (je n’ai pas vu de mes yeux ce virus, et j’ai eu froid hier alors que tout le monde parle de réchauffement climatique), il y a toujours au moins une chose que je peux faire, c’est me méfier (ce qui est compliqué, c’est que c’est une perversion d’élément pourtant essentiel de la méthode scientifique).
Troisième réflexion : dans les réponses aux questions ouvertes, on peut retrouver ce sentiment déjà observé dans d’autres enquêtes, selon laquelle quelque chose de bon pourra sortir de cette crise, que ce soit au niveau individuel ou au niveau collectif. Notre imagination libérée et notre aptitude à la résilience devraient nous permettre d’innover. À la différence des sociétés traditionnelles, les sociétés modernes sont tournées non vers la répétition mais le futur, que nous envisageons avec crainte ou confiance selon les décennies. Aujourd’hui, un mot omniprésent cristallise plus que tout autre cet investissement du futur au niveau individuel et collectif : celui de projet (de vie, de soin, d’emploi, de santé, de société, etc.). Le confinement n’y échappe pas : il est une occasion de former de nouveaux projets pour nous-mêmes ou pour le monde. Mais pour « se projeter » dans des vacances ou dans une nouvelle vie, pour réaliser cette opération si banale consistant à imaginer un état futur où certaines choses auront changé se fait toujours en présupposant la stabilité d’une infinité d’autres paramètres. Je peux par exemple imaginer moins travailler dans le futur et réduire mon rythme de vie parce que je présuppose, par exemple, que je ne subirai pas des problèmes de santé occasionnant d’énormes frais ou que les prix alimentaires ne vont pas flamber. Je peux continuer à élever mes enfants comme si de rien n’était parce que je suppose que d’une façon ou d’une autre, ça va passer. La crise sanitaire et le confinement changeront peut-être, ici aussi, un aspect fondamental de notre rapport au temps en nous invitant à l’humilité dans nos projections. Elle est un élément supplémentaire poussant chacun·e à s’interroger, sans pour autant forcément aboutir à un catastrophisme qui a aujourd’hui le vent en poupe : notre rapport maitrisé, voire triomphant, au temps et au futur, fondé sur l’idée prise pour acquise d’un « toutes choses égales par ailleurs » n’est-il pas, après tout, l’exception plutôt que la norme ?
Postscriptum : Pour moi qui aime définir la sociologie comme la science de la perte des évidences, je dois bien reconnaitre que la Covid est un merveilleux concurrent…
- Et on sait que le monitoring chiffré de la santé mentale en Belgique ressemble un peu à la recherche du laissez-passer A38 dans la huitième épreuve dans Les Douze Travaux d’Astérix (La maison qui rend fou).
- |« Internés, confinés… réinsérés ?», Le Soir+, 20 juin 2020.
- Yapaka, « Covid-19, un contexte potentiellement traumatique : adultes et enfants ne jouent pas dans la même cour ».
- « Aux confins. Travail et foyer à l’heure du (dé)confinement ».
- On peut par contre, considérer ce que nous vivons et observons comme un ensemble de comportements qui prennent place dans une société individualiste au sens de Durkheim ou d’Ehrenberg, c’est-à-dire une société où la vie et l’autonomie individuelles sont placées au pinacle de nos valeurs.
