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Et les Syriens dans tout ça ?
Est-ce parce qu’ils sont de dangereux écervelés que plusieurs dizaines de Belges sont partis se battre en Syrie ? L’affaire fait grand bruit. Elle est sérieuse. Bart De Wever, le bourgmestre d’Anvers, connu, entre autres, pour cette réplique légen- daire, « enlève ce disque, idiot », n’a plus de temps à consacrer à éteindre la mu- sique. Il a convoqué ses […]
Est-ce parce qu’ils sont de dangereux écervelés que plusieurs dizaines de Belges sont partis se battre en Syrie ? L’affaire fait grand bruit. Elle est sérieuse. Bart De Wever, le bourgmestre d’Anvers, connu, entre autres, pour cette réplique légen- daire, « enlève ce disque, idiot », n’a plus de temps à consacrer à éteindre la mu- sique. Il a convoqué ses homologues de Courtrai et de Vilvorde. La ministre de l’Intérieur, Joëlle Milquet, a jugé utile de mobiliser une « task force », ainsi que l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace, au cas où des compatriotes jihadistes venaient à rentrer au bercail avec une formation à l’anti-occidenta- lisme et au maniement des explosifs.
Car, puisque l’on imagine aisément que ces volontaires sont jeunes et barbus, ou converties et voilées (comme la Carolo Muriel Degauque, morte en Irak), il faut se demander : Et dieu dans tout ça ? Le 31 mars 2013, une émission de service public ayant cette question comme titre a « analysé la menace », qui, peu en
doutent, doit bien avoir un quelconque rapport avec Allah. Trois invités s’ex- primaient. L’enseignant Pierre Piccinin, jeune aventurier (durant ses congés scolaires) des champs de bataille ultra- médiatisés, s’est conjugué à la première personne. Christophe Lamfalussy, jour- naliste à La Libre Belgique, a tenté de cerner les tenants et les aboutissants de la « menace » dans toute sa complexité. Georges Dallemagne, député fédéral, a centré son raisonnement sur les dangers de l’« endoctrinement ».
Criminels en partance
Rien n’a été oublié lors de cette émission radiophonique fort intéressante. L’on a même glissé subrepticement que le régime syrien est une menace pour son peuple. Mais telle n’était pas la question du jour. Il ne s’agissait pas de s’intéresser aux « Syriens dans tout ça », mais plutôt, à mots couverts, aux voyages inconsidérés de la chair à canon mahométane por- tant passeport belge. Georges Dallemagne a parlé « d’incriminer le fait de partir sur un conflit à l’étranger ». L’animateur de l’émission, Jean-Pol Hecq, ne lui a pas demandé si cela signifie tous les types de conflits ou seulement ceux où les recrues seraient musulmanes. Si la Chine redou- blait sa répression au Tibet, monsieur Dallemagne considèrerait-il également qu’il faut criminaliser les jeunes com- battants belges bouddhistes en partance pour Lhassa ? Ne doutons pas que le dé- puté CDH répondrait rationnellement à cette question…
Pierre Piccinin est l’homme de la connaissance par l’expérience vécue. Subodorant qu’il n’est pas un fanatique musulman, on ne l’a jamais criminalisé lorsqu’il est rentré en Belgique après un bivouac volontaire avec les rebelles d’Alep. En 2012, il n’a admis la vraie na- ture du régime syrien qu’après son arres- tation par les agents de Bachar, alors qu’il était possible de la connaitre depuis des années en se documentant aux bonnes sources… Malgré sa versatilité, concé- dons qu’il fut le seul, durant cette émis- sion de la RTBF, à évoquer l’éventualité d’un volontarisme sincère, d’une envie d’aller risquer sa peau par solidarité avec les Syriens, sans que le but recherché ne soit directement de revenir commettre un attentat dans le métro bruxellois ou de traumatiser Anvers — cette ville qui résonne encore au son du tube électro de Sam Sparro — en y abreuvant les micro- sillons de sang jihadiste.
Limité par les contraintes de l’animation radiophonique, Pierre Piccinin a pu ins- tiller une comparaison maladroite, parce que trop brève, avec la guerre civile espa- gnole des années trente. Afin de mieux s’expliquer, il aurait dû avoir le temps de développer les arguments de Jean-Pierre Filiu, dans Le Monde du 4 avril 2013 : « Comme la République espagnole, la Syrie révolutionnaire souffre de la cobel- ligérance active des uns, de la passivité complice des autres et de l’intolérance partisane des derniers », écrit Jean- Pierre Filiu. « La Russie et l’Iran sont aussi impliqués dans les crimes de masse de la dictature syrienne que l’étaient l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste aux côtés des franquistes espagnols. […] La
“non-intervention” des démocraties occi- dentales en 2011 est aussi fatale pour les démocrates de Syrie qu’elle le fut pour ceux d’Espagne en 1936 […] Quant aux staliniens dénoncés par Orwell à Barcelone dès 1938, ils n’ont rien à envier aux djihadistes d’aujourd’hui en Syrie. Leur hiérarchie implacable et leur dis- cipline aveugle leur permettent de com- penser progressivement leur caractère ultraminoritaire […] Leur soutien sans faille par un parrain étranger, l’URSS en Espagne, des « mécènes » du Golfe en Syrie, leur confère un avantage ter- rible sur les formations locales, drama- tiquement sous-équipées. Et leur projet totalitaire vaut négation des aspirations à la libération, hier du peuple espagnol, désormais du peuple syrien. »
No more heroes
Pour de nombreuses personnes, musul- manes ou non, les massacres en Syrie sont insupportables. Leur révolte face aux atrocités commises s’exprime par mille variantes : la colère, le dépit, la fuite, le déni, la félonie, la lâcheté, la neurasthénie, etc. Pourquoi, à l’échelle de la Belgique et d’autres pays occiden- taux, une des variantes du sentiment de révolte, l’héroïsme aveugle, potentielle- ment terroriste, n’est-elle la réaction que de quelques jeunes musulmans ? Où sont donc passés les Brigades internationales, les Brigades Abraham Lincoln, la colonne Durruti, les républicains, les volontaires venus du monde entier, les communistes, les marxistes, les socialistes ou les anar- chistes, les antifascistes modérés, etc. ?
Répondre à cette question revient à dresser un constat : « Nous vivons une époque épique, mais nous n’avons plus rien d’épique » (Léo Ferré). Que l’on ne s’étonne pas, dès lors, que la place que nous avons laissée vacante, celle où s’ex- primaient l’héroïsme et le sens du sacri- fice pour une cause, soit occupée par ceux dont les idées nous font peur, nous re- butent, ou qui même, nous « menacent », quand elles dérivent vers le terrorisme.
Après deux années d’abstention coupable, nous sommes en majorité lâches face à la tragédie syrienne (70000 morts, plus d’un million de réfugiés) à l’exception de ces jeunes, sans doute inconscients, quelles que soient les apories et les me- naces de leur idéologie fanatique. Après deux années de narcolepsie de la com- munauté internationale, nous craignons devoir informer madame Milquet, mes- sieurs Dallemagne et De Wever, qu’il n’existe plus de voie sans risque quand il s’agit de la Syrie. Mais que nos édiles se rassurent, l’été sera musical à Anvers et dans de nombreuses villes du pays. Nous comptons sur la formation anti-jiha- diste renforcée de la police fédérale pour qu’aucun DJ ne soit contraint d’arrêter ses microsillons. Que l’Oronte charrie d’éventuels cadavres de jeunes Belges, et des centaines de milliers d’autres ca- davres syriens, ne devrait pas perturber les festivités du Zomer Van Antwerpen 2013… Beste landgenoten, chers com- patriotes, passez un agréable printemps et un bel été, de préférence aux bords de l’Escaut et loin de Damas.