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États généraux de Bruxelles : quel relais politique ?

Numéro 07/8 Juillet-Août 2009 par Alain Dye

juillet 2009

Les États géné­raux de Bruxelles, tenus de novembre 2008 à avril 2009, ont per­mis de nour­rir une réelle déli­bé­ra­tion publique cru­ciale pour la Région bruxel­loise. Ils doivent une par­tie de leur légi­ti­mi­té et de leur réus­site à la longue absence de dis­cus­sions élar­gies sur un pro­jet de ville. La der­nière remonte au Plan régio­nal de déve­lop­pe­ment II […]

Les États géné­raux de Bruxelles, tenus de novembre 2008 à avril 2009, ont per­mis de nour­rir une réelle déli­bé­ra­tion publique cru­ciale pour la Région bruxel­loise. Ils doivent une par­tie de leur légi­ti­mi­té et de leur réus­site à la longue absence de dis­cus­sions élar­gies sur un pro­jet de ville. La der­nière remonte au Plan régio­nal de déve­lop­pe­ment II (2002). Depuis lors, le gou­ver­ne­ment a pré­fé­ré pro­cé­der en mobi­li­sant les nou­veaux « outils de gou­ver­nance » (plans et autres contrats) pas­sant par une concer­ta­tion limi­tée aux acteurs ins­ti­tu­tion­nels. Le der­nier ava­tar cari­ca­tu­ral de cette vision du dia­logue sur l’avenir de Bruxelles s’est incar­né dans un « Plan de déve­lop­pe­ment inter­na­tio­nal » que son pro­mo­teur, Charles Pic­qué, après avoir confié son éla­bo­ra­tion à une socié­té de consul­tance, a ten­té d’imposer « en stoe­me­links », tant il heur­tait l’idée d’un déve­lop­pe­ment urbain par et pour ses habi­tants, pour lui pré­fé­rer un redé­ploie­ment « par le haut » et via les retom­bées incer­taines pour les per­sonnes qui vivent la ville au quotidien.

Les diverses asso­cia­tions régio­na­listes bruxel­loises (Mani­fes­to, Bruxsel.org, Aula Magna) avaient déjà mené à plu­sieurs reprises, avec un suc­cès d’estime cer­tain, des débats sur la Ville-Région. Mais leur coup de maître a été de faire alliance, au tra­vers des États géné­raux, avec dif­fé­rents acteurs ins­ti­tu­tion­nels : par­te­naires sociaux, asso­cia­tions urbaines et envi­ron­ne­men­tales… et uni­ver­si­tés. Les États géné­raux ont ain­si répon­du à deux besoins : celui de redé­fi­ni­tion démo­cra­tique du pro­jet urbain et celui de simple inté­gra­tion et syn­thèse de pro­duc­tion de connais­sances sur une Ville-Région où l’expertise sur laquelle appuyer le débat et les poli­tiques publiques se retrouve frag­men­tée et lacu­naire, une fois pas­sée à la mou­li­nette des décou­pages ins­ti­tu­tion­nels et des inté­rêts particuliers.

En termes de par­ti­ci­pa­tion, de com­mu­ni­ca­tion et de recherche, le pro­jet est un incon­tes­table suc­cès. Il a pour prin­ci­pal mérite d’avoir réar­ti­cu­lé des dis­cours, des réflexions, des thé­ma­tiques dont seul le croi­se­ment per­met­tra de fon­der un pro­jet de Ville-Région. Certes, les conclu­sions de la plate-forme ont trop souf­fert de la néces­si­té du consen­sus entre acteurs aux posi­tions et inté­rêts sou­vent diver­gents que l’on a vu s’effriter dès la séance de clô­ture du pro­ces­sus. Mais sa plus grande fai­blesse réside dans la très faible par­ti­ci­pa­tion — et même par­fois l’absence — des « mino­ri­tés visibles », qui a mis en évi­dence ce constat un peu para­doxal d’une beau­coup plus grande mixi­té cultu­relle par­mi les cadres poli­tiques que par­mi ceux de la socié­té civile (qui consti­tuaient le cœur du public par­ti­ci­pant). La res­pon­sa­bi­li­té des syn­di­cats en la matière est patente : de toutes les orga­ni­sa­tions por­teuses, ce sont les seules qui comptent par­mi leurs membres une pro­por­tion impor­tante de Bruxel­lois d’origine immi­grée ou de natio­na­li­té étrangère.

Lors de futurs pro­ces­sus de ce type, il s’agira de tenir compte de cette fai­blesse et de mener des démarches proac­tives auprès des « asso­cia­tions com­mu­nau­taires ». On ne peut en effet se satis­faire de la mise en évi­dence, au tra­vers des seize études dis­cu­tées, d’une dua­li­sa­tion crois­sante de la ville, et n’associer à cette réflexion que ceux qui sont du bon côté de cette dua­li­sa­tion. Inci­dem­ment, alors qu’un des constats de la récente étude de la Fon­da­tion Roi Bau­douin sur les Maro­cains de Bel­gique porte sur la fai­blesse de leur sen­ti­ment iden­ti­taire belge, on peut se deman­der au nom de quoi ils devraient être par­mi les der­niers dépo­si­taires de ce sen­ti­ment en voie d’évaporation, mais aus­si s’il n’aurait pas été judi­cieux de les inter­ro­ger quant à leur sen­ti­ment d’identité fla­mande, wal­lonne et sur­tout bruxel­loise1.

La réflexion des États géné­raux aura éga­le­ment buté sur cet écueil per­ma­nent des débats autour de Bruxelles : celui de son rap­port aux autres Belges (Wal­lons, Fla­mands, navet­teurs…). Com­ment à la fois redire le scan­dale que consti­tue l’absence de finan­ce­ment suf­fi­sant par tous les Belges des ser­vices qu’offre une Ville-Région pre­mier bas­sin éco­no­mique et d’emploi du pays, mais éga­le­ment la plus pauvre en moyenne, sans entre­te­nir par ailleurs un dis­cours sur le thème de l’accaparement de la ville et de ses richesses par les navet­teurs, dis­cours vic­ti­maire et de fort courte vue sur les dyna­miques de trans­fert et de mobi­li­té qui consti­tuent la ville dans ses rela­tions avec son environnement ?

Quelles suites ?

Les États géné­raux auront peut-être eu comme pre­mier effet concret de contri­buer à recen­trer quelque peu, bon gré, mal gré, les débats élec­to­raux et les pro­grammes des par­tis sur le croi­se­ment de com­pé­tences régio­nales (emploi, mobi­li­té, etc.) et com­mu­nau­taires (ensei­gne­ment, for­ma­tion, jeu­nesse, enfance…), croi­se­ment sans lequel aucun pro­jet ne sera cré­dible. Reste à savoir si les accords de gou­ver­ne­ment seront à la hau­teur de ces défis bruxel­lois, par­ti­cu­liè­re­ment dans la situa­tion bud­gé­taire catas­tro­phique actuelle. Par ailleurs, il sem­ble­rait que les uni­ver­si­tés aient l’intention de struc­tu­rer les liens qui se sont tis­sés entre elles depuis quelques années et que les États géné­raux ont ren­for­cés. Ils pour­raient débou­cher sur la mise en place d’un « Brus­sels Stu­dies Institute ».

Cer­tains ini­tia­teurs de ces asso­cia­tions régio­na­listes bruxel­loises, jugeant ces effets un peu faibles, ont vou­lu don­ner une expres­sion poli­tique à l’élan des États géné­raux avec la consti­tu­tion du par­ti « Pro Brux­sel ». Sur le plan de l’arithmétique élec­to­rale, son score est loin d’avoir été nul : 1, 67% côté fran­co­phone, ce qui en fait, Front natio­nal excep­té, le pre­mier des par­tis à ne pas être repré­sen­té au Par­le­ment, et même, ce qui en sur­pren­dra peut-être plus d’un, 2,36% côté fla­mand (dans un élec­to­rat par ailleurs net­te­ment en recul : il y a eu cette année dix mille votes fla­mands de moins qu’en 2004 à Bruxelles, ce qui ne peut s’expliquer uni­que­ment par le reflux des fran­co­phones qui avaient voté Belang en 2004). Pour une pre­mière par­ti­ci­pa­tion et sans apport ni sou­tien de la plu­part des che­villes ouvrières des États géné­raux — à l’exception d’Alain Mas­kens —, ce résul­tat est loin d’être insignifiant.

L’après-élection a, quant à elle, signé un échec patent de la logique régio­nale qui sous-ten­dait l’organisation des États géné­raux. C’est, en effet, du bi-com­mu­nau­taire pur qui a pré­si­dé au jeu des alliances. Les Fla­mands de Bruxelles, iso­lés, tant des logiques fran­co­phones bruxel­loises que fla­mandes de Flandre (recon­nais­sons que les résul­tats fla­mands à Bruxelles n’ont pas grand-chose à voir avec ceux de Flandre), ont en effet tiré les pre­miers et choi­si la « Jamaï­caine », et ce alors même que Groen ! et Éco­lo avaient signé ce qui res­sem­blait plus qu’à une ébauche de pro­gramme com­mun (cin­quante-trois pro­po­si­tions com­munes avec Éco­lo) et que le reflux du Belang rou­vrait le jeu démo­cra­tique en ren­dant pos­sible une mul­ti­pli­ci­té d’alliances : toutes les tri­par­tites entre Open VLD, SP.A, CD&V et Groen ! étaient arith­mé­ti­que­ment ouvertes. Quant aux fran­co­phones, ils ont pri­vi­lé­gié les majo­ri­tés symé­triques entre les Régions bruxel­loise, wal­lonne, et la Com­mu­nau­té fran­çaise, ne fai­sant guère plus de Bruxelles qu’une variable d’ajustement — en même temps que, il faut le recon­naître, la racine la plus solide de l’olivier.

En revanche, mais est-ce l’influence des États géné­raux ou de la tor­nade bud­gé­taire, la régio­na­li­sa­tion d’une série de com­pé­tences com­mu­nales — un des leit­mo­tives des États géné­raux — ne semble plus consi­dé­rée comme une vache sacrée côté fran­co­phone. Bref, le bilan poli­tique immé­diat est contras­té et à esti­mer à plus long terme. La dyna­mique des États géné­raux renaî­tra-t-elle ? L’alliance entre les acteurs et inté­rêts diver­gents est-elle struc­tu­rable à plus long terme ? Pro­Brux­sel connaî­tra-t-il, mais de manière accé­lé­rée, le sort des « par­tis jetables », comme Fran­çois Per­in avait qua­li­fié le Ras­sem­ble­ment wal­lon après l’avoir quit­té ? Ou son résul­tat augure-t-il de futurs réels suc­cès si les par­tis ne pou­vaient et/ou ne vou­laient pas relayer la dyna­mique citoyenne des États géné­raux dans leurs futures actions par­le­men­taire et gouvernementale ?
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  1. Un indice lexi­cal sug­gère le bien-fon­dé d’une telle inter­ro­ga­tion : le néo­lo­gisme « maroxel­lois » n’a en effet pas d’équivalent « belge ».

Alain Dye


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