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Espagne, l’infinie transition ?

Numéro 7 - 2015 par Cristal Huerdo Moreno

novembre 2015

2015 aura été une année élec­to­rale impor­tante pour l’Espagne. Après les muni­ci­pales et régio­nales de mai, les régio­nales cata­lanes de sep­tembre, le der­nier ren­­dez-vous élec­to­ral est fixé en décembre. Et l’enjeu est de taille : l’Espagne est en crise depuis 2007, le gou­ver­ne­ment PP, au pou­voir depuis 2011, s’est appuyé sur sa majo­ri­té abso­lue pour marquer […]

Dossier

2015 aura été une année élec­to­rale impor­tante pour l’Espagne. Après les muni­ci­pales et régio­nales de mai, les régio­nales cata­lanes de sep­tembre, le der­nier ren­dez-vous élec­to­ral est fixé en décembre.

Et l’enjeu est de taille : l’Espagne est en crise depuis 2007, le gou­ver­ne­ment PP, au pou­voir depuis 2011, s’est appuyé sur sa majo­ri­té abso­lue pour mar­quer le pays de son empreinte en détri­co­tant les acquis sociaux, réfor­mant pro­fon­dé­ment le droit pénal (notam­ment en adop­tant une « loi bâillon1 »), l’enseignement, le droit du tra­vail, etc. Face à l’adversité, la socié­té espa­gnole fait preuve de beau­coup d’inventivité et de cou­rage. Refu­sant la rési­gna­tion et la pas­si­vi­té, elle n’hésite pas à pal­lier les carences de l’État. Ce souffle nou­veau s’est levé à la veille des élec­tions géné­rales de 2011 et a pris le nom des Indignés.

Dans son article, le socio­logue et anthro­po­logue Antón Fernán­dez de Rota détaille les poli­tiques conçues dans le cadre de ce mou­ve­ment contes­ta­taire, paci­fique et dyna­mique qu’il com­pare à une nuée. Un corps informe, mais puis­sant qui s’agrège pour mener une lutte pré­cise et s’évanouit l’instant d’après. Cet élan nou­veau vient du bas et s’oppose aux pro­fes­sion­nels de la poli­tique. Il s’incarne notam­ment dans des coa­li­tions muni­ci­pales issues de la socié­té civile qui ont rem­por­té les élec­tions dans de nom­breuses grandes villes espagnoles.

L’esprit de l’agora grecque qui refait sur­face en terre ibère, c’est aus­si un groupe d’universitaires qui, au tra­vers de pro­ces­sus par­ti­ci­pa­tifs par­ti­cu­liè­re­ment ouverts, décident de se lan­cer en poli­tique sous la ban­nière Podemos.

César Agua­do Rena­do, consti­tu­tion­na­liste, nous pré­sente ce par­ti qui a fait cou­ler tant d’encre en Espagne et à l’étranger : sa nais­sance, son évo­lu­tion, ses aspi­ra­tions, mais éga­le­ment ses contra­dic­tions et sa sclérose.

Si l’Espagne contem­po­raine est confron­tée au défi de l’avenir, il ne fau­drait pas oublier à quel point son pas­sé conti­nue de la han­ter, à la veille du qua­ran­tième anni­ver­saire de la mort du dic­ta­teur. Qua­rante ans, c’est aus­si la durée de la dic­ta­ture com­men­cée par le putsch de 1936.

Flo­ren­ti­na Rodri­go Paredes, his­to­rienne, illustre la guerre civile par le regard que lui portent les presses anglaise, amé­ri­caine et belge. Ain­si, l’on est frap­pé de voir comme les ter­gi­ver­sa­tions des poli­tiques d’hier face à un conflit interne font écho à celles d’aujourd’hui, comme l’intérêt par­ti­cu­lier prime sur la légi­ti­mi­té poli­tique, comme, de deux maux, le fas­cisme est pré­fé­ré au communisme.

Cette his­toire tra­gique conti­nue de mar­quer l’Espagne contemporaine.

Cris­tal Hue­do More­no expose la manière dont la tran­si­tion démo­cra­tique, plu­tôt que de se fon­der sur un règle­ment des luttes pas­sées et sur l’instauration d’une vision com­mune de l’histoire, s’est construite sur un pacte d’oubli. Ce refou­le­ment col­lec­tif a pro­gres­si­ve­ment fait place à de mul­tiples ins­tru­men­ta­li­sa­tions de la mémoire.

Cette ques­tion lan­ci­nante demeure aujourd’hui un défi à la démo­cra­tie espa­gnole, laquelle a plus que jamais besoin de faire la paix autour du passé.

C’est pré­ci­sé­ment la pro­blé­ma­tique qu’aborde l’historien Ángel Viñas Martín. Il pré­sente les enjeux de l’historiographie de la guerre civile et de la dic­ta­ture et les bru­lants débats qu’elle sus­cite ; car, sous la cendre du pas­sé, le feu couve toujours.

En effet, s’il ne manque pas d’études scien­ti­fiques de qua­li­té, elles ne par­viennent pas à fon­der une vision consen­suelle du pas­sé. Pas­sant en revue un ensemble d’ouvrages récents et indis­pen­sables, l’auteur montre com­bien, en Espagne, l’histoire récente demeure un sport de combat.

Au tra­vers de ce dos­sier émerge l’image contras­tée d’une Espagne, par­ta­gée entre de vieux conflits non réso­lus et une remar­quable inven­ti­vi­té poli­tique. L’Espagne vivrait-elle une infi­nie tran­si­tion ? Inven­tant la démo­cra­tie de demain sans pour autant faire un sort à la dic­ta­ture d’hier, elle occu­pe­rait une posi­tion para­doxale assez surprenante.

  1. Voir Cris­tal Huer­do More­no, « Espagne, labo­ra­toire de la répres­sion », La Revue nou­velle, 2015, n° 3.

Cristal Huerdo Moreno


Auteur

Cristal Huerdo Moreno est maitre de langue principal à l’Université Saint-Louis—Bruxelles, maitre de langue à l’UMONS et traductrice. Elle travaille sur l’écriture féminine engagée (Espagne 1920-1975), sur la fictionnalisation de la guerre civile dans la littérature du XXIe siècle et sur l’hétérolinguisme. Elle encadre la rubrique Italique de La Revue nouvelle.