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Enseignement supérieur. À quoi servent les tests d’orientation ?

Numéro 6 - 2019 par Scharpé

septembre 2019

Pendant la période de consultation de la « société civile » en vue de la composition d’un gouvernement Coquelicot, la Fédération des étudiant‑e‑s francophones a édité une vidéo dévoilant le contenu des négociations. Sous l’impulsion de différents acteurs de l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur (ARES), un quasi-consensus se dessinerait autour de l’organisation de tests d’orientation obligatoires pour […]

Le Mois

Pendant la période de consultation de la « société civile » en vue de la composition d’un gouvernement Coquelicot, la Fédération des étudiant-e‑s francophones a édité une vidéo dévoilant le contenu des négociations. Sous l’impulsion de différents acteurs de l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur (ARES), un quasi-consensus se dessinerait autour de l’organisation de tests d’orientation obligatoires pour les étudiant-e‑s souhaitant s’inscrire à un cursus d’enseignement supérieur.

Outre le fait que cette proposition ne se retrouvait ni dans le programme du Parti socialiste ni dans celui d’Écolo, sa présence pose la question des enjeux sociaux et des rapports de force présents dans le paysage de l’enseignement supérieur. L’idée de ce genre de tests n’est pas neuve et pourrait être qualifiée de prévisible tant elle est présentée comme inévitable de la part de nombreux gestionnaires et professeurs1. L’engouement que suscite la proposition auprès de personnes considérées comme l’élite intellectuelle de notre région ne doit pas servir d’excuse pour éviter de se poser les bonnes questions.

La réussite des étudiant-e‑s en berne

Le taux d’échec des étudiant-e‑s fait presque partie des marronniers. Chaque année, certains journalistes s’en inquiètent sans que cela ne se traduise par la mise en place de solutions efficaces l’année suivante. De nombreuses hypothèses sont avancées, allant de l’observation non vérifiée de la baisse tendancielle du niveau intellectuel des étudiant-e‑s, à la nécessité de refinancer l’enseignement supérieur à hauteur de 7% du PIB2.

Le taux d’échec peut effectivement être considéré comme inquiétant. Lors d’une première année à l’université, nous pouvons observer que les hommes sont environ 37% à abandonner leur cursus, 8% d’entre eux se réorientent et 23% redoublent. En ce qui concerne les femmes, nous sommes à 36% d’abandon, 7% de réorientation et 22% d’échec. Ces chiffres restent cependant à relativiser au regard de ce qu’est l’université en Belgique. Jean-Paul Lambert soulignait que ce taux n’a guère évolué depuis l’année académique 1974 – 1975, et les préoccupations récentes à ce sujet seraient davantage liées aux préoccupations budgétaires de responsables académiques3. Cette situation n’évolue guère dans le temps, les types d’enseignement et les établissements font tellement partie du paysage qu’ils peuvent être considérés comme une culture d’apprentissage propre à notre région.

Avant d’émettre un jugement sur cette culture de l’échec, il nous faut d’abord la comprendre. Le travail de quelques chercheurs et chercheuses peut cependant nous éclairer sur la réussite des étudiant-e‑s et l’efficacité des dispositifs d’aide à la réussite déployés dans différents établissements.

Il faut également pouvoir déterminer de quel-le‑s étudiant-e‑s nous parlons. Je tiens à éviter le piège selon lequel les étudiant-e‑s pourraient être présent-e‑s sous un profil type, ce qui consisterait à ne pas apercevoir la diversité des profils auxquels les enseignant-e‑s font quotidiennement face. Il serait beaucoup trop facile d’effacer cette diversité de notre questionnement, laissant croire qu’il existerait une solution simple à cette situation.

Qui sont les étudiant-e‑s ?

Le nombre d’étudiant-e‑s en Fédération Wallonie-Bruxelles s’élève à environ 210000, dont 41% fréquentent l’université, 40% une haute école, 16% sont en promotion sociale et 3% en école supérieure des arts.

Les femmes représentent 57% des effectifs en bachelier, 56% en master. Elles sont par contre minoritaires quant à l’accès au troisième cycle qui ouvre la voie vers une carrière académique. Il n’existe malheureusement plus de données publiées sur l’origine socioéconomique des étudiant-e‑s depuis près de vingt ans4.

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Comme nous le montre ce tableau, les enfants dont les pères ne possèdent pas de diplôme de l’enseignement supérieur sont sous-représentés par rapport aux enfants ayant des pères diplômés de l’enseignement supérieur. Le fait que l’origine socioéconomique des étudiant-e‑s ne corresponde pas à la répartition sociale de la Wallonie et de Bruxelles pose la question de l’accessibilité sociale de l’enseignement supérieur et du fonctionnement démocratique de la société. Le fait que l’accès à la formation et la connaissance soit si inégalitaire dans nos régions démontre pratiquement que les notions de mérite restent aujourd’hui enfermées dans des manifestations textuelles et discursives.

Il reste à noter que les hautes écoles connaissent moins ce type de ségrégation. Cependant le tableau ne distingue pas les hautes écoles de type long de celles de type court qui couvrent souvent des réalités sociales fort différentes. Comme le montrait Maud Van Campenhoudt, les origines socioéconomiques ont un impact non négligeable dans le choix des filières suivies par les étudiant-e‑s5.

Les étudiant-e‑s, la réussite, le choix des filières

Tant la nature du choix de l’orientation, que les ressources matérielles des étudiant-e‑s, ainsi que la politique d’aide et d’accompagnement sont des facteurs présentés par Maud Van Campenhoudt comme influençant la réussite6. Pour résumer grossièrement, le premier point porte surtout sur la ré-orientation de l’étudiant‑e vers une filière dans laquelle il/elle s’investira davantage. Le deuxième point souligne que le fait de sacrifier du temps d’étude au profit de l’exercice d’un ou plusieurs jobs étudiants, ou encore de bénéficier de matériel de moindre qualité, bride la réussite des plus pauvres. Le troisième porte sur le soutien social et institutionnel.

Le soutien familial et institutionnel va largement contribuer à construire la manière dont un‑e étudiant‑e va se représenter ses capacités d’apprentissage. Ce qui va être déterminant, c’est la confiance en ses facultés et le regard rassuré et rassurant qu’il/elle portera sur son parcours. Plus un‑e étudiant‑e développera une image positive d’elle-de lui-même, plus il-elle aura tendance à s’investir dans son parcours académique.

Contrairement aux idées reçues, l’impact des méthodes de travail qu’utilisent les étudiant-e‑s ne semble pas déterminant dans leur réussite. La manière d’étudier importe assez peu, seuls un travail régulier, la participation aux activités facultatives et la gestion de différentes sources de distraction par rapport à l’étude sont positivement associés à la réussite7.

Il paraît d’ailleurs intéressant de souligner qu’à compétences scolaires égales, […] observe dans tous les pays des différences d’aspirations en fonction de l’origine socioculturelle des élèves8. Le choix des filières n’apparait pas aujourd’hui en Belgique une question de compétence scolaire, mais de représentations sociales.

L’ensemble des points soulevés dans les différentes publications du Girsef permettent déjà de prendre à contrepied les priorités politiques aujourd’hui soulevées. Mais il nous reste encore à questionner l’intérêt même que peuvent représenter les tests à l’entrée des études.

Les examens d’entrée sont-ils prédictifs ?

Le principal argument avancé pour défendre les examens d’entrée consiste à louer leur valeur prédictive quant à la réussite d’un‑e étudiant‑e dans son parcours académique. Cet argument s’accompagne d’ailleurs de propos compassionnels selon lesquels empêcher des étudiant-e‑s qui rateraient leur année de toute façon leur éviterait de perdre une année. Ces mêmes personnes s’inquiètent d’ailleurs du traumatisme que peut engendrer l’échec au sein de l’enseignement supérieur. Traumatisme qu’il faut à tout prix épargner aux étudiant-e‑s en les empêchant d’avoir accès à l’enseignement.

Cette argumentation, largement partagée chez les gestionnaires et certain-e‑s académiques, comporte des points méritant une réponse plus élaborée que de bonnes intentions.

Dans un premier temps, nous pouvons remettre en question la valeur prédictive des examens en début de parcours. Bien que le parcours scolaire antérieur des étudiant-e‑s ait un impact sur leur réussite académique, il faut pouvoir mettre en perspective le lien entre réussite dans l’enseignement secondaire et réussite dans l’enseignement supérieur. Sandrine Neuville et Benoît Galand faisaient déjà remarquer en 2012 que, clairement établis, ces effets ne rendent généralement compte que de 5 à 15% de la variance dans les notes des étudiants9. Ils rappellent également que le projet Mohican nous dévoilait que les résultats en début d’année n’étaient que peu corrélés avec ceux en fin d’année10.

D’ailleurs, selon une étude sur la réussite des étudiant-e‑s publiée récemment par l’ARES, il n’y a pas eu de corrélation observée entre les parcours académiques et les parcours scolaires antérieurs des étudiant-e‑s11. Ce qui appuie l’hypothèse selon laquelle les compétences développées avant l’inscription à un programme d’études importent peu quant à la réussite à venir.

L’idée selon laquelle il suffirait de mettre en lumière les compétences des étudiant-e‑s pour qu’ils-elles s’orientent mieux apparait alors superflue. Nous pouvons légitimement nous demander quelle est la valeur ajoutée d’un examen dont le résultat ne permet pas de prédire avec fiabilité le parcours des étudiant-e‑s. D’autant plus qu’il s’agit d’une proposition réduisant notre manière de concevoir les possibilités de réussite des étudiant-e‑s à des compétences supposées, alors que tant l’échec que la réussite impliquent de nombreux facteurs : « Les recherches passées en revue indiquent que l’échec est également lié à certaines croyances motivationnelles des étudiants. Plus précisément, la croyance en leur capacité d’apprendre et de réussir apparait comme un facteur crucial. Précisons que cette variable a un effet propre au-delà des réussites et échecs scolaires de l’étudiant, ou même de ses aptitudes cognitives. C’est la perception qu’a l’étudiant de ses capacités et la manière dont ses expériences antérieures l’ont aidé à être confiant qui sont ici en jeu. Le fait que l’étudiant puisse développer un certain intérêt pour ses cours et pour leur réussite est aussi un élément déterminant de la performance universitaire.12 »

Quel est l’intérêt des examens d’entrée ?

Comme nous l’avons précédemment évoqué, l’aspect prédictif de tels tests à l’entrée des études ne peut pas encore être considéré comme sérieux. Au regard de la répartition statistique des étudiant-e‑s selon leur profil socioéconomique, la réussite dans l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles semble davantage être dû à un positionnement social qu’à du mérite. Dans le meilleur des cas, les tests octroient une information peu fiable, au pire, ils nuisent à d’autres facteurs plus prédictifs de la réussite, comme la confiance en soi d’un‑e étudiant‑e.

L’intérêt d’installer des tests généralisés à l’entrée des études ne semble pas tellement être une tentative de faire baisser le taux d’abandon et d’échec, mais de l’avancer à l’inscription même. Cela paraît peu surprenant, à l’heure où la plus grande université francophone déclare dans un communiqué de presse qu’elle n’arrive pas à obtenir de meilleurs classements puisque l’objectif en Belgique est de rendre l’enseignement supérieur accessible à toutes et tous13.

La généralisation de tests à l’entrée des études, qu’ils soient contraignants ou non, retourne la notion même d’enseignement. Les étudiant-e‑s ne vont plus à l’université pour y recevoir une formation, et ensuite être évalué-e‑s en tant que nouveaux-elles scientifiques, mais sont préalablement évalué-e‑s pour savoir s’ils-elles vont devenir de bon-ne‑s scientifiques. L’enseignement n’est plus une question avant tout collective, où l’institution doit donner des outils, mais devient une question avant tout individuelle, où l’étudiant‑e se doit d’être capable et méritant‑e.

Ce renversement comporte des aspects pratiques pour les gestionnaires de l’enseignement supérieur. Ne devant plus se soucier de l’aide à la réussite, des aides sociales, de pédagogie, puisque la norme sera devenue une affaire individuelle, ils pourront toujours se conforter à l’aide de discours méritocratiques et culpabilisants.

Le prix à payer risquera d’être lourd. Il ne se traduira pas uniquement dans l’organisation de séances d’examens prédictifs, le salaire des encadrants, la location des salles, la production et la correction des exemplaires d’examens, le cout réel de cette entreprise sera l’affaiblissement du libre accès à la formation et à la connaissance.

  1. Rapport du Collège d’experts extérieurs établi à la demande du conseil d’administration de l’ARES du 24 octobre 2017, Proposition n°11.
  2. De telle manière qu’il devienne public, gratuit et de qualité.
  3. Lambert J.-P., « Accès à l’enseignement supérieur : un enjeu politique et économique majeur », La Revue nouvelle, n°12, décembre 2013.
  4. Le dernier recensement publié est consultable dans les Actes du premier congrès des chercheurs en éducation du 24 – 25 mai 2000 à Bruxelles. Il paraît important de souligner que ce colloque était organisé sous la présidence de Françoise Dupuis, alors ministre socialiste de Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique.
  5. Van Campenhoudt M., Dell’Aquila Fr., Dupriez V., « La démocratisation de l’enseignement supérieur en Communauté française de Belgique : état des lieux », Les cahiers de recherche en éducation et formation, n° 65, décembre 2008, p. 32.
  6. Op.cit., p. 31.
  7. Op.cit, p. 32.
  8. Dupriez V., Monseur Chr. et Van Campenhoudt M., « Le poids de l’origine socioculturelle des élèves et de leur environnement scolaire sur leurs aspirations d’études supérieures : les bases d’une comparaison internationale », L’orientation scolaire et professionnelle, 2012.
  9. Galand D., Neuville S., « La persévérance et la réussite dans l’enseignement supérieur : les approches par facteurs isolés », dans Neuville S., Frenay M., Noël B. et Wertz V. (dir.), Persévérer et réussir à l’université, Presses universitaires de Louvain, 2012, p. 20.
  10. Leclercq D., « Comment savoir ce que les étudiants savent lorsqu’ils rentrent dans l’enseignement universitaire ? Ce que nous apprend le projet Mohican », dans P. Parmentier (dir.). Recherches et actions en faveur de la réussite en première année universitaire : vingt ans de collaboration dans la Commission « Réussite » du Conseil interuniversitaire de la Communauté française, Bruxelles, CIUF, 2011, p. 19 – 23.
  11. « Réussir ses études. Quels parcours ? Quels soutiens ? Parcours de réussite dans le premier cycle de l’enseignement supérieur fédération Wallonie-Bruxelles », Académie de recherche et d’enseignement supérieur 2014 – 2017, p. 124.
  12. Galand D., Neuville S., « La persévérance et la réussite dans l’enseignement supérieur : les approches par facteurs isolés », dans Neuville S., Frenay M., Noël B. et Wertz V. (dir.), Persévérer et réussir à l’université, Presses universitaires de Louvain, 2012, p. 29.
  13. « L’UCLouvain classée parmi les 15% des meilleures universités mondiales », communiqué de presse de l’UCLouvain, consulté le 5 juillet 2019.

Scharpé


Auteur

étudiant à la Haute École Cardijn, stagiaire à La Revue nouvelle
La Revue Nouvelle
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