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États-Unis-BP. La loi sur le climat dans le noir
« Je suis pris de terribles maux de tête […] en respirant cet affreux nuage de fumée jaune qui se dégage de l’eau une fois qu’on a envoyé la sauce dans le trou et fait remonter les carpes ventre à l’air, à la surface, sans jamais s’en soucier ni se poser de question, comme si tout ça était naturel, […]
« Je suis pris de terribles maux de tête […] en respirant cet affreux nuage de fumée jaune qui se dégage de l’eau une fois qu’on a envoyé la sauce dans le trou et fait remonter les carpes ventre à l’air, à la surface, sans jamais s’en soucier ni se poser de question, comme si tout ça était naturel, comme si ça faisait partie de notre vieille guerre contre la terre et ce qu’il pourrait y avoir là dessous. » C’est en ces termes que s’exprime le narrateur des Hommes de l’eau, la nouvelle de l’auteur louisianais James Lee Burke, qui travaille sur une plateforme pétrolière dans le golfe du Mexique où la fuite d’un puits exploité par le géant pétrolier BP a causé la plus grande marée noire de l’histoire des États-Unis.
Le 20 avril dernier, une soudaine montée de gaz le long de la plateforme montante du Deepwater Horizon provoque une gigantesque explosion tuant onze personnes. La plateforme pétrolière sombre dans le golfe du Mexique à septante kilomètres des côtes de la Louisiane et, pendant trois mois, la tête de puits endommagée à quinze-cents mètres de profondeur libère plus de trois-cents millions de litres de pétrole dans l’océan. L’ampleur de la fuite, le fait qu’elle ait lieu en pleine mer et à une profondeur où aucune intervention humaine n’est possible et non pas près de la côte et en surface comme ce fut le cas pour les précédents accidents pétroliers de grande envergure, rend ses conséquences difficiles à jauger. « C’est une expérience géante, on n’a jamais dû aller si profond, jamais dans le golfe et jamais avec cette quantité de produits dispersants », dit Roger Helm, chef de l’équipe scientifique chargé par le gouvernement américain d’enquêter sur la catastrophe. Les dispersants chimiques dont il parle sont ceux que BP répand à quinze-cents mètres de profondeur afin de fragmenter la nappe de pétrole à la sortie du puits. Ils n’ont jamais été utilisés en si grande quantité dans l’espace pélagique et on les soupçonne d’avoir des effets néfastes sur la faune et la flore marines. « C’est comme ajouter la peste au choléra », dit Rick Steiner, spécialiste en protection marine, qui a enquêté sur le naufrage de l’Exxon Valdez.
Après plusieurs tentatives, BP parvient, le 15 juillet, à poser un dôme précaire qui met fin à la fuite en attendant l’achèvement du puits de secours qui colmaterait l’ouverture de manière définitive. Le 5 aout, le puits endommagé était définitivement scellé par l’injection de ciment.
Cette catastrophe sans précédent a eu lieu en même temps que se discutait au Sénat une proposition de loi, la Clean Energy Jobs and American Power Act, limitant l’émission des gaz à effet de serre et introduisant un marché d’émissions concernant le secteur électrique. Le texte, déjà approuvé par la Chambre des représentants, devait encore passer l’étape sénatoriale. On avait pensé que la marée noire allait peut-être faciliter son entérinement et la reconnaissance qu’il était temps pour les Américains d’investir leur énorme capacité économique et technologique dans les énergies renouvelables. Le président Obama avait annoncé après l’accident : « Je passerai le reste de ma présidence à essayer d’orienter les États-Unis vers une nouvelle façon de faire des affaires en matière d’énergie. » Mais le 22 juillet dernier, le chef de file démocrate au Sénat Harry Reid retire l’American Power Act de l’agenda du Sénat faute de soutien ; il semble que cette volonté de changer de cours soit restée engluée dans la marée noire du golfe du Mexique.
La désinvolture de BP
Les investigations menées pour déterminer les causes exactes de la catastrophe pétrolière sont en cours. Le président Obama a nommé une commission nationale chargée d’enquêter sur le désastre. Ses conclusions vont déterminer les mesures à prendre pour éviter qu’un scénario similaire ne se reproduise et pour atténuer l’impact sur l’environnement des forages pétroliers en mer. Ce que ces recherches révèlent pour l’instant, c’est l’attitude désinvolte de BP et des autres géants pétroliers en collusion avec les autorités régulatrices américaines pressées elles aussi de mettre la main à la pâte. Les plans de réactions en cas d’accident remis par cinq compagnies pétrolières (BP, Exxon, Shell Oil, Conoco Phillips et Chevron) à la Mineral Management Services, l’agence fédérale américaine chargée de règlementer et de distribuer les permis de forage dans le golfe du Mexique, seraient cocasses s’ils n’avaient pas des conséquences si tragiques. « Lorsque vous regardez les détails, il devient évident que ces plans ne sont qu’un exercice bureaucratique », souligne Henri Waxman, le président du comité d’énergie et du commerce, lors de l’audition des cadres des géants pétroliers au Congrès au mois de juin. Les dossiers tous écrits par la même société texane font référence à une faune qui a disparu du golfe il y a trois mille ans, trois parmi les cinq plans désignent Peter Lutz, un scientifique mort en 2005, comme contact à appeler en cas de problème et certaines compagnies feraient appel à une flotte de bateaux qui se trouve à plus de cinq-cents kilomètres du lieu de la catastrophe pour répondre à une urgence.
Pour les États qui longent le golfe du Mexique, il s’agit d’attendre et de voir. « Il y a assez de pétrole pour atteindre la côte, la vraie question c’est quand et où », dit l’amiral Thad Allen, commandant des garde-côtes américains. Les zones humides de la Louisiane sont les plus vulnérables, on peut racler le brut qui vient s’échouer sur une plage, mais une fois qu’il pénètre le délicat univers symbiotique des marécages, c’est fini. Bien avant la marée noire, ces zones humides étaient menacées. Les petites iles le long de la côte, qui protègent le littoral des ouragans, ont été draguées et entassées sur des chalands pour servir de parkings en bitume. Les compagnies pétrolières ont creusé seize-mille kilomètres de canaux à travers les zones humides de la Louisiane, et l’intrusion saline empoisonne les marécages d’eau douce. Les barrages le long du Mississippi et du Missouri dont il est tributaire retiennent des tonnes de sédiments qui ne s’échouent plus le long de la côte où ils sont le plus nécessaires. La Louisiane perd ses marécages fertiles à un rythme de soixante-quatre kilomètres carrés par an. Avec la saison des ouragans qui approche et dès la première montée des eaux, le pétrole du golfe risque de s’introduire dans les marécages par la voie des canaux : la végétation qui tient la terre ensemble et les larves des innombrables espèces qui s’y reproduisent ne résisteront pas.
Alors même que les enquêtes sont en cours, certaines mesures ont été prises pour faire face au problème. Jusqu’à ce que la commission nationale détermine les causes de la catastrophe, le gouvernement américain a décrété un moratoire sur le forage en eaux profondes. Une audience a eu lieu devant le comité des ressources naturelles du Congrès pour proposer des amendements au Clear Act de 2009 qui fixait les compétences de la Mineral Management Services chargée de superviser et d’approuver les demandes d’exploitations pétrolières. La MMS percevait des royalties des compagnies pétrolières et sera restructurée afin de garantir son indépendance et d’éviter les conflits d’intérêts, elle recevra aussi plus de moyens pour surveiller les forages et autres exploitations énergétiques. Un Conseil national des océans a aussi vu le jour. Il sera chargé de superviser et d’orienter une politique nationale des océans et des plans d’eau. L’objectif est d’avoir une entité qui, en intégrant les différentes activités aquatiques, puisse gérer leur impact sur l’environnement.
Risques et profits
Ces dispositions vont-elles suffire à éviter un nouveau désastre ? L’Amérique est l’ogre planétaire du pétrole, elle consomme 25% de la production mondiale et dispose elle-même de 3% des réserves planétaires, sa consommation augmente de 2% par an et les énergies fossiles représentent 84% de la part totale du secteur énergétique américain. Les États-Unis importent plus de la moitié de leur consommation de pétrole, 66% selon la Energy Information Administration, 30% proviennent de la production offshore dans le golfe et 25% de la production offshore a lieu en eaux profondes. La concurrence de géants économiques émergents comme la Chine et l’Inde risque de compliquer l’approvisionnement en brut. Après un siècle de forage sur terre, l’Amérique ressemble à une pelote à épingles géante, l’avenir des réserves d’énergies fossiles se trouve en eaux profondes. Dans un système où le profit est privatisé, mais où les risques pèsent essentiellement sur l’environnement et le public, les sociétés pétrolières sont encouragées à prendre des risques. Derrière l’analyse qu’a faite BP avant de se lancer de manière désinvolte dans le forage de la plaque continentale du golfe mexicain se dessine l’analyse que, dans l’absolu, les risques pris excédaient les gains, mais les risques pour BP n’excédaient pas les profits pour BP. Cela doit changer. Comme l’a souligné l’essayiste Naomi Klein, il faut appliquer le principe de précaution scientifique, « se dire que si une activité comporte des risques pour l’environnement ou pour la santé humaine, nous devons procéder avec prudence comme si l’échec était possible et même probable1 ».
Parallèlement, il faut se tourner vers des énergies renouvelables, une politique énergétique qui réduirait la demande de pétrole ferait plus pour prévenir de futures catastrophes que des représailles féroces et une batterie de règles. Une timide tentative était en cours avant que l’American Power Act rédigé par deux sénateurs démocrates, John Kerry et Joseph Lieberman, ne soit retiré. Le texte imposait une limite sur les gaz à effet de serre et attachait un prix au carbone produit par le secteur électrique. Afin de courtiser les républicains et rassembler suffisamment de votes pour faire passer le projet de loi, une disposition pour ouvrir de nouvelles zones de forage pétrolier en mer avait été incluse. Cette clause a été modifiée après la marée noire pour permettre aux États, s’ils le souhaitaient, d’interdire le forage au large de leurs côtes et, le cas échéant, de percevoir 37% des revenus du pétrole qui jusqu’à présent allaient directement à la trésorerie. « Les partisans du forage avaient l’habitude de dire que rien ne s’était passé dans le golfe ces trente à quarante dernières années, maintenant tu ne peux plus dire cela et ça change l’équilibre », dit le sénateur Reid. L’American Energy Act a été retiré du Sénat le 22 juillet, les sénateurs démocrates persuadés qu’il n’y aurait pas assez de voix pour le soutenir. Et notre vieille guerre avec la terre continue.